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28/11/2019 | FRANCE | N°17-31477

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 28 novembre 2019, 17-31477


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à l'Etude Balincourt, prise en la personne de M. S..., mandataire judiciaire, de sa reprise d'instance ;

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 décembre 2017), que, par acte du 10 juin 2008, M. E... N... K... a donné à bail à ferme à la société à responsabilité limitée N... K... (la SARL) une parcelle en nature de terre et de pieds-mères de vigne ; que, par déclaration du 27 juillet 2015, il a, après expertise judiciaire, sa

isi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation et expulsion ;

Attendu que ...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à l'Etude Balincourt, prise en la personne de M. S..., mandataire judiciaire, de sa reprise d'instance ;

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 décembre 2017), que, par acte du 10 juin 2008, M. E... N... K... a donné à bail à ferme à la société à responsabilité limitée N... K... (la SARL) une parcelle en nature de terre et de pieds-mères de vigne ; que, par déclaration du 27 juillet 2015, il a, après expertise judiciaire, saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation et expulsion ;

Attendu que la SARL et l'Etude Balincourt font grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail et d'ordonner son expulsion ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que la SARL avait employé, depuis 2008, des produits herbicides non conformes à la culture de pieds-mères de porte-greffe et utilisé, depuis 2011, un matériel d'épandage inadapté à cette végétation, la cour d'appel a retenu souverainement que le dépérissement précoce des plants engendré par cette méconnaissance des pratiques culturales avait compromis la bonne exploitation du fonds ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant constaté, nonobstant l'absence d'état des lieux à l'entrée, que le dépérissement infligé aux végétaux affectait aussi bien ceux que la preneuse avait plantés que ceux, majoritairement atteints, qui préexistaient à la conclusion du bail, la cour d'appel en a exactement déduit que la gravité des manquements justifiait la résiliation du bail en son entier ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société N... K..., représentée par M. S..., ès qualités, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société N... K..., représentée par M. S..., ès qualités, et la condamne à payer à M. N... K... la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Etude Balincourt, représentée par M. S..., en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de redressement judiciaire ouverte au profit de la société N... K...

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR prononcé, à la date de l'arrêt, en application des dispositions de l'article L. 411-31, 2° du code rural et de la pêche maritime, la résiliation du bail conclu entre les parties le 10 juin 2008 portant sur la parcelle cadastrée n° [...] commune de [...] lieudit [...] d'une contenance de 7 ha 47 a 47 ca, d'AVOIR ordonné par conséquent l'expulsion du preneur et de tous occupants de son chef des lieux loués, dans le délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt sous astreinte provisoire, passé ce délai, de 100 euros par jour pendant une durée de 60 jours, d'AVOIR fixé l'indemnité d'occupation à la somme de 700 euros par mois jusqu'à complète libération des lieux, et d'AVOIR rejeté les demandes de la SARL N...-K... tendant à la condamnation de M. E... N...-K... à lui verser diverses indemnités ;

AUX MOTIFS QUE aux termes de l'article L. 411-31, 2° du Code rural et de la pêche maritime, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie d'« agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds ».
En raison de la finalité du contrat de bail à ferme, le locataire d'un fonds rural est astreint à une obligation de jouissance active, consistant à mettre ce fonds en valeur et à l'entretenir conformément à sa destination, cette obligation étant rappelée et détaillée dans les conditions du bail de la parcelle litigieuse rédigé en ces termes :
"- Conditions générales : le preneur doit cultiver les terres en fermier soigneux :
Veiller à la bonne conservation des biens - Prévenir le bailleur en cas de dommages causés ou usurpations - Entretenir les fossés et accès aux parcelles (...)
- Conditions particulières : le preneur N...-K... SARL est autorisé à planter à ses frais en pieds mères de vigne".
Pour apprécier le bien-fondé de la demande en résiliation du bail par l'existence des manquements invoqués et leur impact sur la bonne exploitation du fonds, il convient de se placer à la date de la demande de résiliation soit le 6 août 2015.
L'expert judiciaire W... était chargée, aux termes de sa mission, de visiter la parcelle, de décrire et d'apprécier son état d'entretien global au regard de la végétation présente, des modalités d'arrosage et de la qualité des plantations de pieds mères, de se faire remettre tous documents relatifs aux plantations, déclarations de récoltes et aux produits herbicides utilisés par le fermier, de rechercher l'impact du produit herbicide utilisé, sur la capacité culturale et la valeur technique de la parcelle louée, au besoin par le biais d'une analyse foliaire et du sol.
Dans son rapport déposé le 13 avril 2015, elle précise avoir visité la parcelle le 22 décembre 2013, puis le 27 mai 2014, avoir procédé contradictoirement et exhaustivement à un double comptage des souches mortes et très faibles, et avoir constaté, en particulier sur les plantations effectuées en 2001 et 2009/2010, un taux important de mortalité ce qu'elle considère comme anormal s'agissant de souches jeunes, et un taux alarmant de souches faibles et dépérissantes, caractérisées notamment par la finesse des bois constatée lors de la visite du 2 décembre 2013. Le comptage des souches ainsi réalisé n'est pas critiqué par la SARL N...-K..., ni le nombre de souches initialement plantées selon leur variété et leur année de plantation, les chiffres reproduits résultant des documents produits respectivement par les parties ainsi que des rapports de contrôle de France Agrimer.
L'expert a encore précisé qu'elle avait observé des symptômes de phytotoxicité de type "glyphosate" sur trois souches de la plantation 2009 de 41 B clone 194, ce constat étant illustré d'une photographie prise en gros plan.
Si la SARL N...-K... fait remarquer qu'aucun état des lieux n'a été établi lors de la prise de possession ce qui ne permet pas de connaître le nombre de souches alors subsistantes sur les plantations effectuées en 1984, 1985 et 2001, cette observation est en toute hypothèse inopérante quant aux constatations faites contradictoirement par l'expert sur les variétés "3 309" plantée en 2009 et "41 B" plantée en 2009 et 2010 par la société preneuse, l'expert ayant particulièrement relevé, sur cette dernière variété, le pourcentage important de mortalité (de l'ordre de 9,67 % en 3 à 4 ans) et de souches faibles ou très faibles (4,17 % durant le même laps de temps) alors qu'il s'agit de souches jeunes, la longévité moyenne des pieds mères étant de 20 à 25 ans. Ni la SARL N...-K... ni l'expert F... qu'elle a mandaté ne fournissent d'explications techniques pertinentes pour expliquer ce dépérissement par des facteurs habituels ou encore extérieurs à l'exploitant et imprévisibles ; ainsi :
* si M. F... reproche à l'expert judiciaire de n'avoir pas pris en compte la localisation de la parcelle présentant un risque d'inondation ou d'engorgement, c'est pour préciser que certaines variétés de souches, dont la 41 B, sont particulièrement sensibles aux excès d'humidité, alors que le preneur a précisément fait le choix de cette dernière variété pour ses plantations en 2009-2010 ; il ne s'agissait donc pas d'un phénomène imprévisible pour lui et il lui appartenait de choisir les variétés adaptées aux caractéristiques de la parcelle,
si la variété interannuelle des rendements en agriculture pourrait avoir un impact sur un constat opéré au bout d'une année, tel n'est pas le cas en l'espèce puisque ce constat sur les pieds mères les plus jeunes intervient au bout de 3 ans après la plantation, sans que soit évoquée l'existence de phénomènes météorologiques exceptionnels au cours de cette période.
L'expert judiciaire a, par ailleurs, répondant à sa mission, étudié les cahiers et calendriers de traitement qui lui étaient communiquées concernant la seule période 2012-2013 et, pour la période antérieure, les factures d'achat de produits de désherbage à défaut de calendrier.
Les résultats de l'étude et l'analyse de ces documents sont exhaustivement consignés dans son rapport en pages 13 à 18. Elle explique ensuite de façon circonstanciée (page 33) que :
- le Katana utilisé régulièrement depuis 2008 sur la parcelle louée ne peut s'utiliser que sur les vignes "cultures installées",
- le Casoron utilisé en 2009 est applicable seulement sur les vignes de "plus de 4 ans", ce terme s'employant pour les vignes à fruits ce que ne sont pas les pieds mères de porte-greffe dont la végétation court au ras du sol, assimilés par conséquent à une jeune plantation,
- le Weedazol présente comme élément de réserve, selon l'index phytosanitaire ACTA 2008, de ne pas le pulvériser sur les parties vertes des vignes.
Elle ajoute que le représentant de la SARL N...-K... lui a présenté le pulvérisateur utilisé par l'entreprise depuis fin 2011 pour les opérations de désherbage et l'application des traitements phytosanitaires, l'expert précisant qu'il s'agit d'un type de pulvérisateur utilisé en grandes cultures (céréales...) et qui, de par la longueur de ses rampes et l'espace entre les buses, est inadapté à la culture des porte-greffes en ce que, immanquablement, les produits de désherbage vont toucher la souche.
Elle en conclut que les choix de produits herbicides par la SARL N...-K... et leur mode d'épandage, inadaptés, sont à l'origine des pertes et dépérissements anormaux des pieds de porte greffe sur la parcelle louée, ce que ne contredisent pas les certifications des plants par France Agrimer réalisés plus de 3 ans auparavant.
L'intimée ne saurait reprocher à l'expert judiciaire de n'avoir pas fait état, dans son rapport, des résultats d'analyse du laboratoire Phytocontrol, ceux-ci étant bien cités par Madame W... qui, en page 34 de son rapport, mentionne que "les analyses réalisées sur les bois de 41 B début décembre 2013 n'ont pas mis en évidence la présence de désherbant sur bois".
La circonstance que l'outillage utilisé a régulièrement été contrôlé est indifférente à son inadaptation à la culture en cause, sur laquelle la SARL N...-K... n'apporte aucune contradiction circonstanciée.
L'avis de M. F... ne saurait être retenu comme pertinent dès lors qu'intervenant à la demande de la société intimée, il affirme sans étayer son point de vue que l'emploi des produits Weedazol et Katana serait a priori sans risque avéré s'il intervient tôt en saison avant débourrage des vignes, alors que l'expert judiciaire, technicien indépendant des parties, précise que ces produits ne sont pas adaptés à une végétation courant au ras du sol.
C'est, enfin, en vain que la SARL N...-K... se prévaut des choix opérés par C... N... qui n'était plus son gérant depuis le 30 juin 2008, et qui, en toute hypothèse, est tiers au présent litige, la parcelle étant louée par E... N...-K....
Il ressort ainsi suffisamment des constatations et analyses circonstanciées de l'expert judiciaire, que rien ne permet d'écarter, que la SARL N...-K... a, par le choix des désherbants utilisés et leur mode d'épandage inadaptés, compromis la bonne exploitation du fonds en causant un dépérissement précoce des pieds mères de vignes plantés soit par elle, soit avant la conclusion du bail en particulier la variété R 110 clone 152 plantée en 2001 sur laquelle l'expert judiciaire a constaté le taux de mort ou de dépérissement le plus important alors qu'il s'agit de souches jeunes.
Ces manquements justifient le prononcé de la résiliation du bail à la date du présent arrêt, et le jugement déféré sera donc réformé en toutes ses dispositions.
Il y a lieu d'ordonner l'expulsion de la société preneuse selon les modalités qui seront précisées au dispositif du présent arrêt, et de fixer l'indemnité d'occupation, jusqu'à libération totale des lieux, à la somme mensuelle de 700 euros compte tenu du loyer initialement fixé et des caractéristiques de la parcelle ;

1°) ALORS QUE le contrat de bail stipulait que la SARL N... K... était autorisée à planter à ses frais des pieds mères de vignes mais qu'elle devait les « faire disparaître à ses frais si pour un motif quelconque [elle] devait abandonner l'exploitation desdites parcelles » ; qu'il s'ensuivait que pour apprécier si le preneur à bail rural avait commis des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds il convenait de comparer l'état de l'exploitation par rapport à son état lors de la prise d'effet du bail, l'état des plantations nouvelles devant être retirées à la fin du bail, étant indifférent à cet égard ; qu'en se fondant, dès lors, sur l'état des plantations réalisées par la SARL N... K..., après la prise d'effet du bail, tandis que elle ne pouvait se fonder que sur l'état des plantations réalisées par le bailleur avant la prise d'effet du bail, pour apprécier l'existence d'un manquement du preneur à ses obligations, la cour d'appel a violé l'article L. 411-31, I du code rural et de la pêche maritime ;

2°) ALORS QUE pour apprécier si le preneur à bail rural a commis des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, il convient de comparer l'état de l'exploitation au jour de la demande, par rapport à son état lors de la prise d'effet du bail ; que l'exposante rappelait « qu'aucun état des lieux n'a[vait] été établi lors de la prise de possession ce qui ne permet pas de connaître le nombre de souches alors subsistantes sur les plantations effectuées en 1984, 1985 et 2001 » (arrêt p. 9, dernier al.) ; qu'en jugeant que « la SARL N...-K... [aurait], par le choix des désherbants utilisés et leur mode d'épandage inadaptés, compromis la bonne exploitation du fonds en causant un dépérissement précoce des pieds mères de vignes plantés [
] avant la conclusion du bail en particulier la variété R 110 clone 152 plantée en 2001 sur laquelle l'expert judiciaire a constaté le taux de mort ou de dépérissement le plus important alors qu'il s'agit de souches jeunes » (arrêt p. 11, § 3, nous soulignons), sans rechercher quel était l'état de cette parcelle avant la prise d'effet du bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-31, I, du code rural et de la pêche maritime.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 17-31477
Date de la décision : 28/11/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 12 décembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 28 nov. 2019, pourvoi n°17-31477


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:17.31477
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