La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/11/2019 | FRANCE | N°18-18510

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 27 novembre 2019, 18-18510


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Banque populaire d'Alsace, aux droits de laquelle est venue la société Banque populaire d'Alsace Lorraine Champagne (la banque), a consenti en janvier 2004 un prêt immobilier à M. H... (l'emprunteur) ; que reprochant à la banque un manquement à ses obligations, M. H... l'a assignée

en responsabilité ; que le liquidateur de l'emprunteur est intervenu à l'instance...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Banque populaire d'Alsace, aux droits de laquelle est venue la société Banque populaire d'Alsace Lorraine Champagne (la banque), a consenti en janvier 2004 un prêt immobilier à M. H... (l'emprunteur) ; que reprochant à la banque un manquement à ses obligations, M. H... l'a assignée en responsabilité ; que le liquidateur de l'emprunteur est intervenu à l'instance ;

Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts de M. H... au titre du manquement de la banque à son devoir de mise en garde, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'emprunteur n'établit pas que son engagement excédait ses capacités financières, dès lors qu'étant resté propriétaire du bien immobilier acquis au moyen du prêt, la vente de ce bien en 2011 à un prix fixé selon ses propres estimations lui aurait permis de s'acquitter de sa dette auprès de la banque ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti doit apprécier sa situation au moment de la conclusion du contrat afin d'être en mesure de le mettre en garde, la cour d'appel, qui a tenu compte d'éléments postérieurs à l'octroi du prêt litigieux pour écarter tout manquement au devoir de mise en garde, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de dommages-intérêts de M. H... du chef du manquement de la banque à son devoir de mise en garde et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa condamne et la condamne à payer à M. N..., en qualité de liquidateur judiciaire de M. H..., la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat aux Conseils, pour M. N..., ès qualités.

M. N... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne à verser une somme de 190.446,65 € à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2011 pour manquement à son devoir de mise en garde et d'information ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE comme l'a rappelé le premier juge, la banque est tenue, à l'égard d'un emprunteur non averti, à un devoir de mise en garde à raison de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts ; que l'adaptation de l'engagement de l'emprunteur par rapport à ses capacités financières doit s'apprécier à la date de son engagement et lorsque l'emprunt est souscrit par plusieurs emprunteurs, l'existence d'un risque d'endettement excessif résultant de celui-ci doit s'apprécier au regard des capacités financières globales de ces co-emprunteurs ; que le prêt a été contracté par Monsieur R... H... et Mademoiselle Q... U... et ce sont les revenus du couple qui doivent être analysés pour apprécier le risque d'endettement ; que le manquement de la banque ne peut être établi au seul regard de l'absence de déclaration des emprunteurs lors de leur engagement et Monsieur R... H... et Mademoiselle Q... U... ont produit les éléments pour apprécier l'endettement ; que le fait que les travaux aient été financés par des prêts familiaux qui n'ont pas été déclarés comme tels, M. H... ayant déclaré un financement des travaux par le débit de son compte personnel, ne peut établir le risque d'endettement et une faute de la banque ; qu'en l'espèce, le premier juge a fait une juste analyse des faits de la cause, appliqué à l'espèce les règles de droit qui s'imposaient et pertinemment répondu aux moyens des parties quant à l'endettement ; qu'il en est de même concernant le caractère non averti des emprunteurs qui ne peut être contesté comme n'étant pas des professionnels de l'immobilier ou des emprunteurs réguliers en matière immobilière ; que l'acquisition d'un studio par la compagne de Monsieur R... H... ne saurait lui conférer la qualité d'emprunteur averti, ni sa profession de secrétaire auprès d'un expert comptable, et cette qualité ne peut être davantage conférée à Monsieur R... H... au regard de sa profession de directeur de supérette pour l'opération immobilière financée qui comprend outre une habitation, un local commercial de restauration ; qu'enfin, à la date de l'engagement, la valeur de l'immeuble n'était pas connue; il est constant qu'en 2011, M. H... dans le cadre de la procédure d'exécution forcée immobilière indiquait une valeur de 450 000 euros, confirmée par un avis de valeur entre 470 000 et 490 000 euros ; que le taux d'endettement était établi à hauteur de 47 %, sachant que des revenus locatifs quant au local commercial pouvaient être escomptés et que le co-emprunteur était toujours propriétaire du studio évalué à 53 357 euros selon la fiche remplie par elle le 27 août 2004 ; que l'autorisation de vente du juge commissaire à 140 000 euros n'a pas été suivie d'effet et ne signifie pas que l'immeuble puisse être vendu à une valeur supérieure alors que la procédure d'exécution forcée immobilière a été émaillée de nombreux incidents y compris des violences physiques et verbales notamment lors de l'adjudication qui n'a pas aboutie ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il est de droit que le banquier doit mettre en garde les emprunteurs non avertis contre les risques d'endettement que comporte l'opération financière envisagée, au regard des capacités financières dont ils disposent ; que le banquier est en revanche exonéré de cette obligation s'il démontre que le risque d'endettement excessif n'existait pas à la date de l'engagement, et dans le cas contraire si l'emprunteur était "averti" ; que s'agissant , en outre, d'un emprunt immobilier garanti par une affectation hypothécaire, l'obligation de mise en garde ne peut être non plus utilement invoquée par un emprunteur qui dispose de ressources en revenus et patrimoine lui permettant de faire face à l'engagement qu'il a souscrit ; qu'en l'occurrence, le prêt contracté représentait des échéances fixes de 1.468,54 € par mois sur 240 mois ; que le prêt ayant été contracté solidairement par les deux emprunteurs, il convient de prendre en compte les revenus du couple pour apprécier l'importance de leur endettement ; qu'à cet égard, il ressort des pièces produites qu'à la date de souscription du prêt : * Mlle Q... U..., disposait de revenus salariaux de l'ordre de 15.000 € et de revenus locatifs de 4.200 € par an, * Monsieur R... H... percevait pour sa part une rémunération annuelle de 16.500 € portant ainsi les revenus annuels du couple à 35.700 € ; que ces montants correspondent à ceux qui ont été déclarés par les emprunteurs lors de la demande de prêt ; qu'ils ne sont pas sérieusement remis en cause par les bulletins de salaires de Mlle Q... U... qui font apparaître un cumul imposable de 10.155,19 € (et non plus de 15.000 €), au titre de l'année 2004, dans la mesure où le prêt litigieux a été souscrit en janvier 2004 sur la base des revenus de l'année 2003 ; que dès lors qu'il n'est pas justifié d'autres dettes ou engagements antérieurs, le taux d'endettement du couple s'établissait en conséquence à 47 % ; que ce taux doit s'apprécier par référence à la part – en l'espèce relativement importante – des charges incompressibles dont il résulte que, tout en restant dans les limites des capacités financières du couple, les emprunteurs étaient soumis à un risque évident de surendettement, en cas d'accident de la vie courante (accident temporaire de santé, perte d'emploi, dépenses significative imprévue
) dont la survenance doit être pris en compte ; que les circonstances ont d'ailleurs démontré que c'est bien un accident qui, quatre ans plus tard, a totalement déstabilisé la situation financière de Monsieur R... H... ; qu'en second lieu, l'emprunteur non averti se "reconnaît par son inaptitude à évaluer lui-même les risques de l'opération financée par l'emprunt prétendu excessif. Cette qualité s'apprécie, non seulement au regard de son niveau de qualification et de son expérience des affaires, mais aussi de la complexité de l'opération envisagée et son implication personnelle dans l'affaire" ; qu'il ressort à cet égard des pièces produites que, tant Monsieur R... H... (responsable administratif et commercial d'une supérette, rémunéré 1375 € / mois après plusieurs missions d'intérim comme technicien en électronique et électricité et vendeur en téléphonie multimédia) que Mlle Q... U... (secrétaire dotée d'un CAP et d'un BEP), étaient profanes en matière de souscription de prêts immobiliers, et que leurs qualifications professionnelles ne leur permettaient pas d'apprécier les risques de l'opération envisagée, étant observé que sans être d'une grande complexité, l'investissement en cause portait non seulement sur l'achat d'un immeuble destiné à l'habitation, mais aussi sur des locaux destinés à une exploitation commerciale, avec laquelle ni Monsieur R... H..., ni Mlle Q... U... n'étaient familiarisés ; qu'il est en revanche démontré qu'à ce jour, Monsieur R... H..., après avoir tout mis en oeuvre pour faire échouer les procédures d'exécution forcée de l'immeuble acquis, en est toujours le propriétaire, raison pour laquelle d'ailleurs sa mauvaise foi a été retenue par le tribunal, qui avait conditionnée la mise en oeuvre des recommandations de la commission de surendettement à la cession préalable des biens immobiliers des débiteurs ; que selon les estimations les plus basses de la banque, la valeur de l'ensemble immobilier d'Achimette (locaux d'habitation, locaux commerciaux et terrain nu) s'établirait à 250.000 € alors que, selon M. R... H... qui s'appuyait sur des estimations de "professionnels de l'immobilier", cette valeur en 2011 (soit très largement après le début de la "crise immobilière") dépassait 450.000 €, ce que le demandeur a constamment soutenu dans le cadre des procédures l'ayant antérieurement opposé à la Banque Populaire d'Alsace ; qu'aucune des pièces produites ne permet de remette en cause cette évaluation qui démontre qu'en acceptant de céder, tout ou partie, de cet immeuble, Monsieur R... H... serait en mesure de s'acquitter de sa dette, en sorte qu'il ne peut sérieusement invoquer un engagement excédant ses capacités financières ;

1°) ALORS QUE la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti, est tenu à son égard, lors de la conclusion du contrat, d'un devoir de mise en garde en considération des capacités financières de ce dernier et du risque d'endettement ; qu'en énonçant, pour débouter M. N... de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde, que si M. H... acceptait de vendre l'immeuble acquis grâce au prêt, il serait en mesure de s'acquitter de sa dette et qu'en conséquence son engagement n'excédait pas ses capacités financières, après avoir pourtant constaté qu'à la date de son engagement le taux d'endettement du couple s'établissait à 47 % et qu'il était soumis à un risque évident de surendettement en cas d'accident de la vie courante, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait qu'au jour de la souscription du contrat il existait un risque d'endettement excessif justifiant que la banque mette en garde M. H..., a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS QUE le respect du devoir de mise en garde dont la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti est débitrice doit s'apprécier au regard de la situation de l'emprunteur au moment de la conclusion du contrat sasn tenir compte de circonstances postérieures ; qu'en énonçant, pour débouter M. N... de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de la banque à son devoir de mise en garde, qu'il était démontré qu'à ce jour, M. H... était toujours propriétaire de l'immeuble acquis grâce au prêt et que la valeur de celui-ci s'établirait, selon la banque, à la somme de 250.000 € de sorte qu'en acceptant de le céder, il serait en mesure de s'acquitter de sa dette, la cour d'appel, qui a tenu compte d'éléments postérieurs à l'octroi du prêt litigieux inopérants pour apprécier l'existence d'un risque d'endettement excessif et, partant le respect de l'obligation de mise en garde, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-18510
Date de la décision : 27/11/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 18 avril 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 27 nov. 2019, pourvoi n°18-18510


Composition du Tribunal
Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.18510
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award