LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme C..., engagée depuis le 1er décembre 2010 par la société Novagali Pharma, aux droits de laquelle vient la société Santen (la société) en qualité de chef de produit export, alors qu'elle était en arrêt de travail pour maladie, a écrit à la société le 14 octobre 2011 en faisant état de problèmes de santé liés à son travail, puis le 12 décembre 2011, en se plaignant du harcèlement moral qu'elle subissait de la part de sa supérieure hiérarchique ; que, licenciée le 31 janvier 2012 pour insuffisance professionnelle, elle a saisi le 2 août 2013 la juridiction prud'homale aux fins de voir déclarer nul le licenciement qui faisait suite à sa dénonciation d'un harcèlement moral et de condamner la société au paiement de diverses sommes notamment pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité et de loyauté ; que la cour d'appel a infirmé le jugement, mais uniquement en qu'il a débouté la salariée de sa demande d'indemnité pour licenciement nul ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à condamner l'employeur à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et violation de son obligation de loyauté, alors selon le moyen :
1°/ qu'il appartient à l'employeur, avisé de faits éventuels de harcèlement, de diligenter une enquête interne afin de vérifier les allégations qui lui sont rapportées ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir que l'employeur n'avait organisé aucune enquête à la suite de son courrier du 12 décembre 2011 dans lequel elle se plaignait du comportement anormal de sa responsable, Mme S... ; que l'arrêt retient que ce moyen est inopérant, « faute pour Mme C... d'établir la réalité des agissements invoqués » ; qu'en statuant ainsi, quand la salariée, qui avait été injustement privée d'une enquête contradictoire destinée à faire la lumière sur les agissements dénoncés, ne pouvait se voir reprocher de ne pas établir leur existence, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-4, L. 4121-1 et L. 4121-2 du même code ;
2°/ qu'à supposer adoptés les motifs du conseil de prud'hommes, tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en se bornant à énoncer que « la société Santen a pris en compte et mené une enquête quant aux affirmations de Mme C... », la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si l'employeur avait enquêté sur le comportement de Mme S..., a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que le moyen ne tend sous le couvert de violation de la loi qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit que la salariée n'établissait pas de faits qui permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche en ce qu'il critique des motifs des premiers juges non repris par la cour d'appel, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme l'indemnité allouée au titre du licenciement nul, alors selon le moyen :
1°/ que l'indemnité allouée, distinctement des indemnités de rupture, au salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, doit réparer l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement ; qu'en limitant à la somme de 26 448 euros l'indemnité pour licenciement nul, sans se référer aux pertes subies et aux gains manqués, et sans expliquer en quoi le montant ainsi alloué permettait la réparation intégrale du préjudice subi par la salariée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable ;
2°/ que, en tout cas, tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en limitant à la somme de 26 448 euros l'indemnité allouée au titre du licenciement nul, sans exprimer aucun motif justifiant ce montant, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences s'induisant de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a apprécié souverainement le montant du préjudice dont elle a justifié l'existence par l'évaluation qu'elle en a faite conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 et l'article L. 4121-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
Attendu que l'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle ;
Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient qu'aucun agissement répété de harcèlement moral n'étant établi, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là-même d'avoir manqué à son obligation de sécurité ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme C... de sa demande en dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 15 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Santen aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Santen à payer à Mme C... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme C....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la salariée de sa demande tendant à voir condamné son employeur à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et violation de son obligation de loyauté.
AUX MOTIFS propres QUE Mme C... invoque une absence de toute mesure de prévention et d'enquête à la suite de sa dénonciation d'agissements de harcèlement moral ; qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; absence de toute mesure de prévention ; que Mme C... produit un mail du 14 octobre 2011 se plaignant de ses mauvaises conditions de travail : « Les problèmes rencontrés dans mon activité me minent terriblement, et ont des répercussions sur ma santé. Suite à ma visite chez le médecin, celui-ci a effectivement constaté cet affaiblissement et m'a arrêtée pour une semaine, du 14 au 21 octobre. Je m'excuse pour cette baisse de dynamisme temporaire. J'ai emmené mon ordinateur chez moi donc je pourrai suivre les échanges au cas où Santen donnerait des instructions importantes. Par ailleurs, je serai joignable par téléphone en cas d'urgence » ; que ce mail ne contient aucune dénonciation précise d'une charge de travail excessive ou d'un stress mettant en cause la responsabilité de l'employeur ; que par ailleurs, l'employeur n'a pas sollicité Mme C... pendant son arrêt de travail ; absence d'enquête à la suite de la dénonciation par Mme C... d'agissements de harcèlement moral ; que Mme C... invoque à l'appui d'un harcèlement moral : sa lettre du 14 octobre 2011 que la cour vient d'écarter comme ne dénonçant aucun fait de harcèlement moral, la lettre de Mme I... du 16 novembre 2011 se plaignant du comportement de Mme C... (harcèlement moral de la part de Mme C... ) et faisant suite à deux courriers des 17 août 2009 et 19 octobre 2011 ; que cependant, la directrice des ressources humaines a entendu à plusieurs reprises les intéressées et diligenté une enquête sur les faits dénoncés par Mme I... ; la lettre de Mme C... du 12 décembre 2011 se plaignant de ses mauvaises conditions de travail et notamment du comportement anormal à son égard de sa responsable, Mme S... : « De façon très récurrente et hebdomadaire, Mme S... s'adresse à moi en hurlant, elle est audible de loin. Souvent, elle me reproche des actions non effectuées en retard pour lesquelles elle ne m'a rien expliqué et/pas donné les moyens de faire. D'autres fois, je suis brimée pour avoir adressé la parole à un de mes collègues .... ou lui avoir envoyé un email.... » ; que cependant, Mme C... ne produit aucun élément établissant la réalité des brimades invoquées ni aucune instruction de la société ou pièce probante lui demandant de faire un faux certificat de prix ; l'absence d'enquête à la suite de cette lettre confirmée par Mme S... lors de l'entretien préalable au licenciement ; mais que faute pour Mme C... d'établir la réalité des agissements invoqués, ce moyen est inopérant ; le remplacement de Mme C... à son poste dès le 16 décembre 2011 par Mme K... ; que cependant, Mme K... qui avait été remplacée par Mme C... à la suite de son départ volontaire a été réembauchée en décembre 2011 par contrat à durée déterminée de 6 mois en raison d'un surcroît d'activité motivé par le lancement d'un produit, Mme C... se plaignant d'ailleurs dans ses conclusions d'une charge de travail très importante fin 2011 ; la mise à l'écart d'une réunion du 24 novembre 2011 et de réunions le marketing ; que si l'employeur ne justifie pas que Mme C... a assisté à la réunion du 24 novembre 2011, il établit en revanche qu'elle était présente à celle du 29 novembre 2011 consacrée notamment au marketing ; que ce seul fait ne permet de présumer de l'existence d'un agissement de harcèlement moral ; qu'aucun agissement répété de harcèlement moral n'étant établi, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là-même d'avoir manqué à son obligation de sécurité ni de loyauté.
AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE l'article L 1152-1 du Code du travail stipule qu'aucun salarié ne droit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, et qu'en l'espèce il n'est ni démontré par Madame C... des agissements répétés de harcèlement, mais que par contre la SAS SANTEN a pris en compte et mené une enquête quant aux affirmations de Madame C..., qui n'ont jamais été avérées, le Conseil dira qu'il n'y a pas de faits de harcèlement moral et déboutera Madame C... de sa demande en dommages et intérêts pour ce chef.
1° ALORS QU'il appartient à l'employeur, avisé de faits éventuels de harcèlement, de diligenter une enquête interne afin de vérifier les allégations qui lui sont rapportées ; qu'en l'espèce, la salariée faisait valoir que l'employeur n'avait organisé aucune enquête à la suite de son courrier du 12 décembre 2011 dans lequel elle se plaignait du comportement anormal de sa responsable, Mme S... ; que l'arrêt retient que ce moyen est inopérant, « faute pour Mme C... d'établir la réalité des agissements invoqués » ; qu'en statuant ainsi, quand la salariée, qui avait été injustement privée d'une enquête contradictoire destinée à faire la lumière sur les agissements dénoncés, ne pouvait se voir reprocher de ne pas établir leur existence, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1152-4, L. 4121-1 et L. 4121-2 du même code.
2° Et ALORS QU'à supposer adoptés les motifs du conseil de prud'hommes, tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en se bornant à énoncer que « la société Santen a pris en compte et mené une enquête quant aux affirmations de Mme C... », la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si l'employeur avait enquêté sur le comportement de Mme S..., a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la salariée de sa demande tendant à voir condamné son employeur à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité.
AUX MOTIFS énoncés au premier moyen.
1° ALORS QUE pour débouter la salariée de sa demande au titre de l'obligation de sécurité, l'arrêt retient qu'« aucun agissement répété de harcèlement moral n'étant établi, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir diligenté une enquête » ; que dès lors, la cassation qui sera prononcée sur le fondement de la première branche du premier moyen s'étendra au chef de dispositif attaqué par le présent moyen, par application de l'article 624 du code de procédure civile.
2° ALORS, en tout cas, QUE manque à son obligation de sécurité l'employeur qui ne prend aucune mesure et n'ordonne pas d'enquête interne après qu'un salarié ait dénoncé des agissements de harcèlement moral, que ces agissements soient établis ou non ; qu'en se fondant sur la considération inopérante qu'aucun agissement répété de harcèlement moral n'était établi, la cour d'appel a violé les articles 1152-4, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
3° Et ALORS QU'à supposer adoptés les motifs du conseil de prud'hommes, tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en se bornant à énoncer que « la société Santen a pris en compte et mené une enquête quant aux affirmations de Mme C... », la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si l'employeur avait enquêté sur le comportement de Mme S..., a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité à la somme de 26 448 euros l'indemnité allouée à la salariée au titre du licenciement nul.
AUX MOTIFS QU'il sera accordé à la salariée une indemnité au titre du licenciement nul dont le montant figure au dispositif.
1° ALORS QUE l'indemnité allouée, distinctement des indemnités de rupture, au salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, doit réparer l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement ; qu'en limitant à la somme de 26 448 euros l'indemnité pour licenciement nul, sans se référer aux pertes subies et aux gains manqués, et sans expliquer en quoi le montant ainsi alloué permettait la réparation intégrale du préjudice subi par la salariée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable.
2° ALORS, en tout cas, QUE tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en limitant à la somme de 26 448 euros l'indemnité allouée au titre du licenciement nul, sans exprimer aucun motif justifiant ce montant, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences s'induisant de l'article 455 du code de procédure civile.