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26/11/2019 | FRANCE | N°18-85074

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 novembre 2019, 18-85074


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° U 18-85.074 F-D

N° 2330

EB2
26 NOVEMBRE 2019

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

L'association Sea Shepherd a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correct

ionnelle, en date du 12 juin 2018, qui, dans la procédure suivie contre l'association Océan prévention Réunion et MM. H.....

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° U 18-85.074 F-D

N° 2330

EB2
26 NOVEMBRE 2019

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

L'association Sea Shepherd a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 12 juin 2018, qui, dans la procédure suivie contre l'association Océan prévention Réunion et MM. H... J... et A... K... du chef de diffamation publique envers un particulier, a constaté la nullité de la citation directe et dit n'y avoir lieu à évocation.

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 15 octobre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre.

Greffier de chambre : Mme Guichard.

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, la société civile professionnelle BOUTET et HOURDEAUX, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAGAUCHE.

Des mémoires ont été produits en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Après la mise en ligne, le 2 juillet 2017, sur le compte Facebook de l'association Océan prévention Réunion d'un message selon lequel l'association Sea shepherd utilise "toutes sortes de méthodes, calomnies, menaces, diffamations, attaques ad hominem, harcèlements, intimidations, infraction au droit à l'image et pour défendre leur idéologie", l'association ainsi mise en cause a fait citer, le 7 septembre 2017, l'association Océan prévention Réunion, dont le siège est situé à [...] dans l'Ile de la Réunion, en qualité d'éditeur, et MM. J... et K..., demeurant également dans l'Ile de la Réunion, en qualité de directeurs de publication, du chef de diffamation publique envers un particulier pour l'audience du 12 octobre 2017, devant le tribunal correctionnel de Bordeaux.

3. A cette audience, au cours de laquelle les prévenus n'ont été ni présents ni représentés, le tribunal a fixé le montant de la consignation et renvoyé l'affaire à l'audience du 7 décembre 2017, lors de laquelle les trois prévenus étaient représentés par un avocat.

4. Par jugement en date du 11 janvier 2018, le tribunal a rejeté l'exception de nullité de la citation prise de la méconnaissance de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, fixant le délai de comparution, et déclaré les prévenus coupables.

5. Les prévenus ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, 32 et 54 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté la nullité de la citation du 7 septembre 2017 et dit n'y avoir lieu à évocation, « alors que les dispositions de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, en ce qu'elles prévoient un délai entre la citation et la comparution devant le tribunal correctionnel de 20 jours outre un jour par cinq myriamètres de distance, permettant ainsi, lorsque le prévenu résidant Outre-Mer est cité en Métropole, que ce délai soit porté à plusieurs mois, lorsque, en toute autre matière, le délai de distance est fixé à un mois, ne sont pas conformes au droit d'agir en justice, au principe d'égalité devant la justice et au droit à la réputation, composante du droit au respect de la vie privée, garantis par les articles 2, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, le tribunal correctionnel aura été valablement saisi par la citation délivrée par la partie civile et l'arrêt attaqué qui prononce sa nullité se trouvera privé de fondement juridique ».

Réponse de la Cour

8. Par sa décision n° 2019-786 QPC en date du 24 mai 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré les mots « outre un jour par cinq myriamètres de distance » figurant au premier alinéa de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, qui méconnaissaient le principe d'égalité devant la justice, contraires à la Constitution, l'abrogation des dispositions contestées étant reportée jusqu'au 31 mars 2020 et la déclaration d'inconstitutionnalité ne pouvant être invoquée dans les instances engagées par une citation délivrée avant la publication de cette décision.

9. Ainsi, le moyen doit-il être écarté.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme, 6, 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, 32 et 54 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale.

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté la nullité de la citation du 7 septembre 2017 et dit n'y avoir lieu à évocation :

1°/ alors que « le délai de distance exprimé à l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881, qui a pour fonction de permettre au prévenu d'exercer utilement ses droits de la défense, doit s'interpréter à la lumière des principes qui régissent le procès équitable et qui garantissent l'équilibre des droits des parties ; qu'en appliquant littéralement le mode de calcul prévu par ce texte et fondé sur le « myriamètre », unité de mesure élaborée en 1793 pour tenir compte des modes de transport de l'époque qu'étaient les randonnées à cheval et les longs voyages maritimes, portant ainsi le délai de distance à 180 jours, soit presque 6 mois, permettant ainsi aux prévenus d'obtenir la nullité de la citation au seul motif du non-respect d'une règle obsolète et ce quand bien même, touchés par la citation plus d'un mois avant leur comparution, ils avaient été mis en mesure de préparer utilement leur défense, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal de la partie civile et méconnu les principes gouvernant le procès équitable ; »

2°/ alors que « selon les dispositions combinées des articles 6,§1, et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne morale a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; qu'il résulte en outre de l'article 8 de cette Convention que les personnes morales ont droit à la protection de leur réputation ; qu'en jugeant nulle la citation délivrée par l'association exposante comme n'ayant pas été délivrée après l'expiration d'un délai de plus de 180 jours entre la citation et la comparution devant le tribunal, lui interdisant ainsi d'accéder à un juge pour qu'il soit statué sur l'atteinte portée à sa réputation et, le cas échéant, sur la réparation du préjudice en résultant, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée à ces droits fondamentaux ; »

3°/ alors que « le délai fixé à l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 n'est pas prescrit à peine de nullité, le tribunal correctionnel étant valablement saisi si la personne citée se présente ou est représentée ; qu'en jugeant nulle la citation délivrée hors délai, lorsqu'il résulte des mentions mêmes de la décision attaquée que par courrier du 4 octobre 2017, le conseil des prévenus a informé le tribunal correctionnel qu'il ne se présenterait pas à l'audience du 12 octobre, circonstance qui établit que les prévenus ont été touchés par la citation et qu'ils se sont manifestés auprès du tribunal, ainsi valablement saisi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ».

Réponse de la Cour

12. Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 54 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 553, 1°, et 593 du code de procédure pénale.

13. Selon le dernier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

14. Pour constater la nullité de la citation introductive d'instance, l'arrêt énonce qu'en application du deuxième de ces textes, le délai de comparution de vingt jours est augmenté d'un jour par cinquante kilomètres de distance.

15. Les juges retiennent que, d'une part, l'acte de poursuite a été délivré un mois et six jours avant la date de l'audience, bien qu'une distance de plusieurs milliers de kilomètres séparât le lieu de délivrance de l'acte, dans l'Ile de la Réunion, de la ville de Bordeaux où siège la juridiction saisie, d'autre part, les personnes poursuivies ne se sont pas présentées à l'audience pour laquelle elles ont été citées.

16. En se déterminant ainsi, sans vérifier, comme elle y était invitée par des conclusions régulièrement déposées devant elle, si, dans les circonstances de l'espèce, le domicile des prévenus étant très éloigné du lieu du procès, l'application de l'article 54 de la loi du 29 juillet 1881 ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès de la partie civile à un tribunal dans les poursuites tout au moins engagées contre les personnes physiques, le délit ne pouvant être imputé à la personne morale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 12 juin 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six novembre deux mille dix-neuf.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-85074
Date de la décision : 26/11/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux, 12 juin 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 nov. 2019, pourvoi n°18-85074


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.85074
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