LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 3 juillet 2018), que le Gaec de Beauséjour a confié l'installation d'une unité de méthanisation agricole à la société Methajade, qui a sous-traité à la société Eiffage énergie Loire océan (la société Eiffage) la fourniture et la pose d'un transformateur ; que celle-ci a mis en demeure la société Methajade de lui régler le solde de ses travaux et en a informé le Gaec de Beauséjour ; que la société Methajade a été mise en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire ; que, se plaignant d'un solde impayé, la société Eiffage a assigné le Gaec de Beauséjour en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que, pour rejeter la demande de la société Eiffage, l'arrêt retient qu'au jour de la liquidation judiciaire et de la cessation d'activité de la société Methajade, toutes les prestations réalisées ont été facturées et payées, de sorte que la société Eiffage ne peut reprocher au Gaec de Beauséjour de l'avoir privée d'une action directe à son égard dès lors qu'il avait déjà soldé sa dette et qu'il appartenait à la société Methajade de régler le sous-traitant ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que, postérieurement à sa connaissance de l'intervention de la société Eiffage en qualité de sous-traitant, le Gaec de Beauséjour restait redevable de sommes envers l'entrepreneur principal, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société Eiffage, l'arrêt rendu le 3 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne le Gaec de Beauséjour aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du Gaec de Beauséjour et le condamne à payer à la société Eiffage énergie Loire océan la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Eiffage énergie systèmes - Loire Océan
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué du 3 juillet 2018 d'avoir débouté la société Eiffage de l'ensemble de ses demandes dirigées contre le GAEC de Beauséjour, et de l'avoir condamnée à lui payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs propres que « l'article 14-1 de la loi n° 751334 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, dispose que : « pour les contrats de travaux de bâtiment et de travaux publics : - le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 (présentation du sous-traitant au maître d'ouvrage aux fins d'agrément et d'acceptation de ses conditions de paiement, afin que le sous-traitant puisse bénéficier de l'action directe) ou à l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations. Ces dispositions s'appliquent aux marchés publics et privés. - Si le sous-traitant accepté, et dont les conditions de paiement ont été agréés par le maître de l'ouvrage dans les conditions définies par décret en conseil d'État, ne bénéficie pas de la délégation de paiement, le maître de l'ouvrage doit exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni la caution (...). » ; que le Gaec de Beauséjour, bien que sollicitant la confirmation du jugement entrepris, conteste à nouveau l'application à la cause de la loi du 31 décembre 1975, et, partant, de son article 14-1 ; que les premiers juges, après avoir notamment rappelé que la cour d'appel de céans, dans son arrêt du 27 octobre 2015 ayant statué à la suite du recours formé contre la décision du juge de l'exécution, avait précisément considéré que « au vu des caractéristiques techniques permettant l'étude du raccordement conformément aux dispositions du décret n°2008-386 du 23 avril 2008 et de son arrêté d'application, relatif aux prescriptions générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations, en vue de leur raccordement au réseau public de distribution », il ne s'agissait pas en l'espèce de la fourniture d'un simple transformateur standard alors même d'autre part qu'il n'était pas contesté que la société Eiffage avait procédé sur le terrain à la pose dudit transformateur ; que la cour reprend l'analyse qu'elle a effectuée dans le cadre de la procédure diligentée devant le juge de l'exécution, rappelée et adoptée par les premiers juges, de sorte que c'est à l'aune des dispositions de la loi du 31 décembre 1975 que l'éventuelle responsabilité du maître d'ouvrage, le Gaec de Beauséjour, à l'égard du sous-traitant, la société Eiffage, doit être envisagée ; que les premiers juges à cet égard, ont pertinemment relevé qu'il convenait de retenir la date du 24 janvier 2014, date de signature de l'accusé de réception, comme point de départ de la connaissance par le Gaec de Beauséjour de l'intervention du sous-traitant, en l'absence de tout élément établissant que la société Eiffage aurait été présentée à l'agrément du GAEC en qualité de sous-traitant lors de la signature de la commande du transformateur effectuée par Methajade auprès de la société Eiffage ; qu'il appartenait dès lors au maître de l'ouvrage, en application de l'article 14-1, de mettre en demeure l'entrepreneur principal, la société Methajade, de lui présenter le sous-traitant aux fins d'agrément et d'acceptation de ses conditions de paiement puis d'exiger de cet entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni à son sous-traitant un cautionnement couvrant le paiement des sommes dues au titre du contrat de sous-traitance, à défaut de mise en place d'une délégation de paiement permettant au dit sous-traitant d'être réglé directement par le maître d'ouvrage ; qu'or force est de constater que le Gaec de Beauséjour n'a pas satisfait à ces obligations, et que, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, cette carence était susceptible de causer à la société Eiffage un préjudice découlant du défaut de paiement intégral de sa facture, se trouvant privée d'une action directe contre le maître de l'ouvrage ; que la responsabilité du maître d'ouvrage est dès lors susceptible d'être recherchée sur le fondement délictuel de l'article 1382 ancien du code civil, à supposer rapportée la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité ; qu'il appert toutefois des pièces produites que le Gaec de Beauséjour a réglé par virement, directement à la société Methajade, les sommes de : 83 887,28 € le 17 novembre 2013, et 36 285,65 € le 22 novembre 2013, soit un total de 120 172,93 € correspondant au montant de la facture du 7 novembre 2013 comprenant le transformateur ; qu'à bon droit, le Gaec de Beauséjour fait valoir que le préjudice du sous-traitant ne saurait s'établir au montant de l'intégralité des factures émises, sauf à rapporter la preuve que le maître d'ouvrage avait dès l'origine connaissance de l'existence du sous-traitant et qu'il a néanmoins, en toute connaissance de cause, réglé le montant du marché directement à l'entreprise principale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que la cour rappelle de surcroît que le montant du marché ne constitue pas la créance tant que le marché n'est pas exécuté, qu'une entreprise en liquidation judiciaire n'est pas en mesure d'exécuter les prestations, qu'il est par ailleurs interdit de facturer des prestations non réalisées et que l'établissement d'un avoir signifie que la facturation précédente est annulée partiellement ou totalement ; qu'en l'espèce, la dernière facture émise est datée du 30 janvier 2014, pour 55 297,48 €, réglée à hauteur de 27 650 € par virement du 17 février 2014, la société Methajade ayant été placée en redressement judiciaire le 5 mars 2014 puis en liquidation judiciaire le 30 avril 2014 ; qu'ainsi, au jour de la liquidation judiciaire et de la cessation d'activité, toutes les prestations réalisées avaient été facturées et payées ; que les premiers juges ont donc pertinemment retenu que la société Eiffage ne pouvait reprocher au Gaec de Beauséjour de l'avoir privé d'une action directe à son égard en ne procédant pas à la mise en demeure prévue par les articles 3 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 lorsqu'elle a eu connaissance de son existence, dès lors qu'elle avait déjà soldé sa dette et qu'il appartenait à la société Methajade de régler le sous-traitant ; que la société Eiffage échoue ainsi à rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; que succombant en son appel, la société Eiffage Energie Loire Océan supportera la charge des dépens y afférents, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, et tenue au surplus de verser une indemnité complémentaire de 3000 € au Gaec de Beauséjour, dont la demande du même chef est rejetée, en application de l'article 700 du code précité » (arrêt attaqué, p. 5 à 7) ;
Et aux motifs adoptés des premiers juges que « l'article 14-1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance dispose que le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas fait l'objet des obligations définies à l'article 3 ou de l'article 6, ainsi que celles définies à l'article 5, mettre l'entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s'acquitter de ces obligations ; qu'il ne résulte d'aucune pièce que la société Eiffage aurait été présentée à l'agrément du GAEC en qualité de sous-traitant lors de la signature de la commande du transformateur par la société Eiffage à la société Methajade, le 3 octobre 2012 ; qu'en l'absence d'autres éléments, ce n'est que le 24 janvier 2014 (date de signature de l'accusé de réception), que le GAEC est informé de ce que la société Methajade, était intervenue comme sous-traitant ; que le GAEC ne saurait utilement contester la qualité de sous-traitant à la société Eiffage et considérer qu'il ne s'agit que d'une vente régie par les dispositions des articles 1582 et suivants du code civil ; qu'en effet, d'une part, l commande, ainsi que l'a déjà souligné la cour d'appel dans son arrêt du 27 octobre 2015, a été faite « au vu des caractéristiques techniques permettant l'étude du raccordement conformément aux dispositions du décret n°2008-386 du 23 avril 2008 et de l'arrêté d'application du 23 avril 2008, relatif aux prescriptions générales de conception et de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les installations, en vue de leur raccordement aux réseaux publics de distribution », il ne s'agissait donc pas de la fourniture d'un simple transformateur standard, d'autre part il n'est pas contesté que la société Eiffage a procédé sur le terrain à la pose dudit transformateur ; que les dispositions de l'article 14-1 ci-dessus rappelées n'ayant pas été respectées à l'égard de la société Eiffage et sa qualité de sous-traitant étant établie, celle-ci ne peut se prévaloir de l'action directe contre le maître de l'ouvrage que si ce dernier a mis en demeure l'entreprise principale de lui présenter le sous-traitant aux fins d'acceptation de son intervention et d'agrément des conditions de paiement, ce qui n'a pas été le cas ; que cette carence de la part du maître de l'ouvrage était susceptible de causer à la société Eiffage un préjudice découlant du défaut de paiement intégral de sa facture pour avoir été privée d'une action directe contre celui-ci ; que pour autant le préjudice ne saurait excéder ce que le GAEC justifie avoir réglé à l'entreprise principale, au titre du lot revenant au sous-traitant, à la date où il a eu connaissance de sa présence comme sous-traitant ; qu'or, il résulte des pièces produites en particulier de ses relevés de compte, que le GAEC a réglé par virement, directement à la société Methajade les sommes suivantes : - le 17 novembre 2013
. 83 887,28 €, - le 22 novembre 2013
. 36 285,65 €, soit
. 120 172,93 €, ce qui correspond au centime près, au montant de la facture du 7 novembre 2013 établie par la société principale, la société Methajade, incluant la prestation fourniture et pose du transformateur, ce qui signifie que le GAEC avait soldé celle-ci trois mois avant d'avoir connaissance de l'intervention de la société Eiffage comme sous-traitant ; qu'en conséquence, la société Eiffage qui n'avait pas été agréée auprès du GAEC par la société Methajade, ne peut reprocher audit GAEC de l'avoir privée d'une action directe à son égard, en ne la mettant pas ou l'entreprise principale en demeure de se présenter et de faire agréer ses conditions de paiement comme les articles 3 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 le prévoient lorsqu'elle a eu connaissance de son existence, puisqu'elle avait déjà soldé sa dette et qu'il appartenait à la société Methajade de régler la société Eiffage » (jugement entrepris, p. 3 et 4) ;
Alors que le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant n'ayant pas été accepté et dont les conditions de paiement n'ont pas été agréées, mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter de ses obligations ; que le préjudice subi par le sous-traitant en raison du manquement du maître de l'ouvrage à cette obligation de mise en demeure, qui correspond à la perte de l'action directe contre le maître de l'ouvrage, présente un lien de causalité avec cette faute dès lors que le maître de l'ouvrage reste redevable de sommes envers l'entrepreneur principal postérieurement à sa connaissance de l'intervention du sous-traitant sur le chantier, peu important que les prestations réalisées par le sous-traitant aient déjà été réglées à l'entrepreneur principal ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le GAEC de Beauséjour, maître de l'ouvrage, avait eu connaissance de l'intervention de la société Eiffage, sous-traitant, le 24 janvier 2014 et qu'elle avait commis une faute en s'abstenant de mettre l'entrepreneur principal en demeure de faire accepter le sous-traitant et de faire agréer ses conditions de paiement (cf. arrêt attaqué, p. 6, § 1 à 5) ; qu'elle a, en outre, constaté que la dernière facture émise par la société Methajade, entrepreneur principal, d'un montant de 55 297,48 €, était datée du 30 janvier 2014, et qu'elle avait été réglée par le GAEC Beauséjour à hauteur de 27 650 € par virement du 17 février 2014 (cf. arrêt attaqué, p. 7, §2) ; qu'en jugeant toutefois que le préjudice subi par la société Eiffage ne présentait pas de lien de causalité avec la faute du GAEC de Beauséjour, dès lors qu'au jour où le maître de l'ouvrage avait eu connaissance de l'existence du sous-traitant, il s'était déjà acquitté des sommes dues à l'entrepreneur principal au titre de la prestation réalisée par le sous-traitant (cf. arrêt attaqué, p. 7, §4), quand il résultait de ses propres constatations que le maître de l'ouvrage restait redevable de sommes envers l'entrepreneur principal postérieurement à sa connaissance de l'intervention du sous-traitant sur le chantier, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil, ensemble les articles 3 et 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.