La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/11/2019 | FRANCE | N°18-84864

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 novembre 2019, 18-84864


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

-
-
-
-
-
-
-
-
M. Z... P...,
M. C... M...,
M. R... N...,
M. Y... O...,
M. F... H...,
M. A... W...,
M. V... I...,
M. E... X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 28 juin 2018, qui, pour diffamation et injure publiques envers un particulier, les a condamnés, chacun, à 400 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'

audience publique du 1er octobre 2019 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, Mme Duri...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

-
-
-
-
-
-
-
-
M. Z... P...,
M. C... M...,
M. R... N...,
M. Y... O...,
M. F... H...,
M. A... W...,
M. V... I...,
M. E... X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 28 juin 2018, qui, pour diffamation et injure publiques envers un particulier, les a condamnés, chacun, à 400 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 1er octobre 2019 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, M. Bonnal, M. Maziau, Mme Labrousse, conseillers de la chambre, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Lemoine ;

Greffier de chambre : Mme Lavaud ;

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire BARBIER, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, de la société civile professionnelle ROUSSEAU et TAPIE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention des droits de l'homme, 29, 32 et 33 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

“en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM. H..., O..., X..., N..., M..., P..., W... et I... coupables de diffamation publique et injure publique envers Mme B... S..., les a condamnés à payer 400 euros d'amende chacun et a prononcé sur l'action civile ;

“1°) alors que pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme de l'articulation précise de faits imputables au plaignant de nature à être l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ; que les propos qui se bornent à relever une généralité sans évoquer un fait ou un événement précis à l'encontre de la partie civile, ne constituent pas l'allégation d'un fait précis ; que les propos du tract qui présentent la partie civile comme incompétente, incapable d'assumer les tâches et les responsabilités de sa fonction, la compare au commandant d'un navire en perdition fuyant ses responsabilités après avoir occasionné des brèches et la qualifie de pseudo-responsable, n'évoquent aucun fait précis ; qu'en qualifiant les propos de diffamatoires, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

“2°) alors qu'en énonçant tout à la fois que « l'atteinte à la considération est ainsi caractérisée, les propos étant suffisamment précis » et également qu'« à aucun moment (les prévenus) n'exposent des problèmes précis ou ne se réfèrent à des incidents qui seraient survenus », ce dont il se déduit l'absence de fait précis imputés à la partie civile, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;

“3°) alors que la diffusion d'un écrit n'est publique que si elle n'est pas limitée à un groupement de personnes liées par une communauté d'intérêt ; qu'un tract syndical affiché ou distribué dans les locaux professionnels s'adresse à des personnes liées par une communauté d'intérêt, en vue de leur information, sur des sujets concernant leurs préoccupations communes ; qu'en énonçant, pour estimer le critère de publicité caractérisé, que le tract a été distribué aux personnels du centre de détention, aux éducateurs travaillant en milieu ouvert, aux personnels administratifs, aux détenus et aux personnes effectuant l'entretien des locaux, tandis qu'ils constituent une communauté de personnes travaillant au sein du centre pénitentiaire et liées par un même intérêt représenté par le bon fonctionnement du centre pénitentiaire, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

“4°) alors qu'en visant « des personnes de passage pouvant fréquenter ponctuellement le hall d'accueil et le mess », sans préciser les personnes pouvant être amenées à être « de passage » à l'intérieur d'un centre pénitentiaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

“5°) alors que la bonne foi est reconnue lorsque les propos ne dépassent pas les limites admissibles de la polémique syndicale ; que les propos doivent être replacés au regard de l'ensemble de l'article et du contexte dans lequel ils ont été tenus ; que les propos incriminés étaient tenus dans le cadre d'une action syndicale et se bornaient à stigmatiser et à caricaturer l'exercice d'une fonction, sans faire aucune mention relative à la personne envisagée indépendamment de cette fonction ; qu'en écartant le bénéfice de la bonne foi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

“6°) alors que l'existence d'un débat d'intérêt général exclut toute diffamation ; que les propos incriminés étaient tenus dans le cadre d'un débat d'intérêt général sur le fonctionnement d'un service pénitentiaire ; que les propos tenus, qui ne dépassaient pas l'outrance habituelle dans de tels débats, n'ont pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés” ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que MM. P..., M..., N..., O..., H..., W..., I..., X... ont rédigé, diffusé et affiché un tract "signé bureau UFAP local" sur le panneau à usage syndical situé dans les locaux administratifs du [...], les 5 et 6 avril 2016, visant Mme B... S..., adjointe au chef de bâtiment du centre de détention ; que celle-ci ayant déposé plainte, une information a été ouverte des chefs, d'une part, de diffamation publique envers un particulier, à raison des propos "souvenons-nous du Concordia s'échouant sur les côtes italiennes et ce commandant fuyant ses responsabilités. Il en va de même pour le Centre de Détention de VLG et de son adjointe qui ne cesse de colmater les brèches occasionnées par l'incompétence de cette personne", "il devient urgent d'expliquer à cette pseudo responsable, qu'être chef (aussi petit soit-il) c'est assumer ses responsabilités et savoir prendre des décisions en faisant abstraction de ses sentiments personnels" et "compte tenu de sa phobie administrative et soucieux de sa santé, il serait temps de réfléchir à un poste qui soit à son niveau de compétence", d'autre part, d'injure publique envers un particulier, à raison des propos "car comme dit le dicton même s'il porte un précieux harnais, l'âne ne se transforme pas en cheval de course" ;

Attendu qu'à l'issue de l'information, les auteurs du tract ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Châlon-sur-Saône sous les préventions susmentionnées ; que le tribunal correctionnel les a retenus dans les liens de la prévention ; que les huit prévenus ont interjeté appel de cette décision, ainsi que le procureur de la République ;

Sur le moyen pris en ses troisième et quatrième branches :

Attendu que pour établir le caractère public tant de la diffamation que de l'injure, l'arrêt retient que le tract a été affiché sur un panneau à proximité de la salle d'appel, que des exemplaires ont aussi été mis à la disposition de tous dans cette même salle, placés dans les vestiaires, déposés dans le hall d'accueil et au mess, posés sur des tables dans les locaux administratifs ; que les juges ajoutent que cette diffusion très large a rendu le tract accessible non seulement aux personnels du centre de détention, mais également aux éducateurs travaillant en milieu ouvert, aux personnels administratifs, aux détenus et personnes effectuant l'entretien des locaux, ainsi qu'à des personnes de passage pouvant fréquenter ponctuellement le hall d'accueil et le mess ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, ressortant de son appréciation souveraine des circonstances dans lesquelles le tract a été diffusé, et qui établissent que ladite diffusion n'a nullement été limitée aux surveillants pénitentiaires et à leur hiérarchie, seul groupement susceptible d'être lié par une communauté d'intérêts, et a notamment été étendue aux personnes détenues, en sorte que les propos incriminés doivent être regardés comme ayant été tenus publiquement, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que les griefs ne sauraient être retenus ;

Mais, sur le moyen pris en ses première et deuxième branches :

Vu l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que, pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ;

Attendu que, pour caractériser le délit de diffamation publique à l'encontre des prévenus, l'arrêt retient que le tract litigieux, pour présenter l'adjointe du chef du centre de détention comme radicalement incompétente, emploie des propos suffisamment précis et qui caractérisent l'atteinte à la considération ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le propos litigieux ne comportait pas en lui-même l'allégation ou l'imputation d'un fait suffisamment précis pour faire l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, et que les juges ne relevaient pas de circonstances extrinsèques à l'écrit incriminé de nature à lui donner son véritable sens, et à caractériser l'infraction poursuivie, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer ni sur les autres branches du premier moyen, qui ne concernent que l'infraction de diffamation, ni sur le second moyen :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 28 juin 2018, mais en ses dispositions ayant déclaré les prévenus coupables de diffamation ainsi que sur les peines et les intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize novembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-84864
Date de la décision : 13/11/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Dijon, 28 juin 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 nov. 2019, pourvoi n°18-84864


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.84864
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award