LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° D 18-84.554 F-D
N° 2090
CK
5 NOVEMBRE 2019
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
Mme A... T... D..., épouse Q..., M. J... Q..., Mmes X... Q... et U... Q..., ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 7e chambre, en date du 3 juillet 2018 qui, pour abus de faiblesse aggravé et sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique, a condamné la première à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis et mise à l'épreuve, pour sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique, complicité d'abus de faiblesse aggravé et recel aggravé, le deuxième à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve, pour complicité d'abus de faiblesse aggravé et recel aggravé, les deux dernières à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis et mise à l'épreuve, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 24 septembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller SAMUEL, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général QUINTARD ;
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, et un mémoire en défense ont été produits.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Fin octobre 2006, les Renseignements généraux ont signalé à la gendarmerie qu'une famille, sous couvert de rites vaudoux, était susceptible de se livrer à des agissements sectaires à Marly-la-ville (95). Sur la base des premiers renseignements judiciaires recueillis, le procureur de la République à ouvert, le 23 novembre 2006, une enquête préliminaire.
3. Au cours de ces investigations, des témoins anonymes ont affirmé que Mme S... T... Q... se présentait comme voyante auprès de la communauté antillaise et prodiguait des consultations payantes pouvant déboucher sur un "travail" plus onéreux auquel s'ajoutaient deux ou trois grands rassemblements pendant l'année d'une durée ininterrompue de deux à trois jours. Selon ces témoignages, son mari, M. J... Q..., surveillait les cérémonies marquées par des scènes de transe collective et d'hystérie au cours desquelles elle pouvait se montrer violente et menaçante et était assistée de leurs filles, Mmes X... et U... Q..., elles-mêmes aidées de "serviteurs" vêtus de blanc. Une autre personne recevait l'argent des participants dont certains s'endettaient à cette fin. Ils évoquaient encore une organisation hiérarchisée, avec différents niveaux d'initiation, ainsi que des sacrifices d'animaux effectués à mains nues ou avec des sabres par Mme S... T... Q... qui en aspergeait le sang sur les participants.
4. Le 25 septembre 2008, le procureur de la République de Pontoise a ouvert une information judiciaire, à l'issue de laquelle le juge d'instruction a renvoyé Mme S... T... Q... devant le tribunal correctionnel du chefs, d'une part, d'abus de faiblesse de plusieurs personnes en état de sujétion psychologique, commis par un dirigeant de fait ou de droit d'un groupement poursuivant des activités ayant pour but ou pour effet de créer de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique de personnes participant à ces activités, d'autre part, de sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité.
5. M. J... Q... et Mmes U... et X... Q... ont été renvoyés devant le même tribunal des chefs de complicité et recel dudit abus de faiblesse aggravé, M. Q... l'étant également du chef de sévices à animal.
6. Le tribunal correctionnel a relaxé Mme S... T... Q... et M. J... Q... des chefs de sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique et a déclaré les quatre prévenus coupables des autres chefs de prévention.
7. Ces derniers, le ministère public et douze parties civiles ont relevé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
8. Le moyen n'est pas de nature permettre l'admission des pourvois, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen est pris de la violation des articles 1 de la Constitution du 4 octobre 1958, 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 6 et 9 de la Convention des droits de l'homme, 1 de la loi du 9 décembre 1905, 223-15-2, 521-1 du code pénal, préliminaire, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a déclaré Mme S... T... Q... coupable d'abus frauduleux de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne par dirigeant d'un groupement poursuivant des activités créant, maintenant ou exploitant la sujétion psychologique ou physique des participants et de sévices graves ou acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou captif, M. J... Q... coupable de complicité d'abus frauduleux de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne par dirigeant d'un groupement poursuivant des activités créant, maintenant ou exploitant la sujétion psychologique ou physique des participants et de recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas cinq ans d'emprisonnement et de sévices graves ou acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou captif et Mmes X... et U... Q... coupables de complicité d'abus frauduleux de l'ignorance ou de la faiblesse d'une personne par dirigeant d'un groupement poursuivant des activités créant, maintenant ou exploitant la sujétion psychologique ou physique des participants et de recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas cinq ans d'emprisonnement, alors que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ce droit impliquant, notamment, la liberté de manifester sa religion par le culte et l'accomplissement des rites ; qu'en l'espèce, en refusant d'analyser les faits objet de la prévention sous l'angle de leur possible signification religieuse et à travers une grille d'analyse propres au culte animiste, à ses règles et à ses rituels, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la liberté de religion".
Réponse de la Cour
11. Pour déclarer les prévenus coupables, l'arrêt, après avoir rappelé qu'ils ont allégué être poursuivis à raison de leur croyance animiste, énonce qu'il n'appartient pas à la cour d'appel de se prononcer sur le caractère rationnel ou irrationnel d'une croyance, qu'il ne s'agit pas de faire le procès de la religion animiste et du culte vaudou, que ce ne sont pas leurs croyances qui sont reprochées aux prévenus, mais les abus dissimulés derrière leur religion et leur culte.
12. S'agissant, en premier lieu, des délits d'abus de faiblesse aggravé, complicité et recel, les juges relèvent l'existence des liens étroits entre le ministère de grande prêtresse animiste de Mme S... T... Q... et son activité libérale de voyance-médium sous laquelle elle était enregistrée à l'URSAFF, le temps passé aux consultations en tant que grande prêtresse étant facturé par le biais de son activité libérale. Ils soulignent que la prévenue a retiré un bénéfice personnel important de son activité de culte, pour elle-même et sa famille, comme le révèle l'examen des comptes bancaires et de son patrimoine immobilier composé de trois maisons.
13. La cour d'appel expose ensuite, cas après cas, la situation de fragilité des personnes concernées par les abus reprochés, à raison d'un deuil, d'une maladie, d'un mal être, de difficultés professionnelles ou matérielles, et relève que les experts ont souligné leur perte de sens critique ou de pouvoir de décision individuel, certaines d'entre elles s'étant livrées à des tentatives de suicide ou ayant différé leurs soins médicaux bien qu'atteintes de maladies sérieuses.
14. Après avoir rappelé que les déclarations concernant l'emploi de violences physiques, humiliations et menaces de malheurs étaient nombreuses vis à vis des participants, elle retient encore que Mme S... T... Q... a créé, de manière répétée, des conditions éprouvantes physiquement et psychologiquement et qu'elle a pu entraîner le groupe à exercer des pressions contre l'un de ses membres, la vie de certains d'entre eux étant exposée devant tous, ce qui entraînait une crainte pour chacun.
15. Elle conclut que cette domination a conduit les victimes à lui consentir temps, argent et cadeaux pour des montants significatifs, qu'elle a eu des conséquences sur leur vie personnelle ou professionnelle, comme l'encouragement à des mariages, l'absence de soins immédiats pour des maladies, des fatigues, la monopolisation de sommes d'argent, et que l'ensemble de ces éléments caractérisent des pressions graves ou réitérées ou l'emploi de techniques propres à altérer le jugement pour créer, maintenir ou exploiter un état de sujétion psychologique préjudiciable aux victimes.
16. A l'égard de son mari et de ses filles, la cour d'appel a exposé des motifs dont il n'est pas contesté qu'ils puissent caractériser des faits de complicité ou recel, seule l'analyse des actes principaux commis par Mme S... T... Q... étant critiquée.
17. S'agissant, en second lieu, des actes de sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique, l'arrêt énonce que la prévenue, avec l'aide de son mari pour les gros animaux, a tué des poules, pigeons, moutons et caprins dans le temple situé à leur domicile, en violation de l'interdiction faite par l'article R. 214-73 du code rural, de procéder ou faire procéder à un abattage rituel en-dehors d'un abattoir.
18. Les juges ajoutent que si les époux Q... soutiennent que les animaux étaient consommés après le culte, l'abattage de ces derniers n'entrait pas dans les exceptions prévues à l'article L. 654-3 du code rural, faute pour les prévenus de gérer une exploitation et ou d'avoir la qualité d'éleveurs.
19. La cour d'appel précise enfin que si les prévenus affirment que les animaux ne souffraient pas, il résulte de plusieurs témoignages concordants que Mme S... T... Q... tuait les poulets soit en leur tordant le cou avec ses mains, soit en leur coupant la tête, que des sabres et couteaux ont été utilisés, y compris pour les ovins et caprins, qu'un enfant mineur a fait référence aux bruits émis par les cabris et indiqué qu'elle n'aimait qu'on les tue et qu'on asperge leur sang. Ils observent encore que les époux Q... n'ont utilisé aucune méthode d'endormissement avant de procéder à l'abattage d'un grand nombre d'animaux.
20. En se déterminant ainsi, et dès lors que nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes édictées par la loi pénale, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu le principe de liberté de religion, a justifié sa décision.
21. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen est pris de la violation des articles 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention des droits de l'homme, 131-21, 132-1 du code pénal, préliminaire, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.
23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation de l'immeuble situé au [...], alors que le juge qui prononce une mesure de confiscation doit motiver sa décision au regard de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle, et apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé ; qu'en confisquant l'ensemble des deux biens immobiliers sis aux [...], en se fondant uniquement sur la circonstance tirée de l'existence de « flux croisés » ayant pu servir pour partie à leur construction sans s'expliquer davantage sur leur prétendue origine illicite et sur l'importance quantitative de cette illicéité dans les fonds ayant servi à l'acquisition et aux constructions, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété des consorts Q...".
Réponse de la Cour
24. Pour confirmer la confiscation de l'immeuble sis [...] , l'arrêt énonce que les investigations bancaires réalisées sur les comptes des époux Q... et ceux de la famille et des sociétés qui leur étaient liées ont permis de chiffrer à 396 863 euros les recettes des années 2003 à 2008 se rapportant à l'activité de Mme S... T... Q..., que cette somme a servi au moins pour partie à la construction des deux maisons sur le terrain acquis pour un montant 51 070 euros réparti à parts égale entre la société MEI dans laquelle la famille avait investi 103 650 euros et Mmes U... et X... Q.... Les juges ajoutent que ces dernières n'ont pas justifié de l'origine licite des sommes utilisées pour l'acquisition et la construction.
25. En l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision.
26. En effet, elle n'avait pas à se prononcer sur le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété par la confiscation de biens dont elle établissait qu'ils constituaient le produit direct ou indirect de l'infraction au sens de l'alinéa 3 de l'article 131-21 du code pénal.
27. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
28. Le moyen est pris de la violation des articles 61-1 et 62 de la Constitution, 521-1 du code pénal.
29. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce que la cour d'appel a déclaré Mme S... T... Q... et M. J... Q... coupables de sévices graves ou acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou captif, alors que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; qu'en l'espèce, l'abrogation par le Conseil constitutionnel des dispositions de l'article 521-1 du code pénal, qui incriminent les « sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux », en tant qu'elles ne prévoient pas une exception pour les actes consistant à mettre à mort un animal dans le contexte religieux d'un sacrifice à une divinité entraînera la cassation du chef décision de la cour d'appel, qui sur le fondement de ce texte, a prononcé la condamnation de M. et Mme Q...".
Réponse de la Cour
30. Le moyen est devenu sans objet dès lors que la Cour de cassation a dit, par arrêt du 5 mars 2019, n'y avoir lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
31. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois
FIXE à 2 500 euros la somme globale que Mme A... T... D..., épouse Q..., M. J... Q... et Mmes X... Q... et U... Q... devront payer à la fondation assistance aux animaux au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq novembre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.