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23/10/2019 | FRANCE | N°18-14012

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 23 octobre 2019, 18-14012


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1411-1 et L. 1411-4 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. M...-V... et Y... B... ont été, le premier, salarié de la société CPR intermédiation et, le second, de la société Banque de financement et de trésorerie, sociétés aux droits desquelles est venue la société Crédit agricole Corporate Investment Bank (CACIB) ; qu'ils ont été licenciés pour faute lourde respectivement les 25 et 28 octobre 1996 et ont saisi la juridiction pr

ud'homale pour contester leur licenciement ; que, sur plaintes avec constitutions de ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 1411-1 et L. 1411-4 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. M...-V... et Y... B... ont été, le premier, salarié de la société CPR intermédiation et, le second, de la société Banque de financement et de trésorerie, sociétés aux droits desquelles est venue la société Crédit agricole Corporate Investment Bank (CACIB) ; qu'ils ont été licenciés pour faute lourde respectivement les 25 et 28 octobre 1996 et ont saisi la juridiction prud'homale pour contester leur licenciement ; que, sur plaintes avec constitutions de partie civile des sociétés employeurs, une information judiciaire a été ouverte le 30 mai 1997 ; que, renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs d'abus de confiance, les salariés ont été définitivement relaxés par arrêt de la cour d'appel du 6 mars 2014 devenu définitif ; que, par arrêt devenu irrévocable du 27 septembre 2005, la cour d'appel a jugé le licenciement de M. M...-V... fondé sur une faute grave ; que, par arrêt du 27 octobre 2015 devenu irrévocable de ce chef, le licenciement de Y... B... a été jugé dénué de cause réelle et sérieuse ; que, le 24 mars 2016, les salariés ont assigné la société CACIB devant le tribunal de grande instance sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil pour obtenir sa condamnation à leur payer diverses sommes ; qu'à la suite du décès de Y... B..., l'instance a été reprise par ses ayants-droit, Mmes H... B... et F... B..., ainsi que MM. J... et T... B... (les consorts B...) ; que la société CACIB a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie au profit de la juridiction prud'homale ;

Attendu que pour juger le tribunal de grande instance compétent pour statuer sur les demandes de M. M...-V... et des consorts B..., l'arrêt retient que si le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des litiges qui résultent de faits commis durant l'exécution du contrat de travail, il ne l'est pas pour connaître des litiges qui résultent d'événements postérieurs à la rupture du contrat ; qu'en l'espèce, les salariés ont saisi le tribunal de grande instance d'une action en responsabilité pour obtenir l'indemnisation des préjudices matériels et moraux qu'ils auraient subis en raison des plaintes pénales déposées contre eux postérieurement à la rupture de leurs contrats de travail pour des faits qualifiés d'escroquerie, abus de confiance, abus de bien social et de pouvoir, complicité de recel ; qu'ils estiment que leurs anciens employeurs et la société venant à leurs droits s'étaient rendus coupables de dénonciations fautives à leur égard et avaient dissimulé des preuves déterminantes, en refusant de communiquer notamment la retranscription des ordres passés par eux pendant la période de prévention ; que si les demandes indemnitaires visent des postes de préjudice qui peuvent être reliés directement aux conséquences de la rupture des contrats de travail, ou si ces demandes ont déjà pu être examinées dans le cadre du procès prud'homal, en tout état de cause, le bien-fondé des demandes devra être apprécié par le juge du fond au regard des seules fautes alléguées résultant des plaintes pénales déposées et des préjudices pouvant en découler, sans que puisse être retenue une quelconque conséquence des mesures de licenciement dont les salariés ont fait l'objet ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'action en responsabilité fondée sur l'allégation de la dénonciation fautive d'infractions commises au cours de l'exécution des contrats de travail était née à l'occasion desdits contrats de travail, ce dont il résultait que la juridiction prud'homale était compétente pour en connaître, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance du 23 février 2017 ayant déclaré le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt compétent concernant la demande formée par M. M...-V..., et ayant déclaré le conseil de prud'hommes de Nanterre compétent concernant la demande formée par les consorts B... ;

Renvoie la cause et les parties devant ces juridictions ;

Dit que le dossier sera transmis aux juridictions désignées, avec une copie du présent arrêt, à la diligence du greffe ;

Condamne M. M...-V... et les consorts B... aux dépens devant la Cour de cassation et les juges du fond ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour la société Crédit agricole Corporate Investment Bank

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le tribunal de grande instance de Nanterre compétent pour statuer sur les demandes de M. M...-V... et des consorts B... et d'avoir, en conséquence, renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour qu'il soit statué sur les demandes de M. M...-V... et des consorts B... ;

AUX MOTIFS QUE « l'article L. 1411-1 du code du travail dispose que "Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.". Selon l'article L. 1411-4 du même code, "Le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention est réputée non écrite. Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le code de la sécurité sociale en matière d'accidents de travail et maladies professionnelles.". Il en résulte que la compétence du conseil de prud'hommes est subordonnée à l'existence d'un contrat de travail, d'un litige d'ordre individuel et d'un litige né à l'occasion du contrat de travail. Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges résultant d'événements postérieurs à la rupture du contrat de travail (Soc, 17 janvier 1996, n° 92-10.968 ; Soc, 17 décembre 2013, n°12-26.938 ; Soc, 28 janvier 2015, n°13-20.685). Il peut cependant être compétent pour connaître des litiges nés postérieurement à la rupture du contrat de travail, peu important la durée écoulée depuis la rupture du contrat, pour autant que le litige résulte de faits commis durant l'exécution du contrat de travail et non postérieurement à sa rupture. En l'espèce, il résulte tant des termes de l'assignation délivrée le 24 mars 2016 devant le tribunal de grande instance de Nanterre que des écritures des appelants que ces derniers ont initié une action en responsabilité à l'encontre de la société Crédit agricole, venant aux droits de leurs anciens employeurs, sur le fondement de l'ancien article 1382 du code civil, applicable au litige, pour obtenir l'indemnisation des préjudices matériels et moraux qu'ils estiment avoir subis en raison des plaintes pénales déposées contre eux en 1997 par la société CPR Intermédiation et la société Banque de financement et de trésorerie, aux droits desquelles se trouve la société Crédit agricole qui a repris à son compte la poursuite de la procédure pénale, pour des faits qualifiés d'escroquerie, abus de confiance, abus de bien social et de pouvoir, complicité de recel, estimant que celui-ci s'est rendu coupable de dénonciations fautives à leur égard et qu'il a dissimulé des preuves déterminantes, ce qui a conduit à une procédure d'instruction de 13 années et à une relaxe pure et simple les concernant au bout de 18 ans, les griefs allégués étant faux ou inexistants. Les appelants dénoncent l'acharnement du Crédit agricole à leur encontre, sa volonté de diriger l'instruction sur de "fausses pistes" en refusant de communiquer notamment "la retranscription des ordres passés pendant la période de prévention par les deux prévenus" lors du dépôt de plainte qui aurait pu permettre d'empêcher que les plaintes prospèrent pendant une durée anormalement longue, et la large publicité donnée à cette affaire par le Crédit agricole, dès l'origine, malgré la connaissance qu'il avait du caractère faux et mensonger des griefs invoqués. Ils se prévalent d'un préjudice important directement lié au dépôt de ces plaintes pénales injustifiées, en ce qu'elles ont gâché leurs vies professionnelles et nuit à leur réputation, les privant durablement de la possibilité de retrouver un emploi de "trader" dans ce milieu professionnel très restreint de la finance, alors qu'ils n'étaient âgés que de 32 et 35 ans et promis à de brillantes carrières. Si les demandes indemnitaires présentées par les requérants visent des postes de préjudice qui peuvent être reliés directement aux conséquences de la rupture de leur contrat de travail, ou si ces demandes ont déjà pu être examinées dans le cadre du procès prud'homal, la cour souligne qu'en tout état de cause, leur bien fondé devra être apprécié par le juge du fond au regard des seules fautes alléguées résultant des plaintes pénales déposées et des préjudices pouvant en découler, sans que puisse être retenue une quelconque conséquence des mesures de licenciement dont les appelants ont fait l'objet en 1996, pour lesquelles des décisions irrévocables ont été rendues, étant rappelé que M. M... a été licencié pour faute grave et que le licenciement de Y... B... a été jugé sans cause réelle et sérieuse. Il n'appartient pas à la cour, dans le cadre du débat sur la compétence, d'apprécier si les préjudices invoqués présentent un lien de causalité avec les actes de dénonciation fautive allégués dont se serait rendu coupable le Crédit agricole. Ainsi, au cas d'espèce, il ne peut être considéré que les faits reprochés par les anciens salariés à leur employeur trouvent leur cause dans le contrat de travail terminé dès lors que les griefs portent sur le comportement jugé fautif de cet employeur, postérieurement à la rupture du contrat de travail, dans la mise en oeuvre d'une procédure pénale qui a duré 18 ans pour aboutir à une relaxe de ces anciens salariés et qui aurait entraîné des conséquences néfastes dans leur vie personnelle et professionnelle. En conséquence, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré le tribunal de grande instance incompétent pour connaître des demandes de M. M... et des ayants droit de Y... B... et a dit compétent les conseils de prud'hommes de Nanterre et de Boulogne Billancourt. Il y a lieu de déclarer le tribunal de grande instance de Nanterre compétent pour statuer sur les prétentions de M. M... et des consorts B.... »

1°) ALORS QUE la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître des différends qui s'élèvent à l'occasion d'un contrat de travail, peu important la durée écoulée depuis la rupture de ce contrat ; qu'il n'est pas exigé que le litige porte sur des faits antérieurs à la rupture du contrat ; que, cependant, pour exclure la compétence de la juridiction prud'homale et retenir celle du tribunal de grande instance, la cour d'appel a énoncé que « le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges résultant d'événements postérieurs à la rupture du contrat de travail », qu'il « peut cependant être compétent pour connaître des litiges nés postérieurement à la rupture du contrat de travail, peu important la durée écoulée depuis la rupture du contrat, pour autant que le litige résulte de faits commis durant l'exécution du contrat de travail et non postérieurement à sa rupture » et qu'en l'espèce, la compétence du conseil de prud'hommes ne peut être retenue « dès lors que les griefs portent sur le comportement jugé fautif de cet employeur, postérieurement à la rupture du contrat de travail », quant à la mise en oeuvre d'une procédure pénale ; qu'en ajoutant ainsi une condition non prévue par les textes, tenant à l'antériorité des faits faisant l'objet du litige par rapport à la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles L. 1411-1 et L. 1411-4 du code du travail ;

2°) ALORS QUE la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître des différends qui s'élèvent à l'occasion d'un contrat de travail, peu important la durée écoulée depuis la rupture de ce contrat ; que, dès lors que le litige se trouve en relation avec le contrat de travail, la juridiction prud'homale est compétente pour en connaître même si les faits en cause sont postérieurs à la rupture de ce contrat ; qu'en l'espèce, les salariés reprochaient à leur ancien employeur le dépôt d'une plainte qui était fondée sur leurs agissements dans l'exécution de leur contrat de travail et sur leurs obligations au titre de ce contrat ; qu'en outre, leurs demandes indemnitaires étaient directement liées aux conséquences de la rupture de leur contrat de travail ; qu'il en résultait que le litige se trouvait en relation avec le contrat de travail ; qu'en excluant cependant la compétence de la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé les articles L. 1411-1 et L. 1411-4 du code du travail ;

3°) ALORS QU'en tout état de cause, la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître des différends qui s'élèvent à l'occasion d'un contrat de travail, peu important la durée écoulée depuis la rupture de ce contrat ; que, dès lors que le litige se trouve en relation avec le contrat de travail, la juridiction prud'homale est compétente pour en connaître même si les faits en cause sont postérieurs à la rupture de ce contrat ; qu'en s'abstenant de rechercher si le litige ne se trouvait pas en lien avec le contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1411-1 et L. 1411-4 du code du travail ;

4°) ALORS QUE la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif au licenciement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « les demandes indemnitaires présentées par les requérants visent des postes de préjudice qui peuvent être reliés directement aux conséquences de la rupture de leur contrat de travail » et que « ces demandes ont déjà pu être examinées dans le cadre du procès prud'homal » ; qu'en excluant cependant la compétence de la juridiction prud'homale, bien qu'elle ait elle-même relevé que le litige était relatif à l'indemnisation de préjudices consécutifs au licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1411-1 et L. 1411-4 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-14012
Date de la décision : 23/10/2019
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 22 février 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 23 oct. 2019, pourvoi n°18-14012


Composition du Tribunal
Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.14012
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