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09/10/2019 | FRANCE | N°18-12813

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 09 octobre 2019, 18-12813


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par un acte du 21 décembre 2006, la société Banque calédonienne d'investissement (la banque) a consenti à la société Entre ciel et mer (la société ECM) un prêt, destiné à financer le rachat par ladite société de parts sociales de la société Air mer loisirs (la société AML) ; que ce prêt était garanti par le cautionnement de M. H... et par le nantissement des parts sociales de la société AML ; qu'après la mise en redressement judiciaire, le 3 décembre 2007,

de la société ECM, et la conversion, le 20 mai 2009, de cette procédure en liqu...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par un acte du 21 décembre 2006, la société Banque calédonienne d'investissement (la banque) a consenti à la société Entre ciel et mer (la société ECM) un prêt, destiné à financer le rachat par ladite société de parts sociales de la société Air mer loisirs (la société AML) ; que ce prêt était garanti par le cautionnement de M. H... et par le nantissement des parts sociales de la société AML ; qu'après la mise en redressement judiciaire, le 3 décembre 2007, de la société ECM, et la conversion, le 20 mai 2009, de cette procédure en liquidation judiciaire, en même temps qu'était ouverte la procédure de liquidation judiciaire de la société AML, la banque a assigné en paiement la caution, qui lui a opposé sa décharge, en application de l'article 2314 du code civil, pour non-réalisation du nantissement ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. H... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande fondée sur l'article 2314 du code civil alors, selon le moyen :

1°/ que la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que la valeur des droits préférentiels perdus par la caution est appréciée à la date de l'exigibilité de
l'obligation de la caution, c'est-à-dire à la date de la défaillance du débiteur
principal ; qu'en appréciant la valeur des parts sociales de la société AML faisant l'objet du nantissement au regard de la liquidation judiciaire de cette société, intervenue bien après la première défaillance de la société débitrice ECM à son obligation de remboursement, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil ;

2°/ que la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que si la caution ne peut être déchargée que si la perte du droit préférentiel lui cause un préjudice, la perte d'un droit préférentiel même d'une faible valeur constitue nécessairement un préjudice pour la caution ; qu'en excluant toute décharge, même partielle, de M. H... au motif que la valeur des parts sociales faisant l'objet du nantissement accordé à la société BCI aurait baissé de manière très sensible, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève, par motifs adoptés, que les sociétés ECM et AML ont été mises en liquidation judiciaire le même jour, le 20 mai 2009, si bien que, dès que les difficultés de paiement se sont révélées en 2007, soit très peu de temps avant l'ouverture du redressement judiciaire de la société ECM, il était manifeste que les parts sociales de la société AML étaient sans grande valeur ; qu'il retient encore, par motifs propres, que dès l'apparition des difficultés de trésorerie de la société ECM, emprunteuse, en août 2007, la valeur de la société AML avait tendance à baisser de manière très sensible, l'espoir de trouver un acheteur des parts sociales devenant quasiment illusoire ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que l'impossibilité d'être subrogé aux droits et privilèges du créancier n'avait pas, à la date du redressement judiciaire de la société débitrice principale, caractérisant, en l'espèce, la défaillance de cette société, causé de préjudice à M. H... ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que pour condamner M. H... à paiement, sans faire droit à sa demande au titre du devoir de mise en garde, l'arrêt, après avoir relevé que ce dernier n'était pas une caution avertie, retient que la banque avait donc l'obligation de s'assurer que son engagement n'était pas disproportionné à ses revenus et « charges », mais que, dans ses écritures, il n'invoque aucune disproportion et qu'il n'a versé aux débats aucune pièce justifiant de la réalité de ses revenus et de son patrimoine lors de la souscription de ses engagements ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la banque n'était pas tenue de mettre en garde M. H..., caution non avertie, contre le risque, au jour de son engagement, de l'endettement de la société ECM, emprunteuse, né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. H..., en qualité de caution, à payer à la société Banque calédonienne d'investissement la somme de 61 329 361 F CFP avec intérêts au taux contractuel de 5,50 % l'an à compter du 8 décembre 2009 au titre d'un prêt n° 20606764, et en ce qu'il statue à son égard sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 26 octobre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa, autrement composée ;

Condamne la société Banque calédonienne d'investissement aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. H... la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de M. H... formée contre M. F... et M. V... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf octobre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. H...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté la demande de M. H... sur le fondement de l'article 2314 du Code civil,

AUX MOTIFS QUE « 1° Sur les demandes fondées par M. H... sur l'article 2314 du code civil

En vertu de l'article 2314 du code civil, la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus par le fait de ce créancier s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite. M. H... soutient que la banque a commis l'erreur préjudiciable de ne pas avoir réalisé le nantissement des 5000 parts sociales que la société ECM détenait sur la SARL AIR MER ET LOISIRS, consenti lors de la conclusion du prêt litigieux le 21 décembre 2006. Il précise qu'il est démontré que les difficultés de la société AIR MER LOISIRS sont apparues dès le mois d'août 2007 alors qu'elle ne sera liquidée qu'en mai 2009 et qu'en conséquence la banque aurait dû réaliser le nantissement dès les premières difficultés de paiement. Il conteste l'argument retenu par le tribunal relatif à l'absence de valeur des parts sociales alors que le prêt a été consenti en décembre 2006 sur la base de documents financiers démontrant que la situation de la société au moment de la cession était bonne. Il demande donc l'infirmation du jugement de ce chef. La banque conclut a contrario à la confirmation du jugement. Elle soutient qu'il n'est pas démontré par le demandeur que les parts sociales avaient une valeur certaine faute de produire un rapport d'expertise comptable ou une proposition d'achat. Elle ajoute que le seul intérêt d'un nantissement des parts sociales pour la banque réside dans le fait de la protéger d'une cession incontrôlée des dites parts et du défaut d'affectation d'un éventuel prix de vente en réduction du concours bancaire dont l'objet était le financement des dites parts. Sur quoi, il est admis en droit que la caution ne peut être déchargée que s'il est démontré qu'elle aurait pu tirer un bénéfice effectif des droits susceptibles de lui être transmis par subrogation. La cour relève que la procédure de réalisation d'un nantissement est relativement complexe et longue. S'il est vrai que la société AIR MER LOISIRS avait une valeur certaine en décembre 2006, il est flagrant que dès l'apparition des difficultés de trésorerie de la société en août 2007, cette valeur avait une tendance manifeste à baisser de manière très sensible et l'espoir de trouver un acheteur des parts sociales était devenu quasiment illusoire. Les deux sociétés ont connu des difficultés similaires et concomitantes qui ont conduit au prononcé d'une liquidation judiciaire le même jour en mai 2009. C'est donc au terme d'une analyse fondée en droit et en fait que le tribunal mixte de commerce a considéré qu'il n'y avait pas lieu de faire application des dispositions de l'article 2314 en l'espèce. Le jugement sera confirmé de ce chef » (arrêt attaqué, p. 10 et 11) ;

1°/ ALORS QUE la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que la valeur des droits préférentiels perdus par la caution est appréciée à la date de l'exigibilité de l'obligation de la caution, c'est-à-dire à la date de la défaillance du débiteur principal ; qu'en appréciant la valeur des parts sociales de la société Air Mer Loisirs faisant l'objet du nantissement au regard de la liquidation judiciaire de cette société, intervenue bien après la première défaillance de la société débitrice Entre Ciel et Mer à son obligation de remboursement, la cour d'appel a violé l'article 2314 du Code civil ;

2°/ ALORS QUE, EN TOUT ETAT DE CAUSE, la caution est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; que si la caution ne peut être déchargée que si la perte du droit préférentiel lui cause un préjudice, la perte d'un droit préférentiel même d'une faible valeur constitue nécessairement un préjudice pour la caution ; qu'en excluant toute décharge, même partielle, de M. H... au motif que la valeur des parts sociales faisant l'objet du nantissement accordé à la société BCI aurait baissé de manière très sensible, la cour d'appel a violé l'article 2314 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné M. H..., en sa qualité de caution, à verser à la société BCI la somme de 61 329 361 F CFP avec intérêts au taux contractuel de 5,50% l'an à compter du 8 décembre 2009 au titre du prêt consenti par à la société BCI à la société Entre Ciel et Mer,

AUX MOTIFS QUE « Sur la violation des obligations de la banque à l'égard de M. H... en qualité de caution

Il est effectivement admis en droit (cf Cour de cassation chambre commerciale 12 juillet 2017) que l'immunité prévue par le texte sus-évoqué n'a pas vocation à jouer lorsque la caution invoque les dispositions spécifiques protectrices telles que celles résultant de l'obligation d'information ou de la disproportion entre son patrimoine et son engagement personnel. Les cautions peuvent invoquer le non respect de l'obligation de mise en garde par la banque à leur égard et le fait que leurs engagements ne seraient pas proportionnés à leur patrimoine et à leurs revenus. Sur ces points la cour rappelle que les dispositions protectrices prévues par les articles L 341-2 à L 341-6 du code de la consommation résultant de la loi N°2003/721 du 1er août 2003 ne sont pas applicables en Nouvelle Calédonie. Il convient en conséquence de faire application des principes posés en la matière par la jurisprudence antérieurement à la loi sus-évoquée, invoquée par les parties au litige. Il est admis en droit que l'obligation de mise en garde du prêteur n'a vocation à s'appliquer qu'à l'égard de cautions non averties (cf arrêt NAHOUN Cassation chambre commerciale en date du 8 octobre 2002). (
) La cour considère que M. H... n'avait nullement la qualité de caution avertie. La décision du tribunal mixte de commerce sera donc infirmée de ce chef. La banque avait donc l'obligation de s'assurer que l'engagement de caution de M. H... n'était pas disproportionné par rapport à ses revenus et à ses charges. Cependant la cour relève que M. H... n'invoque dans ses écritures aucune disproportion et n'a versé aux débats aucune pièce justifiant de la réalité de ses revenus et de son patrimoine lors de la souscription de ses engagements. En conséquence la demande présentée par M. H... aux fins d'être déchargé de ses obligations à l'égard de la banque sur ce fondement sera rejetée » (arrêt attaqué, p. 12 et 13) ;

ALORS QUE la banque créditrice est tenue d'une obligation de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de ce que l'opération financée est vouée à l'échec ; qu'après avoir constaté que M. H... était une caution non avertie, la cour s'est bornée à affirmer que la banque créditrice BCI avait pour obligation de s'assurer que l'engagement de caution de M. H... n'était pas disproportionné par rapport à ses revenus et à ses charges ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la société créditrice BCI n'était pas dans l'obligation de mettre en garde M. H... contre le risque d'endettement de la société débitrice ECM, laquelle avait contracté un prêt finançant une opération manifestement vouée à l'échec, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18-12813
Date de la décision : 09/10/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nouméa, 26 octobre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 09 oct. 2019, pourvoi n°18-12813


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Richard, SCP Thouin-Palat et Boucard, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.12813
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