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25/09/2019 | FRANCE | N°18-16323

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 25 septembre 2019, 18-16323


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 4614-13 dans sa rédaction issue de l'article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

Attendu, selon ce texte, que lorsque l'employeur qui conteste la décision du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de recourir à une expertise obtient l'annulation définitive de cette décision, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur ; que ces dispositions s'appliquent aux frais de l'expertise mise en oeuvre en

vertu d'une délibération contestée judiciairement, postérieurement à l'entrée en...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 4614-13 dans sa rédaction issue de l'article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

Attendu, selon ce texte, que lorsque l'employeur qui conteste la décision du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de recourir à une expertise obtient l'annulation définitive de cette décision, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur ; que ces dispositions s'appliquent aux frais de l'expertise mise en oeuvre en vertu d'une délibération contestée judiciairement, postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 31 de la loi du 8 août 2016 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par délibération du 16 juin 2016, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la commune du Thor a décidé de recourir à une expertise sur le fondement de l'article L. 4614-12 du code du travail et a désigné la société Elios pour y procéder ; que par acte d'huissier du 8 novembre 2016, M. E..., pris en sa qualité de maire de la commune et de président du CHSCT, a saisi le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, d'une demande d'annulation de cette délibération ; que par arrêt du 16 novembre 2017, la cour d'appel a fait droit à cette demande ; que le 20 décembre 2017, la société Elios a présenté une requête en omission de statuer sur la demande de condamnation de la commune au paiement de la somme de 39 000 euros correspondant aux frais d'expertise ;

Attendu que pour rectifier l'arrêt du 16 novembre 2017 et, y ajoutant après le chef du dispositif annulant la délibération, constater que la créance d'honoraires de la société Elios est de 39 000 euros et condamner M. E..., en sa qualité de maire du Thor, à payer cette somme à la société Elios au titre des honoraires d'expertise, l'arrêt énonce que la loi du 8 août 2016 a modifié l'article L. 4614-13 du code du travail en enfermant dans un délai de 15 jours le délai ménagé à l'employeur pour contester une expertise, en attachant à la saisine du juge un effet suspensif d'exécution de la mesure et en disposant qu'en cas d'annulation définitive par le juge de la décision du CHSCT, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur, que toutefois, ces dispositions ne sont applicables qu'aux délibérations rendues par les CHSCT postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi et que la délibération en litige étant antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, seules les dispositions antérieures de l'article L. 4614-13 du code du travail telles qu'interprétées de façon continue par la Cour de cassation demeurent applicables jusqu'à cette date par l'effet de la décision 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 du Conseil constitutionnel ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la délibération avait été contestée judiciairement postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 31 de la loi du 8 août 2016, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne la société Elios aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. E..., ès qualités ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. E..., ès qualités.

Il est fait grief à l'arrêt rectificatif attaqué d'AVOIR rectifié l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 16 novembre 2017 et, y ajoutant après le chef du dispositif annulant la délibération du CHSCT de la ville et du CCAS du Thor en date du 13 juin 2016, constaté que la créance d'honoraires de la société Elios, expert agréé désigné par le CHSCT est de 39.000 euros et condamné M. E..., en sa qualité de maire du Thor, à payer la somme de 39.000 euros à la société Elios au titre des honoraires d'expertise ;

AUX MOTIFS QU'il est constant que la cour a omis de statuer sur la demande dont elle était saisie par la société Elios, expert désigné par le CHSCT, tendant à voir condamner M. E..., en sa qualité de maire du Thor, à lui payer la somme de 39.000 euros correspondant à la facture émise en paiement de l'expertise réalisée ; qu'en l'espèce, l'expertise a été décidée par le CHSCT par délibération du 13 juin 2016, laquelle a été annulée par l'arrêt de cette chambre du 16 novembre 2017 ; qu'il résulte de l'article L 4614-13 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce que lorsque le CHSCT décide de faire appel à un expert agréé en application de l'article L 4614-12 du code du travail, les frais d'expertise demeurent à la charge de l'employeur, même lorsque ce dernier obtient l'annulation en justice de la délibération ayant décidé de recourir à l'expertise après que l'expert désigné a accompli sa mission ; que le conseil constitutionnel par sa décision n°2015-500 QPC du 27 novembre 2015 a déclaré contraires à la Constitution le premier alinéa et la première phrase du deuxième aliéna de l'article L 4614-13 du code du travail mais a différé au 1er janvier 2017 les effets de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée ; que c'est dans ces circonstances que la loi du 8 août 2016 a modifié l'article L 4614-13 du code du travail en enfermant dans un délai de 15 jours le délai ménagé à l'employeur pour contester une expertise, en attachant à la saisine du juge un effet suspensif d'exécution de la mesure et en disposant qu'en cas d'annulation définitive par le juge de la décision du CHSCT, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur ; que toutefois, ces dispositions ne sont applicables qu'aux délibérations rendues par les CHSCT postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi ; que la délibération en litige, du 13 juin 2016, étant antérieure à la date d'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, seules les dispositions antérieures de l'article L 4614-13 du code du travail telles qu'interprétées de façon continue par la cour de cassation demeurent applicables jusqu'à cette date par l'effet de la décision du conseil constitutionnel ; que M. E... ne contestant ni la complète réalisation de sa mission par la société Elios, laquelle s'était trouvée confirmée par l'ordonnance déférée, et n'émettant aucune réserve sur la réalité des diligences accomplies par l'expert agréé, il sera fait droit à la demande de cette dernière et l'arrêt sera rectifié ainsi qu'il est dit au dispositif ; qu'il n'y a pas lieu en équité de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

1°) ALORS QUE la loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur ; que l'article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a modifié, à effet du 10 août 2016, l'article L. 4614-13 du code du travail dans sa version résultant de la loi du 14 juin 2013, en prévoyant désormais, d'une part, que le recours de l'employeur contre la décision ordonnant l'expertise suspendait l'exécution de cette décision du CHSCT, d'autre part et en tout état de cause, qu'en cas d'annulation définitive par le juge de la décision du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur ; que cette loi nouvelle, d'application immédiate, était donc applicable aux instances concernant des expertises effectivement réalisées par l'expert postérieurement à son entrée en vigueur, et ayant donné lieu à l'annulation définitive de la décision ordonnant l'expertise postérieurement à son entrée en vigueur ; qu'en affirmant le contraire, pour décider que l'employeur, bien qu'ayant obtenu par une décision définitive du 16 novembre 2017 l'annulation d'une expertise – qui avait été effectivement mise en oeuvre à partir de septembre 2016 soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle-, devait supporter les frais d'expertise, la cour d'appel a violé l'article L. 4614-13 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 par refus d'application, ensemble l'article 2 du code civil par fausse application ;

2°) ALORS QUE les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à toutes les autorités juridictionnelles avec une autorité absolue ; qu'il en va ainsi, notamment, des réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel ; qu'il appartient au juge de ne pas méconnaître cette autorité, ni la portée de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel déclare des dispositions légales contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, mais au contraire d'interpréter les dispositions en cause, y compris en cas de différé d'abrogation décidé par le Conseil constitutionnel, à la lumière de la décision de celui-ci ; que dans sa décision 2015-QPC du 27 novembre 2015, le Conseil constitutionnel a retenu qu'« il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, lorsque le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail décide de faire appel à un expert agréé en application de l'article L. 4614-12 du code du travail, les frais de l'expertise demeurent à la charge de l'employeur, même lorsque ce dernier obtient l'annulation en justice de la délibération ayant décidé de recourir à l'expertise après que l'expert désigné a accompli sa mission » (
) que l'expert peut accomplir sa mission dès que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail fait appel à lui, nonobstant un recours formé par l'employeur dans les plus brefs délais contre la décision du comité ; que, s'il résulte des articles R. 4614-19 et R. 4614-20 du code du travail que le président du tribunal de grande instance statue en urgence, en la forme des référés, sur le recours formé par l'employeur, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition n'imposent au juge judiciaire saisi d'un recours de l'employeur de statuer dans un délai déterminé ; que l'employeur est tenu de payer les honoraires correspondant aux diligences accomplies par l'expert alors même qu'il a obtenu l'annulation de la décision du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que la combinaison de l'absence d'effet suspensif du recours de l'employeur et de l'absence de délai d'examen de ce recours conduit, dans ces conditions, à ce que l'employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété en dépit de l'exercice d'une voie de recours ; qu'il en résulte que la procédure applicable méconnaît les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et prive de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le premier alinéa et la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 4614-13 du code du travail doivent être déclarés contraires à la Constitution » ; que si le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2017 la date de l'abrogation subséquemment prononcée, c'est au motif que « l'abrogation immédiate du premier alinéa et de la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 4614-13 du code du travail aurait pour effet de faire disparaître toute voie de droit permettant de contester une décision de recourir à un expert ainsi que toute règle relative à la prise en charge des frais d'expertise » ; que ce faisant, le Conseil a entendu maintenir, au cours de la période de différé d'abrogation, la possibilité légale pour l'employeur de contester utilement l'expertise, et nullement permettre qu'un employeur obtenant l'annulation définitive de la décision ordonnant l'expertise soit néanmoins condamné à en payer les frais, ce qui correspond à l'effet qu'il a au contraire sans équivoque jugé porter atteinte à des droits constitutionnellement garantis ; qu'en l'espèce, il était constant que tant la décision ordonnant l'expertise que les mesures de l'expert étaient postérieures à cette décision du Conseil constitutionnel ; qu'il était également constant que l'annulation définitive de la décision ordonnant l'expertise était postérieure à la décision du 27 novembre 2015 ; qu'il appartenait dès lors à la cour d'appel d'interpréter l'article L. 4614-13 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 08 août 2016 – à le supposer applicable ratione temporis – à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel et dans le respect de la portée de cette décision, qui retenait sans équivoque l'inconstitutionnalité de la condamnation aux frais d'expertise d'un employeur ayant obtenu en justice l'annulation définitive de la décision ordonnant l'expertise ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 4614-13 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du novembre 2015, ensemble l'article 62 de la Constitution et les articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

3°) ALORS enfin QUE, même lorsqu'une disposition législative ne méconnaît pas de manière générale et in abstracto la Convention européenne des droits de l'homme, il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, la mise en oeuvre de cette disposition ne porte pas aux droits garantis par la Convention européenne des droits de l'homme une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi, auquel cas il lui appartient de neutraliser l'application de la disposition litigieuse dans le litige particulier qu'il a à trancher ; qu'en statuant comme elle l'a fait, tandis qu'au vu des circonstances particulières de l'espèce ressortant de ses constatations, la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 4614-13 dans la rédaction antérieure à la loi du 08 août 2016 portait in concreto une atteinte disproportionnée aux droits garantis par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et son premier protocole additionnel, au regard du but légitime censé être poursuivi par ces dispositions légales nationales d'ores et déjà déclarées inconstitutionnelles, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 1er du protocole n° 1 additionnel à la Convention.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-16323
Date de la décision : 25/09/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Analyses

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE - Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail - Recours à un expert - Annulation - Effets - Frais d'expertise - Charge - Détermination - Portée

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE - Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail - Recours à un expert - Annulation - Effets - Frais d'expertise - Charge - Prise en charge par l'expert - Conditions - Délibération décidant du recours à l'expertise contestée judiciairement postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 - Portée

Lorsque l'employeur qui conteste la décision du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de recourir à une expertise obtient l'annulation définitive de cette décision, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur. Ces dispositions s'appliquent aux frais de l'expertise mise en oeuvre en vertu d'une délibération contestée judiciairement, postérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016


Références :

article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'article 31 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016

Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes, 08 mars 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 25 sep. 2019, pourvoi n°18-16323, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.16323
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