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17/09/2019 | FRANCE | N°18-85306

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 septembre 2019, 18-85306


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° W 18-85.306 F-D

N° 1531

SM12
17 SEPTEMBRE 2019

REJET

Mme DURIN-KARSENTY, conseiller le plus ancien faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

La Cour de cassation statue sur les pourvois formés par

:

-

-

-
l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen,
l'association de Défense d...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° W 18-85.306 F-D

N° 1531

SM12
17 SEPTEMBRE 2019

REJET

Mme DURIN-KARSENTY, conseiller le plus ancien faisant fonction de président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

La Cour de cassation statue sur les pourvois formés par :

-

-

-
l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen,
l'association de Défense des droits de l'homme, collectif contre l'islamophobie en France (CCIF),
l'association Sos soutien ô sans papiers, parties civiles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 24 mai 2018, qui, dans la procédure suivie contre M. M... N... du chef de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, les a déboutées de leurs demandes.

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 18 juin 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : Mme Durin-Karsenty conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Ricard, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lavaud ;

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA, de la société civile professionnelle THOUVENIN, COUDRAY et GRÉVY et de Me HAAS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit. Après un signalement au procureur de la République de Paris, émanant de l'association de Défense des droits de l'homme, collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), le ministère public a fait citer devant le tribunal correctionnel, du chef de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, M. N..., historien, rédacteur en chef de la Revue d'histoire de la Shoah, responsable éditorial au Mémorial de la Shoah, invité à débattre avec M. D... R..., directeur de recherches au CNRS, au cours de l'émission «Répliques» du 10 octobre 2015 animée par M. G... B... sur France-Culture, et ayant pour thème ce jour-là «Le sens de la République», pour les propos suivants : «L'intégration est en panne aujourd'hui effectivement nous sommes en présence d'un autre peuple qui se constitue au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés» et «Cet antisémitisme violent viscéral que l'enquête Fondapol de I... E... a bien mis en évidence l'année dernière, on ne peut pas le laisser sous silence. Or ça c'est antinomique de la nation française, il n'y aura pas d'intégration tant qu'on ne sera pas débarrassés de cet antisémitisme atavique qui est tu comme un secret. Attendez je termine. Il se trouve qu'un sociologue algérien, S... C... d'un très grand courage vient de dire dans le film qui passera sur France 3 "c'est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes en France et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l'antisémitisme on le tète avec le lait de la mère"».

2. Le tribunal ayant renvoyé M. N... des fins de la poursuite, le ministère public et les associations Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, Défense des droits de l'homme, collectif contre l'islamophobie en France, et Sos soutien ô sans papiers, parties civiles, ont relevé appel de cette décision.

3. La cour d'appel a confirmé le jugement entrepris.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

Sur les moyens uniques de cassation, proposés par la SCP A.Bouzidi - Ph. Bouanna pour l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen et par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy pour les associations Défense des droits de l'homme, collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et Sos soutien ô sans papiers

4. Le moyen proposé par la SCP A.Bouzidi - Ph. Bouanna pour l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen est pris de la violation des articles 23, alinéa 1, 24 alinéa 7, 509, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a confirmé le jugement ayant renvoyé M. N... des fins de la poursuite du chef de provocation à la discrimination, en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, et débouté l'exposante de ses demandes,

1°/ alors que « le délit de provocation prévu par l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 est constitué lorsque son auteur a entendu susciter un sentiment de haine ou de violence à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; qu'ayant littéralement rappelé les propos du prévenu selon lesquels « l'intégration est en panne. Aujourd'hui, effectivement, nous sommes en présence d'un autre peuple qui se constitue au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés », « cet antisémitisme violent, viscéral, que l'enquête Fondapol de I... E... a bien mis en évidence l'année dernière, on ne peut pas le passer sous silence. Or ça, ça, c'est antinomique de la nation française, il n'y aura pas d'intégration tant qu'on ne se sera pas débarrassés de cet antisémitisme atavique qui est tu comme un secret. Or... attendez, je termine il se trouve qu'un sociologue algérien, S... C..., d'un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : « C'est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l'antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère » puis retenu que la référence au lait maternel ne doit pas être prise au pied de la lettre, s'agissant manifestement d'une expression imagée d'un usage courant, d'une métaphore qui renvoie en l'occurrence à des notions de culture et d'éducation, et non à un déterminisme biologique ou génétique susceptible de se propager nécessairement à l'ensemble des "familles arabes", la cour d'appel a dénaturé les propos qu'elle relève et elle a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés » ;

2°/ alors que « le délit de provocation prévu par l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 est constitué lorsque son auteur a entendu susciter un sentiment de haine ou de violence à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; qu'ayant littéralement rappelé les propos du prévenu selon lesquels « l'intégration est en panne. Aujourd'hui, effectivement, nous sommes en présence d'un autre peuple qui se constitue au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés », « cet antisémitisme violent, viscéral, que l'enquête Fondapol de I... E... a bien mis en évidence l'année dernière, on ne peut pas le passer sous silence. Or ça, ça, c'est antinomique de la nation française, il n'y aura pas d'intégration tant qu'on ne se sera pas débarrassés de cet antisémitisme atavique qui est tu comme un secret. Or... attendez, je termine il se trouve qu'un sociologue algérien, S... C..., d'un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : « C'est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l'antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère » puis retenu que la référence au lait maternel ne doit pas être prise au pied de la lettre, s'agissant manifestement d'une expression imagée d'un usage courant, d'une métaphore qui renvoie en l'occurrence à des notions de culture et d'éducation, et non à un déterminisme biologique ou génétique susceptible de se propager nécessairement à l'ensemble des "familles arabes" , qu'il en va de même des mots, certes très forts "viscéral" et "atavique", qui dans le contexte se comprennent comme reliant l'antisémitisme à une tradition familiale profonde et ancrée la cour d'appel a dénaturé ces derniers propos qu'elle relève et elle a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés » ;

3°/ alors que « le délit de provocation prévu par l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 est constitué lorsque son auteur a entendu susciter un sentiment de haine ou de violence à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; qu'ayant littéralement rappelé les propos du prévenu selon lesquels « l'intégration est en panne. Aujourd'hui, effectivement, nous sommes en présence d'un autre peuple qui se constitue au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés », « cet antisémitisme violent, viscéral, que l'enquête Fondapol de I... E... a bien mis en évidence l'année dernière, on ne peut pas le passer sous silence. Or ça, ça, c'est antinomique de la nation française, il n'y aura pas d'intégration tant qu'on ne se sera pas débarrassés de cet antisémitisme atavique qui est tu comme un secret. Or... attendez, je termine il se trouve qu'un sociologue algérien, S... C..., d'un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : « C'est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l'antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère » puis retenu que la référence au lait maternel ne doit pas être prise au pied de la lettre, s'agissant manifestement d'une expression imagée d'un usage courant, d'une métaphore qui renvoie en l'occurrence à des notions de culture et d'éducation, et non à un déterminisme biologique ou génétique susceptible de se propager nécessairement à l'ensemble des "familles arabes", qu'il en va de même des mots, certes très forts "viscéral" et "atavique", qui dans le contexte se comprennent comme reliant l'antisémitisme à une tradition familiale profonde et ancrée la cour d'appel qui n'a pas procédé à une analyse globale de ces propos qu'elle relève a violé les textes susvisés » ;

4°/ alors que « le délit de provocation prévu par l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 est constitué lorsque son auteur a entendu susciter un sentiment de haine ou de violence à l'encontre d'une personne ou d'un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; qu'ayant littéralement rappelé les propos du prévenu selon lesquels « l'intégration est en panne. Aujourd'hui, effectivement, nous sommes en présence d'un autre peuple qui se constitue au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés », « cet antisémitisme violent, viscéral, que l'enquête Fondapol de I... E... a bien mis en évidence l'année dernière, on ne peut pas le passer sous silence. Or ça, ça, c'est antinomique de la nation française, il n'y aura pas d'intégration tant qu'on ne se sera pas débarrassés de cet antisémitisme atavique qui est tu comme un secret. Or... attendez, je termine il se trouve qu'un sociologue algérien, S... C..., d'un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : « C'est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l'antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère », que la référence au lait maternel ne doit pas être prise au pied de la lettre, s'agissant manifestement d'une expression imagée d'un usage courant, d'une métaphore qui renvoie en l'occurrence à des notions de culture et d'éducation, et non à un déterminisme biologique ou génétique susceptible de se propager nécessairement à l'ensemble des "familles arabes" , qu'il en va de même des mots, certes très forts "viscéral" et "atavique", qui dans le contexte se comprennent comme reliant l'antisémitisme à une tradition familiale profonde et ancrée la cour d'appel qui ajoute encore qu'il sera également souligné que, même dans un débat oral mouvementé, le prévenu, historien chercheur expérimenté et connaissant le sens des mots, emploie l'article défini "dans les familles arabes", sans dire "dans toutes les familles arabes" ni "dans des familles arabes", que cependant, à la suite de la réaction indignée de D... R... qui lui demande s'il condamne "4 millions de nos compatriotes, collectivement", M... N... répond, certes après être revenu sur le "terrorisme intellectuel", mais dès que le calme un peu rétabli lui permet de s'exprimer, « Je n'ai pas dit l'ensemble, j'ai dit une partie », qu'il est exact qu'il n'avait précédemment dit ni "l'ensemble" ni "une partie", mais il précise alors expressément sa pensée en spécifiant qu'il ne vise pas l'ensemble des musulmans, ce que l'auditeur ne peut qu'entendre, même si D... R... proteste, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses constatations et elle a violé les textes susvisés » ;

5°/ alors enfin que « en décidant que dans ce contexte de vif débat oral, les deux seuls passages dont la cour est saisie et sur lesquels elle a à statuer ne visent pas l'ensemble de la communauté arabo-musulmane, mais seulement les musulmans salafistes et une partie des familles arabes, de sorte que l'un des éléments constitutifs du délit fait défaut, la cour d'appel a encore dénaturé les propos tenus et entaché » sa décision de manque de base légale au regard des textes susvisés ».

6. Le moyen proposé par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy pour les associations Défense des droits de l'homme, collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et Sos soutien ô sans papiers est pris de la violation des articles 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a renvoyé un historien (M. N...) des fins d'une poursuite de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence au détriment de la communauté arabo-musulmane et a débouté les parties civiles (l'association SOS Soutien ô sans papiers et le Collectif contre l'islamophobie en France, les exposantes) de leurs demandes indemnitaires ;

1°/ alors que « le sens et la portée des propos incriminés, tenus lors d'une émission radiophonique, doivent être appréciés en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, tant le contenu même des propos que le contexte dans lequel ils s'inscrivent au cours de l'émission, et par rapport à la perception et la compréhension de l'auditeur moyen ; que, pour relaxer le prévenu, la cour d'appel ne pouvait donc retenir que les propos incriminés dans le premier passage ne s'appliquaient pas à tous les musulmans de France, ni même aux « musulmans croyants et pratiquants » évoqués postérieurement, mais à ceux qui se trouvaient dans les territoires où les musulmans étaient nombreux et salafistes, quand les propos incriminés, replacés dans leur contexte, notamment les propos tenus par le prévenu pendant toute l'émission sur la formation d'un second peuple en France, visaient toutes les personnes d'origine musulmane et arabe habitant en France dénoncées comme formant un second peuple qui, refusant de s'intégrer, menaçait la cohésion nationale » ;

2°/ alors que « constituent une provocation à la haine ou à la violence au sens de l'article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 les propos ou écrits tendant à susciter un sentiment de rejet ou d'hostilité envers une personne ou un groupe de personnes à raison, notamment, d'une religion déterminée ; qu'en l'espèce, les exposantes faisaient valoir (v. leurs concl., pp. 22-23) que le prévenu n'avait employé le terme "salafistes" qu'une seule fois durant toute l'émission pour illustrer un exemple précis de pratiques de la religion musulmane, cependant que son propos visait l'ensemble de la communauté musulmane dès lors que les autres observances musulmanes qu'il dénonçait, soit les règles alimentaires du hallal et le port du voile ou la prière au travail, étaient des pratiques religieuses non limitées aux musulmans ultra-orthodoxes, tels les salafistes ; que la cour d'appel ne pouvait donc affirmer que le premier passage incriminé ne s'appliquait qu'aux musulmans se trouvant dans les territoires où les musulmans étaient nombreux et salafistes » ;

3°/ alors que « le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, est caractérisé par des propos qui, tant par leur sens que par leur portée, tendent à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées ; que, pour considérer que les propos du second passage incriminé ne visaient pas l'ensemble de la communauté arabo-musulmane mais une partie des musulmans, la cour d'appel ne pouvait déclarer que la référence au lait maternel ne devait pas être prise au pied de la lettre, s'agissant manifestement d'une expression imagée d'un usage courant, d'une métaphore qui renvoyait en l'occurrence à des notions de culture et d'éducation, et non à un déterminisme biologique ou génétique susceptible de se propager nécessairement à l'ensemble des "familles arabes", quand, nonobstant l'exclusion d'un déterminisme biologique, il se déduisait de ses constatations que les propos incriminés dénonçaient un déterminisme ethno-culturel – dont elle a omis de tirer les conséquences légales –, selon lequel « les » familles arabes en France sans distinction éduquaient leurs enfants dans l'antisémitisme » ;

4°/ alors que « en outre, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que les termes "viscéral" et "atavique" se comprenaient comme reliant l'antisémitisme à une tradition familiale profonde et ancrée dans « les » familles arabes sans distinction ; que la cour d'appel ne pouvait donc exclure toute incrimination pour la raison que ces termes ne renvoyaient pas à un déterminisme biologique ou génétique, quand l'antisémitisme né d'une tradition profonde et ancrée retenue par elle entrait dans le champ d'application de la loi » ;

5°/ alors que « enfin, seuls les propos incriminés permettent la détermination du groupe visé ; que la cour d'appel ne pouvait présupposer que les propos du second passage, faisant état d'un « antisémitisme violent, viscéral et atavique » ainsi que « du tabou, à savoir que, dans les familles arabes en France (
), l'antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère », ne visaient qu'une partie des familles arabes après qu'elle eut constaté non seulement que lesdits propos désignaient « les » familles arabes sans distinction et non "des" familles arabes, mais en outre que, si le prévenu avait ensuite affirmé n'avoir pas visé l'ensemble des musulmans mais une partie d'entre eux, il n'avait précédemment précisé ni "l'ensemble" ni "une partie" de cette population, ce dont il se déduisait que ses propos concernaient l'ensemble de la communauté arabo-musulmane ».

Réponse de la Cour

8. Les moyens sont réunis.

9. Pour confirmer le jugement entrepris et débouter les parties civiles de leurs demandes, après avoir rappelé le déroulement des débats entre M. N..., auteur du livre "Les territoires perdus de la République", qui venait d'être réédité, et M. R..., auteur du livre "Le sens de la République", qui venait d'être publié, puis les principaux moments de cet échange, au fur et à mesure duquel ont été prononcés les propos litigieux, l'arrêt relève que, d'une part, dans le premier passage incriminé, où le prévenu évoque "un autre peuple qui se constitue au sein de la nation française ", celui-ci revient à ce qu'il a dit au début de l'émission sur la manifestation du 11 janvier 2015, à la suite des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 où il avait précisément énoncé qu'"il y a eu réellement, dans une partie, j'insiste, de l'opinion, une approbation de ce qui s'était passé", d'autre part, à la suite du premier propos poursuivi, M. N... donne un exemple, celui de la présence de la femme dans l'espace public en indiquant que, dans les territoires aujourd'hui, où la présence musulmane est forte et où il y a des salafistes, selon la version figurant dans le constat d'huissier produit par le prévenu, où cette présence est salafiste, selon la retranscription versée aux débats par une des parties civiles, il n'y a plus de femmes dans l'espace public.

10. Les juges en déduisent que l'auditeur comprend ainsi que les propos, tels qu'illustrés par cet exemple, ne s'appliquent pas à tous les musulmans de France, ni même aux "musulmans croyants et pratiquants" évoqués postérieurement, mais à ceux qui se trouvent dans les territoires où les musulmans sont nombreux et salafistes.

11. S'agissant du second passage poursuivi, les juges ajoutent que le prévenu, chercheur expérimenté et connaissant le sens des mots, qui emploie l'article défini "dans les familles arabes", sans dire dans toutes les familles arabes ni dans des familles arabes, répondant à son contradicteur qui lui demande s'il condamne quatre millions de compatriotes collectivement, "je n'ai pas dit l'ensemble, j'ai dit une partie", précise alors expressément sa pensée en spécifiant qu'il ne vise pas l'ensemble des musulmans, ce que l'auditeur ne peut qu'entendre.

12. Les juges en concluent que, dans ce contexte de vif débat oral, les deux passages incriminés ne visent pas l'ensemble de la communauté arabo-musulmane, mais seulement les musulmans salafistes et une partie des familles arabes, de sorte que l'un des éléments constitutifs du délit fait défaut.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, a justifié sa décision.

14. Elle a souverainement analysé les éléments extrinsèques, éclairant le sens et la portée des propos poursuivis, tels qu'ils étaient susceptibles d'être compris par les personnes pouvant en prendre connaissance.

15. Au terme de cette analyse, elle a exactement retenu que les propos litigieux ne visaient pas un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de sorte que les éléments constitutifs du délit reproché au prévenu n'étaient pas réunis.

16. Ainsi, les moyens doivent-ils être écartés.

17. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au bénéfice des demanderesses ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que l'association Ligue Française pour la défense des Droits de l'Homme et du citoyen, l'association de Défense des droits de l'homme, collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et l'association Sos soutien ô sans papiers, devront payer à M. M... N... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept septembre deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-85306
Date de la décision : 17/09/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 24 mai 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 17 sep. 2019, pourvoi n°18-85306


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : Me Haas, SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.85306
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