LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 18-85.299 F-D
N° 1530
CK
17 SEPTEMBRE 2019
REJET
Mme DURIN-KARSENTY conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
La Cour de cassation statue sur le pourvoi formé par :
- M. X... H...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 3 mai 2018, qui, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, l'a condamné à 3 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 18 juin 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : Mme Durin-Karsenty, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Ricard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lavaud ;
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle LE GRIEL, de Me CARBONNIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit. Lors de l'émission "C à vous" diffusée sur la chaîne de télévision France 5 le 6 septembre 2016, au cours de laquelle il a donné une interview, M. H... a tenu, à quatre moments distincts de l'échange avec une journaliste, les propos suivants : premier passage, la réponse « Non » à la question de savoir s'« il y a des musulmans en France qui vivent dans la paix, qui n'interprètent pas à la lettre les textes du coran, qui sont totalement intégrés » ; deuxième passage,« les soldats du djihad sont considérés par tous les musulmans, qu'ils le disent ou qu'ils ne le disent pas, comme des bons musulmans, c'est des guerriers, c'est des soldats de l'islam » ; troisième passage, « Non mais c'est pas du terrorisme c'est du djihadisme. Donc c'est l'islam » et « Pour moi c'est égal » ; quatrième passage, « Nous vivons depuis trente ans une invasion, une colonisation, qui entraîne une conflagration » et « Dans d'innombrables banlieues françaises où de nombreuses jeunes filles sont voilées, c'est également l'islam, c'est également du djihad, c'est également la lutte pour islamiser un territoire qui n'est pas, qui est normalement une terre non islamisée, une terre de mécréant. C'est la même chose, c'est de l'occupation de territoire » ; cinquième passage, « je pense qu'il faut leur donner le choix entre l'islam et la France ».
2. L'association Coordination des appels pour une paix juste au proche-orient a fait citer M. H... devant le tribunal correctionnel, qui l'a déclaré coupable.
3. Sur l'appel du prévenu, la cour d'appel a confirmé partiellement la décision des premiers juges.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. Il n'est pas de nature à être admis, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a déclaré M. H... coupable de provocation à la discrimination et à la haine religieuse au titre des passages n° 4 et 5 visés à la prévention et condamné celui-ci à 3 000 euros d'amende, « alors que, selon l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du même texte, que, selon l'article 24, alinéa 7, le délit de provocation qu'il prévoit n'est caractérisé que si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés tendent à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées, qu'en l'espèce, les propos litigieux, portant sur la question d'intérêt public relative à la situation créée par la présence en France, depuis trente ans, d'un nombre croissant d'immigrés musulmans qui ne s'intègrent pas, ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d'expression, que, même si leur formulation peut légitimement heurter des personnes de confession musulmane, ils ne contiennent néanmoins aucun appel ou exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence à leur égard et qu'en entrant néanmoins en voie de condamnation, la cour d'appel a dénaturé lesdits propos et fait une fausse application de l'article 24, alinéa 7 de la loi précitée du 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer le prévenu coupable en raison des seuls propos tenus dans les quatrième et cinquième passages poursuivis, après avoir cité les principaux moments de l'interview, au cours de laquelle les propos incriminés ont été prononcés, et exposé que le quatrième passage litigieux décrit les musulmans comme des envahisseurs et des colonisateurs qui nécessitent, au moins implicitement, une résistance des populations concernées, l'arrêt relève qu'il s'agit d'un appel au rejet et à la discrimination des musulmans en tant que tels, l'ensemble du discours du prévenu étant axé sur l'idée que tous ne peuvent, par vocation religieuse, même lorsqu'ils ne sont pas violents, qu'être adeptes du jihad, sans se désolidariser de ceux qui se livrent à la violence au nom de leur foi.
8. Les juges ajoutent que le cinquième passage poursuivi, donnant aux musulmans "le choix entre l'islam et la France", est l'expression d'un rejet de cette communauté qui ne peut qu'appeler à l'exclusion de celle-ci en son entier.
9. Ils en déduisent que les deux derniers passages incriminés, compris ensemble, visent les musulmans dans leur globalité et contiennent une exhortation implicite à la discrimination.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, a justifié sa décision.
11. Elle a souverainement analysé les éléments extrinsèques, éclairant le sens et la portée des propos poursuivis, tels qu'ils étaient susceptibles d'être compris par les personnes pouvant en prendre connaissance.
12. Au terme de cette analyse, elle a exactement retenu que, par leur sens et leur portée, les propos incriminés, qui désignaient tous les musulmans se trouvant en France comme des envahisseurs et leur intimaient l'obligation de renoncer à leur religion ou de quitter le territoire de la République, contenaient un appel à la discrimination.
13. Ainsi, le moyen doit-il être écarté.
14. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. X... H... devra payer à l'association Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient
(CAPJPO) en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept septembre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.