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12/09/2019 | FRANCE | N°18-18429

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 septembre 2019, 18-18429


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 avril 2018), que, suivant acte notarié du 7 mai 1985, Mme C..., mariée sans contrat avec M. P... le 2 décembre 1957, a consenti à son époux, pour faciliter l'exercice de sa profession de marchand de biens, une procuration générale pour notamment "emprunter de tous établissements prêteurs, consentir tous privilèges, hypothèques ou autres garanties sur tous biens, meubles ou immeubles (...)" ; qu'après avoir engagé une

procédure de divorce le 20 décembre 1989 et révoqué le 17 janvier 1990 la pr...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 avril 2018), que, suivant acte notarié du 7 mai 1985, Mme C..., mariée sans contrat avec M. P... le 2 décembre 1957, a consenti à son époux, pour faciliter l'exercice de sa profession de marchand de biens, une procuration générale pour notamment "emprunter de tous établissements prêteurs, consentir tous privilèges, hypothèques ou autres garanties sur tous biens, meubles ou immeubles (...)" ; qu'après avoir engagé une procédure de divorce le 20 décembre 1989 et révoqué le 17 janvier 1990 la procuration accordée à son époux, Mme C... a consenti, suivant acte notarié reçu le 6 février 1990 par T... O... (le notaire), une nouvelle procuration analogue, sous réserve de la vente d'une villa située à Aix-en-Provence et de celle d'un fonds de commerce d'antiquités ainsi que des locaux dans lesquels celui-ci était exploité ; qu'avant le prononcé du divorce, intervenu le 8 novembre 1991, M. P... a souscrit plusieurs emprunts notariés auprès de la société Finindus Ltd, devenue Finin Ltd, et de la société UCB, et a consenti, en l'étude du notaire, une hypothèque de troisième rang sur les murs du commerce et un nantissement sur le fonds ; qu'un acte authentique de partage du 15 mai 1991 a prévu que, par accord des époux, le mari garderait l'intégralité de l'actif commun à charge pour lui d'assumer seul l'intégralité du passif, à l'exception des trois biens visés dans la procuration du 6 février 1990 ; que, le 26 avril 1996, la société UCB a fait délivrer à Mme C... un commandement afin de saisie-vente pour avoir paiement de la somme de 126 994,18 francs ; que l'opposition formée par Mme C... a été définitivement rejetée ; qu'un arrêt du 11 mai 2000 a déclaré "irrecevable en l'état" la demande introduite par Mme C... contre le notaire ; qu'un arrêt rendu le 16 mars 2012 a validé deux saisies-attributions diligentées par la société Finin Ltd le 7 mai 2010 ; qu'estimant que le notaire avait manqué à son obligation de conseil et d'information, Mme C... a assigné la société civile professionnelle R...-N...-D...-L... (la SCP), aux droits de la société civile professionnelle E... H...-T... O..., dont le notaire était associé, en responsabilité et indemnisation ;

Attendu que Mme C... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que le manquement du notaire à son devoir de conseil à l'égard de son client cause à ce dernier un préjudice résultant de la perte de chance de ne pas subir les conséquences négatives de l'acte instrumenté par cet officier public ; qu'en l'espèce, Mme C... faisait valoir que M. O... avait manqué à son devoir de conseil à son égard en n'attirant pas son attention sur le fait que la procuration générale établie au profit de son époux, M. P..., le 6 février 1990 permettait à ce dernier de donner en garantie les biens immobiliers devant revenir à l'épouse dans le cadre de leur divorce, et la rendait solidairement responsable sur son entier patrimoine des dettes contractées sur le fondement de cet acte par son époux ; qu'elle soulignait qu'en vertu de cette procuration, M. P... avait notamment contracté en 1990 et 1991 deux prêts auprès de la banque Finindus, et que c'était pour obtenir remboursement des sommes versées en exécution de ces deux emprunts que la société Finin Ltd, venant aux droits de la banque Finindus, avait fait pratiquer une saisie-attribution sur les loyers d'un immeuble appartenant à Mme C... ainsi qu'une saisie-attribution sur le compte de Mme C... ; que, pour dire que Mme C... ne justifiait pas d'un préjudice en lien avec le manquement du notaire à son devoir de conseil, la cour d'appel a retenu que Mme C... ne contestait pas être redevable des montants réclamés par la banque Finindus en vertu des actes de prêt dont elle n'avait pas poursuivi la nullité, que la banque n'avait pas agi par voie de saisie immobilière, que Mme C... demeurait toujours propriétaire des biens qui lui ont été attribués dans le partage, et que le notaire n'était pas responsable du fait que l'époux n'avait pas respecté son obligation d'apurer le passif commun ; que la cour d'appel en a déduit que faute de mesure d'exécution forcée sur les biens immobiliers qu'elle avait entendu protéger, Mme C... ne justifiait pas d'un préjudice indemnisable ; qu'en statuant de la sorte, quand le manquement de M. O... à son devoir de conseil quant à la portée de la procuration du 6 février 1990 avait fait perdre à Mme C... une chance de ne pas conclure cet acte, et ainsi de ne pas subir les saisies-attributions pratiquées par la banque Finindus afin de recouvrer les créances résultant des prêts contractés au nom de son épouse par M. P... en vertu de la procuration litigieuse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

2°/ qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'à l'époque à laquelle Mme C... avait donné la procuration litigieuse à M. P..., les époux étaient séparés de fait et en instance de divorce ; que Mme C... avait révoqué, moins d'un mois plus tôt, la précédente procuration qu'elle avait donné en mai 1985 à son époux pour les besoins de son activité professionnelle ; que, pour dire que le manquement du notaire à son devoir de conseil n'avait pas fait perdre à Mme C... « une chance raisonnable de ne pas passer l'acte litigieux », la cour d'appel a retenu que cette dernière, commune en biens avec son époux, avait déjà auparavant donné une procuration générale en 1985 à son mari pour lui permettre d'exercer sa profession, qu'elle ne pouvait pas ignorer que son activité impliquait la nécessité d'acquérir par emprunt pour revendre, ni que son mari rencontrait des difficultés financières, et qu'il était de son intérêt de permettre à son époux de continuer à exercer son activité professionnelle afin d'apurer les dettes de la communauté ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait que Mme C..., qui avait quelques semaines plus tôt engagé une procédure de divorce et venait de révoquer la procuration antérieurement consentie à son époux, avait manifesté de manière non équivoque son intention de se désolidariser de son époux, violant ainsi l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

3°/ qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial des époux P... C..., il avait été convenu que M. P... conserverait l'intégralité de l'actif de la communauté, à l'exception de trois biens immobiliers réservés à Mme C..., à charge pour M. P... d'assumer l'intégralité du passif ; qu'en jugeant, néanmoins, que Mme C... « ne saurait prétendre qu'elle ne voulait plus être associée aux risques de l'activité professionnelle de son mari, compte tenu de l'importance de leurs engagements financiers communs et de l'intérêt personnel qu'elle avait à ne pas causer sa ruine et la sienne » et qu'elle ne disposait « pas de véritable alternative juridique que de donner à nouveau procuration générale », la cour d'appel a encore violé l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

4°/ qu'en retenant, pour apprécier la probabilité que Mme C..., même mieux informée par le notaire, aurait néanmoins donné à son époux une procuration générale, que si Mme C... avait « révoqué la procuration qu'elle avait consentie en 1985 à son époux le 17 janvier 1990, [elle] s'est engagée de nouveau aux côtés de M. P... dès le 6 février 1990 suivant », quand la procuration du 6 février 1990 était précisément l'acte en litige et qu'elle constatait que préalablement à sa conclusion, Mme C... n'avait pas été correctement informée par le notaire sur sa portée, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

5°/ qu'en tout état de cause le manquement du notaire à son devoir de conseil cause nécessairement à son client un préjudice tenant à la perte de chance de ne pas avoir contracté l'acte en cause et d'en subir les conséquences négatives ; qu'il n'en va différemment que lorsqu'il est établi que la chance ainsi perdue ne revêtait pas un caractère suffisamment sérieux pour constituer un préjudice indemnisable ; qu'en statuant comme elle l'a fait, par des motifs impropres à caractériser l'absence de sérieux de la chance perdue par Mme C... de ne pas conclure la procuration du 6 février 1990, dès lors qu'elle constatait notamment qu'il était simplement « vraisemblable que Mme C..., même si elle avait été mieux conseillée par le notaire et avertie par ce dernier du caractère illusoire d'une réserve qui ne lui permettait pas véritablement protéger les trois biens qu'elle entendait mettre à l'abri, aurait signé à nouveau une procuration générale », la cour d'appel a méconnu l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

Mais attendu qu'après avoir retenu que le notaire aurait dû avertir Mme C... que la nouvelle procuration conférait à M. P... la faculté de contracter de nouvelles obligations qui pouvaient l'engager comme codébitrice solidaire avec son entier patrimoine, y compris les biens "réservés" dans l'acte, et qu'il avait ainsi manqué à son obligation d'information et de conseil, l'arrêt relève que celle-ci avait déjà donné procuration générale à son époux en 1985 pour lui permettre d'exercer sa profession de marchand de biens et qu'elle n'ignorait ni que son activité impliquait la nécessité d'acquérir par emprunt pour revendre ni que son mari rencontrait des difficultés financières ; que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a ajouté que l'objet de la procuration litigieuse était précisément de permettre l'accomplissement de nouvelles opérations de rachat et de revente pour dégager des profits et rembourser les engagements qui pesaient déjà sur les deux époux, et que, compte tenu de l'importance de leurs engagements financiers communs et de l'intérêt personnel qu'elle avait à ne pas causer la ruine de son époux et la sienne, elle ne disposait pas de véritable alternative juridique que de donner à nouveau procuration générale ; qu'elle en a souverainement déduit qu'il n'était pas démontré que le manquement du notaire avait fait perdre à Mme C... une chance de ne pas signer la procuration litigieuse, de sorte qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un préjudice causé par la faute du notaire ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme C... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze septembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme C...

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme M... C... de toutes ses demandes dirigées contre la SCP R... – N... – D... – L... ;

Aux motifs que « sur la responsabilité : que, sur la faute, Mme C... reproche à Me O... d'avoir fait pression sur elle pour la convaincre de ce que la révocation de la précédente procuration mettait son mari en difficulté et d'avoir réussi à la convaincre d'en donner une nouvelle ; que pour obtenir d'elle qu'elle signe la procuration du 6 février 1990 qui paraissait indispensable à l'activité professionnelle de son mari, il lui a proposé de « réserver » dans la procuration les trois biens qui devaient lui revenir dans le cadre du partage de la communauté ; qu'elle ajoute que Me O... s'est abstenu, d'une part de l'informer de ce que la procuration qu'il avait rédigé n'interdisait pas à M. P... d'hypothéquer ou de nantir lesdits biens, d'autre part, que si son mari empruntait des sommes qu'il ne pourrait pas rembourser, les banques seraient en droit de se retourner contre elle, dès lors qu'elle était co-empruntrice des prêts par l'effet de la procuration donnée, et que les créanciers seraient en droit de saisir pour les faire vendre les trois biens qu'elle pensait mettre à l'abri de l'activité de son mari ; et que son préjudice est égal au montant des dettes nouvelles que M. P... a contractées ; qu'en effet Me O... aurait dû avertir Mme C... que la nouvelle procuration conférait à M. P... la faculté de contracter de nouvelles obligations qui pourraient l'engager comme co-débitrice solidaire avec son entier patrimoine, y compris les biens « réservés » dans l'acte ; que le notaire a manqué à son obligation d'information et de conseil à l'égard de sa cliente et a omis de veiller à l'efficacité de l'acte dont la rédaction lui était confiée ; qu'ensuite, sur le dommage et le lien de causalité avec la faute commise, Mme C... soutient que la Cour de cassation le 16 décembre 2003, pour rejeter son pourvoi contre l'arrêt de la cour de ce siège du 11 mai 2000, avait retenu en ses motifs « que la parte des trois biens réservés par la procuration du 6 février 1990 (n'était) pas consommée à ce jour puisque ces biens ne faisaient pas actuellement l'objet de saisie, en sorte que Mme C... ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice actuel et certain » ; que l'appelante fait valoir que depuis sa première action contre le notaire, elle souffre d'un préjudice actuel et certain ; qu'elle a subi le 7 mai 2010 une première saisie-attribution pratiquée par la société Finin Ltd, venue aux droits de la société Finindus Ltd, sur les loyers dus par la société Zyli's au titre de l'occupation de l'immeuble sis [...] dont Mme C... est demeurée propriétaire et que par un second acte extrajudiciaire du 7 mai 2010 la banque a fait procéder à la saisie attribution du compte courant de Mme C... ouvert dans les livres de la Caisse de crédit mutuel ; que son pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation le 26 septembre 2013 conférant à l'arrêt de la 15e chambre de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 16 mars 2012 qui a validé ces saisies, un caractère définitif ; qu'elle est redevable de plus de 675 921,41 €, somme à parfaire ; que cette créance globale de la banque Finin Ltd concerne exclusivement le recouvrement des sommes prêtées dans le cadre des deux actes de prêt authentiques du 10 octobre 1990 et du 30 octobre 1991 et ne contient aucune reprise d'engagements antérieurs à la procuration litigieuse du 6 février 1990 ; que les loyers de ces locataires sont irrémédiablement saisis, que le solde de son compte l'est aussi, et que ces biens immobiliers sont grevés par des hypothèques prises au moment où les deux prêts ont été accordés ; que l'appelante ajoute que, parce qu'il découle d'un manquement au devoir de conseil et qu'il a un caractère aléatoire, le préjudice doit être qualifié de perte de chance ; que la faute du notaire lui a fait perdre une chance d'échapper à des poursuites judiciaires et à leurs conséquences laquelle doit être évaluée à la totalité de la créance de Finindus, soit la somme de 615 921,41€ compte arrêté en mai 2010 ; que son préjudice est bien en relation directe de causalité avec les fautes commises par le notaire puisque les saisies dont elle a fait l'objet se fondent directement sur les actes de prêt dont elle répond solidairement à raison de la procuration litigieuse ; mais que la responsabilité civile du notaire au titre de son devoir de conseil ou encore de celui de veiller à l'efficacité des actes dont la rédaction lui est confiée, implique qu'il soit établi que la partie, mieux conseillée, aurait renoncé à passer l'acte, de sorte que le dommage ne se serait pas produit, ou à tout le moins que des corrections ou des aménagements auraient pu lui être apportés pour en prévenir la réalisation ; qu'à l'opposé, la responsabilité civile du notaire ne peut pas être retenue s'il est établi que le dommage allégué se serait de toute façon produit pour résulter de causes distinctes de l'imperfection ou de l'insuffisance de l'acte ; que le notaire fait valoir que Mme C... ne conteste pas être redevable des montants réclamés par Finindus en vertu des actes de prêt dont elle n'a pas poursuivi la nullité ; que la banque n'a pas agi par voie de saisie immobilière ; que l'appelante demeure toujours propriétaire des biens qui lui ont été attribués dans le partage ; et que le notaire n'est pas responsable du fait que l'époux n'a pas respecté son obligation d'apurer le passif commun ; que le prêt UCB consenti le 1er mars 1991 a servi à l'acquisition d'un appartement à la Bauvalle et qu'il était garanti par une inscription de prêteur de deniers sur cet immeuble déclaré libre d'inscription dans l'acte ; que si l'UCB a poursuivi Mme C... en remboursement du solde de ce prêt pour une somme de 126.994,18 € par voie de saisie-vente immobilière, aucune explication n'est donnée sur la situation actuelle de cet immeuble ; que si la banque Finindus a engagé des poursuites à fin de saisie immobilière en 1993 et 1995 pour recouvrer sa créance, il ne ressort d'aucun élément la vente (qui n'est pas même alléguée) de l'immeuble de la rue Tavan, des locaux commerciaux de la rue Joubert ou la vente du fonds de commerce ;
que le préjudice dont Mme C... se prévaut n'est pas établi, faute de mesure d'exécution forcée sur les biens qu'elle entendait protéger, seules les saisies-attributions pratiquées par les créanciers étant invoquées ; qu'il est même douteux que le manquement du notaire dans l'exécution de son devoir de conseil ait fait perdre à Mme C... quelque chance de ne pas signer la procuration ; qu'en effet Mme C... étant commune en biens, avait déjà auparavant donné une procuration générale en 1985 à son mari pour lui permettre d'exercer sa profession ; qu'elle ne pouvait pas ignorer que son activité impliquait la nécessité d'acquérir par emprunt pour revendre, ni que son mari rencontrait des difficultés financières ; que l'objet de la procuration étant précisément de permettre l'accomplissement de nouvelles opérations d'achat et de revente pour dégager des profits et rembourser les engagements qui pesaient déjà sur les deux époux, il est vraisemblable que Mme C..., même si elle avait été mieux conseillée par le notaire et avertie par ce dernier du caractère illusoire d'une réserve qui ne lui permettait pas véritablement protéger les trois biens qu'elle entendait mettre à l'abri, aurait signé à nouveau une procuration générale ; que Mme C..., même après s'être séparée en 1988 et avoir engagé une procédure de divorce en décembre 1989, si elle a révoqué la procuration qu'elle avait consentie en 1985 à son époux le 17 janvier 1990, s'est engagée de nouveau aux côtés de M. P... dès le 6 février 1990 suivant ; qu'elle ne saurait prétendre qu'elle ne voulait plus être associée aux risques de l'activité professionnelle de son mari, compte tenu de l'importance de leurs engagements financiers communs et de l'intérêt personnel qu'elle avait à ne pas causer sa ruine et la sienne ; qu'à l'opposé, ayant manifesté à plusieurs reprises sa volonté de lui donner procuration pour lui permettre de poursuivre l'exercice de son activité, Mme C... ne disposait pas de véritable alternative juridique que de donner à nouveau procuration générale ; qu'en présence d'une faute professionnelle du notaire qui, en définitive, n'a pas fait perdre une chance raisonnable de ne pas passer l'acte litigieux et qui n'a pas eu de conséquences dommageables présentant un lien de causalité avec la faute, il y a lieu d'infirmer le jugement déféré qui a déclaré irrecevables les demandes formées par Mme M... C... contre la SCP R...- N...-D...-L..., mais de débouter l'appelante au fond » ;

Alors 1°) que le manquement du notaire à son devoir de conseil à l'égard de son client cause à ce dernier un préjudice résultant de la perte de chance de ne pas subir les conséquences négatives de l'acte instrumenté par cet officier public ; qu'en l'espèce, Mme C... faisait valoir (ses conclusions d'appel, spéc. p. 5 ; p. 24 et s.) que Me O... avait manqué à son devoir de conseil à son égard en n'attirant pas son attention sur le fait que la procuration générale établie au profit de son époux M. P... le 6 février 1990 permettait à ce dernier de donner en garantie les biens immobiliers devant revenir à l'épouse dans le cadre de leur divorce, et la rendait solidairement responsable sur son entier patrimoine des dettes contractées sur le fondement de cet acte par son époux ; qu'elle soulignait qu'en vertu de cette procuration, M. P... avait notamment contracté en 1990 et 1991 deux prêts auprès de la banque Finindus, et que c'était pour obtenir remboursement des sommes versées en exécution de ces deux emprunts que la société Finin Ltd, venant aux droits de la banque Finindus, avait fait pratiquer une saisie-attribution sur les loyers d'un immeuble appartenant à Mme C... ainsi qu'une saisie-attribution sur le compte de Mme C... ; que pour dire que Mme C... ne justifiait pas d'un préjudice en lien avec le manquement de Me O... à son devoir de conseil, la cour d'appel a retenu que Mme C... ne contestait pas être redevable des montants réclamés par la banque Finindus en vertu des actes de prêt dont elle n'avait pas poursuivi la nullité, que la banque n'avait pas agi par voie de saisie immobilière, que Mme C... demeurait toujours propriétaire des biens qui lui ont été attribués dans le partage, et que le notaire n'était pas responsable du fait que l'époux n'avait pas respecté son obligation d'apurer le passif commun ; que la cour d'appel en a déduit que faute de mesure d'exécution forcée sur les biens immobiliers qu'elle avait entendu protéger, Mme C... ne justifiait pas d'un préjudice indemnisable ; qu'en statuant de la sorte, quand le manquement de Mme O... à son devoir de conseil quant à la portée de la procuration du 6 février 1990 avait fait perdre à Mme C... une chance de ne pas conclure cet acte, et ainsi de ne pas subir les saisies-attributions pratiquées par la banque Finindus afin de recouvrer les créances résultant des prêts contractés au nom de son épouse par M. P... en vertu de la procuration litigieuse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

Alors 2°) en outre qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'à l'époque à laquelle Mme C... avait donné la procuration litigieuse à M. P..., les époux étaient séparés de fait et en instance de divorce ; que Mme C... avait révoqué, moins d'un mois plus tôt, la précédente procuration qu'elle avait donné en mai 1985 à son époux pour les besoins de son activité professionnelle ; que pour dire que le manquement de Me O... à son devoir de conseil n'avait pas fait perdre à Mme C... « une chance raisonnable de ne pas passer l'acte litigieux », la cour d'appel a retenu que cette dernière, commune en biens avec son époux, avait déjà auparavant donné une procuration générale en 1985 à son mari pour lui permettre d'exercer sa profession, qu'elle ne pouvait pas ignorer que son activité impliquait la nécessité d'acquérir par emprunt pour revendre, ni que son mari rencontrait des difficultés financières, et qu'il était de son intérêt de permettre à son époux de continuer à exercer son activité professionnelle afin d'apurer les dettes de la communauté ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait que Mme C..., qui avait quelques semaines plus tôt engagé une procédure de divorce et venait de révoquer la procuration antérieurement consentie à son époux, avait manifesté de manière non équivoque son intention de se désolidariser de son époux, violant ainsi l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

Alors 3°) au surplus qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial des époux P... C..., il avait été convenu que M. P... conserverait l'intégralité de l'actif de la communauté, à l'exception de trois biens immobiliers réservés à Mme C..., à charge pour M. P... d'assumer l'intégralité du passif ; qu'en jugeant néanmoins que Mme C... « ne saurait prétendre qu'elle ne voulait plus être associée aux risques de l'activité professionnelle de son mari, compte tenu de l'importance de leurs engagements financiers communs et de l'intérêt personnel qu'elle avait à ne pas causer sa ruine et la sienne » et qu'elle ne disposait « pas de véritable alternative juridique que de donner à nouveau procuration générale », la cour d'appel a encore violé l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

Alors 4°) au surplus qu'en retenant, pour apprécier la probabilité que Mme C..., même mieux informée par Me O..., aurait néanmoins donné à son époux une procuration générale, que si Mme C... avait « révoqué la procuration qu'elle avait consentie en 1985 à son époux le 17 janvier 1990, [elle] s'est engagée de nouveau aux côtés de M. P... dès le 6 février 1990 suivant », quand la procuration du 6 février 1990 était précisément l'acte en litige et qu'elle constatait que préalablement à sa conclusion, Mme C... n'avait pas été correctement informée par Me O... sur sa portée (arrêt, p. 7, 2ème §), la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil) ;

Alors 5°) en tout état de cause que le manquement du notaire à son devoir de conseil cause nécessairement à son client un préjudice tenant à la perte de chance de ne pas avoir contracté l'acte en cause et d'en subir les conséquences négatives ; qu'il n'en va différemment que lorsqu'il est établi que la chance ainsi perdue ne revêtait pas un caractère suffisamment sérieux pour constituer un préjudice indemnisable ; qu'en statuant comme elle l'a fait, par des motifs impropres à caractériser l'absence de sérieux de la chance perdue par Mme C... de ne pas conclure la procuration du 6 février 1990, dès lors qu'elle constatait notamment qu'il était simplement « vraisemblable que Mme C..., même si elle avait été mieux conseillée par le notaire et avertie par ce dernier du caractère illusoire d'une réserve qui ne lui permettait pas véritablement protéger les trois biens qu'elle entendait mettre à l'abri, aurait signé à nouveau une procuration générale », la cour d'appel a méconnu l'article 1382 du code civil (nouvel article 1240 du code civil).


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 18-18429
Date de la décision : 12/09/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 17 avril 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 12 sep. 2019, pourvoi n°18-18429


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.18429
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