LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. F... V...,
contre l'arrêt de la cour d'assises du TARN, en date du 30 mars 2018, qui, pour viols, viols aggravés, tentative de meurtre aggravée, et délits connexes, l'a condamné à trente ans de réclusion criminelle et dix ans de suivi socio-judiciaire, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 5 juin 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme DRAI, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DRAI, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle OHL et VEXLIARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 316, 346, 353, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce qu'il résulte du procès-verbal des débats que :
- « A ce moment, Maître V... X..., avocat de l'accusé, a déposé des conclusions tendant à ce qu'il lui soit donné acte que le président a employé le terme de prédateur lors de l'interrogatoire de l'accusé, manifestant ainsi son opinion » ;
- « A ce moment, Maître V..., avocat de l'accusé, a déposé des conclusions aux fins de désignation d'un expert psychologue" ;
- « Après en avoir délibéré sans le concours des jurés, la cour a rendu les arrêts suivants suite aux conclusions déposées par la défense, dont le président a donné lecture à haute voix à l'audience publique :
ARRET La cour ; que Maître V..., avocat de l'accusé a déposé des conclusions tendant à ce qui lui soit donné acte que le président a employé le terme de prédateur lors de l'interrogatoire de l'accusé, manifestant ainsi son opinion ; que l'emploi de ce terme résulte des conclusions de l'expertise psychologique réalisée par M. N... lequel relève dans son rapport : « La recherche de satisfaction immédiate, les comportements de prédation sexuelle pourraient au moins en partie être en lien avec cette caractéristique de personnalité. Pour le reste, les attitudes de réactivité, sans doute en cas d'alcoolisation excessive, la psychorigidité, l'impulsivité, l'impatience pourrait être des éléments explicatifs de certains comportements de prédation (
). Enfin, si le recours à la strangulation est confirmé, le lien entre la sexualité et la violence pourrait être retenu, permettant d'expliquer une sexualité prédatrice » ; que par ailleurs que ce terme apparaît de manière récurrente dans le dossier d'information tel qu'il a été évoqué à l'audience afin d'évoquer le comportement de l'accusé et d'en rechercher les caractéristiques ; que ce terme est notamment repris :
- au cours de l'interrogatoire récapitulatif de l'accusé ;
- dans un dossier de presse remis par l'avocat de l'accusé ; que les viols et agressions sexuelles dont est accusé M. F... V... sont reconnus par ce dernier ; que le terme employé et explicité de manière exhaustive par un expert est apporté au débat et doit être évoqué et débattu sans pour autant constituer une opinion ;
Par ces motifs, Donne acte à Maître V..., avocat de l'accusé, de l'emploi du terme prédateur au cours des débats en ce que ce terme a constitué non une opinion mais une interrogation sur le comportement de l'accusé lors des faits au regard des conclusions expertales ;
ARRET La cour ; que Maître V..., défenseur de l'accusé, a déposé des conclusions tendant à ce que soit ordonné un supplément d'information sous forme d'expertise psychologique de l'accusé ; qu'au vu des résultats de l'instruction à l'audience qui vient de prendre fin, la cour est en mesure de s'assurer que la mesure sollicitée n'est pas nécessaire à la manifestation de la vérité ;
Par ces motifs, Rejette la demande ; dit qu'il sera passé outre aux débats A ce moment et sur demande de Maître V..., avocat de l'accusé, il a été acté que concernant la demande d'expertise psychologique qui a été déposée par la défense par voie de conclusions saisissant la cour, la parole n'a pas été donnée aux parties et qu'il y a eu absence de débat oral » ;
"1°) alors que, avant de rendre un arrêt incident la cour est tenue d'entendre le ministère public, les parties ou leurs avocats ; qu'en l'espèce, il résulte des mentions du procès-verbal des débats qu'à la suite d'un incident contentieux relatif à une demande d'expertise psychologique qui a donné lieu à un arrêt incident, la défense n'a pas eu la parole et qu'aucun débat n'ayant jamais eu lieu, l'avocat de l'accusé ayant d'ailleurs pris le soin de faire acter que la parole ne lui avait pas été donnée et qu'aucun débat oral ne s'était tenu ; qu'en procédant ainsi, la cour d'assises a violé la règle et les dispositions précitées ;
"2°) alors que le président qui a rendu un arrêt incident en ne donnant pas la parole en dernier la défense, qui avait sollicité qu'il soit donné acte que le président a employé le terme de « prédateur » lors de l'interrogatoire de l'accusé, conformément aux dispositions de l'article 316 du code de procédure pénale a encore méconnu ces dispositions" ;
Vu les articles 316 et 346 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de ces textes que, lors de tout incident contentieux intéressant la défense qui est réglé par un arrêt, le ministère public, les parties ou leurs avocats sont entendus et l'accusé ou son avocat auront toujours la parole les derniers ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal des débats que l'avocat de M. V... a déposé, d'une part, au cours de l'audience du 28 mars 2018, des conclusions aux fins qu'il lui soit donné-acte que le président avait employé le terme de prédateur au cours de l'interrogatoire de l'accusé, manifestant ainsi son opinion, d'autre part, au cours de l'audience du 29 mars 2018, des conclusions aux fins de désignation d'un expert psychologue ;
Attendu que la cour a, par deux arrêts incidents, rendus à l'audience du 29 mars 2018, d'une part donné-acte de l'emploi du terme prédateur mais jugé que l'expression ne constituait pas une opinion mais une interrogation sur le comportement de l'accusé au regard des conclusions de l'expertise, d'autre part rejeté la demande d'expertise sollicitée ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni des arrêts incidents, ni du procès-verbal des débats, qu'avant de rendre lesdites décisions, la cour ait entendu, comme elle était tenue de le faire, le ministère public, les parties ou leurs avocats, ni qu'elle ait donné la parole en dernier à l'accusé ou à son avocat ; qu'en cet état, la cour a violé les textes susvisés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'assises du Tarn, en date du 30 mars 2018, ensemble la déclaration de la cour et du jury et les débats qui l'ont précédée ;
CASSE et ANNULE, par voie de conséquence, l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils ;
ET pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises du Tarn et Garonne, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises du Tarn et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatre septembre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.