LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Reçoit l'intervention de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Saint-Denis de La Réunion, 3 avril 2018), et les pièces de la procédure, que, le 21 mars 2018, quatre-vingt-seize passagers d'un bateau à destination des îles de l'archipel des Comores ont été renvoyés vers l'île de Mayotte en application d'un arrêté du ministre de l'intérieur de l'Union des Comores interdisant aux compagnies maritimes et aériennes un tel transport des personnes de nationalité comorienne, sans leur consentement ; que le 22 mars 2018, la police aux frontières leur a notifié les décisions de refus d'entrée, et les a placés en zone d'attente ; que le 24 mars suivant, le préfet de Mayotte a saisi le juge des libertés et de la détention de soixante-douze requêtes afin que la prolongation du maintien en zone d'attente soit prononcée, l'une de ces requêtes concernant Mme A..., de nationalité comorienne ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le second moyen :
Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt d'ordonner son maintien en zone d'attente, alors, selon le moyen, que, nul ne peut être soumis à un traitement inhumain ou dégradant ; qu'en relevant la présence de Mme A... et de trente-quatre autres adultes, ainsi que de dix-neuf enfants, dans une même pièce de 45 m² et de deux sanitaires, dans un état médiocre, situés dans cette même pièce, tout en autorisant une seconde prolongation du maintien en zone d'attente de Mme A..., de sorte que celle-ci était en principe condamnée à y passer trois semaines, le conseiller délégué a méconnu l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que le témoignage du responsable d'une association de soutien aux étrangers faisait état d'une précarité des conditions d'accueil des étrangers tenant à la présence de trente-cinq personnes dont dix-neuf enfants dans une pièce de 45 m² et seulement deux toilettes dans un état médiocre, l'ordonnance retient que ces conditions, pour critiquables qu'elles soient, ne sauraient constituer un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, de ces constatations et appréciations, desquelles il ressort que, si l'espace dont disposait chaque étranger dans la partie bâtie était inférieur à 3 m² par personne, ce seul élément, en l'absence d'autres critiques de l'intéressée tirées de sa situation personnelle, eu égard au court délai de maintien en zone d'attente, était insuffisant à caractériser un traitement inhumain ou dégradant à l'égard de Mme A..., le premier président a exactement déduit que ses conditions de vie dans la zone d'attente temporaire, organisée en urgence pour faire face à une situation exceptionnelle, permettaient la prolongation de la mesure pour une durée de huit jours ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille dix-neuf et signé par lui et par Mme Randouin, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour Mme A....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'ordonnance attaquée d'avoir rejeté l'exception de nullité soulevée par la personne maintenue en zone d'attente, tenant à l'absence de production du registre des personnes maintenues, et d'avoir prolongé le maintien en zone d'attente de Madame A... pour une durée de huit jours à compter de l'expiration du premier renouvellement de huit jours ;
Aux motifs que, « sur les exceptions d'irrecevabilité et nullité,
C'est par des motifs parfaitement circonstanciés que la Cour adopte, que le premier jugea rappelé que ces moyens qui ont déjà été écartés par la Cour lors de l'ordonnance de première prolongation, sont irrecevables à l'occasion de la présente instance.
De même le premier juge a justement fait observer que la discussion sur la délégation de signature du fonctionnaire qui a signé l'arrêté portant création de la zone d'attente relève de la compétence exclusive des juridictions administratives.
Enfin, la requête présentée par le préfet, afin de prolongation de la mesure de prolongation visant notamment la circulaire du 21 mars 2018 faisant interdiction aux compagnies aériennes et maritimes d'embarquer toute personne considérée par les autorités qui administrent Mayotte comme étant en situation irrégulière jusqu'à nouvel ordre est suffisamment motivée » ;
Aux motifs présumés adoptés que, « la personne maintenue en zone d'attente fait valoir qu'en application de l'article R. 222-2 susvisé, la requête en seconde prolongation doit être accompagnée d'un extrait du registre des personnes maintenues en zone d'attente, et qu'en l'espèce est produit un document qui ne peut s'apparenter audit registre ; que toutefois, le document produit, qui comporte un numéro par personne maintenue et ne permet pas d'adjonction, de suppression ou de substitution de personnes, contient toutes les mentions exigées par l'article L. 221-3 susvisé et constitue le registre d'effectif exigé par ce texte ; que la circonstance que soient mentionnées des informations supplémentaires, tel le numéro de l'arrêté initial qui permet d'identifier administrativement la personne, ou ultérieures, telles les décisions judiciaires prononcées, , ‘est pas de nature à invalider le document ; qu'aussi, ce moyen de nullité sera rejeté » ;
Alors que, si la juridiction d'appel peut en principe se borner à faire siens les motifs de la décision entreprise, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent ; qu'en confirmant la décision du juge des libertés et de la détention, sans dire sur quels motifs il se fondait pour rejeter l'irrégularité soulevée par Madame A... relative à la production du registre prévu par l'article L. 221-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le conseiller délégué a méconnu l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'ordonnance attaquée d'avoir prolongé le maintien en zone d'attente de Madame A... pour une durée de huit jours à compter de l'expiration du premier renouvellement de huit jours ;
Aux motifs que « au fond,
- Sur les circonstances exceptionnelles.
Il est constant que c'est par suite de la circulaire adoptée par les Comores du 21 mars 2018, par laquelle, l'Etat comorien manifeste son refus d'accueillir ses ressortissants expulsés de Mayotte, que Mme A... s'est trouvée placée en zone d'attente.
Cette circonstance particulière d'une décision, soudaine des autorités comoriennes, plaçant les autorités françaises devant le fait accompli, constitue bien une circonstance exceptionnelle qui justifie la prolongation du maintien en zone d'attente de Mme A..., quand bien même cette circonstance n'a pas évolué entre la première autorisation de prolongation et la seconde.
- Sur le conditions d'accueil dans la zone d'attente
C'est avec raison, que s'appuyant sur un témoignage de la CIMAD, association autorisée à se rendre sur place, dénonce les conditions de précarité dans lesquelles les personnes sont accueillies en zone d'attente. Le témoignage évoquant la présence de 35 adultes et 19 enfants dans une pièce de 45 m2 et seulement deux WC dans un état "médiocre" à disposition des intéressés,
Cependant, ces conditions pour critiquables qu'elles soient ne sauraient constituer un traitement dégradant et inhumain au sens de l'article 3 de la CEDH.
En sorte qu'il convient de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise. » ;
Et aux motifs adoptés que « Attendu que le requérant fait état des circonstances exposées ci-dessus ; qu'il est constant que l'Union des Comores a refoulé ses ressortissants expulsés de Mayotte, ce qui a justifié, en application de l'article L. 221-1, alinéa 5, susvisé, le placement en zone d'attente ; qu'à ce jour, l'Union des Comores n'a pas encore retiré cette décision ; que par ailleurs, la situation locale à l'égard des étrangers de nationalité comorienne est particulièrement difficile et risquée s'ils sont exposés à la population et justifie le maintien en zone d'attente ; qu'enfin, la personne maintenue en zone d'attente n'allègue ni justifie de garanties de représentation ; que sont caractérisées les circonstances exceptionnelles d'une seconde prolongation ;
Attendu que la personne maintenue en zone d'attente fait valoir au fond l'absence de perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement prise à son égard, en considération de la décision prise par l'Union des Comores de refouler ses ressortissants expulsés de Mayotte ; que cependant, à supposer même que la perspective d'une exécution dans un délai raisonnable Kit requise, non s'agissant d'une mesure d'éloignement mais pour ce qui concerne un refus d'entrée sur le territoire national et le maintien juridique de l'étranger hors dudit territoire, il apparaît que la soudaineté de la décision prise par les autorités comoriennes permettent d'envisager très raisonnablement et à court terme une même soudaineté d'un retrait d'une telle décision et donc de l'accueil, par l'Union des Comores, de ses ressortissants expulsés de Mayotte ; qu'ainsi, cette absence de perspective raisonnable n'est pas établie ;
Attendu que la personne maintenue en zone d'attente fait valoir le caractère « indigne » de ses conditions d'hébergement au sein d'une zone d'attente qui de situe désormais au sein du centre de rétention administrative ; que cependant et tout d'abord, il a déjà. été relevé que la juridiction de céans n'avait pas compétence pour connaître de la décision administrative portant création d'une zone d'attente ; qu'ensuite, il n'est pas allégué ni à plus forte raison établi que, au sein des locaux naguère entièrement dévolus au centre de rétention administrative, les personne maintenues en zone d'attente d'une part et celle retenue administrativement d'autre part, sont confondues et voient leur statut juridique modifié ; qu'enfin, s'il appartient au juge judiciaire, garant des libertés individuelles, de s'assurer que les droits et libertés fondamentaux, notamment ceux établis par la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sont respectés et qu'il n'y est pas porté atteinte de façon disproportionnée en considération des circonstances, il apparait qu'en l'espèce, en dépit des difficultés matérielles relevées et de la situation pour partie insuffisante dont il est attesté, mais compte tenu des circonstances déjà mentionnées parmi lesquelles le nombre des étrangers concernés, il n'est pas porté une atteinte disproportionnée justifiant la mainlevée de la mesure de maintien ;
Qu'en conséquence, le maintien en zone d'attente sera prolongé pour une durée de huit jours » ;
Alors que, nul ne peut être soumis à un traitement inhumain ou dégradant ; qu'en relevant la présence de Madame A... et de trente-quatre autres adultes, ainsi que de dix-neuf enfants, dans une même pièce de 45 m2 et de deux sanitaires, dans un état médiocre, situés dans cette même pièce, tout en autorisant une seconde prolongation du maintien en zone d'attente de Madame A..., de sorte que celle-ci était en principe condamnée à y passer trois semaines, le conseiller délégué a méconnu l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.