LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant acte reçu le 12 décembre 2008 par M. C... (le notaire), M. W... (le vendeur) a vendu à M. et Mme Y... (les acquéreurs) un bien immobilier, grevé d'une hypothèque judiciaire provisoire, publiée le 5 décembre 2003 et régulièrement renouvelée, au bénéfice de la société Banque Chaix (la banque) ; que, cette dernière ayant, par lettre annexée du 5 décembre précédent, donné son accord pour la mainlevée de l'inscription hypothécaire contre le paiement de la somme de 135 542,11 euros, l'acte de vente stipule que le vendeur donne ordre irrévocable au notaire, désigné séquestre, de prélever ce montant et les frais de mainlevée sur le prix de vente ; que, saisi par le vendeur, le juge de l'exécution a ordonné, le 24 septembre 2009, la mainlevée de l'hypothèque ; que, le 12 octobre suivant, la radiation de celle-ci a été publiée ; que, le 28 octobre, le notaire a remis au vendeur la somme de 133 900 euros, prélevée sur les fonds séquestrés ; qu'un arrêt du 15 décembre 2009 a ordonné le sursis à exécution de la décision de mainlevée ; que, le 18 décembre 2009, une hypothèque judiciaire définitive s'est substituée à l'hypothèque provisoire ; que les acquéreurs ont assigné le notaire en responsabilité et indemnisation ;
Sur le moyen unique, pris en ses cinq premières branches, ci-après annexé :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur la sixième branche du moyen :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour évaluer le montant des dommages-intérêts, l'arrêt retient que le préjudice indemnisable se traduit par une perte de chance, pour les acquéreurs, de ne pas se porter acquéreurs d'un bien hypothéqué, évalué à proportion de la somme qu'ils auront à acquitter au créancier hypothécaire lors de la revente ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'était pas soutenu que le préjudice allégué consistait en une perte de chance, la cour d'appel, qui a relevé d'office le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;
Condamne M. et Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. C...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné M. Q... C... à payer à M. F... Y... et Mme P... Y... les sommes de 132 831,26 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'article 1382 ancien du code civil et de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE selon l'article 1382 (devenu 1240) du code civil en vigueur au cas d'espèce, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; qu'en vertu de cette disposition, la responsabilité civile d'un notaire ne peut être engagée que si la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux est apportée ; qu'il est de droit que le notaire est tenu d'assurer l'efficacité et la sécurité des actes instrumentés par lui ; qu'aux termes de l'acte du 12 décembre 2008 reçu par Maître Q... C... notaire, M. W... a vendu aux époux Y... un ensemble immobilier grevé d'une hypothèque judiciaire provisoire au profit de la banque Chaix ; qu'aux termes l'acte authentique reçu par Me C... le 12 décembre 2008, il a été porté la mention suivante en page 28, immédiatement après le rappel des hypothèques judiciaires provisoires grevant l'immeuble au profit de la banque Chaix : "par courrier en date du 5 décembre 2008 dont une copie est demeurée ci-jointe, et annexée après mention, le créancier a donné son accord de mainlevée contre paiement de la somme de 135 542,11 €, décompte arrêté au 9 décembre 2008. Le vendeur donne l'ordre irrévocable à son notaire de prélever sur le prix de la présente vente ledit montant et les frais de mainlevée." ; qu'il est constant qu'après régularisation de la vente, Me C... n'a procédé à aucun versement au profit de la banque Chaix, laquelle a renouvelé l'inscription hypothécaire judiciaire provisoire sur le bien vendu pour un montant de 72 000 € ; que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que l'inscription d'hypothèque prise par la banque Chaix le 12 octobre 2009 suivie d'une inscription définitive le 15 décembre 2009 était inopposable aux époux Y... motif pris de ce que l'hypothèque avait été mentionnée après radiation de l'hypothèque provisoire et après publication de la vente aux époux Y... le 6 mars 2009, alors qu'en vertu des articles 2393 et 2461 du code civil le créancier hypothécaire dont l'hypothèque a été régulièrement publiée, dispose d'un droit de suite sur l'immeuble hypothéqué en quelque main qu'il se trouve, notamment les acquéreurs ; que c'est à bon droit que les époux Y... reprochent au notaire Me C... de s'être abstenu de verser à la banque Chaix les fonds correspondant à sa créance après paiement du prix de vente par les acquéreurs , en méconnaissance de l'obligation qui lui en était faite par l'acte authentique de vente du 12 décembre 2008 ; que chargé d'exécuter les termes de l'acte qu'il avait rédigé , Me C... a de toute évidence commis une faute en s'abstenant de verser à la banque la part du prix de vente destinée à la désintéresser de sa créance et à lever la sûreté grevant l'immeuble vendu. Le notaire a ainsi manqué à l'obligation qui lui incombait d'assurer l'efficacité et la sécurité de l'acte authentique qu'il instrumentait ; qu'il ne saurait s'exonérer de sa responsabilité en arguant d'une procédure judiciaire initiée plus de six mois après la signature de l'acte de vente par les vendeurs devant le juge de l'exécution aux fins de contestation de l'inscription d'hypothèque provisoire par une requête du 19 juin 2009 ; que de surcroît, Me C... s'est libéré du prix de vente (sous déduction d'une somme de 52290,99€ encore séquestrée par le notaire) entre les mains du vendeur le 28 octobre 2009, soit postérieurement à la nouvelle inscription hypothécaire provisoire du 16 juillet 2009, ce qui caractérise là encore un comportement fautif ; que c'est à tort que les premiers juges ont retenu que Me C... n'avait commis aucune faute en réglant à M. W... le prix de vente de l'immeuble sans assurer au profit de la banque Chaix le versement prévu dans l'acte de vente en prenant en considération la contestation élevée par ces derniers à l'encontre de l'hypothèque inscrite par la banque Chaix, alors que le revirement des vendeurs quant à l'affectation du prix de vente à hauteur de 135 000 € au profit de la banque après la régularisation de la vente était sans incidence sur l'obligation faite au notaire par les parties à l'acte de vente de régler la somme convenue à la banque créancière ; qu'il ne peut être davantage soutenu ainsi que le fait le tribunal que les inscriptions d'hypothèque sont inopposables aux acquéreurs alors que d'une part, la radiation d'hypothèque par le juge de l'exécution est postérieure à la vente de l'immeuble, d'autre part, que la banque Chaix dispose comme tout créancier hypothécaire d'un droit de suite sur l'immeuble hypothéqué à l'encontre des acquéreurs ; que la faute du notaire qui est suffisamment caractérisée, a occasionné un préjudice aux époux Y... qui, alors qu'ils avaient pris le soin de s'assurer lors de la vente de l'accord donné par la banque Chaix par courrier du 5 décembre 2008 sur la levée de l'inscription hypothécaire contre le paiement de la somme de 135 542,11 €, et de "l'ordre irrévocable" donné au notaire par les vendeurs de prélever ladite somme sur le prix de vente, se trouvent désormais propriétaires d'un bien grevé d'une hypothèque qu'ils ne peuvent céder librement sans s'acquitter auprès de la banque Chaix du montant de sa créance ; que le préjudice que subissent les époux Y... s'analyse en une perte de chance de ne pas se porter acquéreurs d'un bien hypothéqué, étant observé que les précautions prises lors de la conclusion de la vente, telles qu'elles résultent des dispositions susévoquées de l'acte notarié du 12 décembre 2008, attestent de façon claire et évidente de leur intention d'acquérir un bien exempt de toute sûreté ; que la preuve est ainsi rapportée de la faute du notaire, du préjudice direct et certain subi par les époux Y... et du lien de causalité entre la faute et le préjudice ; que le préjudice résulte de l'impossibilité de revente du bien immeuble par les époux Y... sans acquitter la somme de 135 542,11€ auprès de la banque créancière dotée d'une hypothèque sur l'immeuble ; que s'agissant d'un préjudice de perte de chance qui sera évalué à 98%, il est justifié de condamner Me C... à payer aux époux Y... la somme de 132 831,26 euros ; que la décision de première instance sera ainsi infirmée en ce qu'elle a débouté les époux Y... de leur demande d'indemnisation ; que les époux Y... justifient également du préjudice moral résultant des tracas que leur ont occasionné le présent litige qui perdure depuis 9 ans. Ainsi les éléments médicaux produits aux débats attestent d'une fragilisation de l'état de santé de Mme Y... qui était enceinte lorsque la procédure judiciaire a été engagée ; de plus les époux Y... justifient, par la production du témoignage d'un agent immobilier avoir dû renoncer à la vente de leur bien au regard de l'hypothèque grevant le bien, alors que l'agrandissement de leur famille les incitait à se reloger dans un logement plus spacieux ; ce préjudice sera justement indemnisé par l'octroi d'une somme de 5 000 €, somme au paiement de laquelle Me C... sera condamné ;
1°) ALORS QUE les créanciers hypothécaires ne peuvent prendre utilement inscription sur le précédent propriétaire, à partir de la publication de la mutation opérée au profit d'un tiers ; qu'en retenant, pour condamner le notaire à indemniser les acquéreurs des conséquences de l'absence de mainlevée de l'inscription d'hypothèque prise par la Banque Chaix sur le bien litigieux, que l'inscription définitive d'hypothèque prise par la Banque Chaix le 15 décembre 2009 était opposable aux époux Y..., quand ces derniers avaient publié la vente le 6 mars 2009, la cour d'appel a violé les articles 2427 du code civil et 30 du décret du 4 janvier 1955 ;
2°) ALORS QUE l'acquéreur d'un bien peut se prévaloir de la publication de la décision de mainlevée d'une inscription provisoire ou définitive d'hypothèque, sans pouvoir se voir opposer les décisions ultérieures, publiées postérieurement, ordonnant la réinscription d'une hypothèque dont la radiation avait été publiée ; qu'en affirmant que l'inscription d'hypothèque prise par la Banque Chaix le 15 décembre 2009 était opposable aux époux Y... dont l'acquisition avait été publiée le 12 mars 2009, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la décision du juge de l'exécution ordonnant la radiation de cette inscription n'avait pas été publiée, le prix ayant été remis au vendeur au vu de cette publication de sorte que les acquéreurs étaient fondés à se prévaloir de cette radiation publiée sans que l'inscription définitive du 18 décembre 2009 puisse leur être opposée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2440 du code civil ;
3°) ALORS QU'il ne saurait être reproché au notaire de n'avoir pas exécuté une obligation qui n'a plus d'objet ; qu'en retenant, pour condamner le notaire, que celui-ci avait commis une faute en ne versant pas, conformément aux stipulations du contrat du vente, une partie du prix de vente à la Banque Chaix, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'engagement de verser le prix de vente au créancier hypothécaire en contrepartie de la mainlevée de l'hypothèque n'était pas devenu caduque, dès lors que l'inscription bénéficiant à la Banque Chaix avait fait l'objet d'une radiation publiée dont pouvait se prévaloir les acquéreurs de sorte qu'il n'y avait plus lieu de la payer pour obtenir la mainlevée de cette inscription qui leur était désormais inopposable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1108, dans sa rédaction applicable à la cause, et 1382, devenu 1240 du code civil ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, le notaire ne peut être déclaré responsable que s'il existe une relation de cause à effet entre la faute qui lui est imputé et le préjudice invoqué ; qu'en retenant que le notaire avait fait perdre aux époux Y... une chance de ne pas se porter acquéreur du bien litigieux, quand le manquement imputé au notaire, qui était postérieur à la conclusion du contrat, ne pouvait être à l'origine de ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
5°) ALORS QU'en toute hypothèse, l'exposition à un risque qui ne s'est pas encore réalisé ne constitue pas un préjudice réparable ; qu'en retenant, pour condamner le notaire à indemniser les époux Y... de la perte de chance de ne pas se porter acquéreurs du bien litigieux, que ces derniers étaient dans l'impossibilité de revendre l'immeuble litigieux sans s'acquitter de la somme de 135 542,11 euros auprès de la banque créancière, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la mise en oeuvre de l'hypothèque par la Banque Chaix n'était pas qu'hypothétique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
6°) ALORS QU'en toute hypothèse, les juges, qui doivent observer le principe de la contradiction, ne peuvent fonder leur décision sur un moyen relevé d'office sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en condamnant le notaire à indemniser les époux Y... de la perte de chance de ne pas se porter acquéreurs du bien litigieux, quand, dans leurs écritures d'appel, les époux Y... se bornaient à demander l'indemnisation de la totalité de leur préjudice, sans recueillir les observations des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.