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25/06/2019 | FRANCE | N°18-82655

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 25 juin 2019, 18-82655


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, partie intervenante,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 3 avril 2017, qui, dans la procédure suivie contre M. C..., du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 mai 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure

pénale : M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, partie intervenante,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 3 avril 2017, qui, dans la procédure suivie contre M. C..., du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 14 mai 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lavaud ;

Sur le rapport de M. le conseiller Bellenger, les observations de la société civile professionnelle DELVOLVÉ et TRICHET, de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général QUINTARD ;

Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, et des pièces de procédure que M. C... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, du chef, notamment d'homicide involontaire sous l'emprise de stupéfiants sur la personne de Q... H... ; que les juges du premier degré ont déclaré le prévenu coupable et l'ont condamné à payer diverses sommes aux parties civiles, M. V... H... et Mme W... O... ; que les parties civiles ont relevé appel du jugement ;

En cet état :

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation du principe de réparation intégrale, de l'article 1315, devenu 1353, du code civil et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, déclaré opposable au Fonds de garantie, a condamné M. C... à payer à Mme O... et M. H..., la somme de 15 000 euros au titre des souffrances endurées par Q... H... ;

"1°) alors qu'un motif hypothétique équivaut à une absence de motif ; qu'en se bornant, pour allouer aux ayants droit d'Q... H... la somme de 15 000 euros au titre des souffrances endurées, à affirmer, d'une part, qu'un malade en état de coma pouvait conserver certaines douleurs et, d'autre part, que le certificat médical du 15 janvier 2015 ne permettait d'exclure que la victime ait pu avoir conscience de son état et des douleurs occasionnées par les multiples lésions et fractures dont il souffrait, la cour d'appel a statué par un motif hypothétique ;

"2°) alors que c'est aux ayants droit de la victime décédée qui demandent la réparation des souffrances endurées par la victime d'apporter la preuve de ce que les souffrances ont été effectivement subies par la victime ; qu'en retenant, pour allouer aux ayants droits d'Q... H... la somme de 15 000 euros au titre des souffrances endurées par celui-ci, qu'un sujet en état de coma pouvait conserver une sensibilité à la douleur et que le certificat médical ne l'excluait pas dans le cas d'espèce, la cour d'appel, qui a ainsi instauré une présomption tenant à l'existence des souffrances qu'aurait endurées le défunt que la violence de l'accident a plongé dans un état de coma jusqu'à son décès trois jours plus tard, a inversé la charge de la preuve" ;

Attendu que, pour allouer la somme de 15 000 euros aux parties civiles en réparation du préjudice résultant des souffrances endurées par Q... H..., l'arrêt énonce qu'il ne résulte pas du certificat médical que son état comateux le privait de toute conscience et des douleurs endurées par les multiples lésions et fractures dont il souffrait ;

Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant de l'infraction, et dès lors que l'état d'inconscience n'est pas de nature à réduire ou à exclure la réparation du préjudice corporel, la cour d'appel, n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime, de l'article 1315, devenu 1353, du code civil et des articles 591 et 793 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué, déclaré opposable au Fonds de garantie, a condamné M. C... à payer à Mme O... et M. H... la somme de 15 000 euros au titre d'un préjudice d'angoisse de mort imminente (qualifié de préjudice de vie abrégé) ;

"1°) alors que le préjudice moral lié aux différentes souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés, quelle que soit l'origine desdites souffrances, sont inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées ; le préjudice moral de mort imminente consistant pour la victime décédée à être demeurée, entre la survenance du dommage et sa mort, suffisamment consciente pour avoir envisagé sa propre fin est donc inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées ; que la cour d'appel ne pouvait dès lors indemniser séparément le préjudice d'angoisse de mort imminente subi par Q... H..., en allouant à ses ayants droit une somme à ce titre, tout en indemnisant par ailleurs le préjudice subi par la victime au titre des souffrances endurées par celle-ci avant son décès ;

"2°)alors que le préjudice d'angoisse de mort imminente ne peut exister que si la victime est consciente de son état et du caractère inéluctable de son décès ; que la cour d'appel ne pouvait dès lors allouer aux ayants droit d'Q... H... la somme de 15 000 euros à ce titre cependant qu'elle constatait que la violence du choc avait laissé la victime dans un état de coma jusqu'à son décès trois jours plus tard ;

"3°) alors qu'un motif hypothétique équivaut à une absence de motif ; qu'en se bornant, pour allouer aux ayants droit de Q... H... la somme de 15 000 euros au titre d'un préjudice d'angoisse de mort imminente, à affirmer qu'un malade en état de coma pouvait continuer à ressentir certaines douleurs et que le certificat médical ne permettait pas d'exclure que l'état de coma de la victime ait privé celle-ci d'un état de conscience suffisant du caractère inéluctable de son décès, la cour d'appel, qui a indemnisé un préjudice qu'elle retenait seulement qu'il était possiblement subi, a statué par un motif hypothétique ;

"4°) alors qu'il appartient aux ayants droit de la victime qui se prévalent d'un préjudice subi par celle-ci au titre d'une angoisse de mort imminente de justifier de l'état de conscience suffisante de celle-ci pour ressentir la douleur et le caractère inéluctable de son décès ; qu'en retenant que le malade en état de coma pouvait conserver certains réflexes, notamment à la douleur, et qu'il ne résulte pas du certificat médical délivré le 15 janvier, que l'état de coma privait Q... H... de toute conscience de son état, la cour d'appel, qui a instauré une présomption de conscience suffisante de la victime en état de coma, a inversé la charge de la preuve ;

"5°) alors que la réparation du préjudice moral de mort imminente suppose que puisse être caractérisé, non pas la conscience du caractère inéluctable d'avoir à subir le fait dommageable, mais, après l'accident, la conscience qu'a eue la victime de la gravité de son état séquellaire et du caractère inéluctable de sa propre fin ; que la cour d'appel ne pouvait dès lors considérer, pour allouer aux ayants droit d'Q... H... la somme de 15 000 euros à ce titre, qu'il importait de se placer, non pas au moment du fait dommageable, mais avant le choc et qu'entre le moment du dérapage et celui de la collision, Q... H... avait nécessairement eu conscience de la gravité de la situation et de l'imminence d'une issue mortelle ;

"6°) alors que la perte de sa vie ne fait en elle-même naître aucun droit à réparation dans le patrimoine de la victime ; que la cour d'appel ne pouvait dès lors pas juger les ayants droits d'Q... H... fondés à demander la réparation du préjudice de vie abrégée enduré par celui-ci au motif qu'il était âgé de 19 ans au moment de son décès" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que pour allouer une somme de 15 000 euros aux parties civiles en réparation du préjudice d'angoisse de mort imminente qui aurait été subi par Q... H..., l'arrêt énonce qu'il convient de se placer avant le choc et qu'entre le moment du dérapage et celui de la collision, Q... H... a nécessairement eu connaissance de la gravité de la situation et de son issue mortelle et que, si un témoin, pompier volontaire, arrivé sur les lieux l'a découvert inconscient, il ne résulte pas du certificat médical que son état comateux le privait de toute conscience et de la conscience de l'imminence d'une issue fatale ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs hypothétiques, alors que le préjudice d'angoisse de mort imminente ne peut exister, d'une part, qu'entre la survenance de l'accident et le décès et, d'autre part, que si la victime est consciente de son état, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'AMIENS, en date du 3 avril 2017, mais en ses seules dispositions relatives au préjudice d'angoisse de mort imminente, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'AMIENS, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Amiens et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq juin deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-82655
Date de la décision : 25/06/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 03 avril 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 25 jui. 2019, pourvoi n°18-82655


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.82655
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