LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme D... E...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 11° chambre, en date du 28 septembre 2017, qui pour escroquerie, l'a condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 avril 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller PLANCHON, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, la société civile professionnelle RICHARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général VALAT ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 313-1, 313-7 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré Mme E... coupable d'escroquerie ;
"aux motifs que Mme E..., embauchée 35 heures par semaine depuis le 27 novembre 2007, était chargée de vendre des produits de parapharmacie et d'esthétique ; qu'elle a débuté son congé de maternité fin avril 2009 ; qu'à l'issue dudit congé en mars 2010, elle a pris congé parental d'éducation jusqu'au 5 septembre 2010 ; qu'elle n'a ainsi repris son poste que le 6 septembre 2010 ; qu'il doit donc être tenu compte dans la prévention de sa longue période d'absence d'environ 16 mois, qui s'étend de fin avril 2009 au 6 septembre 2010 ; que l'enquête a révélé que la pharmacie Breizh Izel comportait deux caisses reliées chacune à un ordinateur permettant de contrôler le soir, les ventes de la journée ; que les listing figurant au dossier laissent apparaître un classement par mode de paiement – espèces, chèques, carte bancaire et le code opérateur personnel de la vendeuse, celui de Mme E... étant « TI » ; qu'ils font ressortir que celle-ci faisait le plus gros chiffre de ventes tout en ayant le taux d'encaissement d'espèces le plus bas, inférieur de moitié à ceux de ses collègues de travail, pour le même type de produits vendus, ce qui dans la durée, est de nature à interroger ; que Mme E... ne conteste pas avoir vendu des produits payés en espèces sans les passer en comptabilité puisque sans les enregistrer sur informatique, et donc sans remettre le ticket de caisse aux clients, ainsi que nombre d'entre eux l'ont attesté, ce qui signifie qu'elle n'a pas tapé de code opérateur et n'a pas démagnétisé le produit en le scannant ; que le procès-verbal de constat d'huissier est venu conforter le recours par Mme E... à deux pratiques frauduleuses établies par les éléments de l'enquête : déclarations convergentes de collègues de travail, témoignages de clients, listings de ventes : - elle scannait le ou les produits en utilisant le code opérateur d'une de ses collègues, et après paiement par le client en espèces, validait la vente en émettant un ticket de caisse, la collègue se retrouvant en fin de journée avec un manque dans sa caisse correspondant au produit de la vente prélevé par elle,- ou encore elle enregistrait la vente sous son code ou celui d'une collègue, mais procédait à son annulation et récupérait alors les espèces correspondant à l'achat effectué par le client ; que l'huissier a constaté entre le 11 mai et le 21 mai 2011 : - Six achats effectués les 11, 18 et 21 mai 2011, réglés en espèces, sans délivrance de ticket de caisse et sans que la vente n'apparaisse sur l'ordinateur du relevé de caisse de E...,
- une vente effectuée le 19 mai 2011 avec remise d'un ticket de caisse, en utilisant le code opérateur d'une collègue,
- une vente effectuée le 18 mai 2011 avec remise d'un ticket de caisse, qui n'apparaissait nulle part, par suite d'une annulation ; que grâce au logiciel PGI (Philippe Grall Informatique) consulté par l'huissier, il a pu être établi que depuis le 7 septembre 2010, Mme E... avait annulé plus de 1000 opérations de vente ayant donné lieu à la délivrance d'un ticket de caisse ; que parallèlement, l'examen par huissier des bordereaux de caisse informatique édités le soir des 9, 10 et 11 mai 2011, a mis en évidence un écart de l'ordre de 40 à 50 euros par rapport au montant du fonds de caisse de Mme E..., laissant présumer que l'argent manquant dans la caisse de celle-ci avait été dérobé ; que ce ne peut être le fruit du hasard si les erreurs de caisse ont brutalement cessé lors de la longue période d'absence de Mme E... de fin avril 2009 au 5 septembre 2010, pour reprendre dès son retour le 6 septembre 2010, ainsi que l'ont indiqué ses collègues vendeuses en parapharmacie ; qu'en effet, celles-ci se sont étonnées d'avoir des erreurs de caisse plus importantes lors de leur journée travail en binôme avec Mme E... ; que l'incident du 3 mai 2011 avec Mme Q... à qui il manquait environ 30 euros ce jour-là, est révélateur de la capacité de Mme E... à rectifier son comportement quand elle sent que son acte peut être découvert, en n'hésitant pas à retrouver comme par magie deux billets de 10 et 20 euros, soi-disant sous le tiroir-caisse électronique ; que ces agissements, accompagnés de manoeuvres frauduleuses, caractérisent le délit d'escroquerie, constitué tant dans son élément matériel qu'intentionnel, l'ampleur et la régularité des prélèvements d'argent, de même que les procédés sophistiqués, étant exclusifs de simples étourderies, commises par essence de bonne foi et qui auraient joué en sa faveur ou sa défaveur ; qu'ils n'ont pu échapper à la prévenue, qui a agi de manière délibérée par des manipulations astucieuses déployées sous diverses formes afin de diluer les soupçons vis-à-vis d'elle face à ces trous de caisse récurrents – absence de délivrance d'un ticket de caisse aux clients payant en espèces, utilisation du code opérateur de collègues, annulation de ventes ; que le système de défense de Mme E... qui invoque notamment des comportements racistes de ses employeurs n'est pas étayé et ne repose sur aucun élément objectif sérieux, étant observé que précisément, sans la sagacité des autres salariées dont les caisses enregistraient des erreurs de caisse inexpliquées, les faits n'auraient pu être dénoncés par les co-gérants qui n'avaient qu'à se féliciter de son travail et qui ne souhaitaient pas se séparer d'elle puisqu'elle enregistrait les plus fortes ventes et que sa caisse était toujours juste au centime près ; que de même, ses conditions de travail qu'elle décrit comme particulièrement difficiles lors de sa reprise en septembre 2010, sont étrangères au présent débat ; que la déclaration de culpabilité sera confirmée » ;
"1°) alors que le délit d'escroquerie n'est constitué que si les moyens utilisés ont été déterminants de la remise des fonds ; qu'en se fondant, pour déclarer la prévenue coupable d'escroquerie, sur les « manipulations astucieuses déployées sous diverses formes » tout en constatant que celles-ci visaient « à diluer les soupçons vis-à-vis d'elle face à ces trous de caisse récurrents », ce dont il devait se déduire que ces procédés n'étaient en rien déterminants de la remise elle-même, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2°) alors que la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, affirmer d'un côté que la prévenue ne contestait pas avoir vendu des produits payés en espèces sans les comptabiliser et, de l'autre, s'appuyer sur cette même affirmation pour retenir la culpabilité de Mme E..., en invoquant parallèlement les dénégations constantes de la prévenue, que la cour va jusqu'à qualifier de farouches, notamment pour justifier le quantum de la peine ;
"3°) alors qu'enfin, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire encore, affirmer, dans un premier temps, que les examens réalisés par l'huissier des bordereaux de caisse informatique ont permis de mettre en évidence, le soir des 9, 10 et 11 mai 2011, un écart de l'ordre de 40 à 50 euros par rapport au montant du fond de caisse de Mme E..., ce dont la cour déduisait que l'argent avait probablement était dérobé, et ce sur quoi elle s'appuyait pour retenir la culpabilité de Mme E..., mais affirmer dans un second temps, pour écarter le « système de défense de Mme E... », que celle-ci « enregistrait les plus fortes ventes et que sa caisse était toujours juste au centime près »" ;
Vu les articles 313-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, le délit d'escroquerie est caractérisé par l'emploi, par son auteur, de manoeuvres frauduleuses aux fins de déterminer la victime à lui remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le responsable de la pharmacie Breizh Izel a dénoncé les agissements de Mme E..., employée en qualité de vendeuse dans ce commerce et qui, après avoir appréhendé des sommes en liquide versées par les clients, aurait dissimulé ces faits soit en ne remettant pas le ticket de caisse, soit en annulant postérieurement la vente, soit en l'enregistrant sous un code opérateur qui n'était pas le sien ; le recours à ces pratiques irrégulières a été corroboré tant par un constat d'huissier que par les témoignages des collègues de la prévenue ; que le procureur de la République a fait convoquer celle-ci devant le tribunal correctionnel pour avoir à Quimper, entre le mois de novembre 2008 et le 25 mai 2011, par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, en l'espèce non validation de ventes, ou annulation de vente à l'aide de la touche retour sur facture trompé son employeur la Pharmacie Breizh Izel en la déterminant ainsi à son préjudice à remettre des fonds, soit environ 150 euros en espèces prélevés dans sa caisse par jour de travail ; que les premiers juges l'ont déclarée coupable du délit d'escroquerie et condamnée à cinq mois d'emprisonnement avec sursis par jugement du 7 novembre 2013 dont Mme E... a, tout comme le ministère public, interjeté appel ;
Attendu que, pour déclarer Mme E... coupable du délit d'escroquerie, l'arrêt attaqué énonce que les listings de caisse laissent apparaître que la prévenue faisait le plus gros chiffre de ventes en ayant le taux d'encaissement d'espèces le plus bas, inférieur de moitié à ceux de ses collègues de travail, pour le même type de produits vendus, ce qui, dans la durée, est de nature à interroger, que l'intéressée ne conteste pas avoir vendu des produits payés en espèces sans les passer en comptabilité, c'est à dire sans les enregistrer sur informatique et sans remettre le ticket de caisse aux clients, ce qui signifie qu'elle n'a pas tapé de code opérateur et n'a pas démagnétisé le produit en le scannant ; que les juges ajoutent que le procès-verbal de constat d'huissier démontre le recours par la prévenue à deux autres pratiques frauduleuses consistant, d'une part, à scanner le produit avec le code opérateur de l'une de ses collègues, d'autre part, à annuler la vente après l'avoir enregistrée, le logiciel de gestion de la caisse permettant de constater qu'elle avait annulé plus de 1 000 opérations de vente ayant donné lieu à la délivrance d'un ticket de caisse ; que la cour d'appel conclut que ces agissements, accompagnés de manoeuvres frauduleuses, caractérisent le délit d'escroquerie, constitué tant dans son élément matériel qu'intentionnel, l'ampleur et la régularité des prélèvements d'argent, de même que les procédés sophistiqués, étant exclusifs de simples étourderies, qu'ils n'ont pu échapper à la prévenue, qui a agi de manière délibérée par des manipulations astucieuses déployées sous diverses formes afin de diluer les soupçons à son encontre face à ces erreurs de caisse récurrentes ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans caractériser les manoeuvres frauduleuses qui auraient déterminé la remise des fonds par la victime à la prévenue qui les a appréhendés, et sans envisager une autre qualification, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 28 septembre 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf mai deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.