LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi principal de l'employeur :
Vu le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. H... a été engagé en qualité de représentant de commerce exclusif par la société Argos Orapi hygiène le 21 mai 2001 ; qu'il a démissionné le 25 mai 2013 ; que l'employeur a saisi la juridiction prud'homale d'une demande tendant au remboursement de l'indemnité de non concurrence et au paiement de pénalités pour violation de cette clause ;
Attendu que pour dire que la clause de non-concurrence inscrite au contrat de travail est illicite, et débouter l'employeur de ses demandes, l'arrêt, après avoir constaté que la minoration de la contrepartie financière de la clause de non concurrence dans le cas d'une démission telle que prévue par la convention collective devait être réputée non écrite, retient que la contrepartie effectivement versée au salarié apparaît dérisoire eu égard à l'importance de l'atteinte portée à sa liberté professionnelle ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle devait apprécier le caractère dérisoire de la contrepartie financière au regard des dispositions conventionnelles, abstraction faite de la stipulation réputée non écrite, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés ;
Et attendu que la cassation des chefs de dispositif visés par le pourvoi principal entraîne par voie de conséquence en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif visé par le pourvoi incident ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. H... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société Argos Orapi hygiène.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la clause de non-concurrence inscrite au contrat de travail entre la société Argos et M. H... est illicite, d'AVOIR débouté la société Argos de ses demandes formées à l'encontre de M. H... et d'AVOIR dit que les demandes de la société Argos formées à l'encontre de la société Comodis sont sans objet ;
AUX MOTIFS QUE « Le contrat de travail de M. H... auprès de la société Argos en date du 1er octobre 2002 stipule en son article 17 une clause de non concurrence ainsi rédigée : " [
]". En application du principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et des dispositions de l'article L. 1121-1 du Code du travail, une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière sérieuse, ces conditions étant cumulatives. Il n'est pas contesté que le défaut de référence exprès dans la clause de non concurrence au montant de la contrepartie financière ne constitue pas une clause de nullité dans la mesure où la convention collective applicable prévoit une telle contrepartie. Ainsi, l'article 17 de l'accord national interprofessionnel des Voyageurs Représentants Placiers prévoit que "(
) Pendant l'exécution de l'interdiction, l'employeur versera aux représentants une contrepartie pécuniaire mensuelle spéciale dont le montant sera égal à 2/3 de mois si la durée en est supérieure à un an et à 1/3 de mois si la durée en est inférieure ou égale à un an ; ce montant se réduit de moitié en cas de rupture de contrat de représentation consécutive à une démission. Cette contrepartie pécuniaire mensuelle spéciale sera calculée sur la rémunération moyenne mensuelle des 12 derniers mois, ou de la durée de l'emploi si celle-ci a été inférieure à 12 mois, après déduction des frais professionnels sans que cette moyenne puisse être inférieure à 173,33 fois le taux horaire du salaire minimum de croissance au cas où le représentant, engagé à titre exclusif et à plein temps, aurait été licencié au cours de la première année d'activité (
)". La minoration de la contrepartie financière dans le cas d'une démission telle que prévue par la convention collective doit être réputée non écrite dès lors que le montant de la contrepartie financière est indépendant du mode de rupture du contrat de travail. Il en résulte que le salarié était fondé à percevoir le maximum prévu par la convention collective. Cependant, alors que son salaire moyen sur les 12 derniers mois était de 3.966,57 €, M. H... n'a perçu que la somme de 661,10 € par mois d'octobre 2013 à août 2014 à titre d'indemnité de non concurrence soit 1/6ème de son salaire ce qui apparaît dérisoire eu égard à l'importance de l'atteinte portée à la liberté professionnelle du salarié. A défaut de contrepartie financière sérieuse, la clause stipulée entre les parties est illicite. Il convient donc de prononcer sa nullité et de débouter la société Argos tant de sa demande en remboursement de la contrepartie financière versée que de ses demandes au titre des pénalités contractuelles pour violation de la clause de non concurrence et de dommages et intérêts au titre d'un préjudice. En l'absence de validité de la clause de non concurrence, la question relative à l'application des dispositions de l'article L. 1237-3 du Code du travail est sans objet. Le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions »
1°) ALORS QUE la clause de non-concurrence prévoyant une minoration de la contrepartie financière en cas de démission du salarié n'est pas nulle en son entier mais doit être réputée non écrite en ses seules dispositions minorant la contrepartie en fonction de la nature de la rupture du contrat de travail ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que le contrat de travail entre M. H... et la société Argos prévoyait une clause de non-concurrence dont la contrepartie financière était minorée à hauteur d'1/6ème du salaire mensuel en cas de démission du salarié ; la cour d'appel a retenu que la clause devait être réputée non écrite, ce dont il résultait que le salarié était fondé à percevoir le maximum prévu par la convention collective, puis elle a jugé que la contrepartie financière équivalente à 1/6ème du salaire, dont elle venait d'affirmer qu'elle était devait être considérée non écrite, était dérisoire eu égard à l'importance de l'atteinte portée à la liberté professionnelle du salariée ce dont elle a déduit que la clause de non-concurrence était nulle; qu'en statuant ainsi, alors que la partie de la clause minorant la contrepartie financière, réputée non écrite, n'affectait pas la validité de la clause de non-concurrence en son entier, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'en application du principe de proportionnalité, le montant de l'indemnité de non-concurrence s'apprécie en fonction des limitations à la liberté du travail ; qu'en annulant la clause de non-concurrence au motif que l'indemnité fixée à 1/6ème du salaire mensuel en cas de démission était dérisoire, sans expliquer en quoi les contraintes résultant de la clause de non-concurrence et pesant sur M. H... n'étaient pas suffisamment réparées par un tel montant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail ;
3°) ALORS, ENFIN, QUE la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur les branches précédentes en ce qu'elles critiquent le chef du dispositif par lequel la cour d'appel a dit que la clause de non-concurrence est illicite, emportera par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef du dispositif de l'arrêt attaqué disant sans objet les demandes formées par la société Argos à l'encontre de la société Comodis en application de l'article 1237-3 du code du travail.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. H... et la société Comodis comptoir Moursois de distribution.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Monsieur H... de sa demande de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE Monsieur H... qui sollicite l'indemnisation subi du fait du respect de la clause de non concurrence illicite, fait état d'un préjudice qu'il aurait nécessairement subi mais ne le caractérise pas ; que, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'il a effectivement respecté la clause litigieuse, il sera débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;
ALORS QUE, le respect par le salarié d'une clause de non-concurrence le contraint nécessairement à rechercher un emploi hors du domaine d'activité et hors du secteur géographique visé par la clause, ce qui porte atteinte au principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et que le préjudice, qui réside dans l'atteinte à ce principe fondamental, est d'autant plus important que le domaine d'activité et le secteur géographiques visés dans la clause sont larges ; que, pour rejeter la demande en dommages et intérêts de Monsieur H..., la Cour d'appel a énoncé que « Monsieur H... qui sollicite l'indemnisation subi du fait du respect de la clause de non concurrence illicite, fait état d'un préjudice qu'il aurait nécessairement subi mais ne le caractérise pas ; que, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'il a effectivement respecté la clause litigieuse, il sera débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts » ; qu'en statuant ainsi, cependant que le préjudice subi consistait précisément dans le respect par ce salarié d'une clause de non-concurrence illicite, ce qui avait incontestablement porté atteinte à sa liberté de travail, la Cour d'appel a violé le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article 1382 du Code civil, dans sa rédaction applicable en l'espèce, et l'article L. 1121-1 du Code du travail.