LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu l'article 13, alinéa 2, de l'ordonnance du 10 septembre 1817 modifiée ;
Vu l'avis du conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation du 2 février 2017, estimant que la société civile professionnelle I..., E... et X... (la SCP) a engagé sa responsabilité envers M. P... U... et que le préjudice en lien de causalité avec cette faute peut être évalué, toutes causes confondues, à la somme de 1 000 euros ;
Vu la requête, présentée le 21 décembre 2017, par M. P... U... ;
Attendu qu'en mars 1997, M. P... U... et son frère, M. R... U..., ont ouvert un compte de titres joint dans les livres de la société de bourse Ferri, qu'ils ont tous deux approvisionné ; que, faisant état de transferts de titres et de fonds opérés par M. P... U... en faveur de son compte personnel, M. R... U... a assigné celui-ci en paiement de diverses sommes, à titre de remboursement de celles qui auraient été retirées du compte joint, et de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ; que, par arrêt du 19 juin 2014, la cour d'appel de Nîmes a accueilli une partie des demandes ; que, par lettre du 5 août 2014, M. P... U... a demandé à la SCP de former un pourvoi à titre conservatoire ; que, par message électronique du 6 août 2014, la SCP lui a fait savoir qu'elle fixerait le montant de ses frais et honoraires jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation à la somme de 2 800 euros toutes taxes comprises (TTC) ; que, par message électronique du 2 septembre 2014, elle l'a informé qu'elle avait formé un pourvoi à titre conservatoire et a noté qu'il souhaitait qu'elle établisse une consultation sur les chances de succès du pourvoi ; que, par lettre du 10 octobre 2014, elle a adressé au conseil de M. P... U... la consultation demandée, dans laquelle elle précisait que le pourvoi en cassation n'offrait pas de chances suffisamment sérieuses de succès pour qu'elle puisse lui conseiller de maintenir celui-ci et que si, néanmoins, M. P... U... décidait de poursuivre la procédure, elle fixerait le solde de ses honoraires pour frais et instruction de celui-ci jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation à la somme de 2 500 euros TTC, qui s'ajouterait alors à son honoraire de consultation et qui devrait être acquitté avant le 8 novembre 2014 ; que, par lettre du 14 octobre 2014, informant la SCP qu'il considérait que la consultation ne portait que sur des points qu'il n'avait pas l'intention de contester et qu'elle n'abordait pas la question de l'obligation que le cotitulaire du compte pouvait avoir d'agir seulement après avoir dénoncé la convention de compte joint, M. P... U... l'a invitée, pour le cas où elle estimerait, sans autre consultation, qu'un moyen en ce sens était recevable et solide, à accepter de confirmer le pourvoi en se fondant uniquement sur celui-ci ; que, par lettre du 28 octobre 2014, il lui a demandé si elle comptait soulever le moyen tiré de l'absence de réponse par la cour d'appel à ses conclusions faisant valoir que le cotitulaire du compte n'avait pas dénoncé la convention de compte et que, par suite, son assignation en remboursement était prématurée ; que, par lettre du même jour, la SCP l'a avisé qu'elle formulerait, dans le mémoire ampliatif, un moyen pris d'un défaut de réponse à conclusions et lui a demandé de lui adresser la somme de 2 500 euros à titre d'honoraires ; que, faisant valoir, dans divers courriers, que la somme de 2 800 euros TTC initialement payée avait été présentée comme couvrant les frais et honoraires jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation, M. P... U... n'a pas acquitté le montant des honoraires complémentaires réclamés par la SCP ; que, par lettre du 1er décembre 2014, celle-ci a précisé que ses honoraires initiaux couvraient le montant de son honoraire de consultation et de frais d'introduction du pourvoi conservatoire et que les honoraires complémentaires seraient dus dans l'hypothèse où, en dépit de sa consultation négative du 10 octobre 2014, il souhaitait poursuivre la procédure ; que la SCP a ajouté qu'en cas de refus de M. P... U... de payer cette somme, elle n'instruirait pas le pourvoi et l'invitait, soit à se désister, soit à s'adresser à un autre avocat aux Conseils ; que, par ordonnance du 19 février 2015, le délégué du premier président de la Cour de cassation a constaté la déchéance du pourvoi ;
Attendu que, reprochant à la SCP d'avoir commis une faute en s'abstenant de déposer un mémoire en demande avant l'expiration du délai imparti et soutenant que cette faute lui avait fait perdre une chance d'obtenir la cassation de l'arrêt du 19 juin 2014, en ne lui permettant pas de faire grief à la cour d'appel d'avoir omis de répondre au moyen tiré de ce que l'assignation délivrée à la requête de M. R... U... était prématurée et en ne recherchant pas si l'absence de convention écrite prévoyant un retour de service de la part de son frère s'expliquait par l'impossibilité morale d'établir un tel acte, M. P... U... demande que la SCP soit condamnée à l'indemniser à concurrence des sommes de 38 032,91 euros au titre de la perte de chance d'obtenir gain de cause, de 2 800 euros au titre de la restitution des honoraires indûment versés, dès lors qu'ils devaient couvrir les frais et honoraires de procédure devant la Cour de cassation et non des frais et honoraires de consultation, et de 10 000 euros au titre de son préjudice moral ; que la SCP conclut au rejet de la requête ;
Attendu que, si l'avocat aux Conseils peut subordonner la poursuite de sa mission au règlement préalable de ses frais et honoraires par son client, c'est à la condition de l'avoir, au préalable, clairement informé des conditions de son intervention ;
Attendu que la SCP a demandé à M. P... U... d'acquitter la somme de 2 800 euros TTC à titre de frais et honoraires jusqu'au prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation, lesquels ont été payés par M. P... U..., avant l'introduction du pourvoi conservatoire ; que la SCP lui a indiqué que si, malgré les conclusions de la consultation négative qu'elle avait établie, il entendait poursuivre la procédure, elle fixerait le solde de ses frais et honoraires à la somme de 2 500 euros TTC, au paiement de laquelle elle subordonnait le dépôt du mémoire ampliatif ;
Attendu qu'en exigeant ainsi le paiement d'honoraires s'ajoutant à ceux qui, préalablement versés par M. P... U..., avaient été décrits comme constituant la contrepartie de l'instruction du pourvoi jusqu'au terme de la procédure devant la Cour de cassation, et en s'abstenant de déposer un mémoire en demande dans le délai légal, faute d'avoir perçu le complément d'honoraires, la SCP a commis une faute de nature à engager sa responsabilité professionnelle ;
Attendu que, selon la requête, deux moyens auraient pu être soutenus à l'appui du pourvoi ;
Attendu que le premier moyen aurait reproché à l'arrêt de ne pas avoir répondu aux conclusions de M. P... U... tendant à voir déclarer prématurée l'action de M. R... U... et d'avoir, ainsi, violé l'article 455 du code de procédure civile ; que, cependant, dans ses conclusions d'appel, M. P... U... s'était borné à soutenir qu'"il n'est pas sans intérêt par ailleurs de constater qu'en définitive le compte dont s'agit n'a jamais été clôturé, puisqu'aucune correspondance recommandée AR n'a été adressée à l'établissement financier mettant fin à ce compte contrairement aux affirmations de M. R... U..." et "que dès lors, l'action de [celui-ci] pourrait apparaître des plus prématurées dans tous les cas de figure", et invitait la cour d'appel à "constater que [cette] action [...] pourrait être considérée comme totalement prématurée dans la mesure où aucune dénonciation du compte joint n'a eu lieu et qu'il n'est pas clôturé" ; que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à une simple allégation formulée de façon hypothétique, de sorte que le moyen n'aurait pu être accueilli ;
Attendu que le second moyen aurait reproché à l'arrêt de ne pas avoir recherché si, dès lors que les parties avaient été placées dans l'impossibilité morale de se procurer un écrit, la créance invoquée ne résultait pas des pièces produites par M. P... U... et, notamment, des propres affirmations de M. R... U..., privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1300, nouveau, du code civil ; qu'ayant néanmoins soutenu, dans ses conclusions d'appel, que les engagements qui naissent d'un fait personnel à celui qui se trouve obligé peuvent résulter, comme en l'espèce, d'un quasi-contrat, d'où il résultait une obligation tacite, et qu'en matière de gestion d'affaires, l'acte de gestion ne doit être justifié par aucun titre, M. P... U... n'était pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à ses propres écritures, de sorte que le moyen aurait été irrecevable ;
Attendu qu'il s'ensuit qu'aucun des moyens que M. P... U... soutient avoir été empêché de soumettre à la Cour de cassation, par la faute de la SCP, n'aurait permis d'accueillir le pourvoi ;
Attendu, enfin, que l'existence d'un préjudice moral qu'aurait subi M. P... U... au motif qu'il a, par de nombreuses correspondances, manifesté son intention de poursuivre la procédure, ne peut être retenue, en l'absence de chance de succès du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE la requête ;
Condamne M. P... U... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille dix-neuf.