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15/05/2019 | FRANCE | N°17-17684

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 15 mai 2019, 17-17684


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mars 2017), que M. A... a été engagé par la caisse régionale du Crédit agricole de Champagne Bourgogne (la société) le 16 mars 1992 en qualité de rédacteur de contentieux ; qu'il a été déclaré inapte temporaire par le médecin du travail le 12 janvier 2010 et a été arrêté de janvier à juin 2010 ; que le 19 février 2010, il a été placé sous curatelle ; que le 8 octobre 2012, à l'issue d'une seule visite de reprise en application de l'article R. 4624-31du co

de du travail et d'un risque immédiat pour la santé du salarié, le médecin du tr...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mars 2017), que M. A... a été engagé par la caisse régionale du Crédit agricole de Champagne Bourgogne (la société) le 16 mars 1992 en qualité de rédacteur de contentieux ; qu'il a été déclaré inapte temporaire par le médecin du travail le 12 janvier 2010 et a été arrêté de janvier à juin 2010 ; que le 19 février 2010, il a été placé sous curatelle ; que le 8 octobre 2012, à l'issue d'une seule visite de reprise en application de l'article R. 4624-31du code du travail et d'un risque immédiat pour la santé du salarié, le médecin du travail a conclu à l'inaptitude définitive du salarié à son poste ; que par lettre du 19 novembre 2012, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement ; que le 30 avril 2014, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir son employeur condamné pour un harcèlement moral ;

Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :

Attendu que le salarié et son curateur soulèvent l'irrecevabilité du pourvoi en ce qu'il a été formé par la société uniquement contre le salarié ;

Mais attendu que l'irrégularité de fond liée au défaut d'assignation du curateur pour assister le salarié au jour de la déclaration de pourvoi a été couverte, en application de l'article 121 du code de procédure civile, par l'intervention à la procédure de L'Agora Yonne service des tutelles de l'UDAF ;

D'où il suit que le pourvoi est recevable ;

Sur le moyen unique du pourvoi :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen ci-après annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

DÉCLARE le pourvoi recevable ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Champagne Bourgogne aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Champagne Bourgogne à payer à M. A... assisté par son curateur l'UDAF du Bas-Rhin la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Champagne Bourgogne

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a alloué la somme de 100 € à M. A... sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, d'AVOIR déclaré nul le licenciement de M. A..., d'AVOIR condamné la caisse régionale du Crédit agricole de Champagne-Bourgogne à payer à M. A... la somme de 45 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et celle de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, d'AVOIR débouté la caisse régionale du Crédit agricole de Champagne-Bourgogne de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et d'AVOIR condamné la caisse régionale du Crédit agricole de Champagne-Bourgogne aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

AUX MOTIFS QUE « Sur le harcèlement :
Pour infirmation, la CRCA fait essentiellement plaider qu'avant le contentieux initié par M. A..., elle n'avait pas connaissance de la pathologie dont il souffrait, que l'aggravation de son état de santé résulte de l'évolution de cette maladie et non pas d'un prétendu harcèlement, alors qu'elle n'a fait que se conformer à la décision rendue par l'Inspecteur du travail sur le recours qu'elle avait formé contre la décision d'aptitude du médecin du travail, compte tenu des erreurs et du manque de productivité du salarié.
M. A... rétorque qu'il était malade depuis 2008, qu'il donnait entièrement satisfaction tant que nul n'avait connaissance de sa pathologie, qu'il a été confronté à une attitude de son supérieur contraire à la charte de la banque concernant les personnes handicapées, que son employeur n'a pris aucune mesure et que l'attitude de son supérieur à son égard a contribué au développement de sa maladie.
M. A... ajoute qu'une fois licencié son état s'est amélioré et lui a permis de retrouver un emploi de secrétaire dans une association de consommateur et de voir la mesure de protection dont il faisait l'objet, allégée en février 2013.
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En application de l'article L.1152-3 du code du travail, un licenciement intervenu dans ce contexte est nul.
En l'espèce, s'il n'est pas établi que l'employeur avait une connaissance précise de la pathologie de M. A..., il ressort des débats et des pièces produites, en particulier du recours adressé à l'Inspection du travail le 29 avril 2011contre l'avis d'aptitude délivré par le médecin du travail le 21 mars 2011 qu'il ne pouvait ignorer que l'intéressé souffrait d'une pathologie reconnue affection de longue durée à plusieurs reprises à partir de septembre 2008 et qu'il bénéficiait d'une mesure de curatelle renforcée ordonnée par jugement en date du 19 février 2010, en raison de son incapacité à gérer seul sa situation administrative et financière.
Il ressort par ailleurs, des termes de la décision de l'Inspectrice du travail en date du 11 juillet 2011, statuant sur le recours introduit par la CRCA contre l'avis d'aptitude du 21 mars 2011, que:
- M. A... n'était pas médicalement inapte à son poste d'analyste constituant un élément stabilisateur de son état de santé, mais que son handicap amoindrissait la qualité de son travail, le marginalisait au sein de son collectif de travail et fragilisait ses relations avec ses collègues et ses clients et qu'il était donc préconisé de procéder au reclassement de l'intéressé sur un poste constitutif de tâches aux exigences réduites en termes de qualité et de conséquences mineures en cas d'erreur,
- les mesures d'aménagement du poste depuis la reprise en mi-temps thérapeutique le 20 avril 2010, à savoir le compte rendu et contrôle quotidien des tâches et le courrier soumis à la signature du responsable de pôle, ont eu pour objet de limiter le préjudice dont pourrait souffrir tant l'entreprise que ses clients,
- M. A... était déclaré apte sous réserve du maintien de ces aménagements de poste et de la mise en oeuvre des actions visant au maintien dans l'emploi, dans des conditions favorables à son état de santé.
En outre du bilan d'évaluation des compétences et de la performance au titre de l'exercice 2010-2011 établi le 7 mars 2011 à la demande du salarié et auquel la décision précitée fait expressément référence, établi après une longue absence, met essentiellement en exergue l'absence du salarié et la reprise en mi-temps thérapeutique, l'absence de quantité et de qualité de travail ainsi que de progrès et une perte de confiance liée à l'insuffisance du salarié, soulignant notamment l'inégalité du travail, la perturbation du service par son comportement non maîtrisé, l'incapacité de l'intéressé à gérer seul son portefeuille et l'absence d'autonomie, imposant l'obligation de tout vérifier.
Il est également établi qu'en dépit de l'observation du salarié sur l'absence de prise en compte de ses problèmes de santé au cours du dernier semestre 2009 et du premier semestre 2010, l'appréciation portée par M. T... son supérieur direct, a été validée par le N+2 du salarié, alors qu'elle comportait de manière péjorative des appréciations sur le comportement du salarié non dénué de lien avec son affection neurologique et des références à son absence pour maladie et sa reprise en mi-temps thérapeutique.
Il ressort également des éléments produits que moins de dix huit mois après avoir fait l'objet de l'avis d'aptitude confirmé par l'Inspection du travail dans les conditions précitées, l'état de santé de M. A... s'est dégradé au point d'amener le médecin du travail à conclure le 08 octobre 2012 à l'inaptitude définitive de M. A... à son poste, à l'issue d'une seule visite de reprise en application de l'article R. 4624-31 du code du travail en raison d'un risque immédiat pour la santé du salarié, qu'en réalité l'employeur a essentiellement maintenu le système de contrôle à l'égard de M. A... dans des conditions exemptes de compassion et d'aménité, sans pour autant avoir mis en oeuvre des actions visant au maintien dans l'emploi de M. A..., dans des conditions favorables à son état de santé, dont l'amélioration n'est intervenue qu'en dehors de ce cadre professionnel.
Pris dans leur ensemble, ces éléments laissent supposer l'existence à son égard d'un harcèlement moral ayant eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et de contribuer à la dégradation de son état de santé.
L'employeur qui se borne à soutenir que l'aggravation de l'état de santé de M. A... ne procède que de l'évolution de la maladie psychique dont il est atteint, ne démontre pas que son abstention à mettre en oeuvre d'autre mesure d'accompagnement qu'un contrôle quotidien de son travail, facteur de stress pour le salarié, était fondé sur des raisons objectives étrangères à tout harcèlement, que ne saurait constituer l'absence de l'intéressé à un bilan de compétences et ce, indépendamment de toute référence à la charte sur le harcèlement moral.
Il est patent dans ces conditions que l'inaptitude définitive de M. A... à son poste de travail à l'origine de son licenciement, est liée à la dégradation de son état de santé, laquelle résulte de la dégradation de ses conditions de travail à raison du harcèlement dont il a été l'objet, il y a donc lieu de déclarer son licenciement nul en application des dispositions de l'article L 1152-3 du code du travail.
Compte tenu de l'effectif du personnel de l'entreprise, de la perte d'une ancienneté de 20 ans et six mois pour un salarié âgé de plus de cinquante ans ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, tant à raison du harcèlement subi que de la perte d'une situation professionnelle stable et en principe sécurisante, en situation de handicap pour un salarié qui n'a pu retrouver un emploi moins bien rémunéré qu'en 2014 ainsi que cela résulte des pièces produites et des débats, il lui sera alloué, en application de l'article L 1235-3 du code du travail une somme de 45 000 € à titre de dommages-intérêts ;
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Sur l'article 700 du code de procédure civile
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif ;
la CRCA de Champagne Bourgogne qui succombe en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser le salarié des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer pour assurer sa défense en cause d'appel » ;

1°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les écritures des parties reprises oralement à l'audience; qu'en l'espèce, si dans ses conclusions d'appel (p. 11) oralement soutenues (arrêt p. 3, §1 à 3), le salarié concluait à la nullité de son licenciement pour inaptitude, il sollicitait, à titre de dommages et intérêts, la seule indemnisation du préjudice résultant du harcèlement moral dont il se prétendait l'objet ; qu'en condamnant la CRCA à payer au salarié la somme de « 45 000€ à titre de dommage et intérêts pour licenciement nul », préjudice distinct de celui invoqué par l'intéressé, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE l'existence d'un harcèlement moral suppose que soient caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en l'espèce pour retenir l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel s'est bornée à retenir que l'employeur qui n'avait pas une connaissance précise des troubles psychiques du salarié amoindrissant la qualité de son travail et justifiant de lui confier un poste constitutif de tâches aux exigences réduites en termes de qualité et de conséquences mineures en cas d'erreur, avait seulement mis en oeuvre, à compter de la reprise du salarié en mi-temps thérapeutique, le 20 avril 2010, des mesure d'aménagement de poste destinées à limiter le préjudice dont pourrait souffrir, en cas d'erreur, tant l'entreprise que ses clients, à savoir les compte rendu et contrôle quotidiens de ses tâches et le courrier soumis à la signature du responsable de pôle, et ce dans conditions exemptes de compassion et d'aménité, le bilan d'évaluation des compétences et de la performance au titre de l'exercice 2010-2011 comportant de manière péjorative des appréciations sur le comportement professionnel du salarié non dénuées de lien avec son affection neurologique et des références à son absence pour maladie et sa reprise en mi-temps thérapeutique ; qu'en statuant ainsi, sans constater d'autres agissements de l'employeur que la seule mise en oeuvre peu amène d'un contrôle quotidien du travail du salarié non assortie d'autres actions visant au maintien de celui-ci dans son emploi, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'existence d'agissements répétés constitutifs de harcèlement moral, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1152-2 du code du travail ;

3°) ALORS subsidiairement que l'annulation d'un licenciement en raison du harcèlement moral dont un salarié a fait l'objet ne peut être prononcée que s'il est établi que le salarié a été licencié pour avoir subi ou refusé de subir de tels agissements ; qu'en l'espèce, la CRCA faisait valoir que l'inaptitude du salarié à l'issue de la visite de reprise du 08 octobre 2012 trouvait sa source dans la maladie non professionnelle déclarée par l'intéressé en 1988, soit bien antérieurement à son embauche, celle-ci s'étant aggravée au point de justifier le placement de l'intéressé en curatelle renforcée, le 19 février 2010, et la reconnaissance de son statut de travailleur handicapé, par décision de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du 24 février 2012 (cf. les conclusions d'appel de l'exposante p. 12) ; qu'en se bornant à retenir qu'il était « patent » que l'inaptitude définitive du salarié à son poste de travail était liée à la dégradation de son état de santé résultant de la dégradation de ses conditions de travail à raison du harcèlement dont il avait été objet, sans s'expliquer sur l'aggravation concomitante des troubles médicaux extraprofessionnels du salarié laquelle était de nature à exclure tout lien entre l'inaptitude du salarié et le harcèlement moral prétendument subi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17-17684
Date de la décision : 15/05/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 02 mars 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 15 mai. 2019, pourvoi n°17-17684


Composition du Tribunal
Président : M. Rinuy (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Lyon-Caen et Thiriez

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:17.17684
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