LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. E... B...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAU, chambre correctionnelle, en date du 5 avril 2018, qui l'a condamné pour utilisation et détention non autorisées d'espèce protégée à 1 000 euros d'amende dont 750 euros avec sursis, a ordonné une mesure de confiscation, et pour chasse à l'aide d'un moyen prohibé à 150 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 19 mars 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Lavielle, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller LAVIELLE, les observations de la société civile professionnelle DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER, de la société civile professionnelle GARREAU,BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;
Vu les mémoires en demande, en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 122-3 et 122-4 du code pénal, L. 411-1, L. 411-2, L. 415-3 et R. 411-1 du code de l'environnement, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la condamnation de M. E... B... pour utilisation et détention d'espèces animales protégées et chasse à l'aide d'un engin ou d'un instrument prohibé ;
"aux motifs que les actes matériels accomplis par le prévenu et reprochés à celui-ci sont bien de nature à tomber sous le coup des incriminations énoncées dans la procédure et constituent bien les agissements prohibés tels que visés par les dispositions ci-dessus énoncées dès lors qu'il n'a été justifié d'aucune dérogation qui aurait été accordée au prévenu dans les termes fixés par l'article R. 411-6 du code de l'environnement ; que la tolérance administrative invoquée par M. B... ne peut manifestement être retenue comme susceptible de priver sa démarche de l'élément intentionnel requis pour caractériser le délit qui lui est reproché ; qu'en effet, celui-ci ne saurait valablement se prévaloir des termes de l'article 122-4 du code pénal dès lors qu'elle ne disposait d'aucune autorisation de procéder aux actes litigieux puisqu'aucune dérogation aux interdictions édictées par le code de l'environnement pour assurer la protection des oiseaux de l'espèce bruant ortolan dans le cadre de leur migration les amenant à traverser le Sud-Ouest de la France et le département des Landes n'a été accordée ; que s'il a pu être affirmé, au cours des débats, que de semblables dérogations avaient été sollicitées, ce dont il n'est au demeurant aucunement justifié de manière certaine, ni qu'elles aient été présentées dans les formes requises, il est constant qu'aucune réponse favorable n'a, en tout état de cause, été apportée par l'administration compétente, ce qui est bien de nature à en exclure l'existence sachant qu'en la matière, le silence observé par l'administration ne vaut pas acceptation ; qu'en outre les déclarations faites au cours de la procédure par M. L..., ancien président de la Fédération de Chasse des Landes, témoin cité par M. G... V..., prévenu des mêmes infractions que M. B..., viennent indiscutablement confirmer l'absence d'obtention d'une dérogation et ce malgré les nombreuses demandes que la Fédération de chasse s'était employée à présenter ; que par ailleurs, outre le fait que la tolérance n'est pas constitutive de droits, celle-ci ne peut être valablement opposée à une poursuite devant une juridiction correctionnelle que si elle résulte d'une disposition expresse de la loi, la tolérance de l'autorité administrative, évoquée par l'avocat du prévenu, ne pouvant constituer un droit ni servir d'excuse à une infraction pénale ; que l'attitude adoptée par les autorités administratives et même judiciaires qui est avancée par le prévenu, consistant pour celles-ci à tolérer la chasse d'oiseaux appartenant à une espèce protégée, pendant plusieurs années sans qu'aucune poursuite pénale ne soit entreprise à l'encontre des chasseurs de l'espèce, comme, de la même façon, les assurances qui ont pu être données notamment par des responsables politiques ou associatifs venant cautionner cette forme de tolérance à l'égard d'une pratique locale traditionnelle, ne peuvent être de nature à balayer et mettre à néant une interdiction édictée par la loi ; que soutenir le contraire reviendrait à bouleverser l'ordre juridique issu de la loi, tout autant qu'à porter manifestement atteinte au principe de sécurité juridique ; que la circonstance tirée de ce que des faits de même nature, de par le passé, alors qu'ils étaient connus et révélés, aient pu ne pas faire l'objet, en opportunité, de verbalisation ou de poursuites judiciaires, n'empêchait pas, en effet et pour autant, que ceux-ci demeuraient interdits et se trouvaient donc susceptibles de tomber sous le coup de la loi pénale ; que de la même façon, c'est de manière tout aussi inopérante que le prévenu évoque, dans ses écritures ainsi qu'oralement, l'indulgence administrative ; qu'en effet, si l'indulgence peut conduire à punir avec moins de sévérité, ses effets sont donc nécessairement cantonnés à la peine et aucunement à la culpabilité qui, elle, demeure acquise, dès lors qu'il y a transgression d'une règle pénale impérative ; qu'en outre, et à la différence de ce qui est soutenu en défense comme une possibilité pour les autorités administratives de faire oeuvre d'indulgence, vouloir obtenir d'une juridiction de l'ordre judiciaire, qui plus est statuant en matière correctionnelle qu'elle écarte une incrimination en invoquant une indulgence des représentants de l'État aboutirait à un détournement de son rôle social qui consiste à faire respecter la loi et à sanctionner les agissements qui lui sont contraires ; que si les pièces produites en cause d'appel par le prévenu peuvent, effectivement, être considérées comme de nature à établir la réalité d'un consensus, tel qu'allégué en matière de chasse à l'ortolan à la matole dans des limites avancées par le prévenu de trente matoles, cinq bruants ortolans appelants, avec une prise annuelle maximale de vingt oiseaux entre le 15 août et le 20 septembre, qui était connu et validé par les autorités judiciaires, administratives, politiques et relayée par la fédération de chasse des Landes cet élément est toutefois aussi insuffisant qu'inefficace pour permettre au prévenu d'échapper à sa responsabilité pénale au vu tant de la connaissance certaine qu'il avait du caractère totalement obsolète et caduc d'un tel consensus à la période des infractions relevées contre lui que de la pleine conscience qui était alors la sienne de pratiquer une chasse formellement interdite ; qu'il convient de constater qu'il ne peut être tenu compte, parmi les pièces communiquées, de la lettre en date du 12 août 2005 émanant de la préfecture des Landes, adressée au président de la Fédération départementale des chasseurs des Landes ; que ce document se révèle, en effet, sans aucun intérêt dans le présent débat puisqu'à aucun moment il ne vise une quelconque tolérance ou encore une garantie d'absence de poursuites s'agissant de la chasse de l'ortolan ou du pinson à la matole mais ne fait uniquement état, de manière explicite, que de la capture de l'alouette des champs selon ce même procédé, laquelle n'est aucunement assimilable à une opération de chasse tombant sous le coup de la même interdiction ; que néanmoins parmi les documents communiqués la cour ne peut que constater qu'au moins un d'entre eux permet d'affirmer qu'effectivement, pendant toute une période postérieure aux arrêtés de 1999 et de 2009, qui ont classé le bruant ortolan parmi les espèces protégées et aux textes législatifs et réglementaires postérieurs prohibant sa chasse, celle-ci a néanmoins été maintenue dans le département des Landes en étant contenue dans un cadre consensuel, défini et arrêté par les autorités considérées, et ce en dépit des règles légales strictes prohibant cette pratique ; qu'en effet, cette situation résulte indiscutablement du compte-rendu de la réunion du 9 juin 2006, établi par la Fédération Départementale des Chasseurs des Landes, à laquelle participait M. W..., vice-procureur de Dax, M. I... chef de la garderie des Landes ainsi que plusieurs représentants de la Fédération des chasseurs, qui précise notamment : « Tolérance ortolan : M. I... débute la réunion en expliquant le cadre des tolérances ortolans et pinsons en cours dans le département. Il explique que ce cadre permet de se rapprocher autant que faire se peut des conditions exigées par l'Union Européenne par l'intermédiaire de la Directive « Oiseaux 79/409 » notamment en ce qui concerne les modes de chasses et les prélèvements en petite quantité. Le quota de vingt ortolans par installation permet de répondre à cette exigence. En ce qui concerne le prélèvement pinsons, aucun quota n‘est stipulé dans la tolérance puisque les prélèvements aussi importants soient-ils dans le département correspondent systématiquement à la petite quantité exigée par la Directive, vu les effectifs européens estimés à 250 millions de couples reproducteurs (...) » ; qu'en revanche et contrairement à ce que soutient le prévenu, il est également démontré que ce consensus mis en place par les autorités intervenantes, n'avait assurément plus cours, de façon certaine, à partir de l'année 2013 ainsi qu'il en résulte non seulement de certaines des pièces produites par l'avocat de M. B..., mais encore des témoignages faits pendant les débats tant par M. L..., ancien président de la Fédération des Chasses des Landes que par M. Q... J..., sénateur honoraire des Landes, témoins appelés par M. G... V..., prévenu de faits similaires et comparant à la même audience ; qu'en effet il y a lieu de constater que :
- parmi les documents produits en défense, l'article de presse du journal Sud-Ouest, dans sa parution du 22 avril 2013, rapporte notamment qu'au cours de l'assemblée générale, à laquelle assistaient environ 800 chasseurs des Landes :
* il a été souligné que la ministre de l'écologie du moment, Mme F... M..., avait fait savoir fin mars qu'elle ne souhaitait pas demander de dérogation à l'Europe pour la chasse à l'ortolan,
* M. N... J..., alors président de la Fédération, a pu déclarer « Un Etat membre de l'union peut autoriser ses chasseurs à chasser des espèces protégées et que pour lui, l'interdiction ne se justifie pas 30 000 ortolans sont capturés annuellement dans les Landes, c'est 0,17% de la population de cet oiseau (
).
- M. L..., témoin de M. V..., prévenu, a, après avoir longuement évoqué le consensus qui avait existé dans le département des Landes pour la chasse de l'ortolan et du pinson et exposé qu'il regrettait que les services de l'État n'aient pas indiqué de manière claire la fin de la tolérance, a, aussi, sans aucune ambiguïté, également déclaré qu'à compter de 2013 les chasseurs étaient avertis, par la fédération, qu'en poursuivant cette chasse ils s'exposaient à des poursuites judiciaires du fait de l'interdiction de cette chasse et de l'absence d'obtention d'une dérogation malgré les différentes demandes qui avaient été faites,
- M. J..., sénateur honoraire des Landes, également cité comme témoin par M. V..., a, tout en soulignant que les recherches menées depuis vingt ans ne mettaient pas en relief un déclin de la population d'ortolans justifiant que sa chasse soit interdite, que l'ensemble des pouvoirs publics en ce compris les autorités judiciaires connaissaient la tolérance dont cette chasse faisait l'objet, néanmoins reconnu que les chasseurs avaient, évidemment été avisés de l'existence du risque de poursuites pénales qui pesait sur eux dès lors que cette chasse était interdite ; qu'ainsi, au vu de ces éléments, sachant que les poursuites entreprises à l'encontre du prévenu visent des faits commis le 1er septembre 2015 M. B... ne peut sérieusement s'abriter, pour éluder sa responsabilité pénale, derrière le maintien et la persistance d'un consensus ou d'une quelconque tolérance à l'égard de la chasse pratiquée qu'elle savait, au contraire, et au moins depuis 2013, être totalement interdite ; que d'ailleurs et enfin il convient de souligner que le prévenu, qui n'a pas contesté reconnaître l'interdiction qui frappait la chasse à laquelle il se livrait, affirme encore, dans les écritures prises en son nom et soutenues oralement à l'occasion des débats, que « cette tolérance était connue de tous », et ce faisant, admet nécessairement que l'interdiction était également et connue a fortiori de tous et donc de lui-même ; qu'enfin il doit être rappelé, s'agissant de l'infraction poursuivie relative à la chasse à l'aide d'un engin ou d'un instrument prohibé, en l'espèce au moyen de matoles, qu'il s'agit de faits contraventionnels qui résultent de leur constatation matérielle sans que l'exception tirée de la bonne foi du prévenu ne puisse être alléguée ni servir d'excuse ; qu'en conséquence et au vu de l'ensemble de ces éléments, aucune contestation ne peut valablement venir remettre en cause l'élément intentionnel qui l'animait ; que le jugement déféré sera donc confirmé sur la culpabilité ;
"1°) alors que la tolérance constatée par la cour de l'administration et des autorités politiques et « même judiciaires » à l'égard de la chasse d'oiseaux appartenant à une espèce protégée, tolérance qui n'était admise comme constaté également par la cour que dans des conditions restrictives rigoureusement définies (très courte période de chasse, nombre de filets utilisés, nombre d'appelants, quotas de capture) était de nature à écarter la culpabilité du prévenu ; qu'en jugeant, par principe, que « la tolérance
ne peut être valablement opposée à une poursuite devant une juridiction correctionnelle que si elle résulte d'une disposition expresse de la loi », la cour a violé les textes susvisés ;
"2°) alors que la cour d'appel relève la réalité d'un consensus « connu et validé par les autorités judiciaires, administratives, politiques », de la chasse de l'ortolan à la matole, dans les limites de « trente matoles, cinq bruants ortolans appelants, avec une prise annuelle maximale de vingt oiseaux entre le 15 août et le 20 septembre » ; qu'en retenant néanmoins la culpabilité du prévenu au motif inopérant que ce consensus n'avait plus cours depuis 2013 ce qui ne signifiait nullement que la tolérance et la pratique dûment encadrées, comme l'a constaté la cour d'appel, auraient disparu depuis 2013, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations violant ainsi les textes susvisés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. E... B... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir sur la commune de Saint Geours d'Auribat, le 1er octobre 2015 , détenu et utilisé comme appelants, cinq bruants-ortolans, oiseaux appartenant à une espèce protégée, et le même jour, chassé à l'aide d'un engin ou instrument prohibé, en l'espèce, vingt-cinq matoles ; que les juges du premier degré l'ont déclaré coupable ; que le procureur de la République, le prévenu et la Ligue de protection des oiseaux (L.P.O), partie civile, ont relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour confirmer le jugement et déclarer le prévenu coupable, l'arrêt après avoir rappelé que le bruant-ortolan est une espèce protégée sur le territoire national dont les dispositions du code de l'environnement confirment l'interdiction de capture, de destruction ou d'enlèvement dans le milieu naturel, relève que les constatations effectuées par les agents verbalisateurs établissent de manière non contestable la matérialité des actes constitutifs des infractions ; que le prévenu ne saurait valablement se prévaloir des termes de l'article 122-4 du code pénal, dès lors qu'il ne disposait d'aucune autorisation de procéder aux actes litigieux ; que les juges ajoutent que si M. B... s'est référé à une tolérance dont le but était de permettre le maintien d'une tradition locale, cette tolérance administrative invoquée ne peut manifestement être retenue comme susceptible de priver sa démarche de l'élément intentionnel requis pour caractériser le délit qui lui est reproché; que les juges en concluent que la tolérance n'est pas constitutive de droits, et ne peut être valablement opposée à une poursuite devant une juridiction correctionnelle que si elle résulte d'une disposition expresse de la loi, la tolérance de l'autorité administrative ne pouvant constituer un droit ni servir d'excuse à une infraction pénale ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'une tolérance des autorités administratives, contraire à des textes en vigueur instituant des infractions à la police de la chasse, ne saurait faire disparaître ces dernières, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 500 euros la somme que M. B... devra payer à la Ligue pour la protection des oiseaux en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze mai deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.