LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. R... P...,
- Mme I... H...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BASSE-TERRE, chambre correctionnelle, en date du 16 janvier 2018, qui, dans la procédure suivie contre eux du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 mars 2019 où étaient présents : M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Ricard, Bonnal, Maziau, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de Lamarzelle, M. Violeau, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Cordier ;
Greffier de chambre : Mme Darcheux ;
Sur le rapport de Mme le conseiller MÉNOTTI, les observations de Me HAAS et de la société civile professionnelle RICHARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général Cordier ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. F... C... a fait citer devant le tribunal correctionnel M. P... et Mme H..., du chef de diffamation publique envers un particulier au visa des articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, pour avoir diffusé, en le joignant au quotidien France-Antilles, un publi-reportage du 15 novembre 2016 de la chambre de commerce et d'industrie des îles de Guadeloupe (CCI-IG) comportant un article annoncé en page de garde comme étant "La part de vérité de Mme I... H...", paru en page 3 et mis en cause en raison du passage incriminé suivant : "Pour la première fois, la présidence du port échappe à un socio-professionnel au profit d'un élu politique. J'ai entendu, par la suite des "mauvaises langues" dire qu'en compensation, l'agence de voyages de M. C... a bénéficié d'une très grande partie des voyages de la région Guadeloupe. Lors du renouvellement à la présidence portuaire, en mars dernier, M. C... premier vice-président de l'institution consulaire, me fait savoir qu'il est de nouveau candidat à la présidence du port. Dans le même temps, M. Philippe G..., également vice-président, m'informe qu'il souhaite lui aussi être candidat. Je décide donc de la tenue d'un bureau pour trancher entre ces deux candidatures. Dès le début de la réunion, M. C... annonce qu'il n'est finalement pas candidat. Dès lors, le bureau de la CCI-IG n'a plus qu'à entériner la candidature de M. G.... De nouveau, j'ai entendu par la suite les "mauvaises langues" dire que M. C..., détenteur via son agence de voyage de tout le marché des billets du port, faisait mieux de rester à son poste de vice-président, plutôt que de se rendre plus visible au poste présidentiel. Quand on sait que le grand port maritime de Guadeloupe est un établissement public appartenant à l'Etat ..." ; que les juges du premier degré ont déclaré la citation irrecevable ; que M. C... a relevé appel de cette décision ;
En cet état ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par la société civile professionnelle Yves Richard pour Mme H..., pris de la violation des articles 48, 6°, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme H... coupable de diffamation envers un particulier et, en répression, l'a condamnée, in solidum avec M. P..., à payer à M. C... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs que le tribunal ayant déclaré la citation irrecevable, la partie civile, qui avait cité directement les prévenus devant le tribunal correctionnel, est légitime à obtenir de la cour d'appel, du fait de son acte d'appel, une décision statuant tant sur l'action publique que sur l'action civile ; que s'agissant du fait que le texte incriminé viserait non M. C..., mais son agence, il ressort sans ambiguïté du texte que, si l'agence de voyages de M. C... est évoquée, M. C... est lui aussi tout aussi bien visé par les écrits, de sorte qu'il justifie d'un intérêt à agir dans le cas d'espèce ; que s'agissant de la recevabilité de la citation à l'égard de Mme H..., il résulte de même de l'examen du publi-reportage que celui-ci contient une série d'articles écrits sous la plume de Mme H..., se référant au titre général "Stop aux calomnies et diffamations contre la CCI-IG et sa présidente", et que Mme H... apparaît bien en qualité d'auteur des textes incriminés ; que la citation sera par conséquent déclarée recevable à l'égard de Mme H... ; [. . .] que pour constituer une diffamation, l'écrit incriminé doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à pouvoir être sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire; qu'en l'espèce, l'écrit du publi-reportage met en cause M. C... pour avoir, dans le cadre d'opérations électorales, renoncé à se porter candidat et, par cette abstention, avoir aidé à placer le vice-président du conseil régional de Guadeloupe, M. Q..., à la tête du port maritime de Guadeloupe en échange de marchés publics tronqués, à savoir les voyages des personnels de la région Guadeloupe au profit de son agence de voyages ; que les prévenus n'ont pas offert de faire valoir leur bonne foi dans la rédaction de l'écrit incriminé ; qu'il y a par conséquent lieu de dire que cet écrit est diffamatoire au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 et de condamner in solidum M. P... et Mme H... à verser à M. C... la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts et la somme de 5 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
"1°) alors que, dans le cas de diffamation envers les particuliers, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que la plainte formée par M. C... du chef de diffamation était recevable, à affirmer qu'il résultait sans ambiguïté du texte litigieux que si l'agence de voyages de M. C... était évoquée, celui-ci était « lui aussi tout aussi bien visé par les écrits », sans procéder à aucune analyse du texte en cause, ni indiquer en quoi M. C... aurait été visé par les propos présentés comme état diffamatoires, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;
"2°) alors que dans le cas de diffamation envers les particuliers, la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la personne diffamée ; que le texte litigieux se bornait à indiquer que, selon certaines « mauvaises langues », «l 'agence de voyages de M. C... a bénéficié d'une très grande partie des voyages de la région Guadeloupe », sans aucunement prétendre que M. C... en aurait été personnellement bénéficiaire ; qu'en affirmant néanmoins que « M. C... est lui aussi tout aussi bien visé par les écrits, de sorte qu il a justifié d'un intérêt à agir dans le cas d'espèce », la cour d'appel a exposé sa décision à la cassation" ;
Attendu que, pour estimer constitués les faits de diffamation envers un particulier à l'égard de M. C..., l'arrêt énonce qu'il ressort sans ambiguïté du texte que, si l'agence de voyage de M. C... est évoquée, celui-ci est tout aussi bien visé par les écrits ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi et dès lors que le sujet de l'article portait sur la renonciation de M. C... à se porter candidat à la présidence du port, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation proposé par Me Thomas Haas pour M. P..., pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 et 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. P... coupable des faits de diffamation qui lui étaient reprochés et l'a condamné à verser à M. C... les sommes de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et de 5 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
"aux motifs que pour constituer une diffamation, l'écrit doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à pouvoir être sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; qu'en l'espèce, l'écrit du publi-reportage met en cause M. C... pour avoir, dans le cadre d'opérations électorales, renoncé à se porter candidat et, par cette abstention, avoir aidé à placer le vice-président du conseil régional de Guadeloupe M. Q..., à la tête du port maritime de Guadeloupe en échange de marchés publics tronqués, à savoir les voyages des personnels de la région Guadeloupe au profit de son agence de voyages ; que les prévenus n'ont pas offert de faire valoir leur bonne foi dans la rédaction de l'écrit incriminé ; qu'il y a par conséquent lieu de dire que cet écrit est diffamatoire au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
"1°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'en déduisant le caractère diffamatoire de l'écrit incriminé de la circonstance selon laquelle les prévenus n'ont pas offert de faire valoir leur bonne foi dans la rédaction de cet écrit, sans préciser en quoi ledit écrit était de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de M. C..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"2°) alors que les propos incriminés se bornaient à indiquer « pour la première fois, la présidence du port échappe à un socio-professionnel au profit d'un élu politique. J'ai entendu dire par la suite des mauvaises langues qu'en compensation l'agence de voyages de M. C... a bénéficié d'une très grande partie des voyages de la Région Guadeloupe » ; qu'en retenant que l'écrit du publi-reportage mettait en cause M. C... pour avoir renoncé à se porter candidat « en échange de marchés publics tronqués », la cour d'appel, qui a dénaturé les propos incriminés, n'a pas légalement justifié sa décision ;
"3°) alors que l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération doit, pour constituer une diffamation, se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire ; qu'en décidant que l'écrit selon lequel « pour la première fois, la présidence du port échappe à un socio-professionnel au profit d'un élu politique. J'ai entendu dire par la suite des mauvaises langues qu'en compensation l'agence de voyages de M. C... a bénéficié d'une très grande partie des voyages de la Région Guadeloupe » était diffamatoire, cependant qu'il ne comportait l'énonciation d'aucun fait précis de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que, pour estimer que les propos incriminés caractérisent des faits de diffamation à l'égard de M. C..., l'arrêt retient que celui-ci est mis en cause pour avoir, dans le cadre d'opérations électorales, renoncé à se porter candidat en échange de marchés publics tronqués, à savoir les voyages des personnels de la Région Guadeloupe ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations et dès lors que cette interprétation ne constitue pas une dénaturation des propos, lesquels imputent à M. C... l'emploi de manoeuvres tendant à éluder les règles d'attribution des marchés publics, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Mais sur le premier moyen de cassation proposé par Me Thomas Haas pour M. P..., pris de la violation des articles 6, 29, 42 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 121-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par M. P... à l'égard de la citation délivrée à son encontre, l'a déclaré coupable des faits de diffamation qui lui étaient reprochés et l'a condamné à verser à M. C... les sommes de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et de 5 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
"aux motifs qu'il résulte de l'examen du publi-reportage publié le 15 novembre 2016 dans le journal France Antilles que celui-ci ne remplit pas les conditions de forme et de fond exigées d'un supplément au sens de l'article D. 27 du code des postes et des communications dès lors qu'il ne porte aucune mention permettant de le rattacher au journal lui-même et qu'il est consacré à un seul sujet et non à plusieurs sujets de fond (ainsi il est exclusivement dédié aux réponses apportées aux « diffamations et calomnies contre la CCI-IG et sa présidente ») ; que dès lors, ce document doit être considéré comme un tract et il convient de rechercher qui est l'éditeur responsable de son contenu ; qu'en l'espèce, le publi-reportage se présente expressément comme un « communiqué » de la CCI Iles de Guadeloupe et contient un certain nombre d'articles écrits sous la plume de Mme H..., se référant au titre général « Stop aux calomnies et diffamations contre la CCI-IG et sa présidente » ; qu'il apparaît en outre à la lecture des magazines de la CCI que M. P... est bien le directeur de publication de ces magazines ; que dès lors, M. C... a, avec raison, fait citer M. P..., en sa qualité de directeur de publication devant le tribunal ; que la citation sera par conséquent déclarée recevable à l'égard de M. P... ;
"alors que sont poursuivis comme auteur principal du délit de diffamation le directeur de publication ou l'éditeur de l'écrit incriminé ; que le directeur de publication est le propriétaire, locataire-gérant ou détenteur de la majorité des droits de vote de l'entreprise éditrice ou, dans tous les autres cas, son représentant légal ; qu'en se bornant à relever, pour retenir la responsabilité de M. P... en qualité de directeur de publication du tract litigieux, que cet écrit se présentait comme un communiqué de la chambre de commerce et d'industrie des Iles de Guadeloupe et que M. P... était directeur de publication des magazines de cette chambre de commerce et d'industrie, sans constater soit que ledit tract avait été publié dans l'un des magazines de la chambre de commerce et d'industrie, soit que M. P... était représentant légal de la chambre de commerce et d'industrie, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour écarter le moyen improprement tiré de l'erreur de la citation et retenir la responsabilité de M. P... dans la diffusion du publi-reportage litigieux, l'arrêt relève que ce document doit être considéré comme un tract, constitutif d'un communiqué de la CCI-IG, et qu'il résulte de la lecture des magazines de cette même chambre de commerce que M. P... est bien le directeur de publication des magazines diffusés par cette entité ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans établir que M. P... était le responsable légal de la CCI-IG, éditrice du document incriminé et, comme tel, responsable de plein droit au sens de l'article 42-1° de la loi du 29 juillet 1881, ni relever contre lui des actes personnels, positifs et conscients de complicité au sens de l'article 43 de ladite loi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Basse-Terre en date du 16 janvier 2018, mais en ses seules dispositions ayant retenu la responsabilité de M. P..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de BASSE-TERRE, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept mai deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.