LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en vue de financer l'acquisition et l'aménagement de locaux commerciaux à destination locative, M. et Mme M... ont, le 11 décembre 2000, obtenu de la société Crédit industriel de l'Ouest, aux droits de laquelle vient la société CIC Ouest (la banque), deux prêts remboursables in fine, à l'issue d'une durée de quinze ans ; que le remboursement de ces prêts a été garanti par le nantissement de deux contrats d'assurance vie de groupe souscrits par la banque auprès de la société Socapi et auxquels M. M... a adhéré ; que, déçus des performances de ces placements, M. et Mme M..., reprochant à la banque, notamment, de s'être abstenue d'exécuter un ordre d'arbitrage, l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique, pris en ses première et quatrième branches :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que, pour condamner la banque à payer à M. et Mme M... la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que cet établissement de crédit n'a pas exécuté l'ordre par lequel M. M... lui a demandé, en 2006, de convertir le support « dynamique » des contrats d'assurance vie auquel il avait adhéré pour une durée minimale de huit ans en support « équilibre » et que M. M..., lorsqu'il a constaté en 2009 l'insuffisance des performances de son investissement du fait de la mauvaise conjoncture boursière, a ainsi perdu la chance de mettre fin aux contrats en réduisant ses pertes à la somme de 31 054 euros, telle qu'elle ressortait d'une simulation produite par M. et Mme M... et qui évaluait à ce montant l'écart de valorisation, au 30 juin 2009, des fonds placés sur les contrats d'assurance vie dans l'hypothèse où l'ordre d'arbitrage aurait été exécuté en 2006 ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans constater que ces contrats avaient été rachetés au jour où elle statuait et que la perte alléguée était effectivement réalisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne M. et Mme M... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept avril deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour la société Banque CIC Ouest
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Banque CIC Ouest à payer aux époux M... la somme de 30.000 ¿ à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE rien ne démontre que le CIC ait été consulté par les époux M... en qualité de conseil en gestion de patrimoine, ni qu'il leur ait dispensé des conseils inadaptés relativement à leurs projets d'investissements, de sorte la banque n'était pas débitrice d'un devoir de conseil à leur égard. Il n'est pas davantage établi que le prêt de 213.428 ¿ était excessif au regard de la situation patrimoniale et des capacités de remboursement des emprunteurs, taisants sur cette question, pour faire face aux mensualités de 1.076 ¿ et à l'ultime échéance de 107.252 ¿. L'ouverture des contrats d'assurance-vie et le versement de fonds dont M. M... disposait afin de les investir sur un support en actions et obligations ne constituent par ailleurs pas une opération spéculative. Il s'en évince que le CIC n'était pas débiteur d'un devoir de mise en garde à l'égard des époux M.... Le CIC, prestataire de services d'investissements, était revanche tenu d'une obligation d'information loyale et cohérente sur les caractéristiques des contrats d'assurance vie et de ses supports. A cet égard, il fait valoir avec raison que, contrairement à ce que les époux M... soutiennent et à ce que les premiers juges ont retenu, l'adhérent avait reçu des informations claires et non trompeuses lui permettant de prendre la mesure du risque auquel son choix exposait son placement. M. M... a en effet adhéré aux contrats d'assurance vie souscrits par le CIC auprès de la société Socavi en reconnaissant expressément avoir été informé que ces produits ne comportaient pas de garantie en capital et que leur valorisation était soumise aux aléas du marché. Il produit en outre lui-même un document dénommé « analyse des performances des principaux supports », présentant avec clarté et précision le profil des investissements réalisés sur les comptes « dynamique », « équilibre » et « tempéré » proposés par le prestataire de services d'investissements et disposait donc de tous les renseignements nécessaires lorsqu'il a opté pour le support le plus exposé aux aléas du marché. Enfin, les appelants, qui ne produisent ni simulations, ni études réalisées par la banque pour les convaincre de souscrire des contrats d'assurancevie corrélativement aux prêts, soutiennent sans preuve que la banque leur aurait présenté ce placement comme leur permettant d'assurer, grâce aux performances réalisées, le remboursement du capital emprunté au terme du prêt. En revanche, il résulte d'un courrier du CIC en date du 7 avril 2006 que M. M... a usé de sa faculté d'arbitrage en demandant la conversion du support « dynamique » en support « équilibre », ce que la banque déclarait prendre en compte et effectuer. Or, alors que les époux M... lui font grief de ne pas avoir exécuté cet ordre d'arbitrage et que le CIC ne répond rien sur ce point, il ressort du relevé annuel du 7 février 2008 que les fonds investis sur les contrats d'assurance vie sont demeurés sur le support « dynamique », ce dont il se déduit que l'ordre d'arbitrage n'a en effet pas été exécuté. Il résulte de la simulation produite par les appelants et non critiquée par l'intimée que l'écart de valorisation des fonds placés sur les contrats d'assurance vie dans l'hypothèse où l'ordre d'arbitrage aurait été exécuté en 2006 ressort à 31.054 ¿ au 30 juin 2009. Etant observé que l'adhésion aux contrats d'assurance vie de décembre 2000 avait été souscrite pour une durée minimum de huit ans, M. M... a ainsi perdu la chance, lorsqu'il a constaté en 2009 l'insuffisance de performances de son investissement du fait de la mauvaise conjoncture boursière, de mettre fin aux contrats en réduisant ses pertes d'un égal montant. Au regard des éléments de la cause, cette perte de chance sera réparée par l'allocation d'une somme de 30.000 ¿ à titre de dommages-intérêts, le jugement attaqué étant réformé en ce sens ;
1) ALORS, D'UNE PART, QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, pour condamner la Banque CIC Ouest à payer aux époux M... la somme de 30.000 ¿ de dommages et intérêts, la cour d'appel a retenu qu'« il résulte de la simulation produite par les appelants et non critiquée par l'intimée que l'écart de valorisation des fonds placés sur les contrats d'assurance vie dans l'hypothèse où l'ordre d'arbitrage aurait été exécuté en 2006 ressort à 31.054 ¿ au 30 juin 2009 » ; qu'en affirmant ainsi que la Banque CIC Ouest ne critiquait pas la simulation de placement financier sans risque produite aux débats par les époux M..., quand, dans ses conclusions d'appel, l'exposante faisait une analyse critique de la simulation litigieuse, notamment quant à l'obsolescence des données chiffrées qui y figuraient, et invoquait des éléments de preuve propres à remettre en cause, aussi bien les performances qui y étaient mentionnées, que le taux de rendement du placement sans risque présenté, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2) ALORS, D'AUTRE PART, QUE seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, la Banque CIC Ouest soutenait que la « perte latente » alléguée par M. M... dans la simulation de placement sans risque entre 2000 et 2009 à 4 %, avec une épargne théorique de 126.767 ¿, soit un manque à gagner de 35.993 ¿, dont il se prévalait, était basée sur des données chiffrées remontant au 30 juin 2009, qui n'étaient plus d'actualité ; qu'elle invoquait explicitement en preuve, une lettre des Assurances du Crédit Mutuel du 19 septembre 2013, versée aux débats, indiquant qu'à cette date, le montant total de l'épargne sur les deux contrats d'assurance vie souscrits par M. M... s'élevait à la somme de 122.154, 48 ¿ et soutenait qu'en rapprochant cette somme de la somme brute de 113.651 ¿ versée par M. M... sur ces deux contrats, il était démontré qu'à la date du 26 novembre 2013, celui-ci n'avait subi aucun préjudice ; que dès lors, en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l'écart de valorisation des fonds placés, constaté au 30 juin 2009, existait encore au jour où elle statuait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3) ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QU'un risque, fût-il certain, ne suffit pas à caractériser la perte d'une chance, le préjudice en résultant étant purement éventuel ; qu'en l'espèce, en condamnant la Banque CIC Ouest à indemniser les époux M... de la perte de chance prétendument subie du fait de la non-exécution de l'ordre d'arbitrage sollicitant la conversion du support d'investissement en assurance-vie « dynamique » en support « équilibre », sans constater, comme elle y était tenue, que les contrats d'assurance vie litigieux avaient été rachetés par M. M... au jour elle statuait et que les pertes alléguées avaient effectivement été réalisées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4) ALORS ENFIN QUE dans ses conclusions d'appel, la Banque CIC Ouest soutenait qu'aucune institution financière ne pouvait présenter un produit de placement sans risque garantissant une épargne annuelle de 4%, telle que présentée par les époux M... dans la simulation produite aux débats et retenue par les premiers juges pour la condamner à leur payer la somme de 32.883,50 ¿, ce taux de rendement n'étant pas conforme à la réalité des placements ; que dès lors, en ne répondant pas à ce moyen de contestation de la simulation sur laquelle elle s'est fondée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.