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03/04/2019 | FRANCE | N°18-14078

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 03 avril 2019, 18-14078


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon le jugement attaqué, que le 20 juillet 2017, le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail de l'établissement Garges-lès-Gonesse de la société Conforama (le CHSCT) a décidé de désigner un expert dans le cadre du projet « achat rapide » ; que la société Conforama a contesté cette délibération devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision

spécialement motivée sur le moyen, ci-après annexé, qui n'est manifestement pas de nature...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon le jugement attaqué, que le 20 juillet 2017, le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail de l'établissement Garges-lès-Gonesse de la société Conforama (le CHSCT) a décidé de désigner un expert dans le cadre du projet « achat rapide » ; que la société Conforama a contesté cette délibération devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés ;

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, ci-après annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article L. 4614-13 du code du travail alors applicable ;

Attendu que l'ordonnance rejette toutes les demandes de condamnation de l'employeur à payer les frais exposés pour la procédure par le CHSCT et condamne ce dernier aux dépens ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, sauf abus, l'employeur doit supporter les frais de contestation de la procédure d'expertise, le président du tribunal de grande instance a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle déboute le CHSCT de ses demandes au titre des frais exposés dans le cadre de la procédure, l'ordonnance rendue le 15 décembre 2017, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Pontoise ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le président du tribunal de grande instance de Nanterre statuant en la forme des référés ;

Condamne la société Conforama France aux dépens ;

Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société Conforama France à payer à la SCP Piwnica et Molinié la somme de 3 600 euros TTC ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail de la société Conforama France.

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré nulle la décision adoptée lors de la réunion du CHSCT de l'établissement Conforama de Garges-Lès-Gonesse du 20 juillet 2017 de faire appel à un expert agréé.

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L 4612-8 du code du travail, le CHSCT est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et notamment, avant toute transformation importante des postes de travail, découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivités liées ou non à la rémunération du travail ; que selon les dispositions de l'article L.4614-12 du code du travail, « le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) peut faire appel à un expert agrée : - lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement, - en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail prévues à l'article L. 4612-8 » ; qu'un projet important est un projet au terme duquel la modification des conditions de travail envisagée concerne un nombre significatif de salariés et qui conduit, sur un plan qualitatif, à un changement déterminant des conditions de travail des salariés concernés ; qu'en l'espèce, il convient de préciser que la mission d'expertise confiée par la délibération du CHSCT doit être cantonnée à ce qui est mentionné dans cette délibération et repris dans la lettre de mission ; que de plus, il est nécessaire que le CHSCT caractérise lui-même le risque grave au soutien de sa demande ; qu'en l'espèce, il apparaît que le procès-verbal de la réunion du CHSCT en date du 20 juillet 2017 mentionne d'un vote à l'unanimité des présents pour la désignation d'un expert compte tenu de l'importance du projet et de ses conséquences sur l'organisation, l'hygiène, la santé, la sécurité et les conditions de travail des salariés du magasin ; qu'il est précisé : - que le projet ne produit aucune analyse des attentes de la clientèle pouvant motiver l'absence de l'intervention d'un vendeur sur plusieurs familles de produits, - qu'il n'apporte aucun éclairage sur les nouveaux services complémentaires apportés aux clients et susceptibles d'apporter une charge de travail supplémentaire, - qu'il peut générer une perte de rémunération avec la perte de commissionnement commun à l'équipe de vendeur, - que ce projet interroge plus largement le sens et le coeur du métier des vendeurs qui n'interviendront plus dans le processus de vente de plusieurs famille de produit, - qu'il est craint qu'il soit source d'accroissement des risques professionnels et notamment du risque d'accroissement de la charge de travail des vendeurs et des hôtesses de caisse et du niveau de stress et des risques psycho sociaux déjà présents du fait d'une perte de rémunération et d'un sentiment d'insécurité professionnelle quant à l'évolution du métier de vendeur ; que le procès-verbal de la réunion du CHSCT du 20 juillet 2017 fait également mentions du choix du cabinet DEGEST ; que s'agissant de la consultation du CHSCT par la société Conforama France, le CHSCT indique que le fait pour la société d'avoir admis que la procédure d'information/consultation devait s'appliquer suffit en soi à reconnaître que le projet achat rapide est un projet important qui justifie le recours à une expertise ; que toutefois, il ressort des débats et des pièces versées au dossier que dès la première réunion de présentation du projet au CCE les 27 et 28 novembre 2013, ce dernier s'est immédiatement inscrit en opposition avec le projet ; qu'au sein de l'établissement de Garges les Gonesse, il s'est tenue 5 réunions du comité d'établissement entre le 2 juillet 2014 et le 31 mars 2015 sans que ledit comité accepte de rendre un avis sur le projet estimant que le CHSCT devait au préalable être consulté ; que la société a alors accepté que ce point soit porté à l'ordre du jour afin de pouvoir avancer dans le projet bloqué depuis de nombreux mois et il a fallu là encore pas moins de 4 réunions pour que le CHSCT vote la désignation d'un expert ; qu'il ne saurait donc être reconnu par la même la reconnaissance, par la demanderesse, du caractère important du projet "achat minute" ; que de même l'utilisation du terme "important" par Madame F..., en charge de la présentation du projet aux élus lors du CEE, doit être replacé dans son contexte et ne saurait donner cette nature au dit projet ; qu'en effet, ce terme a été utilisé dans le cadre de la présentation de la nécessité pour l'enseigne de s'adapter aux nouveaux comportements des consommateurs et de la concurrence et il est bien évident que cette nécessité est importante sans pour autant que le projet "achat rapide" puisse recevoir ce qualificatif ; qu'en l'espèce, la société Conforama indique que sur l'établissement de Garges-Lès-Gonesse, le projet achat minute concernera 7 salariés sur 70 soit 10% des effectifs et ce point n'est pas contesté par le défendeur ; que nous ne sommes donc pas en présence d'un projet concernant un nombre significatif de salariés ; qu'il convient également de vérifier si le dit projet conduit, sur un plan qualitatif, à un changement déterminant des conditions de travail des salariés concernés ; qu'à ce titre, le CHSCT invoque en premier lieu l'impact du projet sur le métier de vendeurs et leur rémunération ; qu'il explique que sur le magasin de Garges-Lès-Gonesse, le projet portait sur les produits du rayon G1 et que pour les vendeurs sectorisés sur le rayon G1, l'impact qualitatif sur leurs conditions de travail est foudroyant puisque leur utilité et leurs compétences professionnelles n'existent plus sur ces produits qui ne requiert plus leurs interventions ; qu'il indique que bien qu'il existe au plan national une liste normalement limitative de produits pouvant faire l'objet de l'achat rapide, l'expérience a montré que dans plusieurs magasins en France, des produits non compris dans cette liste étaient également concernés ; qu'il ajoute que la partie variable de la rémunération des vendeurs constitue l'essentiel de leurs salaires puisque la partie fixe est totalement dérisoire puisque fixée à 4,75 € au rayon EMRTV et 76,20 € au rayon meuble et qu'en mettant en place une nouvelle organisation de la vente permettant aux clients de procéder dorénavant à des achats sans avoir recours à un vendeur, elle les privait de la possibilité de percevoir leurs guelfes, la mise en place du pot commun ne permettant pas de pallier au manque puisqu'il est divisé entre tous les vendeurs ; qu'il précise enfin que les vendeurs bénéficiaires des contrats dit nouveaux ne sont pas rémunérés au titre du pot commun ce qui institue une discrimination et une inégalité de traitement entre vendeurs, sources de tensions entre collaborateurs et important nécessairement leurs conditions de travail ; que sur ce dernier point, force est de constater qu'il est contesté par la société Conforama et qu'aucune des pièces versées aux débats ne permet d'en rapporter la preuve et cet argument sera donc écarté ; que s'agissant de l'impact qualitatif foudroyant sur leurs conditions de travail puisque leur utilité et leurs compétences professionnelles n'existent plus sur ces produits faisant l'objet d'achat rapide, là encore ce point n'est pas démontré ; qu'en effet, le projet achat rapide permet simplement au client pour une quantité limitée de produits ne comportant pas de technicité particulière de se passer de l'intervention du vendeur puisqu'il peut prendre seul une étiquette produit et se rendre directement en caisse pour l'encaissement puis au dépôt pour le retrait de la marchandise ; que ce procédé permet néanmoins aux consommateurs qui le souhaitent de recourir néanmoins aux services des vendeurs pour ces mêmes produits et ces derniers matérialiseront, alors leur intervention par la rédaction d'un bon de réservation ; qu'il est également argué au contraire une augmentation de leur charge de travail mais ce point n'est étayé par aucune pièce ; que s'agissant du nombre de produits concernés par ce projet, ils sont limitativement déterminés au plan national, chaque directeur de magasin pouvant ensuite choisir dans cette liste, les produits qu'ils décident de placer en achat rapide ; qu'au niveau national se sont 14 familles de produits sur 45 qui sont concernées soit 80 références sur 28 628 ; qu'au niveau de l'établissement de Garges-Les-Gonesse le projet concerne les familles et produits suivants : - rangement de complément : 9 références sur 106, - bibliothèque : 7 références sur 70, - bureau : 19 références sur 135, - meuble TV : 5 références sur 51, - table basse : 3 références sur 55 soit 43 références sur les 20 000 produits vendus au sein du magasin ; que pour l'exercice fiscal 2016/2017, les familles choisies ont généré entre 60 980 et 212 8846 de chiffre d'affaire pour l'ensemble des références étant précisé qu'en ce qui nous concerne seules 43 sont concernées soit un chiffre bien inférieur sachant que pour les autres produits de la famille G1, ils génèrent un chiffre d'affaire compris entre 449 007 et 1 189 128 € ; que l'impact économique est donc moindre et ce d'autant que pour les produits concernés pour lesquels les vendeurs ne sont pas intervenus, il est créé un pot commun qui est redistribué à parts égales entre chacun des vendeurs ; que pour les autres, la guelte de 3,74% est maintenue ce qui n'induit aucun changement en terme de rémunération ; que s'agissant enfin de l'impact allégué sur l'activité des autres salariés et notamment des hôtesses de caisse et des employés du dépôt, ce dernier n'est pas davantage démontré ; qu'en effet, s'agissant des hôtesses de caisse, il est invoqué le fait que dans la mesure où les clients ne seront pas passés par un vendeur elles devront nécessairement leur proposer des garanties et assurances or, outre que cela est déjà le cas actuellement, il est peu probable que les clients souscrivent de telles garanties ou assurances au vu des produits concernés ; que s'agissant des employés du dépôt, ils sont d'ores et déjà sollicités par les clients pour les produits concernés et l'argument tiré de la manipulation supplémentaire n'est donc pas sérieux de même que celui qui serait lié à la nécessaire réorganisation du dépôt qui n'est pas davantage démontré ; qu'en conséquence, le projet "Achat rapide" ne peut être considéré comme constituant un projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail des salariés et dès lors, la délibération du 20 juillet 2017 doit être considérée comme nulle et le défendeur doit être débouté de ses demandes reconventionnelles et être condamné aux dépens ;

1) ALORS QUE le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail prévu à l'article L.4612-8-1 du code du travail ; que constitue un projet important tout projet ayant donné lieu à consultation du CHSCT en application de l'article L.4612-8-1 ainsi plus généralement que tout projet de nature à affecter les tâches des salariés concernés, leur rémunération ou leurs conditions de travail ; qu'en écartant la qualification de projet important après avoir constaté que le projet en cause, pour lequel l'employeur avait mis en oeuvre la procédure de consultation, concernait 10% des effectifs et emportait suppression partielle de la part variable de la rémunération à la guelte remplacée par une redistribution d'un pot commun, et suppression partielle pour les vendeurs de leurs fonctions de vente et de conseil sur toute une gamme de produits pour lesquels les clients pourraient se dispenser de leur intervention, le président du tribunal de grande instance a violé les articles L.4612-8-1 et L.4614-2-2° du code du travail alors en vigueur ;

2) ALORS QUE le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail prévu à l'article L.4612-8-1 du code du travail ; que le nombre des salariés concernés par le projet ne détermine pas à lui seul l'importance de ce projet ; qu'en retenant que le projet qui lui était soumis ne concernait pas un nombre significatif de salariés pour en déduire qu'il ne constituait pas un projet important, le président du tribunal de grande instance a encore violé les articles L.4612-8-1 et L.4614-2-2° du code du travail alors en vigueur.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le moyen fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir débouté le CHSCT de l'établissement de Garges-Lès-Gonesse de sa demande de condamnation de la société Conforama France au titre de la prise en charge des frais et honoraires de son conseil, et de l'avoir condamné aux dépens ;

AUX MOTIFS QUE la délibération du 20 juillet 2017 doit être considérée comme nulle et le défendeur doit être débouté de ses demandes reconventionnelles et être condamné aux dépens ;

1) ALORS QUE sauf abus, l'employeur doit supporter les frais de contestation de la procédure d'expertise ; que pour débouter le CHSCT de l'établissement de Garges-Lès-Gonesse de sa demande de prise en charge des frais exposés dans le cadre de sa défense et le condamner aux dépens, le président du tribunal a retenu que la délibération portant désignation d'un expert était nulle ; qu'en statuant ainsi, le président du tribunal de grande instance a violé l'article L4614-13 alors en vigueur du code du travail ;

2) ET ALORS en toute hypothèse QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation, qui fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir annulé la délibération portant désignation d'un expert, emportera celle par voie de conséquence des chefs du dispositif portant débouté de la demande de prise en charge des frais exposés par le CHSCT pour sa défense et condamnation aux dépens, en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-14078
Date de la décision : 03/04/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Pontoise, 15 décembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 03 avr. 2019, pourvoi n°18-14078


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.14078
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