LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 33, VI, de la loi du 26 mai 2004, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, et les articles 271 et 276 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement du 14 mars 1995 a prononcé le divorce de M. C... et de Mme T... et homologué la convention, fixant, en faveur de l'épouse, une prestation compensatoire sous la forme d'une rente viagère ; que, le 3 septembre 2015, M. C..., invoquant l'avantage manifestement excessif procuré à Mme T... par le maintien de la rente, en a sollicité la suppression ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt constate que M. C..., qui produit sa déclaration fiscale de 2014 mentionnant une pension de retraite annuelle de 46 654 euros, ne justifie pas de l'état actuel de ses revenus ni de son patrimoine après la vente de plusieurs biens immobiliers tout en faisant état de charges mensuelles de 3 114 euros, qu'il partage avec son épouse, et que Mme T... perçoit une pension de retraite d'un montant global de 684 euros par mois mais qu'elle ne justifie ni de ses charges ni des revenus fonciers qu'elle avait déclaré percevoir devant le premier juge ; qu'il retient que, compte tenu des faibles ressources de la créancière et du patrimoine conséquent du débiteur, le maintien de la rente ne constitue pas un avantage manifestement excessif pour celle-ci ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le maintien en l'état de la prestation compensatoire procurait à Mme T... un avantage manifestement excessif au regard de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé, ni examiner le patrimoine de Mme T..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne Mme T... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour M. C...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR débouté M. C... de sa demande de suppression de la prestation compensatoire mise à sa charge au profit de Mme T..., sous forme de rente viagère ;
AUX MOTIFS QUE « II est constant que l'article 7 de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 est venu compléter le premier alinéa du VI de l'article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce. Ainsi, le législateur a prévu que désormais, il est tenu compte de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé dans le cadre des actions tendant à la révision, suspension, suppression des rentes viagères lorsque leur maintien en l'état procurerait au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères posés à l'article 276 du code civil.
Par cette disposition, il y a lieu d'apprécier l'avantage manifestement excessif au regard de la durée de versement de la rente et du montant déjà versé, étant précisé que ces deux éléments doivent être pris en compte au même titre que les autres critères posés par les articles 276 et 271 du code civil et qu'il convient en conséquence d'adopter une démarche globale, comme le rappelle d'ailleurs Z... T... dans ses conclusions. Enfin la situation des parties au regard de chacun de ces critères doit être appréciée en se plaçant au jour où l'on statue sur la demande de révision.
Cette démarche globale qui s'impose nécessite de prendre en considération les critères des articles 276 et 271 du code civil et notamment les droits existants et prévisibles des parties, leur situation respective en matière de pensions de retraite, leur patrimoine. Aussi, contrairement à ce que prétend Q... C..., il y a lieu d'apporter une vigilance toute particulière sur les ressources et les besoins des parties au jour de la demande de suppression. Enfin les parties doivent, actualiser leur situation matérielle au jour de la demande, afin de permettre au juge de remplir son office.
Il y a lieu à titre liminaire de rappeler que Q... C... demande exclusivement la suppression de la rente viagère qu'il a accepté lors de son divorce, s'agissant de l'homologation d'une convention conclue par les parties et homologuée par le juge et non pas la révision ou la modification de celle-ci.
Il précise qu'il a versé depuis la fixation de cette prestation compensatoire jusqu'au mois d'octobre 2016 une somme globale de 245 545 euros. Il ajoute qu'il verse désormais à son ex épouse un tiers de sa pension de retraite, soit une somme mensuelle de 1 241 euros.
Pour apprécier si le maintien en l'état de la rente viagère procure ou non à Z... T... un avantage manifestement excessif au regard des critères posés à l'article 276 du code civil, il y a lieu de prendre en considération notamment l'état actuel de leur patrimoine.
Sur ce point, il y a lieu de regretter que Q... C..., pourtant demandeur à la suppression de cette rente viagère, n'actualise pas sa situation financière. Ainsi, il ne transmet que sa déclaration fiscale 2014. Il reste par ailleurs taisant, comme le fait valoir Z... T..., sur les 4 biens immobiliers qu'il a pu vendre (pour un total, selon Z... T..., en possession des actes de vente de 727 812 euros). Le juge aux affaires familiales avait d'ailleurs relevé dans sa décision, le peu de transparence sur sa situation patrimoniale. Dans ses dernières conclusions, il précise avoir notamment utilisé le prix de vente d'un bien immobilier en mars 2012 pour rembourser un prêt immobilier et utiliser le reliquat de 57 000 euros pour l'acquisition d'un véhicule automobile. S'il justifie effectivement du remboursement d'un prêt immobilier, rien n'est produit concernant l'acquisition d'un véhicule automobile. Il ne justifie pas par ailleurs des ventes des autres biens immobiliers et du remploi des sommes qu'il aurait perçues.
S'agissant de sa situation financière, non actualisée en appel, il précisait en 2014 avoir perçu à titre de pension de retraite, une somme de 46 654 euros (soit 3 887 euros par mois) et partager ses charges avec sa nouvelle épouse. Il évaluait ses charges courantes à 3114 euros dont 876 euros de loyer et 1241 euros de prestation compensatoire.
Z... T... : elle actualise sa situation financière et elle justifie recevoir depuis le 1er juillet 2016, une pension de retraite de base de 535 euros et 149 euros de retraite complémentaire. La cour regrette également qu'elle ne produise pas aux débats sa déclaration fiscale sur ses revenus 2016. Le juge aux affaires familiales de Rouen avait par ailleurs retenu qu'elle avait des revenus fonciers pour 671 euros par mois, sans que la cour sache si elle perçoit encore ses revenus.
Elle ne justifie pas de ses charges courantes.
Aussi, la cour considère que le versement d'une rente viagère par Q... C... à Z... T... au titre de la prestation compensatoire et son maintien actuel ne constituent pas un avantage excessif pour l'ex épouse, celle-ci ayant depuis juillet 2016 des revenus réduits et Q... C... justifiant d'un patrimoine conséquent, au regard notamment des biens immobiliers qu'il a vendus.
Le jugement rendu en première instance ayant admis la suppression de la rente viagère sera dès lors réformé ».
1°) ALORS QUE pour réviser, suspendre ou supprimer une rente viagère fixée avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 à raison de ce que son maintien en l'état procurerait au créancier un avantage manifestement excessif, les juges du fond doivent tenir compte de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé ; que, pour rejeter la demande de M. C... de suppression de la rente, l'arrêt retient que le versement d'une rente viagère par M. C... à Mme T... au titre de la prestation compensatoire et son maintien actuel ne constituent pas un avantage excessif pour l'ex-épouse, celle-ci ayant depuis juillet 2016 des revenus réduits et M. C... justifiant d'un patrimoine conséquent, au regard notamment des biens immobiliers qu'il a vendus ; qu'en se déterminant ainsi, sans tenir compte, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions, p. 6), de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 33, VI, de la loi du 26 mai 2004, dans sa rédaction issue de la loi du 16 février 2015 ;
2°) ALORS QUE pour réviser, suspendre ou supprimer une rente viagère fixée avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, les juges du fond doivent également prendre en considération la situation du créancier au moment où ils statuent et notamment ses besoins et apprécier si, eu égard à son âge et son état de santé, et compte tenu des éléments visés à l'article 271 du code civil, le maintien en l'état de la rente lui procurerait un avantage manifestement excessif ; que, pour rejeter la demande de M. C... de suppression de la rente, l'arrêt retient que le versement d'une rente viagère par M. C... à Mme T... au titre de la prestation compensatoire et son maintien actuel ne constituent pas un avantage excessif pour l'ex-épouse, celle-ci ayant depuis juillet 2016 des revenus réduits et M. C... justifiant d'un patrimoine conséquent, au regard notamment des biens immobiliers qu'il a vendus ; qu'en se déterminant ainsi, sans tenir compte, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions, p. 7), de l'importance du patrimoine immobilier de Mme T..., qu'il lui appartenait d'évaluer pour apprécier l'existence d'un avantage manifestement excessif pour la créancière, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 33, VI, de la loi du 26 mai 2004, dans sa rédaction issue de la loi du 16 février 2015, et 271 et 276 du code civil.