LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'une ordonnance du 2 mai 2012 a fait injonction à D... O... de payer à la société Le Saint Alban, propriétaire d'un fonds de commerce de bar PMU, la somme de 40 000 euros, correspondant au montant d'un chèque sans provision tiré sur le compte joint dont D... O... et son épouse, Q... O..., étaient titulaires ; que ce chèque avait été émis par leur fils, M. M... O..., bénéficiaire d'une procuration sur leur compte, en règlement ou garantie de paris ; que D... O... a formé opposition ; que sont intervenus volontairement à l'instance la société MJ Synergie, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Saint Alban (le liquidateur judiciaire), et M. M... O..., tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritier de D... et Q... O..., décédés en cause d'appel ;
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :
Attendu que le liquidateur judiciaire soutient que M. M... O... n'a pas invoqué, devant la cour d'appel, les dispositions de l'article 1965 du code civil et que le moyen tiré de la violation de ce texte est nouveau, partant, irrecevable ;
Mais attendu que ce texte a été mis dans le débat par l'arrêt, qui en écarte l'application ; que, dès lors, le moyen n'est pas nouveau ;
Et sur ce moyen :
Vu l'article 1965 du code civil, ensemble la loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l'autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux et l'arrêté du 13 septembre 1985 portant règlement du pari mutuel urbain et sur les hippodromes ;
Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, la loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le payement d'un pari ; que cette fin de non-recevoir ne peut être opposée aux actions en recouvrement exercées par les établissements du pari mutuel urbain (PMU), dont l'activité est spécialement autorisée par la loi et réglementée par les pouvoirs publics ; qu'il en va, cependant, autrement en cas de méconnaissance, par ces établissements, des dispositions relatives à l'enregistrement des paris et au règlement des enjeux ;
Attendu que, pour condamner M. M... O..., en sa qualité d'héritier de D... O..., à payer au liquidateur judiciaire la somme de 40 000 euros, l'arrêt retient que l'action vise au paiement du montant d'un chèque émis à l'ordre de la société Le Saint Alban, en tant que mandataire du PMU, ce qui est exclusif de l'application de l'article 1965 du code civil ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la société Le Saint Alban avait contrevenu aux dispositions de l'article 15 de l'arrêté du 13 septembre 1985 portant règlement du pari mutuel urbain, en enregistrant les paris de M. M... O... sans encaisser préalablement les enjeux correspondants, lesquels ne pouvaient être réglés qu'en espèces et au comptant ou par débit d'un compte ouvert auprès du PMU, ce dont il résultait que la fin de non-recevoir tirée de l'exception de jeu était applicable, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. M... O..., en sa qualité d'héritier de D... O..., à payer à la société MJ Synergie, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Le Saint Alban, la somme de 40 000 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la décision, l'arrêt rendu le 25 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevable l'action exercée par la société MJ Synergie, ès qualités, à l'encontre de M. M... O..., en sa qualité d'héritier de D... O... ;
Condamne la société MJ Synergie, ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour M. M... O...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué
D'AVOIR condamné Monsieur M... O..., en sa qualité d'héritier de feu D... O..., à payer à la SELARL MJ Synergie, prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la SNC Le Saint Alban, la somme de 40.000 euros
AUX MOTIFS QUE le chèque litigieux avait été émis en règlement partiel de la dette de jeu souscrite par Monsieur M... O... auprès de la SNC Le Saint Alban ; que Monsieur M... O... soutenait que la SNC Le Saint Alban avait agi en fraude de la loi ; qu'en effet, elle n'avait pas respecté la règlementation applicable à l'engagement de paris hippiques, dès lors qu'elle n'avait pas l'agrément pour de tels engagements ; que notamment, les paris par téléphone étaient réglementés et n'étaient ouverts que dans des conditions de sécurité visés par l'arrêté du 13 septembre 1985 ; que la SNC Le Saint Alban, qui ne disposait pas de l'agrément pour enregistrer des paris par téléphone, avait contrevenu à ces règles, en acceptant d'enregistrer les paiements de M... O... par téléphone ; que le liquidateur répondait que la cause du contrat n'était pas illicite, dans la mesure où les paris avaient été pris in fine auprès du PMU, les paris sur des courses de chevaux n'étant pas en soi illicites ; que l'action visait au paiement du montant d'un chèque émis à l'ordre de la SNC, à raison de la qualité de celle-ci, correspondante ou mandataire du PMU, ce qui était exclusif de l'application de l'article 1965 du code civil ; que la jurisprudence avait été en effet conduite à préciser la portée de ces dispositions en ce qu'elles ne s'appliquaient pas à l'action ayant pour objet le paiement d'un chèque reçu par un établissement de jeu de hasard ou organisme de pari autorisé, ce qui était le cas du PMU ; que le procès-verbal d'enquête de gendarmerie versé aux débat suffisait à établir que la SNC avait reçu les paris de Monsieur M... O... et les avait enregistrés pour son compte auprès du PMU, sans encaisser préalablement les montants correspondants, ainsi qu'elle en avait l'obligation ; que la SNC avait bien commis une faute, puisqu'elle ne pouvait enregistrer les paris qu'après versement des enjeux réglés en espèces et au comptant ou par débit d'un compte, conformément aux dispositions de l'article 14 de l'arrêté du 13 septembre 1985 portant règlement du pari mutuel urbain ; que toutefois, Monsieur M... O... plaidait vainement la nullité du contrat, au motif que la SNC n'avait pas la capacité de prendre les paris, dans la mesure où celle-ci ne se confondait pas avec la capacité de contracter, dont le manquement était sanctionné par la nullité de l'engagement contractuel, en vertu de l'article 1108 ancien du code civil ; que la faute de la SNC n'était pas de nature à dispenser Monsieur M... O... du règlement de sa dette à hauteur du montant des paris non honorés ; que le chèque tiré sur le compte de ses parents n'était pas dépourvu de cause licite et établissait la créance de la SNC à son encontre ;
ALORS QUE si l'exception de jeu n'est pas en principe opposable aux établissements organisant des paris autorisés et réglementés par la loi, il en va autrement lorsque ces établissements méconnaissent les règles posés par la loi, en acceptant des paris sans versement au comptant ; que, comme l'a constaté la Cour d'appel elle-même, la SNC Le Saint Alban avait commis une faute en enregistrant les paris de Monsieur M... O... sans versement des enjeux en espèces et au comptant, ce qui était totalement contraire aux dispositions d'ordre public de l'article 14 de l'arrêté du 13 septembre 1985 portant règlement du Pari Mutuel Urbain ; qu'en repoussant l'exception de jeu, la Cour d'appel a violé l'article 1965 du code civil.