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06/03/2019 | FRANCE | N°18-11650

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 06 mars 2019, 18-11650


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que M. C... a émis au profit d'P... F... un chèque de 4 000 euros qui a été encaissé ; qu'après le décès de celui-ci, M. C... en a réclamé le remboursement à son épouse ;

Attendu que, pour condamner Mme F... au paiement de cette somme, le jugement retient que M. C... produit une reconnais

sance de dette sur laquelle est apposée la signature d'P... F..., que cette signature n'e...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que M. C... a émis au profit d'P... F... un chèque de 4 000 euros qui a été encaissé ; qu'après le décès de celui-ci, M. C... en a réclamé le remboursement à son épouse ;

Attendu que, pour condamner Mme F... au paiement de cette somme, le jugement retient que M. C... produit une reconnaissance de dette sur laquelle est apposée la signature d'P... F..., que cette signature n'est pas arguée de faux et que si cet acte ne respecte pas les exigences de l'article 1326 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, il vaut cependant commencement de preuve par écrit ; qu'il ajoute que M. C... s'est trouvé dans l'impossibilité morale et matérielle d'établir un acte conforme aux prescriptions de ce texte en raison de la maladie de son ami ;

Qu'en statuant ainsi alors que, dans ses conclusions, oralement soutenues à l'audience, Mme F... faisait valoir que la signature figurant sur cet acte ne pouvait être attribuée à son mari, le tribunal a dénaturé ces écritures et violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 4 décembre 2017, entre les parties, par le tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Saint-Maur-des-Fossés ;

Condamne M. C... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à Mme F... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mars deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme F....

Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance d'injonction de payer du 5 juillet 2017 et condamné en tant que de besoin Mme K... F... à payer à M. O... C... la somme de 4 000 euros en principal, outre les dépens ;

Aux motifs que « il est constant que pour valoir commencement de preuve, l'écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s'en prévaut en vertu de l'article 1347 du ancien du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 ; qu'à cet égard, cependant, la reconnaissance de dette litigieuse n'émane pas entièrement de M. O... C... dans la mesure où elle est revêtue d'une signature attribuée à M. P... F... ; que d'autre part, en vertu de l'article 1348 ancien du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, les règles posées par l'article 1326 du code civil reçoivent exception lorsque l'une des parties n'a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale ; qu'enfin, et selon l'article 1353 ancien du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016, les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que M. F... a bien encaissé le chèque de 4 000 euros émis par M. O... C... et il n'est pas soutenu que l'émission de ce chèque aurait eu le caractère d'une libéralité ; que si la reconnaissance de dette en date du 13 novembre 2012, ne satisfait pas aux conditions de l'article 1326 du code civil, il n'en demeure pas moins qu'elle est revêtue de la signature de M. F... puisque cette signature n'est ni arguée de faux, ni l'acte la constatant de fraude ou de dol ; qu'il ne suffit pas comme le fait Mme F... de soutenir qu'elle ne reconnaît pas la signature de son mari alors qu'elle ne conteste pas par ailleurs que celui-ci était atteinte d'une sclérose en plaque l'empêchant de rédiger un acte de sa main et de le signer convenablement ; que Mme K... F... produit des relevés EDF de 2009 ainsi qu'une facture de la société SFR datant de 2013 et postérieure au décès de son mari, pour prétendre qu'elle en était séparée, mais ces documents ne signifient nullement qu'il n'y avait plus de vie commune depuis 2005, comme affirmé, les abonnements pouvant être souscrits par l'un ou l'autre des époux ; que Mme K... F... ne conteste pas davantage l'existence de la maladie de son époux, et les raisons pour lesquelles il était dans l'impossibilité de rédiger une véritable reconnaissance de dette au sens de la loi ; qu'elle ignorait d'autant moins cette maladie qu'elle a pu s'en convaincre dans la vie de tous les jours et à travers les papiers domestiques, relevés de compte et spécimen de signature, qu'elle détient et qu'elle s'abstient de produire alors qu'elle est tenue d'apporter loyalement son concours à la justice ; que la production d'un passeport datant du 30 avril 1997, soit 16 ans avant les faits, ne peut être considérée comme apportant un élément sérieux pour contester la réalité de la signature de M. P... F... sur la reconnaissance de dette litigieuse, laquelle n'est au demeurant pas indispensable à la solution du litige ; que quant à la lettre que Mme K... F... aurait adressé le 17 mai 2017 au conseil de M. O... C... pour répondre à la lettre de mise en demeure en recommandé avec accusé de réception du conseil de ce dernier en date du 10 avril 2017, force est de constater que :

- curieusement, cette prétendue lettre ne respecte pas le parallélisme des formes puisqu'il s'agit d'une simple lettre répondant à un RAR.

- son auteur prétend qu'elle aurait eu les moyens d'aider financièrement son mari, sans apporter le moindre justificatif de ses dires à l'audience ;

qu'en conclusion, le tribunal considère qu'il résulte des circonstances de la cause que M. P... F... était atteint d'une sclérose en plaque, qu'il a bien sollicité M. O... C... pour obtenir une avance d'argent, que ce dernier a été mis dans l'impossibilité morale et matérielle d'établir un acte conforme aux prescriptions de l'article 1326 ancien du code civil en raison de la maladie de son ami, que M. P... F... a bien encaissé le chèque de 4 000 euros de son ami, qu'il a signé une reconnaissance de dette irrégulière promettant remboursement, laquelle reconnaissance de dette n'est pas nécessaire au regard de l'article 1348 ancien du code civil pour établir par présomptions l'existence d'un prêt et un droit au remboursement en vertu de l'article 1356 ancien du code civil ; qu'il ressort également des circonstances de la cause que la dette de M. P... F... est une dette contractée pour les besoins du ménage au sens de l'article du code civil et qu'à ce titre, Mme K... F... doit en répondre sans qu'il soit nécessaire de mettre en cause son fils dans les débats ; que Mme F... qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens » ;

Alors que, 1°) les juges ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en énonçant que la signature attribuée à M. P... F... apposée sur la reconnaissance de dette produite par M. C... n'était pas arguée de faux (jugement attaqué, p. 3, par. 9), quand Mme F... soutenait dans ses conclusions écrites, oralement soutenues à l'audience (jugement, p. 2, in fine), que l'écriture attribuée à M. F... sur ce document ne pouvait lui être attribuée et qu'il en était de même de la signature y figurant (conclusions de l'exposante, p. 2), le tribunal a dénaturé les conclusions des parties en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

Alors que, 2°) lorsque l'écriture ou la signature d'un acte sous seing privé est déniée, il incombe au juge de vérifier l'acte contesté, à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte ; que pour dire signée de la main de M. F... la reconnaissance de dette litigieuse, le tribunal a retenu que Mme F... ne contestait pas qu'il était atteint, à l'époque des faits, d'une sclérose en plaques l'empêchant de rédiger et de signer convenablement, et qu'elle se contentait de produire un passeport signé par son époux seize ans plus tôt et non les papiers domestiques, relevés de compte et spécimen de signature contemporains en sa possession, alors qu'elle était tenue d'apporter loyalement son concours à la justice ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait de vérifier la signature contestée, au besoin en lui enjoignant de produire des documents de comparaison contemporains de la reconnaissance de dette litigieuse, le tribunal a violé les articles 287 et 288 du code de procédure civile et l'article 1324 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 (nouvel article 1373 du code civil) ;

Alors que, 3°) les juges du fond doivent respecter et faire respecter le principe du contradictoire ; que dans ses conclusions écrites, oralement soutenues à l'audience (voir jugement attaqué, p. 2, par. 11 et conclusions de M. C..., p. 3 et 4), M. C... ne prétendait pas qu'il se serait trouvé dans l'impossibilité morale ou matérielle d'obtenir, de la part de M. F..., un écrit conforme aux exigences de l'article 1326 du code civil pour prouver sa créance de 4 000 euros ; qu'en se fondant néanmoins sur cette circonstance pour condamner Mme F... à l'égard de M. C..., sans l'inviter à présenter ses observations sur ce moyen relevé d'office, le tribunal a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

Alors que, 4°) l'article 1348 du code civil, qui dispense d'une preuve littérale pour établir une obligation excédant une valeur fixée par décret toutes les fois qu'il n'a pas été possible au créancier de se procurer un écrit, est inapplicable pour rendre valable un écrit non conforme aux exigences de l'article 1326 du code civil, telle une reconnaissance de dette ne portant pas la mention manuscrite, en toutes lettres, de la somme due ; qu'en retenant, pour dire établie l'existence d'un prêt de 4 000 euros consenti par M. C... à M. F..., que si la reconnaissance de dette censée le prouver n'était pas régulière au sens de l'article 1326 du code civil, faute de revêtir la mention précitée, M. C... s'était toutefois trouvé dans l'impossibilité morale et matérielle d'établir un acte conforme à ces exigences, quand le bénéfice de l'article 1348 du code civil impliquait l'absence d'écrit, le tribunal a violé les articles 1326 et 1348 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Alors que, en toute hypothèse, 5°) l'incapacité physique à écrire dans laquelle se trouve une partie ne constitue pas, pour son cocontractant, une impossibilité matérielle de produire un écrit préconstitué au sens de l'article 1348 du code civil ; et qu'un simple lien d'amitié ne saurait suffire à caractériser une impossibilité morale au sens de ce texte ; qu'en retenant que M. C... se serait trouvé dans une impossibilité matérielle et morale d'exiger de son ami, M. F..., un écrit conforme aux exigences de l'article 1326 du code civil en raison de la sclérose en plaques dont il était atteint et qui l'empêchait d'écrire, le tribunal a violé l'article 1348 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Alors que, 6°) les dettes contractées par un époux seul n'engagent l'autre solidairement qu'à la condition d'avoir pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants ; et que la solidarité légale entre époux, édictée pour les dettes relatives à l'entretien du ménage, n'a pas lieu pour les emprunts, s'ils n'ont été conclus du consentement des deux époux, à moins qu'ils ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante ; qu'en se bornant à affirmer, pour condamner Mme F... à rembourser un prêt de 4 000 prétendument contracté par son époux décédé à l'égard de M. C..., qu'elle n'établissait pas qu'il n'y aurait plus eu de vie commune entre eux à la date de cet acte, sans constater l'objet ménager de cet emprunt ni rechercher si celui-ci portait sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 220 du code civil ;

Alors en toute hypothèse que, 7°) les juges ne sauraient statuer par voie de simple affirmation ; qu'en se bornant à énoncer, pour dire que l'emprunt litigieux avait un caractère ménager, « qu'il ressort (

) des circonstances de la cause que la dette de M. P... F... est une dette contractée pour les besoins du ménage au sens de l'article 220 du code civil », sans analyser, fût-ce sommairement, ni même mentionner les éléments de preuve sur lesquels il s'est fondé, le tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 18-11650
Date de la décision : 06/03/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne, 04 décembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 06 mar. 2019, pourvoi n°18-11650


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : Me Occhipinti, SCP Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.11650
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