LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 1252-1 du code du travail, ensemble l'article 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Sirac Dijon, entreprise de travail à temps partagé, a mis un salarié comptable à la disposition de différentes entreprises utilisatrices ; qu'estimant que la société Sirac Dijon exerçait illégalement la profession d'expert-comptable, le conseil régional de l'ordre des experts-comptables Bourgogne Franche-Comté (le conseil régional de l'ordre) l'a assignée en référé pour qu'il lui soit ordonné, sous astreinte, de mettre fin à ces agissements ;
Attendu que pour écarter l'existence d'un trouble manifestement illicite et rejeter la demande, l'arrêt, après avoir exactement énoncé que les dispositions applicables aux entreprises de travail à temps partagé n'excluent pas, par elles-mêmes, le recours à des salariés comptables, constate qu'aux termes des contrats de travail conclus, les salariés mis à disposition devaient rester sous le contrôle, l'encadrement et la surveillance d'un responsable de la société utilisatrice, qui devait lui assurer les moyens d'exécution de sa mission, ce dont il déduit qu'existait entre la société utilisatrice et le salarié mis à disposition un lien de subordination, exclusif d'une intervention du salarié en son nom propre et sous sa responsabilité ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs erronés tirés de l'existence d'un lien de subordination entre le salarié mis à disposition et l'entreprise utilisatrice, que le premier texte susvisé, exclut, et sans vérifier concrètement si les conditions d'exercice, par la société Sirac Dijon, de son activité d'entreprise de travail à temps partagé ne caractérisaient pas une fraude au monopole institué par le second, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Sirac Dijon aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer au conseil régional de l'ordre des experts-comptables Bourgogne Franche-Comté la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt février deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour le conseil régional de l'ordre des experts-comptables Bourgogne Franche-Comté.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Dijon du 23 février 2016 en retenant l'absence de trouble manifestement illicite quant aux activités pratiquées par la société Sirac Dijon ;
Aux motifs qu'"il n'est pas contesté que M. C..., salarié de la société Sirac Dijon, exécute de manière habituelle des travaux comptables de la nature de ceux visés à l'article 2 de l'ordonnance du 19 septembre 1945, et il est par ailleurs constant que ni M. C... ni la société Sirac Dijon ne sont inscrits au tableau de l'ordre des experts comptables ; que pour solliciter l'infirmation de la décision déférée, l'appelante rappelle qu'elle est une entreprise de travail à temps partagé ayant pour objet, conformément aux articles L. 1252-1 et suivants du code du travail, de mettre à la disposition d'entreprises utilisatrices du personnel qualifié, et qu'une telle mise à disposition n'enfreint pas les règles de l'ordonnance du 19 septembre 1945 dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, les travaux comptables sont effectués par le salarié de l'entreprise de travail à temps partagé au nom et pour le compte de l'entreprise utilisatrice, et qu'il existe entre cette dernière et le salarié un lien effectif d'autorité fonctionnelle ; qu'elle ajoute que ce mécanisme est calqué sur celui mis en oeuvre par les entreprises de travail temporaire, auxquelles le Conseil régional de l'ordre des experts comptables ne conteste pas le droit de mettre à disposition des salariés spécialisés dans le domaine comptable ; que l'intimé réplique que la société Sirac Dijon exerce en réalité une activité de prestation de service dès lors que le client n'a aucune autorité effective sur le salarié mis à disposition, ajoutant que les contrats de mise à disposition signés par l'appelante n'étaient pas conformes aux dispositions de l'article L. 1252-1 du code du travail, et qu'en tout état de cause, le seul fait que le salarié mis à disposition soit lié par un contrat de travail à la seule société Sirac Dijon, et non pas à l'entreprise utilisatrice, suffisait à caractériser l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, dès lors que la seule dérogation autorisée par l'article 2 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 concernait les salariés de l'entreprise ou de l'organisme, pour lequel sont effectués les travaux de comptabilité ; qu'il résulte des articles L. 1252-1 et suivants du code du travail, issus de la loi n°2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, que constitue une entreprise de travail à temps partagé toute personne physique ou morale dont l'activité exclusive consiste à mettre à la disposition d'entreprises clientes du personnel qualifié qu'elles ne peuvent recruter elles-mêmes à raison de leur taille ou de leur moyen, le salarié mis à disposition d'une ou plusieurs entreprises clientes étant lié à l'entreprise de travail à temps partagé par un contrat de travail, alors qu'un contrat de mise à disposition lie l'entreprise de travail à temps partagé et l'entreprise utilisatrice ; que, contrairement à ce que soutient l'intimé, le dispositif légal relatif au travail à temps partagé n'exclut pas par lui-même qu'il y soit fait recours SCP BRIARD/84193MA s'agissant de salariés qualifiés dans le domaine de la comptabilité ; qu'il convient cependant, pour apprécier l'existence d'un éventuel exercice illégal de la profession d'expert-comptable, de s'attacher à déterminer dans quelle mesure le salarié mis à disposition est ou non indépendant de l'entreprise utilisatrice pour l'exécution de sa mission ; qu'à cet égard, il est d'abord sans emport que les contrats de mise à disposition établis par la société Sirac Dijon rappellent que « pendant sa mise à disposition en tant que salarié de l'ETTP G... C... restera sous l'autorité administrative et juridique de son employeur, la société Sirac Dijon », et que M. C... sera rémunéré par l'ETTP, ces dispositions n'étant en effet que l'application du mécanisme légal selon lequel le salarié mis à disposition n'est lié par un contrat de travail qu'à la seule entreprise de travail à temps partagé ; que ces mêmes contrats stipulent expressément que le salarié mis à disposition exercera son travail sous le contrôle et l'encadrement d'un responsable désigné par l'entreprise utilisatrice, qui pilotera son travail et signera la fiche de présence, et à qui le salarié mis à disposition rendra compte de son activité. Ils précisent encore que l'entreprise utilisatrice mettra à disposition du salarié mis à disposition les équipements nécessaires à l'exécution de son travail, savoir une ligne téléphonique, un accès à internet, un ordinateur ainsi qu'une adresse mail, et que le salarié mis à disposition effectuera son travail dans les locaux de l'entreprise utilisatrice ; qu'enfin, ces contrats énoncent que, pendant la durée de la mise à disposition, le salarié demeure exclusivement sous le contrôle, l'encadrement et la surveillance de l'entreprise utilisatrice, qui prend à son égard la qualité de commettant et devient civilement responsable des dommages de toute nature causés par le salarié mis à disposition sur les lieux ou à l'occasion du travail ; que ces différents éléments sont de nature à caractériser l'existence entre la société utilisatrice et le salarié mis à disposition d'un lien de subordination exclusif d'une intervention du salarié en son nom propre et sous sa responsabilité ; que force est par ailleurs de constater que l'intimé ne fournit pas aux débats d'éléments de nature à démontrer de manière certaine que cette subordination ne serait pas effective, alors notamment que le procès-verbal de constat du 14 décembre 2015 n'a retrouvé au siège de la société Sirac Dijon aucun document comptable appartenant aux clients de celle-ci, ce qui tend à confirmer que l'exercice de son travail par M. C... s'effectue bien dans les locaux des entreprises utilisatrices ; que par ailleurs, le fait que le travail comptable soit effectué par le biais d'un logiciel émanant d'une société Sirac Services ne suffit pas à démontrer que l'intervention de M. C... ne se ferait pas sur le matériel des entreprises utilisatrices, dès lors qu'il est justifié par le même procès-verbal de constat de la conclusion entre les entreprises utilisatrices et la société Sirac Services, qui est une entité juridiquement distincte de la société Sirac Dijon, de contrats spécifiques ayant pour objet l'accès au logiciel comptable utilisé ; qu'enfin, la question soulevée par l'intimé du cumul par M. C... des fonctions de salarié et de gérant de la société Sirac Dijon est indifférente dès lors qu'elle est sans emport sur les éléments constitutifs de l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, qui est seul en cause dans le cadre de la présente procédure ; qu'au regard de ces différents éléments, il doit être constaté que l'exercice illégal par la société Sirac Dijon de la profession d'expert-comptable n'est pas établi de manière manifeste, seul un examen plus approfondi par le juge du fond des conditions réelles d'intervention du salarié mis à disposition étant, en l'état des pièces fournies, susceptibles SCP BRIARD/84193MA de le caractériser. Dans ces conditions, le Conseil régional de l'ordre des experts-comptables de Bourgogne Franche Comté ne rapporte pas la preuve du trouble manifestement illicite nécessaire au succès de sa prétention ; que l'ordonnance déférée sera donc infirmée en toutes ses dispositions, les demandes du Conseil régional de l'ordre des experts-comptables de Bourgogne Franche Comté devant être rejetées ; que l''intimé sera condamné, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, à payer à la société Sirac Dijon la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile » ;
Alors que selon le premier aliéna de l'article 2 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, est expert-comptable ou réviseur comptable celui qui fait profession habituelle de réviser et d'apprécier les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n'est pas lié par un contrat de travail ; qu'il est également habilité à attester de la régularité et de la sincérité des comptes de résultats ; qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 2 précité, l'expert-comptable fait aussi profession de tenir, centraliser, ouvrir, arrêter, surveiller, redresser et consolider les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n'est pas lié par un contrat de travail ; qu'ainsi, exerce illégalement la profession d'expert-comptable celui qui, sans être inscrit au tableau de l'Ordre exécute habituellement, en son propre nom et sous sa responsabilité, des travaux prévus par les deux premiers alinéas de l'article 2 précité ou qui assure la direction suivie de ces travaux, en intervenant directement dans la tenue, la vérification, l'appréciation ou le redressement des comptes ; qu'en conséquence, il est illégal, pour une société non inscrite à l'Ordre des experts-comptables, de mettre à la disposition d'entreprises utilisatrices des salariés chargés des missions précisées à l'article 2 de l'ordonnance du n° 45-2138 du 19 septembre 1945, dès lors que, selon l'article L. 1252-1 du code du travail, le salarié mis à disposition demeure salarié de l'entreprise de travail à temps partagé et, de ce fait, sous sa subordination ; qu'en jugeant, dans ce cadre, que ne constituait pas un trouble manifestement illicite le fait, pour la société Sirac Dijon, de mettre M. C... à la disposition de différentes entreprises, après avoir pourtant constaté que ni l'un ni l'autre n'était inscrit à l'Ordre des experts-comptables et que M. C... se trouvait dans un lien de dépendance juridique à l'égard de la seule société Sirac Dijon, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles 2 et 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'Ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, ensemble les articles L. 1252-1 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;
Alors, en tout état de cause, que selon les article 2 et 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, les travaux de comptabilité ne peuvent être exécutés que par une personne physique ou morale inscrite au tableau de l'Ordre des experts-comptables ; que la seule exception à cette incompatibilité concerne les salariés de l'entreprise ou de l'organisme pour lesquels sont effectués les travaux de compatibilité ; que dès lors, pour qu'une telle exception puisse être applicable dans le cadre de la mise à disposition d'experts comptables par une société de travail à temps partagé, ces derniers doivent être sous la subordination de l'entreprise utilisatrice ; que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que pour retenir l'existence d'un tel lien entre les salariés de la société Sirac Dijon et les entreprises utilisatrices, et écarter ainsi l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a relevé que les contrats de mise à disposition stipulaient expressément que le salarié devait exercer son travail sous le contrôle et l'encadrement d'un responsable désigné par l'entreprise utilisatrice, pilotant son travail et signant sa fiche de présence, et à qui le salarié mis à disposition devait rendre compte de son activité ; qu'ils précisaient encore que l'entreprise utilisatrice devait mettre fournir au salarié mis à disposition les équipements nécessaires à l'exécution de son travail, à savoir une ligne téléphonique, un accès à internet, un ordinateur ainsi qu'une adresse e-mail, que le salarié mis à disposition devait effectuer son travail dans les locaux de l'entreprise utilisatrice, et que, pendant la durée de la mise à disposition, l'entreprise utilisatrice devait prendre à son égard la qualité de commettant, devenant civilement responsable des dommages de toute nature causés par ce salarié sur les lieux ou à l'occasion du travail (arrêt attaqué, page 5) ; qu'en déduisant de ces éléments l'absence de trouble manifestement illicite pris de l'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, sans rechercher, comme elle était pourtant requise (conclusions d'appel, pages 6 et suivantes), si la société Sirac Dijon ne conservait pas le pouvoir de donner au salarié mis à disposition des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner ses manquements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 et 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 portant institution de l'Ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, ensemble les articles L. 1221-1, L. 1252-1 du code du travail et 809 du code de procédure civile.