LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 764 et 765-1 du code civil ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le conjoint survivant dispose d'un an à partir du décès pour manifester sa volonté de bénéficier de son droit viager au logement ; que cette manifestation de volonté peut être tacite ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'Z... Y... est décédé le [...], en laissant pour lui succéder son fils Q..., né d'une première union, et sa conjointe séparée de biens, Mme T..., qui occupait, à l'époque du décès, un logement acquis en indivision par les époux ; que des difficultés sont survenues lors du règlement de la succession ;
Attendu que, pour dire que Mme T... n'a pas manifesté dans le délai requis sa volonté de bénéficier des droits d'habitation et d'usage à titre viager sur le logement familial et qu'elle est redevable envers l'indivision successorale d'une indemnité d'occupation à compter du 25 juillet 2008, l'arrêt, après avoir énoncé qu'une telle manifestation de volonté du conjoint survivant ne peut résulter de la seule poursuite de l'occupation des lieux, constate que les termes utilisés par Mme T... dans l'assignation qu'elle a fait délivrer à M. Y... le 19 octobre 2007, précisant son souhait de conserver l'appartement « conformément à la loi », sont trop vagues pour caractériser cette volonté, la conservation du logement pouvant s'opérer selon diverses modalités, comme l'attribution préférentielle ; qu'il retient qu'elle ne peut se prévaloir du projet d'acte de notoriété établi à sa demande en 2009 et indiquant qu'elle a manifesté dans cette assignation de 2007 sa volonté d'exercer son droit viager au logement, dès lors que M. Y... a, dans une lettre du 2 septembre 2010, refusé de le signer en contestant cette mention et qu'elle ne justifie dès lors d'aucun acte ou correspondance exprimant sa volonté dans le délai requis, soit avant le 24 juillet 2008 ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que Mme T..., qui s'était maintenue dans les lieux et avait précisé, dans l'assignation délivrée à M. Y... le 19 octobre 2007, son souhait de conserver l'appartement, avait déclaré, dans un projet d'acte de notoriété établi avant toute opposition de son cohéritier, confirmer sa volonté de bénéficier de son droit viager au logement, ce dont il ressortait qu'elle avait manifesté tacitement sa volonté dans le délai requis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize février deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme T...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que, dans le délai prescrit, le conjoint survivant (Mme A... T..., l'exposante) n'avait pas manifesté à son cohéritier (M. Y...) sa volonté de bénéficier du droit d'usage et d'habitation à titre viager sur le logement familial et de l'avoir déclaré redevable envers l'indivision successorale d'une indemnité d'occupation à compter du 25 juillet 2008 ;
AUX MOTIFS, propres et adoptés, QUE la manifestation de volonté du conjoint survivant, requise par l'article 765-l du code civil, ne pouvait résulter de la seule poursuite de l'occupation des lieux ; qu'il appartenait donc à Mme T... de démontrer qu'elle avait manifesté cette volonté dans le délai prescrit, soit avant le 25 juillet 2008 ; qu'elle avait fait délivrer, le 19 octobre 2007, une assignation à M. Y... afin qu'il soit procédé au partage de l'indivision ; que, dans le corps de son assignation, elle décrivait l'appartement et ajoutait « que ledit appartement constitu(ait) actuellement la résidence de Mme A... T... veuve Y... et qu'elle souhaitait le conserver conformément â la loi » ; que la conservation de cet appartement « conformément à la loi » pouvait s'opérer selon diverses modalités telle l'attribution préférentielle ; que l'expression employée était donc vague ; qu'il ne résultait d'aucun autre terme de cette assignation que Mme T... avait entendu exercer ses « droits d'habitation et d'usage » prévus par l'article 764 du code civil ; que , dans un courrier du 2 septembre 2010, M. Y... avait refusé de signer l'acte de notoriété établi par la SCP Strock au motif qu'il contenait une clause insérée à la demande de Mme T... aux termes de laquelle elle avait manifesté, dans cette assignation, sa volonté de bénéficier de ce droit viager ; qu'il estimait que Mme T... n'avait pas fait part de cette volonté ; que Mme T... ne pouvait donc se prévaloir de ce projet d'acte - établi plus d'un an après le décès - pour démontrer qu'elle avait, dans l'assignation délivrée le 19 octobre 2007, manifesté cette volonté ; que l'acte de notoriété dressé le 8 juin 2011 par Maître K..., notaire à Bezons, à la demande de Mme T... mentionnait que celle-ci avait déclaré avoir fait sa demande dans l'assignation; qu'il se contentait de reprendre ses déclarations sur la portée de celle-ci ; que Mme T... ne se prévalait d'aucun autre document écrit ; qu'elle ne justifiait donc pas avoir demandé, dans un acte ou dans un courrier, le bénéfice de ce droit d'usage et d'habitation ; qu'elle démontrait avoir assumé seule les charges et impôts relatifs à l'immeuble depuis le décès de son conjoint ; que cette seule circonstance ne suffisait pas à caractériser sa volonté de bénéficier du droit viager; que M. Y... s'était opposé à la signature de l'acte de notoriété préparé par la SCP Strock car il contenait la clause précitée ; qu'il avait toujours contesté l'existence du droit viager, faute pour Mme T... de l'avoir sollicité dans le délai légal ; que le maintien dans les lieux de Mme T... ne pouvait, dans ces conditions, caractériser la reconnaissance par M. Y... de l'exercice de son droit viager ; que Mme T... n'avait donc pas manifesté sa volonté d'exercer son droit dans le délai prescrit; qu'elle ne pouvait ainsi bénéficier du droit d'habitation prévu à l'article 764 du code civil; qu'elle était dès lors tenue au paiement d'une indemnité d'occupation (arrêt attaqué, p.7, alinéa 1er, à p.8, alinéa 1er) ; que, lors du décès d'Z... Y..., Mme A... T..., sa veuve, occupait effectivement à titre d'habitation principale le logement situé [...] niveau 41,90 cage 1 acquis en indivision par Z... Y... et Mme A... T... selon acte du 25 février 2005 ; qu'il ressortait des termes de l'assignation en partage délivrée le 19 et 23 octobre 2007 par Mme A... T... à M. Q... Y... que la première précisait que « ledit appartement constituait actuellement (s)a résidence (...) et qu'elle souhait(ait) le conserver conformément à la loi » ; que, force était de constater qu'en accord avec cette mention dans l'assignation en partage, Mme A... T... s'était maintenue dans le logement durant toute l'année suivant le décès de son époux et qu'elle s'y trouvait toujours ; que les termes utilisés par Mme A... T... dans son assignation (« ledit appartement constitue actuellement la résidence de A... T... et elle souhaite le conserver conformément à la loi ») n'étaient pas assez précis pour caractériser sa volonté de se prévaloir de son droit d'habitation et d'usage à titre viager en application de l'article 764 du code civil ; qu'il pouvait en effet être déduit de l'assignation qu'elle entendait solliciter une attribution préférentielle du bien conformément à l'article 831-2 du même code ; que ce n'était qu'en 2009, soit plus d'un an après le décès de son mari que le notaire chargé de dresser l'acte de notoriété déduisait des termes de l'assignation précités que M. A... T... avait déclaré à M. Q... Y... vouloir bénéficier du droit viager d'habitation avec droit d'usage du mobilier successoral le garnissant conformément aux termes de l'article 765-1 du code civil ; que cette interprétation était contestée par M. Q... Y... ; qu'il apparaissait donc que, dans le délai requis par l'article 765-1 du code civil, Mme A... T..., conjoint survivant, n'avait pas manifesté clairement à M. Q... Y... sa volonté de bénéficier du droit d'habitation et d'usage à titre viager sur le logement familial appartenant aux époux ; qu'il s'ensuivait que, à compter du 25 juillet 2008, à l'expiration du délai de jouissance gratuite du logement prévu à l'article 763 du code civil, Mme A... T... occupait privativement le bien indivis (v. jugement entrepris, p.3, alinéa dernier, à p.4, alinéa 6) ;
ALORS QUE, d'une part, le conjoint survivant dispose d'un an à partir du décès pour manifester, y compris tacitement, sa volonté de bénéficier de ses droits d'habitation et d'usage sur le logement ; que, lorsque l'occupation du logement après l'expiration du droit temporaire ne fait pas l'objet d'une opposition immédiate des cohéritiers, la manifestation de volonté du conjoint survivant résulte de son maintien dans les lieux ; que, pour déclarer que la veuve n'avait pas manifesté sa volonté de bénéficier du droit viager en se maintenant dans les lieux après le 25 juillet 2008, l'arrêt attaqué a retenu que le cohéritier avait toujours contesté l'existence du droit viager de la survivante ; qu'en se prononçant de la sorte quand elle constatait pourtant que le cohéritier s'était opposé au droit viager de sa belle-mère seulement dans un courrier du 2 septembre 2010 de sorte que, après l'expiration du droit temporaire au logement et durant plus de deux ans, il n'avait contesté ni son maintien dans les lieux ni son intention de bénéficier de son droit viager, la cour d'appel a violé les articles 764 et 765-1 du code civil ;
ALORS QUE, d'autre part, la manifestation de volonté du conjoint survivant peut être confirmée après l'expiration du délai d'un an par un acte établi à un moment où le cohéritier n'a pas remis en cause son droit ; qu'en considérant que l'exposante – qui, six mois après le décès de son conjoint, avait exprimé son souhait de conserver le logement qu'elle détenait pour moitié, puis s'était maintenue dans les lieux après l'expiration de son droit temporaire au logement – ne pouvait pas se prévaloir du projet d'acte de notoriété établi en 2009 et réitérant expressément sa volonté de bénéficier du droit viager, quand son droit n'avait été contesté par son cohéritier que le 2 septembre 2010, la cour d'appel a violé les articles 764 et 765-1 du code civil.