LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1844-7, 5° du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le Groupement foncier agricole familial Romain Y... (le GFA) a été constitué, en février 1990, entre MM. Robert, Michel, Marc, Luc, Bertrand Y... et Mme Sylvie Y... ; que M. Robert Y... a cédé ses parts sociales à ses enfants, Luc et Marc, aux termes d'une donation-partage du 27 décembre 2005 ; que MM. Michel et Bertrand Y... et Mme Sylvie Y... ayant demandé en justice la dissolution anticipée du GFA pour mésentente entre les associés paralysant le fonctionnement de celui-ci, MM. Marc et Luc Y... s'y sont opposés ;
Attendu que pour prononcer la dissolution du GFA, l'arrêt retient que M. Marc Y..., désigné premier gérant de celui-ci lors de sa constitution en 1990, ne démontre pas avoir tenu d'assemblée générale entre cette date et 2004, ni avoir soumis aux associés un rapport sur les opérations et les comptes de la société, un bilan ou des projets de résolution, ni encore avoir dressé un inventaire annuel du passif et de l'actif, seules les déclarations relatives aux revenus perçus par le GFA au cours des années 2014 et 2015 étant versées au débat ; qu'il relève que, lors de l'assemblée générale du 8 juillet 2005, le gérant n'a pas été reconduit dans ses fonctions, faute de majorité ; qu'il ajoute que cette situation est inextricable, chaque branche de la famille possédant la moitié des parts sociales ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la mésentente entre les associés paralysait le fonctionnement de la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne MM. Michel et Bertrand Y... et Mme Sylvie Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à MM. Luc et Marc Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf janvier deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour MM. Luc et Marc Y....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la dissolution du GFA familial Romain Y..., désigné Maître F... en qualité de liquidateur, dit que la D... effectuera sa mission dans le respect des dispositions de l'article 1844-9 du code civil et aura les pouvoirs les plus étendus en application de l'article 33 des statuts à l'effet de réaliser, même à l'amiable, tout actif de la société et d'éteindre son passif, et que le produit net de la liquidation après le règlement du passif sera réparti entre les associés proportionnellement au nombre de parts possédées par chacun d'eux, et condamné in solidum Messieurs Luc et Marc Y... à payer à Messieurs Michel et Bertrand Y... et à Madame Sylvie Y... la somme totale de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs propres que, sur la dissolution anticipée du GFA Romain Y..., le fait que l'article 31 des statuts traitant de la dissolution du groupement ne se réfère pas aux dispositions légales relatives à la dissolution anticipée des sociétés n'a pas pour effet d'interdire à l'un quelconque des associés d'invoquer l'article 1844-7 du Code civil ; qu'aux termes du paragraphe 5 de l'article susvisé, la dissolution anticipée peut être prononcée par le tribunal «
à la demande d'un associé pour justes motifs notamment en cas
de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société » ; que Monsieur Marc Y... désigné premier gérant du groupement foncier agricole lors de sa création en 1990, ne démontre pas avoir tenu d'assemblée générale entre cette date et 2004, ni d'avoir donné à ses associés des informations sur l'activité du groupement alors que les statuts l'obligeaient à tenir une assemblée générale annuelle et à soumettre à ses associés un rapport sur les opérations et les comptes de la société, le bilan et les projets de résolution de même que d'établir chaque année un inventaire de l'actif et du passif ; que les appelants ne versent au dossier que les déclarations relatives aux revenus perçus par le GFA au cours des années 2014 et 2015 ; qu'en application de l'article 18 des statuts, l'assemblée générale annuelle doit prévoir « la reconduction ou la non-reconduction du gérant en exercice » ; que lors de l'assemblée générale du 8 juillet 2005, Monsieur Marc Y... n'a pas été reconduit dans ses fonctions dès lors qu'aucune majorité ne s'est dégagée, Messieurs Robert, Marc et Luc Y... votant oui, Messieurs Michel, Bertrand Y... et Madame Sylvie Y... votant non ; que cette situation ainsi que l'a relevé le premier juge est inextricable, chaque branche de la famille possédant la moitié des parts sociales ; que la société n'a pas de gérant depuis cette date ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il existe une mésentente avérée entre associés qui paralyse le fonctionnement du groupement, aucune des dispositions statutaires y relatives n'étant respectée ; que le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 16 décembre 2014 rectifié le 27 janvier 2015 prononçant la dissolution du GFA Familial Romain Y... et désignant la D... sera confirmé ;
Et aux motifs, le cas échéant, repris des premiers juges, que, sur le fond, l'article 1844-7-5° du code civil dispose que la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ; qu'en l'espèce, il s'avère que Marc Y..., gérant statutaire, n'a tenu aucune assemblée générale entre la création du GFA remontant à 1990 et 2004 de sorte que les comptes n'ont pas été approuvés et sur cette longue période ; que d'une manière générale, Marc Y... ne démontre pas avoir régulièrement donné à ses associés les informations qu'ils étaient en droit d'attendre sur l'activité du groupement ; que par ailleurs, il existe une discorde familiale entre la branche Michel Y... et la branche Robert Y... qui remonte au moins à 2001 (une ordonnance de référé du 2 avril 2001 a désigné un premier administrateur judiciaire pour gérer l'enchevêtrement des indivisions familiales) ; que cette discorde a atteint son paroxysme au cours de l'assemblée générale du 8 juillet 2005, à laquelle a participé un huissier de justice en vertu d'une ordonnance sur requête ; qu'à cette occasion, Marc Y... n'a pas été reconduit dans ses fonctions de gérant du GFA Familial Romain Y... ; que la branche Michel Y... a en effet voté contre cette résolution ; que le GFA est donc dépourvu de dirigeant élu en bonne et due forme depuis plus de neuf ans ; que cette situation est inextricable dans la mesure où chaque branche possède la moitié des parts sociales ; que les procédures se multiplient ; que la liquidation judiciaire de la SCEA des Vignobles Romain Y... et fils a été prononcée le 5 juillet 2005 avec désignation d'un administrateur compte tenu de la mésentente entre les cogérants Michel et Robert Y... ; que le partage des différentes indivisions familiales a été ordonné par jugement du 15 mars 2011 confirmé par un arrêt du 6 mars 2012 ; qu'a aussi été prononcée la dissolution de la société civile Romain Y... encore pour cause de mésentente paralysant le fonctionnement de cette société ; qu'est également en cours, après une vaine procédure de référé, une instance tendant à voir expulser la société civile des Vignobles Romain Y... ayant repris l'exploitation des parcelles viticoles de toute la famille par l'intermédiaire de Luc et Marc Y... ; que même l'évaluation desdites parcelles pose des difficultés (déjà plusieurs ordonnances rendues à ce sujet par le juge-commissaire) ; qu'enfin le partage des bénéfices est plus que problématique ; qu'un administrateur judiciaire a dû être nommé pour gérer les immeubles à usage locatif et distribuer les loyers encaissés ; que l'ancienneté et l'intensité du conflit entre les deux branches commandent d'ordonner la dissolution du GFA Familial Romain Y... en raison de la paralysie du fonctionnement de cette structure, ce qui permettra de liquider tous les intérêts communs de cette famille ;
Alors, d'une part, qu'il résulte de l'article 18 des statuts du GFA que Monsieur Marc Y... a été désigné comme premier gérant pour une durée d'un an, reconductible par tacite reconduction ; qu'à défaut de la décision de l'assemblée générale décidant sa non-reconduction, il conservait donc l'exercice de ce mandat ; que la cour d'appel qui constate que lors de l'assemblée générale du 8 juillet 2005, aucune majorité ne s'était dégagée et que Monsieur Marc Y... n'avait pas été reconduit dans ses fonctions, ce dont il se déduit également que cette assemblée n'avait pris aucune décision ne le reconduisant pas dans ses fonctions, ne pouvait en déduire, sans méconnaître la portée de ses propres énonciations, ensemble l'article 18 des statuts et les articles 1134 et 1844-7 5° du code civil, que la société n'avait donc pas de gérant depuis cette date ;
Alors, d'autre part, que la mésentente entre les associés ne justifie la dissolution d'une société qu'à la condition d'entraîner une paralysie du fonctionnement de celle-ci ; que la cour d'appel qui s'est déterminée par des motifs déduits de l'importance et de la durée des dissensions entre les deux branches familiales associées au sein du GFA et des conséquences de cette mésentente sur la gestion des biens indivis et d'une autre société civile, sans caractériser les obstacles ainsi apportés au fonctionnement normal du GFA, et sans répondre aux conclusions de Messieurs Luc et Marc Y... faisant valoir que celui-ci continuait à remplir son objet et à satisfaire à ses obligations fiscales, sociales et sociétales, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1844-7 5° du code civil ;
Et aux motifs que, sur la mission du liquidateur, l'article 33 des statuts donne au liquidateur les pouvoirs les plus étendus à l'effet de réaliser, même à l'amiable tout actif de la société et d'éteindre son passif, le produit net de la liquidation après le règlement du passif étant réparti entre les associés proportionnellement au nombre des parts possédées par chacun d'eux ; que cette mission sera donnée au liquidateur outre le respect des dispositions de l'article 1844-9 du code civil ;
Et alors, subsidiairement, que la cour d'appel qui a précisé les pouvoirs du liquidateur pour réaliser, même à l'amiable, tout actif de la société et éteindre son passif, sans répondre aux conclusions de Messieurs Luc et Marc Y..., faisant valoir que de telles prérogatives étaient incompatibles avec le respect des droits d'attribution préférentiels reconnus aux associés du GFA, a ainsi entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions et l'a privé de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;