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19/12/2018 | FRANCE | N°17-23744

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 19 décembre 2018, 17-23744


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à MM. Eric, Jean-Philippe, Dominique, Cyrille, Christophe F... , et Mmes Emmanuelle F... , épouse H... et Jacqueline Z..., épouse F... , de leur reprise d'instance en qualité d'héritiers de Bertrand F... , décédé le [...] ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1382, devenu1240, du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à l'occasion d'un conflit entre les associés de la société Terre verte service (la société TVS), Bertrand F... a ét

é désigné en qualité d'administrateur provisoire de cette société par une ordonnance du 26...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Donne acte à MM. Eric, Jean-Philippe, Dominique, Cyrille, Christophe F... , et Mmes Emmanuelle F... , épouse H... et Jacqueline Z..., épouse F... , de leur reprise d'instance en qualité d'héritiers de Bertrand F... , décédé le [...] ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1382, devenu1240, du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à l'occasion d'un conflit entre les associés de la société Terre verte service (la société TVS), Bertrand F... a été désigné en qualité d'administrateur provisoire de cette société par une ordonnance du 26 octobre 1995 ; qu'une ordonnance de référé du 18 juillet 1996 l'a autorisé à disposer des fonds nécessaires pour procéder à la régularisation fiscale à titre provisionnel des exercices 1994 et 1995 et a dit que les fonds de la société seraient indisponibles à hauteur de 4 000 000 francs (609 796,07 euros) jusqu'à l'arrêt de toutes les procédures en cours ou la mise au point d'un accord définitif réglant les différends entre associés ; que les fonds ont été bloqués sur un compte à terme ; que Bertrand F... ayant cessé son activité professionnelle, M. I... a été désigné pour le remplacer par une ordonnance du 21 octobre 1998 ; que la société TVS a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 17 janvier 2007, M. I... étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire et la société G... A... en celle de mandataire judiciaire ; que l'administrateur judiciaire a assigné Bertrand F... en responsabilité, pour avoir, durant l'exercice de son mandat d'administrateur provisoire, utilisé les fonds bloqués sur le compte à terme pour faire fonctionner la société TVS ; que la procédure ayant été convertie en liquidation judiciaire le 2 avril 2008, la société G... A..., désignée liquidateur, a repris l'instance ;

Attendu que pour condamner Bertrand F... à payer au liquidateur la somme de 200 000 euros, l'arrêt, au vu d'une première décision mixte du 16 juillet 2014, qui avait retenu le comportement fautif de ce dernier, et se référant au rapport d'expertise, relève que le préjudice subi par la société est constitué par l'absence de préservation de la somme indisponible et la non-perception des intérêts qu'elle aurait dû produire, et en déduit que la faute est en lien direct et certain avec le préjudice subi par la société, consistant en la perte de la chance de préserver des capitaux propres et de ne pas aggraver son passif ;

Qu'en se déterminant ainsi, tout en constatant, d'un côté, que Bertrand F... avait utilisé les fonds pour compenser l'absence de trésorerie de la société et payer les charges des exercices 1996 et suivants, et, de l'autre, que la société n'a fait l'objet d'un redressement judiciaire que huit ans après la cessation de ses fonctions, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne la société G... A..., en qualité de liquidateur de la société Terre verte service, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour les consorts F...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, au vu l'arrêt en date du 16 juillet 2014 qui avait retenu le comportement fautif de M. F... et ordonné une expertise et y ajoutant, dit que le préjudice subi par la SCP G... A... , ès qualités de liquidateur de la société TVS, du fait du comportement fautif de M. F... s'élevait à une somme de 200 000 euros et d'AVOIR, en conséquence, condamné M. F... à payer à la SCP G... A... , ès qualités, la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 21 février 2008, date de l'assignation ;

AUX MOTIFS QUE la responsabilité de M. Bertrand F... est recherchée en raison de fautes commises dans l'exercice du mandat d'administrateur provisoire qui lui a été confié par décision du juge des référés de Bordeaux en date du octobre 1995, mandat qui a pris fin le 21 octobre 1998 ; qu'il a été définitivement statué par arrêt du 16 juillet 2014 sur le comportement fautif de M. Bertrand F... ; que reste à caractériser le préjudice éventuellement subi par la société du fait de l'utilisation de ces fonds théoriquement bloqués ; qu'à cet égard, il ressort des pièces produites qu'en vertu d'une ordonnance du 18 juillet 1996, M. Bertrand F... a été autorisé à disposer des fonds nécessaires pour procéder à la régularisation fiscale à titre provisionnel des exercices 1994 et 1995 et par même ordonnance, il a été prononcé l'indisponibilité des fonds de la Sarl TVS à hauteur de 4 000 000 francs (609 796,06 euros) bloqués sur un compte à terme ; que le rappel de cette régularisation fiscale, selon l'ordonnance de référé précitée, était de 1 392 374 francs (212 266,04 euros) au titre de l'impôt sur les sociétés ; qu'il ressort des conclusions d'expertise diligentée par M. Jean E..., « qu'à compter du 1er janvier 1996, la Sarl TVS n'avait plus aucune activité et ne survivait que sur les excédents dégagés au cours des deux exercices précédents » ; qu'il est par ailleurs établi que ce compte à terme a été ouvert auprès de la Société Générale courant 1995 et que le 27 octobre 1995, il y a été déposé la somme de 5 500 000 francs (838 469,59 euros) ; que le 14 août 1996, le solde de ce compte n'était plus que de 3 800 000 francs (579 306,26 euros) et le 13 octobre 1998, soit quelques jours avant la fin du mandat de M. Bertrand F... et son remplacement par Me I..., le compte litigieux présentait un solde de 1 800 000 francs (274 408,23 euros) ; que M. Bertrand F... n'a pas adressé de reddition de comptes à l'occasion de la fin de son mandat ; que l'expert indique clairement que M. Bertrand F... n'a pas respecté l'indisponibilité des fonds et a utilisé le compte à terme pour compenser l'absence de trésorerie de la société et payer les charges des exercices 1996 et suivants ; qu'il ajoute que l'utilisation de ces fonds en-dessous du seuil fixé par le juge des référés n'a pas été faite dans l'intérêt de la société et a maintenu la Sarl TVS en activité de manière artificielle puisqu'elle ne générait quasiment plus aucune ressource à compter de l'exercice 1996 (chiffre d'affaires de 95 216 francs (14 515,58 euros) en 1996 et de 139 979 francs (21 339,66 euros) jusqu'au 30 septembre 1997) tout en maintenant des charges d'exploitation élevées (1 433 188 francs (218 488,10 euros) sur l'exercice 1996 et 1 358 865 francs (207 157,63 euros sur les 9 premiers mois de 1997) ; que M. E... estime que le préjudice subi par la Sarl TVS est constitué par l'absence de préservation de cette somme de 4 000 000 francs (609 796,06 euros) et la non-perception des intérêts contractuellement prévus qu'elle aurait dû produire, soit durant la période de gestion de M. Bertrand F... la somme de 152 378 francs (23 229,87 euros) ; qu'en revanche, seul l'arrêt total et définitif de l'activité début 1996 est à l'origine de la procédure collective ouverte plus de 10 ans après, lorsque la trésorerie est devenue négative ; qu'il en résulte qu'à la date où M. Bertrand F... a cessé sa mission, il avait été prélevé une somme de 2 200 000 francs (335 387,83 euros) malgré l'indisponibilité ordonnée par le juge des référés ; que dans la mesure où il était le seul à disposer d'une vision claire sur les comptes de l'entreprise, en sa qualité d'administrateur provisoire, et également le seul à pouvoir faire fonctionner le compte à terme litigieux, la faute commise est bien en lien direct et certain avec le préjudice subi par la Sarl TVS ; que même s'il a été clairement mis en évidence que la liquidation judiciaire prononcée en 2007 ne peut être en lien avec cette faute, il n'en demeure pas moins que le comportement fautif de M. Bertrand F... a fait perdre à la Sarl TVS la chance de préserver des capitaux propres et de ne pas aggraver son passif ; qu'il ne pouvait en effet ignorer que la Sarl TVS n'avait plus aucune activité depuis le début de l'année 1996 tandis que ses charges notamment fiscales et sociales sont demeurées particulièrement importantes pendant toute la durée de son mandat ; que même si la cessation d'activité d'une société engendre nécessairement des frais, notamment de licenciement, qui seraient venus impacter la trésorerie de l'entreprise et donc le solde du compte à terme, il n'en demeure pas moins que son inertie et les prélèvements injustifiés sur ce compte au cours de sa période de gestion, ont fait perdre à la Sarl TVS une chance de pouvoir utiliser ces fonds propres pour régler les créanciers ou conserver un boni de liquidation ; qu'en effet, il n'est pas possible de distinguer au sein du montant détourné (2 200 000 francs, soit 335 387,83 euros) ce qui aurait de toute façon dû être payé pour liquider la société dès 1996 (payer les charges sociales, fiscales, les indemnités de licenciement
) ; que le fait que le compte bloqué ait fait l'objet de nouveaux prélèvements de la part de Me I..., tenu dans l'ignorance de l'ordonnance d'indisponibilité n'est pas de nature à remettre en question l'appréciation de la responsabilité de M. Bertrand F... ; qu'en conséquence, le préjudice de la Sarl TVS sera justement évalué à une somme de 200 000 euros, somme que M. Bertrand F... sera condamné à payer à la SCP Jean Denis G... - Bernard A..., ès qualités de liquidateur de la Sarl Terre Verte Service ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 21 février 2008, date de l'assignation ;

1° ALORS QUE n'est pas dommageable la perte compensée par un avantage ; qu'en condamnant M. F... à indemniser la société TVS des prélèvements effectués par l'administrateur provisoire sur le compte bloqué en dépit de l'indisponibilité des fonds, quand elle constatait que l'utilisation des fonds indisponibles par l'administrateur provisoire avait permis de payer les dettes de la société, de sorte que la « perte » des fonds versés était compensée par la disparition des dettes acquittées, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'ancien article 1382, nouveau 1240, du code civil ;

2° ALORS QU'en toute hypothèse, seule la faute causale de l'administrateur judiciaire engage sa responsabilité ; qu'en condamnant M. F... à indemniser la société TVS des prélèvements effectués par l'administrateur provisoire sur le compte bloqué en dépit de l'indisponibilité des fonds, sans établir que l'utilisation des fonds indisponibles, seule imputée à faute à l'administrateur provisoire, était la cause d'un préjudice pour la société TVS, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1382, nouveau 1240, du code civil ;

3° ALORS QU'en toute hypothèse, le jugement qui tranche dans son dispositif une partie du principal a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche et dessaisit le juge de celle-ci ; qu'en imputant à faute à M. F... d'avoir poursuivi une activité déficitaire sans solliciter la liquidation de la société TVS dès 1996, quand par l'arrêt du 16 juillet 2014 confirmant le jugement du 9 novembre 2011, statuant définitivement sur la faute, il avait seulement été imputé à faute à l'administrateur provisoire d'avoir utilisé les fonds indisponibles, la faute qui aurait consisté à avoir poursuivi une activité déficitaire ayant été écartée, la cour d'appel a méconnu l'autorité de chose jugée attachée à ces décisions en violation des articles 480 et 481 du code de procédure civile ;

4° ALORS QU'en toute hypothèse, la perte d'une chance ne peut résulter que d'un événement futur et incertain et ne saurait pallier la carence du demandeur à établir la preuve de son préjudice ; qu'en analysant le préjudice résultant, pour la société TVS, de la faute imputée à l'administrateur provisoire, en une perte de chance de conserver les fonds bloqués pour régler les créanciers ou conserver un boni de liquidation, quand ce préjudice n'était affecté d'aucun aléa et résultait de la différence, précisément déterminable, entre les frais, réglés grâce à ces fonds, liés à la liquidation, qui devaient en toute hypothèse être engagés sans que la société TVS puisse se prévaloir d'un préjudice causé par l'administrateur à ce titre, et ceux qui avaient été engendrés par la poursuite de l'activité, la cour d'appel a violé l'ancien article 1382, nouveau 1240, du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 17-23744
Date de la décision : 19/12/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Pau, 27 juin 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 19 déc. 2018, pourvoi n°17-23744


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia

Origine de la décision
Date de l'import : 29/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.23744
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