LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un déraillement s'est produit à la suite de la collision d'un train avec une remorque appartenant à M. Y... et manoeuvrée par M. X..., laquelle avait dévalé une pente pour s'immobiliser sur la voie ferrée ; que la SNCF a assigné M. Y... et son assureur de responsabilité civile, la société MMA IARD, M. X... ainsi que la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles dite société Groupama Centre-Atlantique, recherchée comme assureur de la remorque, en indemnisation de ses divers préjudices ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la première et la quatrième branches du moyen unique annexé, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
Attendu que pour débouter l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF mobilités SNCF réseau de ses demandes, l'arrêt retient que, malgré la présence anormale de la remorque appartenant à M. Y... sur la voie ferrée provoquée par l'action de M. X..., et si M. Y... avait pu commettre des manquements en qualité de commettant, il n'en demeure pas moins que l'absence de réaction utile de la SNCF due à une accumulation de dysfonctionnements a été un événement directement causal et un paramètre déterminant dans la réalisation du dommage ; que la chute sur la voie ferrée de la remorque n'a pas été la cause exclusive du dommage et que l'action de la SNCF a été déterminante et directe dans les circonstances et la réalisation de l'accident même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'une cause chronologiquement première ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses propres constatations que, sans la présence de la remorque sur la voie ferrée, aucune collision ne serait intervenue, de sorte que cette remorque constituait l'une des causes nécessaires du dommage, même si elle n'en était pas la cause exclusive, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne M. X..., M. Y..., les sociétés MMA IARD, MMA IARD assurances mutuelles et la Caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles dite société Groupama Centre-Atlantique aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes ; condamne in solidum M. Y... et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles à payer à l'établissement public SNCF mobilités SNCF réseau la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour la SNCF réseau et la SNCF mobilités
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté la SNCF de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de MM. Y... et X... et des sociétés MMA IARD et Groupama ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE si la SNCF envisage la responsabilité de M. X..., gardien de la remorque, du fait de son action lors de l'accident du 3 juillet 2009, et également celle de M. Y..., propriétaire de cette remorque en sa qualité de commettant, et leur responsabilité du fait d'un retard dans le traitement de l'information, ce qui n'est nullement démontré puisque ces derniers ont été extrêmement rapides pour avertir la gendarmerie compétente, il ressort des éléments du dossier et notamment de l'expertise confiée à M. B... dans le cadre de la procédure pénale que le temps d'action de la SNCF lui permettait de réagir utilement afin d'arrêter le train nº 3661 si les procédures utiles avaient été mises en oeuvre, comme elle se devait de le faire en sa qualité de transporteur ; qu'en effet, malgré la présence anormale de la remorque appartenant à M. Y... sur la voie ferrée provoquée par l'action de M. X..., la cause immédiate et directe du dommage était le défaut de communication efficace entre le régulateur et le conducteur du train nº 3661 et le défaut de recours à la procédure de coupure de courant d'urgence des trains circulant sur voie ferrée ; qu'il ressort des éléments soumis à la cour que si M. X..., gardien de la remorque, avait - comme le soutient la SNCF - mal positionné la remorque dans le champ, omis de mettre le frein, utilisé des cales adaptées, appelé M. Y... le propriétaire de la remorque avant la gendarmerie et si M. Y... avait pu commettre des manquements en qualité de commettant, il n'en demeure pas moins que l'absence de réaction utile de la SNCF due à une accumulation de dysfonctionnements a été un événement directement causal et un paramètre déterminant dans la réalisation du dommage ; que le long temps de réponse de 56 secondes du CRO (centre régional opérationnel) à l'appel de la gendarmerie à 20 h 36 mn 29 s, l'absence de réponse du conducteur du train nº 3661 qui n'a pas entendu l'appel du régulateur puisqu'il circulait alors fenêtre ouverte dans un tunnel, l'incompréhension d'opérateurs qui - faute de se présenter par le numéro du train - croient avoir averti les deux trains (nº 3661 et nº 74520) alors que seul le train nº 74520 qui s'est arrêté avant l'obstacle avait été avisé à deux reprises (le conducteur du train nº 3661 n'ayant pas été averti en temps utile et n'ayant pu stopper le convoi en découvrant dans une courbe l'obstacle sur la voie), et surtout l'absence de coupure de courant en urgence sont autant d'éléments qui démontrent un manque de rigueur évident dans les procédures techniques alors que, compte tenu de l'obligation de sécurité résultat renforcée d'un transporteur d'une telle importance que la SNCF et du nombre de vies humaines en jeu, les règles devraient s'appliquer selon une organisation et une procédure quasi militaire ; qu'il sera rappelé que lors de l'appel de la gendarmerie à 20 h 36 mn 29 s, décroché à 20 h 37 mn 26 soit 56 secondes plus tard et retranscrit, les opérateurs SNCF - s'interpellant ainsi : « Non ça servira à rien le contrôleur, contrôler. Oh feuh, fait une coupure d'urgence s'il faut Kiki... » (C.F. Expertise Kleniweski page 28) - envisageaient une coupure de courant qui aurait évité le déraillement du train si elle avait été effective ; que d'autre part, les appels respectifs à la gendarmerie de M. Y... et M. X... à 20 h 35 mn 17 s et 20 h 36 mn 55 permettaient à la SNCF de couper le courant avant l'arrivée du train sur l'obstacle, arrivée estimée par l'expert judiciaire à 20 h 41 mn 30 s soit plus de cinq minutes avant ; qu'il est constant que le train roulant en sens inverse a pu être arrêté par la SNCF ; qu'il apparaît donc de ces éléments que la chute sur la voie ferrée de la remorque n'a pas été la cause exclusive du dommage et que l'action de la SNCF a été déterminante et directe dans les circonstances et la réalisation de l'accident même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'une cause chronologiquement première (arrêt, p. 5 et 6) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE lorsque le dommage est dû à une conjonction de plusieurs causes qui s'enchaînent dans le temps, le juge est invité à choisir la cause directe et immédiate mais aussi nécessaire du dommage ; que l'accident survenu le 3 juillet 2009 est dû à plusieurs causes successives et la responsabilité de Joseph Y..., propriétaire de la remorque pour le compte duquel le chargement des bottes de foin était effectué, et Cédric X..., conducteur de la remorque qui chargeait les bottes de foin lorsque la remorque a dévalé la pente pour aboutir sur la voie ferrée, ne pourrait être retenue et entraîner une condamnation in solidum avec la SNCF que dans l'hypothèse où le fait que la charrette de foin se soit trouvée sur la voie le 3 juillet 2009 était de nature à entraîner directement et nécessairement la collision avec le train ; le fait que la remorque agricole ait dévalé la pente du terrain sur lequel elle avait été stationnée par Cédric X... en vue d'y charger des bottes de foin et son arrêt sur la voie ferrée sur laquelle circulait le train Téoz n° 3661 n'est pas la cause directe et immédiate de la collision en ce que la présence de cet engin sur la voie ne devait pas nécessairement entraîner une collision dès lors que M. Y..., lui-même averti par Cédric X..., en avait informé la gendarmerie qui l'avait elle-même signalé à la SNCF dans un délai dont les expertises réalisées dans le cadre du dossier pénal établissent qu'il lui permettait de faire en sorte que les trains circulant sur cette voie ferrée évitent l'obstacle ; que la cause immédiate et directe du dommage, c'est le défaut de communication efficace entre le régulateur et le conducteur du train n° 3661 et c'est le défaut de recours à la procédure de coupure d'urgence des trains circulant sur la voie ferrée concernée ; qu'ainsi, si les agents de la SNCF avaient tous exécuté leur mission conformément à leurs obligations et aux règles applicables, ce qui n'a pas été le cas, l'accident ne serait pas survenu :
- si le temps de réponse de la SNCF (Centre Régional Opérationnel) à l'appel de la gendarmerie (prévenue par M. Y...) avait été moins long : 56 secondes,
- si le conducteur du train n° 3661 avait répondu à l'appel du régulateur et n'avait pas circulé la fenêtre ouverte alors qu'il se trouvait dans un tunnel, ce qui a eu pour conséquence qu'il n'a pas entendu l'appel,
- si le conducteur du train n° 74520 s'était annoncé lorsqu'il a été appelé par le régulateur et s'il avait relevé que le régulateur faisait une erreur en pensant parler au mécanicien du train n° 3661,
- si une coupure d'urgence avait été demandée par le régulateur au lieu de l'appel radio ; que d'ailleurs, il sera fait observer que l'un des trains circulant sur cette voie en sens inverse a bien été arrêté, la communication entre le régulateur et le conducteur du train qui l'a entendu et compris ayant été efficace (jugement, p. 6 et 7) ;
1°) ALORS QUE toute faute ayant causé un dommage engage la responsabilité de l'auteur de cette faute ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la responsabilité de MM. Y... et X... du fait d'un retard dans le traitement de l'information relative à la chute de la remorque agricole n'était « nullement démontré[e] puisque ces derniers ont été extrêmement rapides pour avertir la gendarmerie compétente » (arrêt, p. 5 § 9) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl., p. 6 dernier § et p. 7), si le fait, pour M. X..., d'avoir d'abord prévenu M. Y... plutôt que la gendarmerie, 4 minutes après la chute de la charrette (concl., p. 14 § 4), et, pour M. Y..., d'avoir eu selon l'expert B... une communication « laborieuse » avec les services de gendarmerie, constituaient des fautes ayant contribué au retard dans la mise en oeuvre des procédures de nature à éviter la collision, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 5 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE tout fait générateur sans lequel le dommage ne serait pas survenu constitue une cause nécessaire de ce dommage ; qu'en l'espèce, il résulte des motifs de l'arrêt, que M. X... avait mal positionné la remorque dans le champ et omis de mettre le frein, tandis que M. Y... avait commis des manquements en qualité de commettant (arrêt, p. 5 dernier §), que « la chute sur la voie ferrée de la remorque n'a pas été la cause exclusive du dommage » et que l'action de la SNCF n'était pas la cause « chronologiquement première » de l'accident (arrêt, p. 6 § 4) ; qu'il résultait de ces constatations que, sans la présence de la remorque manoeuvrée par M. X... et appartenant à M. Y... sur la voie ferrée, aucune collision ne serait intervenue avec le train n° 3661, de sorte que cette remorque constituait l'une des causes nécessaires du dommage ; qu'en décidant le contraire, pour écarter la demande en garantie formée par la SNCF à l'encontre de M. X..., de M. Y..., et de ses assureurs les sociétés Groupama Centre Atlantique et MMA IARD, et peu important la relaxe pénale prononcée à l'encontre de M. X..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 1er et 5 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, le fait générateur constitue une cause du dommage lorsque, d'après le cours ordinaire des choses, ce fait était en soi propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs adoptés, que « le fait que la remorque agricole ait dévalé la pente du terrain sur lequel elle avait été stationnée par Cédric X... en vue d'y charger les bottes de foin et son arrêt sur la voie ferrée sur laquelle circulait le train Téoz n° 3661 n'est pas la cause directe et immédiate de la collision en ce que la présence de cet engin sur la voie ne devait pas nécessairement entraîner une collision dès lors que M. Y..., lui-même averti par Cédric X..., en avait informé la gendarmerie qui elle-même l'avait signalé à la SNCF dans un délai [qui] lui permettait de faire en sorte que les trains circulant sur cette voie ferrée évitent l'obstacle » (jugement, p. 6 § 8) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ces constatations que la présence de la remorque sur la voie ferrée était la cause adéquate de la collision, puisqu'elle pouvait normalement conduire à cet événement accidentel selon le cours normal des choses, la cour d'appel a violé les articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 1er et 5 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°) ALORS QU'À TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE, la cour d'appel a constaté, par motifs propres comme adoptés (arrêt, p. 5 § 10 et jugement, 7 et 8) que la charrette appartenant à M. Y... et manoeuvrée par M. X... avait dévalé la pente du terrain où elle se trouvait pour s'arrêter en pleine voie ferrée, lui conférant ainsi une « position anormale » ; que la SNCF sollicitait l'indemnisation, notamment, des frais liés à cette chute, qui avait causé l'immobilisation du trafic ferroviaire, engendrant des coûts liés aux retards et à la nécessité de réacheminer les passagers transportés (concl., p. 20) ; qu'en écartant tout lien de causalité entre ces préjudices et la chute de la charrette, au motif inopérant que cette chute n'avait pas causé la collision avec le train Téoz n° 3661, tandis qu'en toute hypothèse, il résultait de ses propres constatations que la présence même de la charrette sur la voie avait nécessairement causé une perturbation du trafic ferroviaire qui devait être indemnisée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 1er et 5 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.