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12/12/2018 | FRANCE | N°17-25850

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 12 décembre 2018, 17-25850


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société GB coiffure (la société GB), exploitant un salon de coiffure dont M. X... était le gérant, avait pour expert-comptable la société France expertise comptable (la société FEC) ; que, M. et Mme X... ayant conçu le projet d'ouvrir un institut de soins esthétiques, un fonds de commerce a été acquis afin de développer au sein de la société GB cette activité, pour laquelle la société FEC a établi un plan de financement et des comptes prévisionnels ; que

la société GB a souscrit un emprunt, dont M. et Mme X... se sont rendus cautio...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société GB coiffure (la société GB), exploitant un salon de coiffure dont M. X... était le gérant, avait pour expert-comptable la société France expertise comptable (la société FEC) ; que, M. et Mme X... ayant conçu le projet d'ouvrir un institut de soins esthétiques, un fonds de commerce a été acquis afin de développer au sein de la société GB cette activité, pour laquelle la société FEC a établi un plan de financement et des comptes prévisionnels ; que la société GB a souscrit un emprunt, dont M. et Mme X... se sont rendus cautions solidaires ; que M. et Mme X... ont dû effectuer différents versements pour soutenir l'exploitation du fonds, qui s'est finalement révélée déficitaire ; que la société GB a revendu le fonds de commerce à un prix inférieur à celui de son acquisition, sans que M. et Mme X... puissent récupérer les sommes qu'ils avaient investies ; qu'estimant que les préjudices qu'ils avaient subis résultaient d'un défaut de diligences et de conseil de la société FEC, M. et Mme X... et la société GB l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter les demandes de la société GB, l'arrêt, après avoir retenu que la société FEC avait manqué à ses obligations contractuelles en ne vérifiant ni les prévisions de chiffres d'affaires proposées par son client, lequel n'était pas particulièrement informé du nouveau type de commerce qu'il envisageait d'exploiter, ni l'état du marché relatif à cette nouvelle activité, ce qui lui aurait permis d'alerter son client, écarte tout lien de causalité entre cette faute et le préjudice invoqué au motif qu'il n'était pas établi que la société FEC était tenue de valider les chiffres d'affaires proposés par M. X... pour la préparation du plan de financement nécessaire à l'obtention du prêt ;

Qu'en statuant ainsi la cour d'appel, qui s'est contredite, a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1147 du code civil, en sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société GB, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que la société GB ait subi une perte de chance dans les choix d'investissement qu'elle a faits, notamment celui d'acquérir le nouveau fonds de commerce, qui soit directement liée à la faute de l'expert-comptable, puisque M. et Mme X... avaient acquis le fonds avec leurs deniers personnels un an avant l'établissement du plan de financement soumis à la banque ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier si l'emprunt souscrit, dans la mesure où le fonds avait été acquis antérieurement, n'était pas destiné au développement de la nouvelle activité, de sorte que la faute retenue contre la société FEC avait pu entraîner pour la société GB une perte de chance de ne pas souscrire l'emprunt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Et, sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande de M. et Mme X..., l'arrêt retient que le fait que ceux-ci aient dû vendre leur appartement pour faire face à leur engagement de cautions solidaires contracté lors de l'octroi du prêt à la société GB, lequel avait été souscrit un an après l'acquisition du fonds par M. et Mme X... sur leurs deniers personnels, ne permet pas de démontrer l'existence d'un lien direct avec la faute commise par la société FEC ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si M. et Mme X... se seraient engagés comme cautions si la société FEC n'avait pas établi un plan de financement erroné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société France expertise comptable aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. et Mme X... et à la société GB coiffure la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

.

Moyen produit par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X... et la société GB coiffure.

Les époux X... et la société GB COIFFURE font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de toutes leurs demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE l'expert-comptable n'est tenu à l'égard de son client que d'une obligation de moyen et doit répondre, conformément aux dispositions de l'article 1147 du Code Civil, de ses manquements dans l'exécution de son contrat ; que les manquements de l'expert-comptable s'apprécient au regard de l'étendue de la mission qui lui a été confiée, ainsi que de son obligation, en tant qu'expert-comptable, d'établir des comptes annuels présentant toutes les garanties de régularité, induisant la réalisation du contrôle requis et des conseils adéquats ; qu'en l'espèce, il résulte des éléments du dossier que la société FEC était l'expert-comptable de la société GB coiffure depuis 1999, suivant lettre de mission du 12 août 1999 ; qu'une relation de confiance s'était instaurée entre les parties depuis cette date ; que c'est dès lors tout naturellement que Monsieur X... s'est tourné vers elle lorsqu'il a eu le projet d'investir dans un fonds de soins-spa, situé en face de son salon de coiffure ; que même si aucune lettre de mission n'a été signée, ce qui n'était pas encore obligatoire, cette obligation ne prenant effet, pour les missions en cours, qu'un an à compter de l'entrée en vigueur du décret du 27 septembre 2007, la société FEC ne conteste pas s'être vue confier par les époux X... et la société GB Coiffure une demande d'évaluation du projet d'acquisition d'un second fonds de commerce, consistant en l'élaboration d'un plan de financement, au vu des projections formulées par Monsieur X... et d'un compte de résultat prévisionnel sur deux ans ; que la société FEC ne conteste pas s'être fondée sur les chiffres prévisionnels élaborés par Monsieur X..., le chiffre d'affaires qu'il pensait pouvoir réaliser étant d'environ 450 000 euros annuels et le montant des travaux nécessaires étant évalué à 717 600 euros ; qu'après échanges avec la banque et avec Monsieur X..., la société FEC a estimé que le montant prévu pour les travaux était excessif et devait être rabaissé à la somme de 500 000 euros ; qu'en prenant en compte les divers éléments discutés avec la société GB Coiffure, FEC a élaboré un plan de financement intégrant l'emprunt sollicité et le prix d'achat du fonds ; qu'elle a par ailleurs établi un compte de résultat prévisionnel sur la base des ventes de nouveaux produits, de soins et de coiffure fournis par Monsieur X..., faisant ressortir un résultat d'exploitation pour la première année qui devrait être quasiment à l'équilibre, et bénéficiaire la deuxième année ; que contrairement à ce que soutient la société FEC, l'élaboration et la présentation de ces deux documents outrepassent la mission fixée dans la lettre de mission, qui était limitée strictement à la tenue de la comptabilité et à l'établissement des comptes annuels de la société GB Coiffure, ainsi qu'à une assistance en matière fiscale et sociale outre, en matière de gestion, à l'élaboration de situations intermédiaires et d'études prévisionnelles, ce qui n'est pas le cas des deux documents litigieux, dont le champ dépasse la seule société GB coiffure ; qu'en acceptant néanmoins cette mission qui dépassait le cadre contractuel, la société FEC devait l'exécuter dans les règles de l'art, dans les limites de ses obligations professionnelles ; qu'elle ne saurait se retrancher derrière son manque de connaissance du marché de l'esthétique et du soin, arguant de ce qu'elle était spécialisée dans la comptabilité des salons de coiffure, dès lors qu'elle a accepté cette mission et que son client n'était pas plus spécialisé qu'elle, s'agissant précisément d'une nouvelle activité ; qu'en sa qualité de professionnelle, il lui appartenait dès lors de refuser la mission qui excédait sa compétence ou, si elle l'acceptait, de prendre toutes les précautions pour pouvoir néanmoins remplir son obligation de conseil ; que s'il ne lui appartenait pas de faire les choix à la place de son client, il lui appartenait de l'éclairer sur ces choix et sur la prise de risques, eu égard au marché spécifique concerné, ou à tout le moins l'alerter sur les risques potentiels, ce qu'elle n'a pas fait ; qu'elle ne conteste pas être intervenue sur les propositions de Monsieur X... et avoir conseillé à son client de réduire le montant des travaux ; qu'en intégrant dans son compte de résultat prévisionnel les prévisions de chiffre d'affaires proposées par son client, sans en vérifier la pertinence, elle en a validé néanmoins le sérieux, et a pu ainsi laisser son client dans l'ignorance du potentiel de rentabilité du fonds acquis qui s'est avéré largement surestimé ; que sans faire peser sur elle une obligation de résultat, le fait de n'avoir pas procédé aux vérifications minimums de l'état du marché de l'esthétique pour pouvoir alerter son client sur une diminution de son chiffre d'affaires prévisionnel, constitue une défaillance dans la mission confiée qui engage sa responsabilité ; que la faute de la société FEC est clairement établie ; qu'elle ne saurait s'en exonérer en soutenant que le chiffre d'affaires n'était pas irréaliste, ou qu'elle a été trompée par la faute concomitante de son client ; que c'est donc à tort que le premier juge n'a pas retenu à l'encontre de la société FEC un manquement à son obligation de conseil et une faute dans l'exécution de sa mission ; que le préjudice subi, que par application de l'article 1149 du code civil, l'indemnisation a pour objectif de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'au visa de ce texte, seule la société GB Coiffure est victime au sens dudit article, les époux X... n'ayant aucun lien contractuel avec la société FEC ; qu'au visa de l'article 1382 du code civil invoqué, le fait que les époux X... se soient appauvris parce qu'ils ont vendu leur appartement pour faire face à leurs engagements de cautions solidaires ou que la société GB Coiffure n'ait pas pu rembourser le prêt souscrit est certes dommageable, mais ne permet pas de démontrer l'existence d'un lien direct avec la faute commise par la société FEC ; qu'en outre, le fait que les époux X... aient acquis le fonds avec leurs deniers personnels, un an avant de mettre en place le plan de financement avec la banque, démontre l'absence de lien entre la faute commise et cette acquisition ; que les époux X... ne pourront par conséquent qu'être déboutés de leur demande d'indemnisation, le jugement étant sur ce point confirmé, par motifs propres ; qu'en ce qui concerne la société GB Coiffure, le dommage causé par la faute de l'expert-comptable ne peut s'analyser qu'en une perte de chance pour la société GB Coiffure de ne pas avoir pu anticiper le risque de non-rentabilité de l'activité « Spa », et non comme le soutiennent à tort la société GB Coiffure et Monsieur et Madame X..., une perte de chance de ne pas s'engager dans cet achat du deuxième fonds de commerce dont ils n'établissent pas qu'il ait été conditionné par le résultat de la mission confiée à la société FEC, au demeurant postérieure à l'acquisition ; que la société GB Coiffure n'établit en effet pas, comme elle l'allègue, qu'il aurait été convenu que la société FEC devait valider les chiffres avancés par Monsieur X... en vue de présenter un plan de financement pour l'obtention d'un prêt ; qu'en conséquence, il n'est pas établi qu'elle ait subi une perte de chance dans les choix d'investissement qu'elle a fait, notamment celui d'acquérir le nouveau fonds de commerce, qui soit directement liée à la faute de l'expert-comptable, ce d'autant que Monsieur X..., gérant de ladite société, a pris la décision d'acquérir le fonds avant même d'avoir obtenu l'accord de financement, ce qui démontre que les documents établis par l'expert-comptable n'ont eu aucune influence sur son choix de se lancer dans cet achat ; qu'il y a lieu par conséquent de débouter la société GB Coiffure de sa demande d'indemnisation, et de confirmer la décision des premiers juges, mais par motifs propres ;

1./ ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à une absence de motivation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour exclure tout lien de causalité entre la faute de la société FEC et le préjudice de la société GB COIFFURE, que cette dernière n'établissait pas qu'il aurait été convenu que la société FEC devait valider les chiffres avancés par M. X... en vue de présenter un plan de financement pour l'obtention d'un prêt, après avoir pourtant relevé, pour conclure que la faute de la société FEC était clairement établie, « qu'après échange avec la banque et avec Monsieur X..., la société FEC a estimé que le montant prévu pour les travaux était excessif devait être rabaissé à la somme de 500 000 € » et « qu'en prenant en compte les divers éléments discutés avec la société GB COIFFURE, FEC a élaboré un plan de financement intégrant l'emprunt sollicité et le prix d'achat du fonds » ce dont il résultait que la société FEC savait que le plan dont l'élaboration lui était confiée avait pour objet l'obtention d'un emprunt destiné à financer la création de l'activité litigieuse, la cour d'appel, qui a statué par des motifs contradictoires, a privé sa décision de motivation en méconnaissance de l'article 455 du code de procédure civile ;

2./ ALORS QUE le prêt de 560 000 € souscrit par les exposants sur la base du plan de financement établi par la société FEC correspondait à l'achat d'un fonds de commerce (en réalité un local) à hauteur de 125 000 €, mais également au financement de travaux et de matériels divers ; que dès lors, en se bornant à retenir, pour considérer que la société GB COIFFURE n'établissait pas avoir subi un préjudice du fait de la faute de la société FEC que son dommage ne pourrait s'analyser comme une perte de chance de ne pas anticiper le risque de non-rentabilité de l'activité et non en une perte de chance de ne pas s'engager dans l'achat d'un deuxième fonds de commerce dont l'acquisition n'aurait pas été conditionnée par les documents établis par l'expert-comptable, sans rechercher si le prêt souscrit auprès de la BRED n'avait pas également eu pour objet de permettre le développement de l'activité qui s'est ultérieurement révélée non rentable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

3./ ALORS, en outre, QUE le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; que dès lors, en retenant, pour débouter les époux X... de leur demande d'indemnisation, qu'ils n'établissaient pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise par la société FEC et leur obligation de vendre leur appartement afin de faire face à leurs engagements de cautions solidaire de la société GB COIFFURE, sans rechercher si les époux X... se seraient engagés en qualité de caution si la société FEC n'avait pas établi un plan de financement erroné, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

4./ ALORS, enfin, QUE si le local dans lequel le fonds de commerce a été développé avait été acquis antérieurement à la mise en place du plan de financement avec la banque, ce dernier ne portait pas uniquement sur le fonds, d'une valeur de 125 000 € et l'engagement de caution des époux s'élevait à 672 000 €, excédant ainsi la seule valeur du local ; que dès lors, en se bornant à retenir, pour considérer que les époux X... n'établissaient pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise par la société FEC et leur obligation de vendre leur appartement afin de faire face à leurs engagements de cautions solidaires de la société GB COIFFURE, qu'ils avaient acquis le fonds (en réalité le local) avec leurs deniers personnels un an avant la mise en place du plan de financement avec la banque, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article 1382 du code civil.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 17-25850
Date de la décision : 12/12/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 06 juillet 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 12 déc. 2018, pourvoi n°17-25850


Composition du Tribunal
Président : Mme Mouillard (président)
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Coutard et Munier-Apaire

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.25850
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