La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/12/2018 | FRANCE | N°17-83028

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 11 décembre 2018, 17-83028


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
M. Pierre X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 6 mars 2017, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 18 octobre 2016, pourvoi n° 15-84.068), dans la procédure suivie contre lui, sur la plainte de M. Edouard Y..., du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 octobre 2018 où étaient présents

dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
M. Pierre X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 6 mars 2017, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 18 octobre 2016, pourvoi n° 15-84.068), dans la procédure suivie contre lui, sur la plainte de M. Edouard Y..., du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme de Lamarzelle, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de LAMARZELLE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite du décès d'une pensionnaire dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les ayants droit de la défunte ont sollicité du tribunal administratif la désignation d'un expert judiciaire ; que le lendemain d'une réunion d'expertise, M. X..., médecin conseil de la société d'assurance de l'EHPAD, a adressé un dire à l'expert, dans lequel il mettait en cause M. Y..., avocat des demandeurs, en ces termes : "Le premier point que je souhaite soulever correspond à l'attitude de Maître Y... au cours de cette expertise. En effet, les problèmes de procédure dont il a cru utile de nous parler, avec virulence, pendant plusieurs minutes n'apportaient strictement rien à l'étude des problèmes médicaux pour lesquelles vous aviez reçu mission du tribunal administratif. De plus, le caractère particulièrement injurieux de ses propos à l'encontre de l'avocat de l'EHPAD et, par assimilation de tous ses représentants, c'est-à-dire moi-même, considérant qu'ils avaient eu "une attitude de con" sont particulièrement déplacés au cours d'une réunion d'expertise médicale" ; que s'estimant atteint dans son honneur et sa considération, M. Y... a fait citer M. X... devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier à raison, plus particulièrement, des propos lui imputant, d'une part, d'avoir proféré des injures à l'encontre de l'avocat de l'EHPAD et, par assimilation, de tous ses représentants, d'autre part, d'avoir employé la formule "une attitude de con" ; que les premiers juges, après avoir constaté que le prévenu avait rapporté la preuve de la vérité des faits diffamatoires, l'ont renvoyé des fins de la poursuite et ont déclaré irrecevable l'action de la partie civile ; que celle-ci a relevé seule appel de la décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 2, et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, préliminaire et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit que M. Pierre X... a commis une faute civile pour avoir, dans un dire en date du 21 février 2014 adressé au professeur A..., imputé à M. Y... d'avoir tenu des propos injurieux à l'encontre de l'avocat de l'Ehpad et allégué que ces propos visaient par assimilation tous ses représentants dont M. X..., médecin, c'est-à-dire d'avoir commis des faits contraires à l'honneur et à la considération de M. Y... en ce qu'ils constitueraient, à les supposer établis, une infraction pénale et une faute disciplinaire ;

"aux motifs que, contrairement à ce que le prévenu soutient, si la relaxe intervenue en première instance est bien à ce jour définitive pour ne pas avoir été frappée d'appel par le ministère public, il ne saurait se déduire de ce que pour la prononcer, le tribunal a retenu qu'avait été rapportée la preuve parfaite et complète de la vérité des faits par le prévenu, tant dans leur matérialité que dans leur portée, que la vérité de ces faits diffamatoires ne peut plus être discutée sauf à priver de toute portée le recours offert à la partie civile ; qu'il s'ensuit que du fait de l'appel interjeté, il appartient toujours au prévenu pour s'exonérer d'établir la preuve de la vérité des faits diffamatoires ; qu'en l'espèce, le prévenu avait fait signifier à titre d'offre de preuve devant le tribunal qu'il entendait se prévaloir d'une attestation du docteur J... B... en date du 22 avril 2014 et de deux témoins, M. E... C... et M. Alain A... ; que devant cette cour, le prévenu ne se prévaut plus au titre de cette exception de vérité que de l'attestation de M. B..., médecin ; que force est de constater que s'il résulte effectivement de l'attestation rédigée par M. B..., médecin que «le Docteur X... avait constamment conservé son calme jusqu'au moment où, « après que l'avocat (ndr Maitre Y... partie civile) ait qualifié la partie Ehpad «Résidence [...] » comme ayant eu « une attitude de cons» dans la procédure, il a indiqué à l'expert que, dans ces conditions, il préférait quitter ces opérations d'expertise », ces déclarations ne sauraient établir que, comme l'écrivait M. X..., médecin, dans le dire litigieux, Maître Y... avait tenu des propos particulièrement déplacés au cours d'une réunion d'expertise en ce qu'ils avaient un caractère particulièrement injurieux à rencontre de l'avocat de l'Ehpad et par assimilation de tous ses représentants, notamment de lui-même, considérant qu'ils avaient eu « une attitude de con » ; qu'en effet, comme objecte exactement M. Y..., il ne ressort tout d'abord nullement de cette attestation qu'il aurait injurié l'avocat de l'Ehpad dans les termes qui lui sont prêtés par M. X..., médecin, dans son dire, mais seulement l'Ehpad lui-même ; qu'il n'en ressort pas plus qu'au travers de l'Ehpad, c'était par assimilation tous ses représentants dont M. X..., médecin, qui étaient injuriés dans les mêmes termes ; que M. X..., médecin, ne saurait arguer d'une quelconque bonne foi pour échapper à sa responsabilité civile quels qu'aient été ses mobiles, celle-ci ne pouvant être admise dès lors qu'il a pris le risque, sans autre intérêt que le sien et éventuellement celui de son mandant, de rapporter des propos inexacts ; que dès lors, en imputant à M. Y... d'avoir tenu des propos injurieux à l'encontre de l'avocat de l'Ehpad et en alléguant que ces propos visaient par assimilation tous ses représentants dont M. X..., médecin, c'est-à-dire des faits contraires à l'honneur et à la considération de M. Y... en ce qu'ils constitueraient, à les supposer établis, une infraction pénale et une faute disciplinaire, M. X..., médecin, a commis une première faute civile dont il lui doit réparation des conséquences dommageables ;

"alors que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil ; qu'il s'en déduit que l'action de la partie civile à l'encontre de la personne relaxée ne peut être fondée que sur la loi susvisée ; que constitue une diffamation, pénalement sanctionnée, sauf admission de l'exception de vérité, toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle ce fait est imputé ; qu'en retenant, après avoir de nouveau statué sur la preuve de la vérité des faits diffamatoires, que M. X... avait fautivement rapporté des propos contraires à l'honneur et à la considération de M. Y..., se plaçant ainsi en contradiction radicale avec le jugement de relaxe définitif qui avait fait droit à l'exception de vérité, la cour a violé le principe de la présomption d'innocence" ;

Attendu que, pour retenir que M. X... a commis une faute civile pour avoir, dans le dire adressé le 21 février 2014 à l'expert judiciaire, imputé à M. Y... des propos injurieux tenus à l'endroit de l'avocat de l'EHPAD, visant par assimilation l'ensemble des représentants de l'établissement, dont lui-même, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu que le demandeur ne saurait faire grief à la cour d'appel de s'être déterminée ainsi, dès lors que, pour démontrer l'existence d'une faute civile à la charge de l'intimé, à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, les juges du second degré n'étaient pas liés par les appréciations des premiers juges quant à la matérialité des faits objet des imputations diffamatoires, notamment quant à l'administration de la preuve de leur vérité ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit que M. X... a commis une faute civile pour avoir, dans un dire en date du 21 février 2014 adressé au professeur M. A..., imputé à M. Y... d'avoir tenu des propos injurieux à l'encontre de l'avocat de l'Ehpad et allégué que ces propos visaient par assimilation tous ses représentants dont M. X..., médecin, c'est-à-dire d'avoir commis des faits contraires à l'honneur et à la considération de M. Y... en ce qu'ils constitueraient, à les supposer établis, une infraction pénale et une faute disciplinaire ;

"aux motifs que « Force est de constater que s'il résulte effectivement de l'attestation rédigée par M. B..., médecin, que «le docteur X... avait constamment conservé son calme jusqu'au moment où, « après que l'avocat (ndr Maitre Y... partie civile) ait qualifié la partie Ehpad «Résidence [...] » comme ayant eu « une attitude de cons» dans la procédure, il a indiqué à l'expert que, dans ces conditions, il préférait quitter ces opérations d'expertise », ces déclarations ne sauraient établir que, comme l'écrivait M. X..., médecin, dans le dire litigieux, Maître Y... avait tenu des propos particulièrement déplacés au cours d'une réunion d'expertise en ce qu'ils avaient un caractère particulièrement injurieux à l'encontre de l'avocat de l'Ehpad et par assimilation de tous ses représentants, notamment de lui-même, considérant qu'ils avaient eu « une attitude de con » ; qu'en effet, comme objecte exactement M. Y..., il ne ressort tout d'abord nullement de cette attestation qu'il aurait injurié l'avocat de l'Ehpad dans les termes qui lui sont prêtés par M. X..., médecin, dans son dire, mais seulement l'Ehpad lui-même ; qu'il n'en ressort pas plus qu'au travers de l'Ehpad, c'était par assimilation tous ses représentants dont le M. X..., médecin, qui étaient injuriés dans les mêmes termes ; que M. X..., médecin, ne saurait arguer d'une quelconque bonne foi pour échapper à sa responsabilité civile quels qu'aient été ses mobiles, celle-ci ne pouvant être admise dès lors qu'il a pris le risque, sans autre intérêt que le sien et éventuellement celui de son mandant, de rapporter des propos inexacts ; que dès lors, en imputant à M. Y... d'avoir tenu des propos injurieux à l'encontre de l'avocat de l'Ehpad et en alléguant que ces propos visaient par assimilation tous ses représentants dont le M. X..., médecin, c'est-à-dire des faits contraires à l'honneur et à la considération de M. Y... en ce qu'ils constitueraient, à les supposer établis, une infraction pénale et une faute disciplinaire, M. X..., médecin, a commis une première faute civile dont il lui doit réparation des conséquences dommageables ;

"1°) alors que dans ses conclusions, M. X..., qui intervenait à l'expertise en tant que médecin conseil mandaté par l'Ephad faisait valoir que, par les propos en cause - relatifs, selon l'attestation de M. B..., médecin, à « une attitude de con dans la procédure » - « ne pouvaient être visées que les personnes physiques représentant cet établissement, une personne morale ne pouvant évidemment pas être présente à une réunion d'expertise mais seulement représentée » ; qu'en ne tenant aucun compte du fait que l'Ephad, personne morale, était représentée par son avocat et par M. X..., la cour, qui n'a pas replacé le propos dans son contexte pour en examiner la véritable portée quant aux personnes visées, n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors qu'en s'abstenant d'examiner l'attestation du professeur M. C..., régulièrement versée aux débats à l'appui de l'exception de bonne foi, dans laquelle celui-ci, présent durant l'expertise, dénonçait, de la part de M. Y..., une attitude « agressive et injurieuse à l'encontre de l'Ephad et de ses représentants qu'il a attribué d'avoir eu « une attitude de cons » dans cette affaire ; que M. X..., médecin, étant directement concerné par cette injure a souhaité se retirer de cette réunion d'expertise, en faisant remarquer qu'il était lui-même visé par les propos de Maître Y..., mais tout en restant poli et digne ; que le professeur M. A... lui a demandé de ne pas partir mais de poursuivre sa mission de représentant de l'Ephad
», ce qui était de nature, dans le contexte, à conférer une base factuelle suffisante aux propos de M. X..., en ce qu'ils imputaient à M. Y... d'avoir visé tant l'avocat de l'Ephad que « par assimilation, tous ses représentants », dont lui-même, la cour a privé sa décision de base légale" ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour refuser à M. X... le bénéfice de la bonne foi, l'arrêt énonce que l'intéressé a pris le risque, sans autre intérêt que le sien et éventuellement celui de son mandant, de rapporter des propos inexacts quant aux personnes visées par les déclarations de M. Y... mettant en cause l'EHPAD ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans mieux répondre à l'argumentation développée par l'intéressé au soutien de son exception de bonne foi, selon laquelle, d'une part, les propos de M. Y..., relatifs à l'attitude de l'EHPAD au cours de la procédure, ne pouvaient viser que les personnes physiques y représentant cette personne morale, d'autre part, cette analyse était confortée par l'attestation du professeur C..., présent au cours de la réunion d'expertise, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 6 mars 2017, mais en ses seules dispositions relatives à la faute civile imputée à M. X... et à la condamnation de l'intéressé à payer différentes sommes à M. Y..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Chambéry, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze décembre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 17-83028
Date de la décision : 11/12/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 06 mars 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 11 déc. 2018, pourvoi n°17-83028


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.83028
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award