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05/12/2018 | FRANCE | N°17-11407

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 05 décembre 2018, 17-11407


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé en 1976 par la société EDF, M. Y... exerçait en dernier lieu les fonctions d'acheteur confirmé ; que le 22 juin 2008, il a demandé à bénéficier de la mesure de mise en inactivité anticipée prévue par l'article 3 de l'annexe III du statut national des industries électriques et gazières au bénéfice des mères de famille ayant trois enfants au moins et plus de 15 ans d'ancienneté ; que par arrêt du 18 mars 2010 statuant en référé, constatant l'existence d'une

discrimination, la cour d'appel a fait droit à la demande du salarié et a cond...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'engagé en 1976 par la société EDF, M. Y... exerçait en dernier lieu les fonctions d'acheteur confirmé ; que le 22 juin 2008, il a demandé à bénéficier de la mesure de mise en inactivité anticipée prévue par l'article 3 de l'annexe III du statut national des industries électriques et gazières au bénéfice des mères de famille ayant trois enfants au moins et plus de 15 ans d'ancienneté ; que par arrêt du 18 mars 2010 statuant en référé, constatant l'existence d'une discrimination, la cour d'appel a fait droit à la demande du salarié et a condamné l'employeur à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de préjudice moral ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale au fond le 30 décembre 2009 pour obtenir notamment réparation de ses préjudices pour non-paiement de sa pension depuis sa demande de mise en inactivité, pour procédure et résistance abusives contraires au rétablissement de l'égalité entre hommes et femmes ainsi que pour harcèlement et atteinte au droit fondamental et constitutionnel au repos ; qu'il a été mis en inactivité anticipée à compter du 1er juillet 2010 ;

Sur les premier, deuxième et quatrième moyens :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le troisième moyen :

Vu les articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du code du travail, ensemble l'article 18 de la directive n° 2006/54/CE du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes tendant à la condamnation de la société EDF à lui payer certaines sommes au titre de résistance abusive et de perte des pensions de retraite depuis sa demande de mise en inactivité, l'arrêt retient que le salarié sera débouté de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive au rétablissement de la stricte égalité entre hommes et femmes et à l'application de la directive refonte 2006/54/CE, dès lors que le décret du 27 juin 2008 dont il se prévaut, postérieur à sa demande de mise en inactivité, ne lui est pas applicable et qu'il lui a été finalement reconnu en justice le droit de bénéficier d'une mise en inactivité par anticipation que le texte antérieur réservait illégalement aux seuls agents mères de famille ayant eu trois enfants, que la demande indemnitaire en paiement de la somme correspondant au montant des pensions perdues depuis sa demande de mise en inactivité jusqu'au 1er juillet 2010 doit être également rejetée, dès lors, d'une part, qu'il ne présente aucun élément de fait laissant supposer qu'il aurait été victime d'une discrimination directe ou indirecte et, d'autre part, que pendant ladite période, il a continué à travailler contre rémunération d'un montant supérieur à celui de la pension de retraite qu'il revendique s'il avait pu être mis en inactivité anticipée dès juillet 2008 ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle avait constaté que le salarié avait été privé en raison de son sexe de la possibilité de prendre sa retraite de manière anticipée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. Y... de ses demandes tendant à la condamnation de la société EDF à lui payer certaines sommes au titre de la discrimination dont il a été victime et des pensions perdues depuis sa demande de mise en inactivité, l'arrêt rendu le 30 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société EDF aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. Y... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille dix-huit.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par Me Z..., avocat aux Conseils, pour M. Y...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. Y... de sa demande tendant au paiement de la somme de 6.491,29 euros au titre d'un reclassement en GF 14 au 1er janvier 2002 ;

AUX MOTIFS QUE sur sa demande nouvelle en reconnaissance du GF 14 au 1er janvier 2002, dès lors que M. Y... ne démontre pas qu'il a occupé des fonctions relevant en réalité de cette même catégorie professionnelle à compter de la date précitée, contrairement à ce qu'il prétend, il sera débouté de sa demande nouvelle en paiement d'un rappel de rémunération à concurrence de la somme de 6.491,29 euros (arrêt p. 4, al. 6) ;

ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 40 in fine et p. 41 al. 1 et 2), M. Y... faisait valoir que le retard pris dans son classement en GF 14 était suffisamment établi par le fait que la moyenne du "temps de passage" dans cette catégorie était de 48 mois et qu'il avait stagné à l'échelon inférieur durant 72 mois ; qu'en laissant sans réponse ces conclusions pertinentes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. Y... de sa demande tendant au paiement de la somme de 5.000 euros pour trouble manifestement illicite au titre d'une entrave à sa liberté de circulation ;

AUX MOTIFS QU' outre le fait qu'il est quelque peu atypique de solliciter dans le cadre d'une instance au fond des dommages-intérêts pour "trouble manifestement illicite" ressortissant de la matière du juge des référés, les textes invoqués à cette fin par l'appelant, comme relevé à bon droit par la SA EDF, portent sur des domaines étrangers au présent litige relatifs, d'une part, à la sauvegarde des droits à pensions complémentaires des travailleurs circulant au sein de la communauté européenne et, d'autre part, au régime fiscal en vigueur concernant le paiement des redevances entre entreprises associées d'Etats membres différents (arrêt attaqué p. 3, al. 1er) ;

ALORS, d'une part, QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties ; que la règle de l'unicité de l'instance s'oppose à ce que des demandes dérivant du même contrat de travail fassent l'objet, entre les mêmes parties, d'instances distinctes successivement introduites devant la juridiction prud'homale ; que dans ses conclusions d'appel (p. 45 al. 4), M. Y... sollicitait le paiement d'une somme de 5.000 euros au titre d'un trouble manifestement illicite que lui avait causé l'employeur en ne respectant pas les termes des directives relatives à la libre circulation des travailleurs dans l'Union européenne ; qu'en déboutant M. Y... de cette demande, au motif qu'elle serait étrangère au présent litige, quand le salarié était recevable à demander au juge prud'homal d'examiner tout différend financier l'opposant à l'employeur, la cour d'appel a méconnu les limites du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

ALORS, d'autre part, QU' en se bornant à relever le caractère "quelque peu atypique" de la demande de M. Y..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 4 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. Y... de ses demandes tendant à la condamnation de la société EDF à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de la discrimination dont il a été victime et celle de 87.776 euros à titre de dommages et intérêts au titre des pensions perdues depuis sa demande de mise en inactivité ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. Didier Y... de sa demande de dommages-intérêts pour "résistance abusive au rétablissement de la stricte égalité homme femme et à l'application de la directive refonte 2006/54/CE" à hauteur de la somme de 15.000 €, dès lors que, comme précédemment rappelé, le décret du 27 juin 2008 n'est pas applicable à M. Didier Y... à qui a été finalement reconnu en justice le droit de bénéficier d'une mise en inactivité par anticipation que le texte antérieur réservait illégalement aux seuls "agents mères de famille ayant eu trois enfants". La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la réclamation indemnitaire de Didier Y... en paiement de la somme de 87.776 € correspondant au "montant des pensions perdues "depuis (sa) demande en inactivité" (du) 1 JUILLET 2008 au 1 JUILLET 2010", au visa de l'article L.1134-5 du code du travail, dès lors, d'une part, qu'il ne présente aucun élément de fait laissant supposer qu'il aurait été victime d'une discrimination directe ou indirecte et, d'autre part, que pendant ladite période il a continué à travailler contre rémunération d'un montant supérieur à celui de la pension de retraite qu'il revendique s'il avait pu être mis en inactivité anticipée dès juillet 2008 (arrêt attaqué p. 3, in fine et p. 4, al. 1er);

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE sur les dommages et intérêts pour perte de pension du 1er juillet 2008 au 1er juillet 2010 : si M. Didier Y... a été privé, au cours de cette période, de la perception de sa pension, il a néanmoins perçu un salaire d'un montant supérieur. Il ne justifie dès lors d'aucun préjudice ; sur les dommages et intérêts pour les heures travaillées au-delà de la demande de mise en activité : le travail exercé du 1er juillet 2008 au 1er juillet 2010 par M. Didier Y... n'a pas été exigé par la société EDF sous la menace d'une peine et contre la volonté de la personne, au sens où l'entend l'Organisation Internationale du Travail pour l'interprétation des textes supranationaux applicables en matière de travail forcé. Dès lors, le refus opposé par la société EDF à sa demande de mise en inactivité ne saurait caractériser le travail forcé dont il se prévaut. Par ailleurs, M. Didier Y... ne justifie avoir effectué aucune heure supplémentaire pendant ladite période (jugement p. 4, al. 1 et 2) ;

ALORS, d'une part, QU' est interdite toute discrimination fondée, notamment, sur le sexe ; qu'en l'espèce, dès lors qu'ils constataient que M. Y... avait été privé, au cours de la période du 1er juillet 2008 au 1er juillet 2010, de la pension de retraite qu'il aurait perçue s'il avait bénéficié d'emblée de son droit à une mise en inactivité par anticipation au titre de ses trois enfants, les juges du fond devaient nécessairement en déduire la faute commise par l'employeur pour l'avoir privé de cette opportunité ; qu'en déboutant M. Y... de sa demande en paiement de dommages et intérêts au titre de la discrimination dont il avait fait l'objet et des pensions perdues, aux motifs inopérants que le décret du 27 juin 2008 ne lui était pas applicable et qu'il avait perçu des salaires durant la période litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 et des articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du code du travail ;

ALORS, d'autre part, QU' en ajoutant qu'au titre de la période du 1er juillet 2008 au 1er juillet 2010, M. Y... ne présentait "aucun élément de fait laissant supposer qu'il aurait été victime d'une discrimination directe ou indirecte" (arrêt attaqué, p. 4 al. 1er), tout en constatant que "M. Didier Y... a été privé, au cours de cette période, de la perception de sa pension" (motifs adoptés, jugement p. 4 al. 1er), ce dont il résultait que le salarié avait bien subi une discrimination en matière de retraite en raison de son sexe, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 et les articles L.1132-1 et L.1134-5 du code du travail.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. Y... de sa demande tendant à ce que la société EDF soit condamnée à lui payer la somme de 48.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement ;

AUX MOTIFS QUE M. Didier Y... soutient en définitive que le fait de l'avoir maintenu en activité après juillet 2008, alors que son droit à pension de retraite professionnelle était ouvert, a transformé la relation contractuelle en "harcèlement", voire même en travail obligatoire ou travail forcé, avec une "atteinte au droit fondamental et constitutionnel du droit au repos", ce qui justifierait selon lui l'allocation d'une indemnité réparatrice de 48.000 €. Si la SA EDF a en effet par son refus contraint M. Didier Y... à poursuivre son contrat de travail alors même qu'il avait légitimement souhaité qu'il y soit mis fin, il ne peut être soutenu que l'intimée l'aurait placé dans une situation de travail forcé au sens où l'entend l'Organisation internationale du travail, soit "un travail sous la menace d'une peine et contre la volonté d'une personne". Par ailleurs, l'appelant n'établit aucun fait permettant de présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral dont il aurait été la victime au sens de l'article L.1152-1 du code du travail, comme n'est pas davantage caractérisé le fait d'une "atteinte au droit fondamental et constitutionnel du droit au repos", ce qui n'est de sa part que pure spéculation (arrêt attaqué p. 4, al. 2 à 4) ;

ALORS QU'en énonçant que M. Y... n'établissait aucun fait permettant de présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral ou d'atteinte à son droit au repos (arrêt attaqué, p. 4 al. 3 et 4), tout en constatant que "M. Didier Y... a été privé, au cours de cette période, de la perception de sa pension" (motifs adoptés, jugement p. 4 al. 1er) et que la société EDF avait "contraint M. Didier Y... à poursuivre son contrat de travail alors même qu'il avait légitimement souhaité qu'il y soit mis fin" (arrêt attaqué, p. 4 al. 3), ce dont il résultait que le salarié avait bien subi une pression illégitime consistant à lui imposer un travail durant une période où il aurait pu prétendre au repos, de sorte que le harcèlement moral se trouvait nécessairement caractérisé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L.1152-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17-11407
Date de la décision : 05/12/2018
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 30 novembre 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 05 déc. 2018, pourvoi n°17-11407


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Bertrand, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.11407
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