LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'association SOS Racisme - Touche pas à mon pote, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de MONTPELLIER, en date du 12 avril 2018, qui, dans l'information suivie contre M. Robert X... notamment du chef d'enregistrement ou conservation de données à caractère personnel sensibles sans l'accord de l'intéressé, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16octobre2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale: M. Soulard, président, Mme Z..., conseiller rapporteur, M. Straehli, MM. Cathala, Ricard, Parlos, Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de-Lamarzelle, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Y... ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Z..., les observations de la société civile professionnelle RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA, la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Y... ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 6 juillet 2018, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 226-16, 226-18, 226-19, 226-21, 226-22, 226-22-2, 226-23 du code pénal, 2 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale, excès de pouvoirs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé la nullité de la mise en examen de M. X... ;
"aux motifs que selon les dispositions du premier alinéa de l'article 80-1 du code de procédure pénale, le juge d'instruction ne peut, à peine de nullité, mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblables qu'elles aient pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont il est saisi ; le conseil de M. X... développe, au soutien de sa requête, les arguments précités tendant à démontrer qu'il n'existe aucun indice grave ou concordant rendant vraisemblable la participation de son client à l'infraction pour laquelle il est mis en examen ; c'est au moment de l'interrogatoire de première comparution du requérant du 11 juillet 2017, que la chambre de l'instruction doit se placer pour vérifier l'existence d'indices graves ou concordants ; en l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que l'enquête préliminaire et la commission rogatoire diligentée par le magistrat instructeur n'ont aucunement révélé l'existence de « fichiers ethniques » ou de collecte d'informations à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite à la mairie de Béziers ; la simple consultation par le maire de Béziers de listes d'élèves pris en charge sur sa commune, laquelle entre dans la sphère de compétence d'un maire ne peut suffire à caractériser une quelconque infraction au travers des diverses qualifications envisagées ; dès lors en l'absence d'indices graves ou concordants ayant pu rendre vraisemblables que M. X... ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions objet de l'information, il y aura lieu de prononcer la nullité de la mise en examen notifiée le 11 juillet 2017 à l'occasion de l'interrogatoire de première comparution figurant en cote D50, acte qu'il convient de canceller selon les modalités qui seront précisées dans le dispositif ci-après ;
"1°) alors que l'article 226-18 du code pénal incrimine le fait de collecter des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ; que cette incrimination ne nécessite pas que les données collectées soient enregistrées ou conservées dans un fichier, qu'il soit ou non automatisé ; qu'en l'espèce, M. X... a été mis en examen pour avoir à Béziers et à Paris, courant septembre 2014, collecté des informations à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, dans le cadre de réunions de pré-rentrée scolaire et avoir fait usage de ces informations sans lien avec l'objet de ces réunions ; qu'en annulant la mise en examen de M. X..., au seul motif que la simple consultation par le maire de Béziers de listes d'élèves pris en charge sur sa commune, laquelle entre dans la sphère de compétence d'un maire ne peut suffire à caractériser une quelconque infraction au travers des diverses qualifications envisagées, bien que cette consultation avaient été utilisées sans rapport avec l'objet de la remise des listes, dans le but de déterminer l'origine ou la religion des élèves, afin de dénoncer publiquement la présence massive d'élèves musulmans dans les écoles de Béziers, ce qui caractérise l'incrimination de collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, la chambre de l'instruction a violé les textes et principes susvisés ;
"2°) alors qu'en vertu des articles 226-19 et 226-23 du code pénal sont incriminés, hors les cas prévus par la loi, le traitements non automatisés de données à caractère personnel, dont la mise en oeuvre ne se limite pas à l'exercice d'activités exclusivement personnelles, qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à l'orientation sexuelle ou à l'identité de genre de celles-ci ; qu'en l'espèce, M. X... a été mis en examen de ce chef pour avoir à Béziers et à Paris, courant septembre 2014, collecté des informations à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, en l'espèce dans le cadre de réunions de pré-rentrée scolaire et avoir fait usage de ces informations sans lien avec l'objet de ces réunions ; qu'en annulant la mise en examen de ce chef, en se bornant à relever que la simple consultation par le maire de Béziers de listes d'élèves pris en charge sur sa commune, laquelle entre dans la sphère de compétence d'un maire ne peut suffire à caractériser une quelconque infraction au travers des divers qualifications envisagées, bien que la consultation des listes et l'exploitation de cette consultation, pour en déduire une statistique sur l'origine ethnique ou religieuse des élèves de sa commune, caractérisaient un traitement non automatisé de données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales ou ethnique des élèves, la chambre de l'instruction a de nouveau violé les textes et principes susvisés ;
"3°) alors qu'il ressort de l'article 226-21 du code pénal qu'est incriminé le fait, par toute personne détentrice de données à caractère personnel à l'occasion de leur enregistrement, de leur classement, de leur transmission ou de toute autre forme de traitement, de détourner ces informations de leur finalité telle que définie par la disposition législative, l'acte réglementaire ou la décision de la Commission nationale de l'informatique et des libertés autorisant le traitement automatisé, ou par les déclarations préalables à la mise en oeuvre de ce traitement ; que l'infraction est constituée par le détournement de la finalité du traitement ; qu'en l'espèce, la mise en examen de M. X... visait expressément le fait d'avoir fait usage des informations à caractère personnel contenues dans les listes des élèves, dont il a eu connaissance au cours des réunions de pré-rentrée, sans lien avec l'objet de ces réunions, notamment pour en déduire l'origine ou la religion des élèves ; qu'ainsi, en annulant sa mise en examen, sans rechercher si les faits reprochés ne recouvraient pas la qualification prévue par l'article 226-21 du code pénal, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 4 mai 2015, à l'occasion de l'émission de télévision Mots Croisés diffusée par France 2, M. X..., maire de Béziers, a affirmé notamment que 64,6 % des élèves inscrits en primaire et en maternelle dans les écoles de sa commune étaient de confession musulmane ; qu'il a précisé : "Ce sont les chiffres de ma mairie. Pardon de vous dire que le maire, il a classe par classe les noms, des enfants. Je sais que je n'ai pas le droit de le faire, mais on le fait" ... "pardon de vous dire que les prénoms disent les confessions ... à part de nier l'évidence" ; qu'une enquête a été diligentée par le procureur de la République ayant abouti à un classement sans suite ; que l'association SOS Racisme - Touche pas à mon pote a porté plainte et s'est constituée partie civile en faisant valoir que le fait de consulter des données nominatives des élèves, et d'en déduire une statistique portant sur l'origine ethnique ou leur confession, caractérisait l'infraction prévue par les articles 226-19 et 226-23 du code pénal ; que le juge d'instruction saisi a mis en examen M. X... pour collecte d'informations à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, dans le cadre de réunions de pré-rentrée scolaire et pour avoir fait usage de ces informations sans lien avec l'objet de ces réunions, en visant les articles 226-19 alinéa 1, 226-23 du code pénal et les articles 2 et 8 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978 ; que M. X... a déposé une requête en annulation notamment de sa mise en examen ;
Attendu qu'après avoir relevé que la qualification retenue dans la mise en examen vise le délit de collecte de données par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, prévu par l'article 226-18 et non par l'article 226-19 du code pénal, et pour considérer qu'il n'existait pas d'indices graves ou concordants ayant pu rendre vraisemblable que M. X... ait pu participer à la commission de cette infraction, la chambre de l'instruction énonce que l'enquête n'a pas révélé l'existence de fichiers ethniques et que la simple consultation, par le maire, de listes d'élèves pris en charge dans sa commune, laquelle entre dans la sphère de compétence d'un maire, ne peut suffire à caractériser une quelconque infraction ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu que, si c'est à tort que la chambre de l'instruction a retenu que les faits, tels qu'elle les a souverainement appréciés, ne pouvaient recevoir aucune des qualifications envisagées, alors que, saisie du seul contentieux de l'annulation de la mise en examen, elle devait se borner à vérifier s'il existait des indices graves ou concordants que la personne mise en examen ait commis les faits reprochés sous la qualification qui lui avait été notifiée par le juge d'instruction, l'arrêt n'encourt pas les griefs allégués dès lors qu'en relevant que lesdits faits n'entraient pas dans le champ d'application de l'article 226-18 du code pénal, à défaut de caractérisation de l'élément constitutif de recours à l'un des moyens énoncés par ce texte pour collecter des données à caractère personnel, les juges se sont conformés à l'article 111-4 du même code, selon lequel la loi pénale est d'interprétation stricte ;
Sur le moyen, pris en ses autres branches :
Attendu qu'il n'appartenait pas à la chambre de l'instruction, après annulation de la mise en examen, d'examiner les faits sous une autre qualification, seul le juge d'instruction, après retour du dossier, ayant ce pouvoir ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 1 000 euros la somme que l'association SOS Racisme - Touche pas à mon pote devra payer à M. Robert X... en application de
l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept novembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.