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20/11/2018 | FRANCE | N°17-85164

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 novembre 2018, 17-85164


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M.Thierry X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 3 juillet 2017, qui a déclaré irrecevable son opposition à un jugement du tribunal correctionnel de Lisieux en date du 11 décembre 1996, l'ayant condamné, pour blessures involontaires à deux mois d'emprisonnement, dix-huit mois de suspension du permis de conduire et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publiqu

e du 9 octobre 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, Mme Y... , conseille...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M.Thierry X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 3 juillet 2017, qui a déclaré irrecevable son opposition à un jugement du tribunal correctionnel de Lisieux en date du 11 décembre 1996, l'ayant condamné, pour blessures involontaires à deux mois d'emprisonnement, dix-huit mois de suspension du permis de conduire et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 octobre 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, Mme Y... , conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mme Ingall-Montagnier, MM. Bellenger, Lavielle, Samuel, conseillers de la chambre, Mme Harel-Dutirou, Mme Méano, Mme Guého, conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Quintard ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de Mme le conseiller Y... , les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général QUINTARD ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 133-3 dans sa rédaction antérieure à la loi n°2017-242 du 27 février 2017, 133-5 du code pénal, 488, 489, 492 dans sa rédaction antérieure à la loi n°2008-644 du 1er juillet 2008, 550 et suivants, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré irrecevable l'opposition formée le 2 mars 2016 par M. Thierry X... à l'encontre du jugement de condamnation rendu par défaut le 11 décembre 1996 par le tribunal correctionnel de Lisieux ;

"aux motifs qu'il résulte des éléments (succincts) du dossier et des débats que M. X... a été condamné par jugement de défaut du tribunal correctionnel de Lisieux en date du 11 décembre 1996, pour blessures involontaires avec une incapacité supérieure à trois mois, à la peine de deux mois d'emprisonnement et à une mesure de suspension de son permis de conduire pour une durée de dix-huit mois ; que l'intéressé a formé opposition, le 2 mars 2016, au jugement du 11 décembre 1996 ; que l'intégralité du dossier ayant été détruit en application des nouvelles directives sur l'archivage, n'ont été retrouvées, au greffe du tribunal de grande instance de Lisieux, que la minute du jugement et la fiche de suivi de l'exécution des peines que sur cette fiche il est indiqué :
* dans le cadre « signification à prévenu », envoi au PR Evry, exploit le 20 mai 1997 à mairie, ? AR signé le 22 mai 97 ;
* au recto de la fiche, les diligences suivantes :
- 16 juillet 1997 PR Evry p/exécution extrait emprisonnement et suspension du permis de conduire (opposition recevable) ;
- 8 novembre 1997 PR Nanterre idem - 6 avril 1998 Gendarmerie Deauville p/inscription FPR - 27 juin 1997 envoi casier judiciaire,
- 27 juin 1997 extrait aux finances ;
* au verso de la fiche les mentions, d'une part, réduction de peine totale de l'emprisonnement par décret de grâce du 11 juillet 1997, d'autre part " prescrit" ; que ces mentions, émanant du service de l'exécution des peines du tribunal correctionnel de Lisieux, ne permettent pas d'affirmer, contrairement à ce qu'a pensé le tribunal, que le jugement, qui comporte une peine d'emprisonnement ferme, a été porté à la connaissance du prévenu ; qu'en effet, le point d'interrogation qui figure devant les termes « AR signé le 22 mai 1997 » montre qu'il y avait une incertitude sur le signataire de cet avis de réception (prévenu ou tiers) ; que ceci étant, cette incertitude qui laissait ouverte, pendant un certain délai, le régime de l'opposition au prévenu, n'affecte pas la réalité de la signification du jugement en mairie le 20 mai 1997, attestée par la fiche d'exécution dont l'authenticité des mentions y figurant ne peut être mise en doute ; que cette réalité de la signification est d'ailleurs confortée par les diligences accomplies postérieurement auprès du casier judiciaire, auprès des finances et auprès des parquets extérieurs pour mise à exécution éventuelle de la peine, sous réserve d'opposition ; que cette signification, à mairie, d'un jugement de défaut, a fait courir, à l'encontre de la personne condamnée, le délai de prescription de la peine et cela indépendamment de la connaissance ou de l'ignorance, par le condamné dudit jugement ; que c'est à partir de ces données que doivent être tranchées les deux difficultés ;
1) que sur la question prioritaire de constitutionnalité, la question préalable soumise à la cour est bien celle d'une éventuelle prescription de la peine et non celle d'une connaissance par le prévenu du jugement litigieux ; que par suite, l'éventuelle non indication, par l'huissier de justice chargé de la signification, des modalités et délais de recours contre le jugement (dans l'hypothèse où cet huissier de justice aurait respecté scrupuleusement les dispositions de l'article 558 du code de procédure pénale, étant observé que régulièrement certains officiers ministériels vont au-delà des obligations légales) n'est d'aucune incidence, dans un premier temps, sur la solution du litige ; que dès lors, la constitutionnalité de l'article 558 du code de procédure pénale, dont on ne sait si les prescriptions ont été scrupuleusement appliquées en l'espèce, faute d'être en possession de la signification, laquelle au surplus, n'est d'aucun intérêt pour la solution du litige, apparaît comme une question purement théorique (sans doute intéressante, même si la Cour de cassation rappelle régulièrement que l'huissier de justice n'est pas tenu d'indiquer, dans la signification, les modalités de l'exercice du droit d'appel) mais ne conditionnant nullement la solution de l'actuel litige ; que la question prioritaire de constitutionnalité n'a donc pas à être transmise à la Cour de cassation, qu'il a été rappelé aux parties que le recours contre la présente décision, rendue à l'audience du 29 mai 2017, ne pouvait se faire qu'avec le recours contre la décision au fond ;
2) que sur le fond, il est acquis que le jugement a été signifié, en mairie, le 20 mai 1997 et que les actes d'exécution de la peine ont cessé, au vu des seules pièces produites, le 6 avril 1998 ; qu'il convient d'ailleurs de souligner qu'il y a une certaine incohérence de la part de M. X... à soutenir, d'une part, que la signification par huissier de justice, respectant les seules prescriptions de l'article 558 du code de procédure pénale, est irrégulière comme contraire à la constitution, d'autre part, qu'il n'est pas établi qu'il y a bien eu signification du jugement ; que par suite, la prescription de la peine est acquise comme le confirment d'ailleurs la mention « prescrit » sur la fiche d'exécution et l'absence de trace de la condamnation au casier judiciaire ; que cette prescription de la peine, d'ailleurs revendiquée par le parquet qui seul avait intérêt à l'exécution de la condamnation, interdit, en application des dispositions de l'article 133-5 du code pénal l'opposition actuelle ; que pour ce nouveau motif, le jugement sera donc confirmé ;

"1°) alors que les dispositions des articles 492 du code de procédure pénale et 133-5 du code pénal, dont il résulte que le condamné par défaut dont la peine est prescrite n'est plus admis à former opposition, et ce même s'il a eu connaissance de la signification du jugement de condamnation après prescription de la peine, et qui le privent ainsi de la possibilité de remettre en cause le principe même de sa culpabilité, bien qu'il n'ait jamais été mis en mesure de présenter ses moyens de défense pour contester le bien-fondé de l'accusation portée contre lui, méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif, les droits de la défense et le principe du contradictoire, tels qu'ils sont garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que consécutivement à la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale ;

"2°) alors que si une procédure se déroulant en l'absence du prévenu n'est pas en soi incompatible avec l'article 6 de la Convention, il demeure néanmoins qu'un déni de justice est constitué lorsqu'un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé de l'accusation en fait comme en droit, alors qu'il n'est pas établi qu'il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre, ni qu'il a eu l'intention de se soustraire à la justice (CEDH, 1er mars 2006, Sejdovic c. Italie [GC], n°56581/00, §§ 81-85) ; qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne que l'irrecevabilité d'un recours ne peut être opposée à la partie qui n'a pas été en mesure d'agir, faute d'avoir eu connaissance en temps utile de l'acte ou de la décision susceptible d'avoir porté atteinte à ses droits et contre lequel ou laquelle elle souhaite agir ; que, dès lors, la cour d'appel, qui constatait que les mentions figurant sur la fiche de suivi de l'exécution des peines ne permettaient pas d'affirmer que le jugement de condamnation rendu par défaut avait été porté à la connaissance du prévenu, ne pouvait, sans méconnaître l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, déclarer irrecevable l'opposition formée par ce dernier à l'encontre dudit jugement au seul motif que la peine était prescrite ;

"3°) alors qu'en outre, seul le jugement de condamnation de défaut régulièrement signifié fait courir à l'encontre de la personne condamnée le délai de prescription de la peine ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que l'intégralité du dossier avait été détruit à l'exception de la minute du jugement et de la fiche de suivi de l'exécution des peines, la cour d'appel s'est fondée sur les mentions manuscrites figurant sur cette fiche pour retenir que le jugement de défaut avait été signifié à mairie le 22 mai 1997 et en déduire que la prescription de la peine avait commencé à courir à cette date et était acquise au jour de l'opposition ; qu'en statuant ainsi, lorsque lesdites mentions ne pouvaient établir ni la réalité ni la date de la signification, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

"4°) alors qu'en tout état de cause, seul le jugement de condamnation de défaut régulièrement signifié fait courir à l'encontre de la personne condamnée le délai de prescription de la peine ; qu'en affirmant que la signification faite à mairie le 22 mai 1997 avait fait courir le délai de prescription de la peine de sorte celle-ci était acquise au jour de l'opposition, lorsqu'il ressortait de ses propres énonciations qu'elle n'était pas en mesure de vérifier la régularité de ladite signification, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision " ;

Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution ;

Attendu qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution est abrogée à compter de la publication de la décision ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ;

Attendu que, pour déclarer irrecevable l'opposition formée par X... au jugement par défaut l'ayant déclaré coupable de blessures involontaires, condamné à deux mois d'emprisonnement et dix huit mois de suspension du permis de conduire et ayant prononcé sur les intérêts civils, l'arrêt attaqué énonce que la prescription de la peine est acquise ;

Mais attendu que par décision du Conseil constitutionnel QPC n°2018-712 en date du 8 juin 2018, prenant effet à la date de publication au Journal officiel de la République française le 9 juin 2018, ont été déclarées contraires à la Constitution les dispositions figurant au deuxième alinéa de l'article 492 du code de procédure pénale n'autorisant l'opposition à un jugement par défaut que jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine et la disposition de l'article 133-5 du code pénal interdisant aux condamnés par défaut, dont la peine est prescrite, de former opposition ;

D'où il suit que l'annulation est encourue ;

Par ces motifs :

ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 3 juillet 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Caen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt novembre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 17-85164
Date de la décision : 20/11/2018
Sens de l'arrêt : Annulation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Caen, 03 juillet 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 20 nov. 2018, pourvoi n°17-85164


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.85164
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