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06/11/2018 | FRANCE | N°17-81420

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 06 novembre 2018, 17-81420


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. G... X...,
- M. Pierre Y...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 8 février 2017, qui, pour homicide involontaire, a condamné le premier à vingt-quatre mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction d'exercice professionnel, le second à neuf mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audienc

e publique du 25 septembre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'artic...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- M. G... X...,
- M. Pierre Y...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 8 février 2017, qui, pour homicide involontaire, a condamné le premier à vingt-quatre mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans d'interdiction d'exercice professionnel, le second à neuf mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 25 septembre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Harel-Dutirou, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire Harel-Dutirou , les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle GASCHIGNARD, de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général LE DIMNA ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 4 novembre 2008, à la clinique du [...], Maryse Z..., âgée de 72 ans, a fait l'objet d'une lipo-aspiration abdominale réalisée par M. G... X..., chirurgien esthétique, assisté de M. Pierre Y..., médecin anesthésiste ; qu'après l'intervention, son état de santé s'est dégradé avec des saignements et des douleurs abdominales importantes justifiant l'administration d'antalgiques et de morphine le jour même de l'intervention et le jour suivant ; que transférée en réanimation, elle était prise en charge pour une opération en urgence, l'exploration montrant une double perforation du grêle et du colon transverse ; qu'elle est décédée [...] à 7 heures 15 du matin, l'acte de décès mentionnant "infarctus mésentérique avec perforation digestive"; qu'à la suite des plaintes avec constitution de partie civile déposées par son mari, son fils et ses petits enfants, une information a été ouverte au cours de laquelle le juge d'instruction a ordonné une première expertise médicale confiée à un chirurgien plasticien et à un chirurgien viscéral concluant à la perforation méconnue du tube digestif et à une prise en charge inadaptée de cette complication, puis une contre expertise confiée à un collège d'experts confirmant les conclusions de la première ; qu'au terme de l'information, par ordonnance du 12 décembre 2014, MM. X... et Y... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire; que le tribunal les a déclarés coupables ; que les prévenus et le ministère public ont interjeté appel ;

En cet état ;

Sur le pourvoi formé par M. X... :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 121-3, 221-6 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi, défaut de base légale, contradiction de motifs ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X..., chirurgien, coupable d'homicide involontaire ;

"aux motifs que s'agissant de la perforation de l'intestin durant l'opération, ce sont non seulement les six experts judiciaires qui la privilégient mais également M. A..., médecin qui a effectué la reprise chirurgicale de la patiente dans la nuit du 5 novembre 2008 et également M. B..., médecin, dans l'acte de décès ; que les scanners ont de plus montré une atteinte de la face postérieure des muscles et une bulle d'air dans le péritoine témoignant de sa blessure lors de l'intervention de liposuccion ; que le prévenu qui conteste la faute opératoire n'a fourni aucun argument médical probant sur les raisons des complications subies par Maryse Z... ni sur la cause de l'infarctus du mésentère invoquée ; que sa faute opératoire est bien à l'origine du décès de Maryse Z... ; que par la suite son comportement est également fautif ; que M. X..., chirurgien expérimenté n'ignorait pas les complications pouvant survenir sur ce type d'acte ; qu'il ne s'est pas déplacé pour voir sa patiente à l'issue de l'intervention, ce qui constitue une négligence caractérisée dans le cadre d'une surveillance post-opératoire ; qu'il a affirmé devant le juge d'instruction, contre toute évidence et alors qu'il n'a jamais été voir la patiente, qu'il ne s'agissait pas de saignements mais d'écoulements séro-sanglants, ce qui est totalement contredit par les infirmières expérimentées affirmant que leurs mains étaient tachées de sang de même que la combinaison de la patiente ; qu'alors qu'il avait demandé expressément dans la fiche post-opératoire de l'avertir, il a été constamment injoignable par les infirmiers tant sur son portable qu'à son cabinet et il n'est nullement établi qu'il ait cherché à un moment quelconque à rentrer en contact avec le service ; que, prévenu le 5 novembre à 10 heures 30 par M. Y..., médecin, de la prolongation de l'hospitalisation de Mme Z... du fait des complications observées, il n'a pas jugé pour autant nécessaire de se déplacer, considérant cyniquement que la symptomatologie présentée par sa patiente ne rentrait pas dans sa propre compétence (...) ; qu'à aucun moment M. X..., ne s'est soucié de l'état de sa patiente alors même qu'il savait par M. Y..., médecin, que sa sortie avait été retardée et qu'il n'ignorait pas que les perforations dans ce genre d'opérations ne sont pas à exclure ; qu'au vu de fautes accumulées de maladresse, imprudence, inattention, négligence commises par le prévenu et qui ont directement concouru au décès de Maryse Z... , la cour confirmera le jugement sur la culpabilité de M. X... ;

"1°) alors que le doute doit profiter à l'accusé, sa culpabilité supposant la certitude de la faute ; que pour déclarer M. X..., médecin, coupable d'homicide involontaire, la cour d'appel retient que sa faute a consisté en une perforation de l'intestin de Maryse Z..., cette thèse étant « privilégiée » par les experts judiciaires ; qu'en statuant par ces motifs, alors que M. A..., médecin, affirmait n'avoir constaté lors de la reprise chirurgicale de la patiente aucune perforation digestive, que M. C..., médecin anatomo-pathologiste qui avait examiné les tissus de la patiente après le décès n'avait retrouvé aucune perforation ni signe permettant de suspecter une perforation, et que M. D..., professeur, excluait formellement l'hypothèse d'une perforation digestive accidentelle, de sorte que la thèse de la perforation de l'intestin ne repose sur aucune certitude, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors que M. A..., médecin, dans son compte rendu opératoire, concluait qu'« il ne s'agit donc pas d'une péritonite par perforation d'organe creux, mais d'une ischémie massive au stade irréversible » ; que la cour retient néanmoins que la thèse de la perforation intestinale est privilégiée même par M. A..., médecin ; que les énonciations de l'arrêt sont ainsi en contradiction avec les constatations du rapport auquel il prétend les emprunter ;

"3°) alors que le délit d'homicide involontaire suppose un lien de causalité certain entre la faute et le dommage, lequel consiste dans le décès de la victime ; qu'en se bornant à constater que M. X..., médecin, avait commis quantité de fautes de négligence sans préciser en quoi ces fautes présentaient un lien de causalité direct avec le décès, la cour d'appel a privé sa décision de base légale";

Attendu que, pour confirmer le jugement et déclarer M. X... coupable d'homicide involontaire, l'arrêt retient que la perforation de l'intestin durant l'opération est privilégiée par les six experts judiciaires, le médecin ayant effectué la reprise chirurgicale de la patiente dans la nuit du 5 novembre 2008 et le médecin ayant rédigé l'acte de décès, et que les scanners ont montré une atteinte de la face postérieure des muscles et une bulle d'air dans le péritoine témoignant de sa blessure lors de l'intervention sans que le prévenu n'ait fourni aucun argument médical probant sur les raisons des complications subies par la patiente ni sur la cause de l'infractus du mésentère invoquée ; que les juges ajoutent que, chirurgien expérimenté n'ignorant pas les complications pouvant survenir sur ce type d'acte, il était injoignable et ne s'est pas déplacé pour voir sa patiente à l'issue de l'intervention ni le lendemain après l'appel du médecin anesthésiste l'informant des complications observées, alors que, selon notamment les témoignages des infirmières, celle-ci présentait des saignements, ce qui constitue une négligence caractérisée dans le cadre d'une surveillance post opératoire ; qu'ils relèvent ensuite que ces fautes accumulées de maladresse, imprudence, inattention, négligence ont directement concouru au décès de Maryse Z... ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 14, § 3 g du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 131-27, 131-28, 132-1, 132-19, 132-24 et 221-6 du code pénal, de l'article préliminaire et des articles 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation de la loi et insuffisance de motivation ;

"en ce que la cour d'appel a condamné M. X..., à la peine de vingt-quatre mois d'emprisonnement et à l'interdiction de l'activité professionnelle de médecin pendant une durée de trois ans ;

"aux motifs que le déni complet de toute possibilité d'erreur médicale de sa part et l'absence même d'un doute, en disent long sur l'état d'esprit de ce praticien qui, sitôt l'opération terminée et après avoir reçu lui-même de la patiente le paiement de l'intervention par chèque et semble -t-il pour partie en espèces (ce que semble confirmer le relevé bancaire de Maryse Z... ) a considéré sa mission accomplie, quittant la clinique sans jamais la revoir sinon lorsqu'elle était en coma avancé lors de la reprise par M. A..., médecin, de l'intervention ; qu'au vu de la gravité des manquements qui se sont accumulés sur de nombreuses heures, de la personnalité cynique et irresponsable de leur auteur, la cour aggravera la peine et condamnera M. X... à vingt-quatre mois d'emprisonnement assorti d'un sursis simple avec une interdiction professionnelle pendant une durée de trois ans ;

"1°) alors que tout mis en cause a le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; que le choix d'un système de défense ne peut dès lors être en aucun cas un motif d'aggravation d'une peine ferme ; qu'en retenant, pour aggraver la peine prononcée en première instance à l'encontre de M. X... et le condamner à vingt-quatre mois d'emprisonnement et trois années d'interdiction d'exercice de la médecine, « le déni complet de toute possibilité d'erreur médicale de sa part et l'absence même d'un doute », la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés ;

"2°) alors que toute peine doit être motivée en tenant compte non seulement de la gravité de l'infraction et de la personnalité de son auteur mais aussi de sa situation personnelle ; qu'en prononçant à l'encontre de M. X... une peine d'interdiction d'exercer pendant trois ans son activité professionnelle sans donner aucun motif sur sa situation personnelle ni s'interroger sur les conséquences que cette sanction pourrait avoir au regard de ses modalités d'exercice et des charges financières auxquelles il pourrait avoir à faire face, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision" ;

Attendu que, pour prononcer à l'encontre de M. X... les peines de vingt-quatre mois d'emprisonnement avec sursis et trois ans d'interdiction d'exercice professionnel, l'arrêt relève que le déni complet de toute possibilité d'erreur médicale de sa part et l'absence même d'un doute, en disent long sur l'état d'esprit du praticien qui, sitôt l'opération terminée et après avoir reçu lui même de la patiente le paiement de l'intervention par chèque et semble t-il pour partie en espèces, a considéré sa mission accomplie, quittant la clinique sans jamais la revoir sinon lorsqu'elle était en coma avancé lors de la reprise de l'intervention ; que les juges relèvent la gravité des manquements qui se sont accumulés sur de nombreuses heures, la personnalité cynique et irresponsable de leur auteur ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision au regard des dispositions de l'article 132-19 du code pénal ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le pourvoi formé par M. Y... :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 427, 435, 513, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué qu' « après avoir entendu le ministère public sur ce point, la cour a refusé d'entendre un témoin en la personne de Dr D... estimant non nécessaire à son information cette audition, son rapport figurant au dossier » (arrêt attaqué, p. 4) ;

"1°) alors qu' il résulte de l'article 513, alinéa 4, du code de procédure pénale, que le prévenu ou son avocat doivent toujours avoir la parole les derniers ; que cette règle ne se limite pas aux débats sur le fond mais s'applique également à tout incident dès lors qu'il n'est pas joint au fond ; qu'en statuant, au cours des débats, sur la demande d'audition d'un témoin présentée par la défense, pour la rejeter, sans qu'il ne résulte des mentions de l'arrêt que les prévenus ou leurs avocats aient eu la parole en dernier sur cet incident, la cour d'appel a violé le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

"2°) alors que selon l'article 6, § 3, d de la Convention européenne des droits de l'homme, tout accusé a droit à interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; que selon l'article 513, alinéa 2, du code de procédure pénale, devant la cour d'appel, les témoins cités par le prévenu sont entendus dans les règles prévues aux articles 435 à 457 dudit code, le ministère public pouvant s'y opposer si ces témoins ont déjà été entendus par le tribunal ; qu'en refusant d'entendre M. D..., médecin, lorsque ce témoin régulièrement cité par la défense n'avait pas été entendu en première instance, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés" ;

Vu l'article 513 alinéa 2 du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon ce texte, devant la cour d'appel, les témoins sont entendus dans les règles prévues par les articles 435 à 457 du code de procédure pénale, le ministère public pouvant s'y opposer si ces témoins ont déjà été entendus par le tribunal ;

Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué qu'après avoir entendu le ministère public sur ce point, la cour a refusé d'entendre un témoin en la personne de M. D..., médecin, estimant non nécessaire à son information cette audition, son rapport figurant au dossier ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le témoin, régulièrement cité, n'avait pas été entendu par le tribunal, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés :

Sur le pourvoi de M. X... :

Le REJETTE ;

FIXE à 3 000 euros la somme globale que M. X... devra payer aux parties représentées par la société civile professionnelle Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat à la Cour, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Sur le pourvoi de M. Y... :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 8 février 2017, mais en ses seules dispositions relatives à M. Y..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six novembre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 17-81420
Date de la décision : 06/11/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, 08 février 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 06 nov. 2018, pourvoi n°17-81420


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gaschignard, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.81420
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