LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme Fabienne X...,
- Mme Sandrine O... Y...,
- Mme Chantal Z...,
- Mme Chantal A...,
- Mme Christèle B...,
- M. Yann C...,
- M. Damien D...,
- Mme P... E...,
- Mme Myriam M... ,
- La fédération CGT Commerce Distribution Services,
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 9e chambre, en date du 20 novembre 2017, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de la société Monoprix exploitation du chef d'infraction à la législation sur le travail de nuit ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16 octobre 2018 où étaient présents : M. Soulard, président, M. Cathala , conseiller rapporteur, M. Straehli, Mme Durin-Karsenty, MM. Ricard, Parlos, Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, conseillers de la chambre, M. Barbier, Mme de Lamarzelle, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lemoine ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller Cathala, les observations de la société civile professionnelle MEIER-BOURDEAU et LÉCUYER, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Lemoine ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles R. 3124-15, L. 3171-4, L. 8113-7 du code du travail, 121-2 du code pénal, 429, 537, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé la société Monoprix exploitation des fins de la poursuite du chef de mise en place illégale du travail de nuit et a, en conséquence, débouté les parties civiles de leurs demandes ;
"aux motifs qu'il n'est pas contesté qu'en application des dispositions de l'article L. 3122-29 du code du travail, le travail entre 21 heures et 6 heures est considéré comme travail de nuit ; que la mise en place dans une entreprise du travail de nuit ou son extension à de nouvelles catégories de salariés est subordonnée à la conclusion préalable d'une convention ou accord collectif de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement ; que, le 2 avril 2013 la cour d'appel de Versailles a confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre du 3 février 2012 annulant l'accord conclu sur le travail de nuit dans les sociétés de l'U. Monoprix et a fait interdiction aux sociétés de l'U. Monoprix des faire effectuer du travail de nuit aux salariés tant qu'un accord n'est pas conclu, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée à compter du prononcé de l'arrêt ; que si les procès-verbaux de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi font foi jusqu'à preuve contraire, il convient cependant pour entrer en voie de condamnation que ces procès-verbaux soient suffisamment précis et étayés pour établir la réalité de chacune des infractions constatées ; que la direction générale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a dressé un rapport en date du 3 juillet 2014 aux termes duquel il apparaît que le 7 janvier et le 11 janvier 2014 l'inspecteur du travail qui s'est rendu sur le magasin de [...] a constaté la présence de Mmes H..., I..., N..., A... et de MM. C... et J... en position de travail jusqu'à la fermeture du magasin à 21 heures 30 ; que le 16 janvier 2014 une lettre recommandée avec AR a été adressée au directeur du Monoprix pour lui signaler que le 7 janvier 2014, il avait constaté que dix salariés avaient travaillé après heures et le 11 janvier quatorze salariés avaient travaillé après 21 heures ; qu'il convient de constater que ce décompte est inexact par rapport au listing produit en annexe 5 où il est indiqué pour la journée du 7 janvier 2014 le nom de neuf salariés et le 11 janvier le nom de huit salariés ; que l'inspecteur note notamment que Mme I... a été trouvée en position de travail alors que le listing figurant en annexe 5 ne fait pas état de sa présence en position de travail après 21 heures, et qu'il existe donc une incohérence dans les constatations réalisées ; qu'il convient également de constater que l'inspecteur du travail note qu'il s'est présenté dans le magasin Monoprix le 7 et le 11 janvier 2014 à 21 heurs et a trouvé des salariés en position de travail et que « ces salariés ont travaillé jusqu'à la fermeture du magasin à 21 heures 30 », ce qui n'est pas mentionné dans le courrier d'avertissement en date du 16 janvier qui indique simplement un travail après 21 heures ; que l'inspecteur du travail fait état de salariés en position de travail à son arrivée, soit à 21 heures, alors que l'infraction commence au delà de cette limite horaire ; qu'ainsi les constats de l'inspection du travail sont pour le moins imprécis sur le temps exact de la présence de l'inspecteur dans l'entreprise, l'identité des salariés concernés, la description de leur position de travail, et de l'heure exacte de fin du travail ; que l'inspecteur du travail s'est de nouveau présenté dans l'entreprise le 6 février 2014 et s'est fait remettre par M. K... le relevé de la durée du travail des salariés dans l'établissement, relevé précisant les heures de pointage des salariés et notamment les heures de fin de poste ; que l'inspecteur indique avoir synthétisé ces informations en annexe 5 qui effectivement, liste du 1er juin 2013 au 5 février 2014 le nom des salariés, et l'heure du dernier pointage ; qu'il convient de constater que ce tableau correspond non pas à des constats effectivement réalisés par l'inspecteur du travail, hors les journées du 7 janvier 2014 et du 11 janvier 2014, mais d'une synthèse des listings de pointage, sans que ces documents remis par le représentant de l'entreprise soient joints à la procédure et ne puissent être correctement exploités ; que si la société Monoprix ne conteste pas avoir maintenu l'ouverture du magasin de [...] jusqu'à 21 heures 30, il n'en demeure pas moins qu'il appartient à l'inspection du travail et au ministère public d'établir la matérialité de la commission de chacune des infractions poursuivies, soit la réalité des 992 dépassements d'horaires retenus, et non pas une généralité d'infractions globalement commises dans une période donnée ; qu'au surplus, l'inspection du travail a joint en annexe 11 la délégation de pouvoirs de M. K..., directeur du magasin à compter du 14 janvier 2014 ; qu'en revanche la délégation de pouvoirs de M. L... n'est pas jointe au dossier, que celui-ci n'a pas été entendu par les services de police ou par l'inspection du travail et qu'il n'est pas possible d'en vérifier la réalité et la capacité de celui-ci à engager la responsabilité de l'entreprise ; qu'au surplus M. K... dans son audition devant les services de police en date du 20 mars 2015 s'est reconnu responsable pour la période du 1er janvier 2014 au 13 avril 2014, ce qui est en contradiction avec sa délégation de pouvoirs du 14 janvier et crée un doute sur la personne susceptible d'engager la responsabilité de l'entreprise du 1er au 13 janvier 2014 ; que la direction de la société Monoprix exploitation n'a pas été entendue, pas plus que les vingt-et-un salariés concernés qui auraient pu apportée des explications sur l'effectivité de leur travail de nuit ; qu'il convient en l'espèce de constater que le procès-verbal de l'inspection du travail n'est pas suffisamment précis pour permettre d'établir le nombre, l'identité, les horaires de travail des salariés de l'entreprise, que le procès-verbal de synthèse établi à partir de listings fournis par l'entreprise ne sont pas joints et ne permettent pas d'établir la réalité du travail de ces salariés, que les vingt-et-un salariés n'ont pas fait l'objet d'audition aux fins de connaître leur situation exacte d'emploi, que la délégation de pouvoir de M. L... permettant d'engager la responsabilité jusqu'au 31 décembre 2013 n'est pas transmise, que l'audition de M. L... n'a pas été réalisée, que l'identité de la personne susceptible d'engager la responsabilité de l'entreprise entre le 1er et le 14 janvier 2014 n'est pas établie ; que l'ensemble des lacunes, des imprécisions et des contradictions dans le rapport de l'inspection du travail crée un doute sur la matérialité des infractions et qu'il convient en conséquence d'entrer en voie de relaxe à l'égard de la société Monoprix exploitation ;
"1°) alors que les procès-verbaux de l'inspection du travail font foi jusqu'à preuve contraire des infractions qu'ils constatent, cette preuve ne pouvant être rapportée que par écrit ou par témoins ; qu'il résulte du procès-verbal n° 2014/077 du 16 juin 2014 qu'après deux visites au cours desquelles il a relevé des infractions relatives au travail de nuit, l'inspecteur du travail s'est fait remettre le 6 février 2014, par le directeur de l'établissement, les relevés des heures de pointage des salariés, au vu desquels il a constaté que des salariés avaient effectué un travail de nuit illégalement du 1er juin 2013 au 5 février 2014 et en a dressé la liste qu'il a annexée à son procès-verbal ; qu'en relaxant la prévenue du chef d'infraction à la législation sur travail de nuit, sans constater que la preuve contraire aux énonciations du procès-verbal avait été rapportée par écrit ou par témoins, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"2°) alors que la valeur probante d'un procès-verbal de l'inspection du travail s'attache à tout ce que son auteur a vu, entendu ou constaté par lui-même ; que l'observation des relevés de la badgeuse numérique d'une entreprise par un inspecteur du travail constitue une constatation personnelle qui fait foi du contenu de ceux-ci ; qu'en retenant, pour entrer en voie de relaxe, que la liste dressée par l'inspecteur du travail au vu des relevés de pointage ne correspondait pas à des constats effectivement réalisés par lui-même mais à une synthèse des listings fournis par le représentant de l'entreprise et ne permettait pas dès lors d'établir la réalité des faits, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"3°) alors que le décompte des heures de travail accomplies par les salariés issu d'un système d'enregistrement automatique est en principe fiable et infalsifiable ; qu'en relevant, pour relaxer la prévenue, que les relevés de pointage effectués par la badgeuse numérique n'étaient pas joints à la procédure, quand il appartenait à la prévenue soit de contester la fiabilité de cette badgeuse, soit de produire les relevés de pointage afin d'établir que les constatations du procès-verbal ne leur étaient pas conformes, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"4°) alors qu'il ressort du procès-verbal d'infraction que l'inspecteur du travail s'est rendu dans l'entreprise les 7 et 11 janvier 2014 à 21 heures et a trouvé en situation de travail des salariés et que « parmi ces salariés se trouvaient Mmes H..., I..., N..., A..., ainsi que MM. C... et J... (liste complète en annexe 5) » ; qu'hormis une erreur concernant Mme I..., ces constatations ne sont pas en contradiction avec la liste figurant en annexe 5, qui mentionne la présence de ces salariés au cours de l'une des deux visites de l'inspecteur ; qu'en relevant l'existence d'une incohérence dans les constatations du procès-verbal, quand celle-ci ne relevait que d'une erreur matérielle sans conséquence et qui n'était pas de nature à remettre en cause l'ensemble des constatations du procès-verbal d'infraction, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"5°) alors que la force probante d'un procès-verbal d'infraction établi par un inspecteur du travail s'attache aux seules mentions y figurant et à ses annexes, à l'exclusion des observations figurant dans un courrier préalable à l'établissement du procès-verbal ; qu'en se fondant, pour entrer en voie de relaxe, sur des contradictions existant entre les mentions du procès-verbal et celles d'une lettre de l'inspecteur du travail du 16 janvier 2014 relatives au nombre de salariés présents les jours de visites de l'inspecteur du travail, la cour d'appel a déduit un motif inopérant et ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
"6°) alors qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'annexe 5 du procès-verbal listait le nom des salariés présents les jours d'ouverture après 21 heures et leur heure de dernier pointage et que la prévenue ne contestait pas avoir maintenu l'ouverture du magasin jusqu'à 21 heures 30 ; qu'en relevant, pour relaxer la prévenue, que le procès-verbal d'infraction n'était pas suffisamment précis sur l'identité des salariés concernés et l'heure exacte de fin de leur travail, ou sur l'effectivité d'un travail de nuit effectué entre 21 heures et 21 heures 30, et ne permettait donc pas d'établir la réalité des 992 contraventions retenues, la cour d'appel s'est contredite tant au regard de ses propres constatations qu'au regard du contenu du procès-verbal d'infraction, privant ainsi sa décision de base légale ;
"7°) alors que le juge pénal qui constate la commission d'infractions ne peut prononcer une relaxe et qu'il lui appartient de se prononcer sur chacune des infractions commises sans pouvoir en réfuter l'existence au seul motif que certaines apparaîtraient discutables ; qu'ayant constaté que la société Monoprix exploitation ne contestait pas l'ouverture du magasin après 21 heures malgré l'interdiction qui lui en avait été faite par arrêt de la cour d'appel de Versailles du 20 avril 2013, ce dont il résultait que des salariés de l'établissement avaient nécessairement effectué un travail de nuit illégalement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"8°) alors que les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; que MM. L... et K..., directeurs successifs du magasin concerné, ont reconnu avoir été successivement titulaires d'une délégation de pouvoirs pendant toute la période de prévention, du 1er août 2013 au 5 février 2014, et avoir maintenu le magasin ouvert en horaire de nuit pour le compte de la prévenue, dans le cadre de la politique du groupe ; qu'en se bornant à relever, pour relaxer la prévenue, qu'il existait un doute sur la personne susceptible d'avoir engagé la société pendant quelques jours en janvier 2014 au moment du changement de directeur et que la délégation de pouvoirs de M. L... n'était par ailleurs pas produite, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"9°) alors que les juges répressifs peuvent déclarer une personne morale coupable d'une infraction, sans préciser l'identité de l'auteur des faits constitutifs de l'infraction dès lors que cette infraction n'a pu être commise, pour le compte de la personne morale, que par ses organes ou représentants ; qu'en l'espèce, il était acquis que les infractions reprochées s'inscrivaient dans le cadre de la politique commerciale de la société Monoprix exploitation et n'avaient pu, dès lors, être commises, pour le compte de cette dernière, que par ses organes ou représentants ; qu'en retenant qu'elle avait un doute sur l'identification de la personne susceptible d'avoir engagé la société pendant quelques jours en janvier 2014, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Vu les articles L. 8113-7 du code du travail, dans sa version en vigueur au moment des faits, 537 et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que les procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail, les contrôleurs du travail et les fonctionnaires de contrôle assimilés constatant des infractions font foi jusqu'à preuve du contraire ;
Qu'aux termes du deuxième de ces textes les contraventions sont prouvées par procès-verbaux ou rapports, soit par témoins à défaut de rapports ou de procès-verbaux, ou à leur appui ; que la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins ;
Attendu que le troisième de ces textes dispose que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de la décision attaquée, du procès-verbal de l'inspection du travail et des autres pièces de procédure qu'à la suite de contrôles réalisés, les 7 et 11 janvier 2014, au sein d'un magasin Monoprix, sis à [...] à Lyon, et de relevés des pointages horaires effectués par le directeur du magasin, la société Monoprix exploitation a été citée devant le tribunal de police du chef susvisé ; que cette juridiction a notamment déclaré la prévenue coupable des faits reprochés ; que la société a relevé appel de la décision, ainsi que les parties civiles et le procureur de la République ;
Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a notamment condamné la société Monoprix exploitation à réparer le préjudice des parties civiles, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, d'une part, des procès-verbaux de l'inspection du travail ont constaté, dans le magasin contrôlé, la présence de salariés en situation de travail après 21 heures sans avoir relevé l'existence d'une preuve contraire rapportée par écrit ou par témoin, d'autre part, la valeur probante des constatations de l'inspecteur du travail s'étend à celles qui résulteraient des documents fournis par l'employeur, de sorte qu'elle ne pouvait sans contradiction constater, d'abord, que les listings de pointage des salariés avaient été remis par l'employeur à l'inspecteur du travail et en déduire, ensuite, que, parce que ces listes n'étaient pas jointes à la procédure, cela ne permettait pas d'établir la réalité du travail de salariés, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 20 novembre 2017, mais en ses seules dispositions ayant débouté les parties civiles de leurs demandes s'agissant des faits poursuivis à l'encontre de la société Monoprix exploitation, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de LYON, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente octobre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.