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17/10/2018 | FRANCE | N°17-18609

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 17 octobre 2018, 17-18609


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 4614-12, 1°, du code du travail, alors applicable ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, statuant en la forme des référés, que la société Apave Sudeurope (la société) a déployé en 2014 et 2015 un projet intitulé Alpha consistant en une automatisation des tâches exercées par le personnel administratif, ce personnel étant amené à se voir confier des tâches commerciales ; que, par délibération du 13 décembre 2016, le comité d'hygiène, de sécurité

et des conditions de travail pour la région Sud-Ouest (le CHSCT) de la société a décidé de ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 4614-12, 1°, du code du travail, alors applicable ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, statuant en la forme des référés, que la société Apave Sudeurope (la société) a déployé en 2014 et 2015 un projet intitulé Alpha consistant en une automatisation des tâches exercées par le personnel administratif, ce personnel étant amené à se voir confier des tâches commerciales ; que, par délibération du 13 décembre 2016, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail pour la région Sud-Ouest (le CHSCT) de la société a décidé de recourir à une mesure d'expertise sur le fondement de l'article L. 4614-12, 1°, du code du travail ; que la société a saisi le président du tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de cette délibération ;

Attendu que, pour débouter la société de cette demande, le président du tribunal de grande instance retient que le CHSCT a réalisé une enquête au moyen d'une grille d'évaluation dite "Quebec", que, sur un total de quatre vingt-quatre questionnaires dépouillés, soit un taux de retour de 54,2 %, le dépouillement de ce questionnaire a révélé que quatorze salariés s'estimaient en risque psychosocial élevé, que l'analyse globale révèle que dix agences sur quinze méritent une analyse plus adaptée en raison des réponses obtenues, qu'il résulte de ces éléments, qu'il n'appartient pas à la présente juridiction d'analyser davantage, que le CHSCT ne s'est pas fondé sur un ressenti indéterminé mais bien sur une étude apparemment sérieuse, établie à l'aide d'outils adaptés, dans des conditions de neutralité et de rigueur permettant une analyse significative et sur un échantillon de réponses représentatif, qu'une analyse réalisée par la médecine du travail de L'Isle d'Espagnac en 2014 et le fait que le médecin du travail de Limoges rappelait le 5 mars 2015 qu'il avait alerté le directeur du site sur le risque psychosocial qui devait être "repéré afin de prévenir une évolution plus grave", ne permettent pas de caractériser la persistance de risques psychosociaux élevés, mais corroborent les résultats de l'étude menée par le CHSCT sur l'ancienneté de la situation évoquée et sa profondeur, que l'ancienneté des rapports des médecines du travail de Charente et de Haute-Vienne ne permettrait pas de caractériser un risque actuel justifiant l'organisation d'une expertise, mais ces éléments viennent corroborer une étude entreprise en février 2016 et donc très récente ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, justifiant le recours à l'expertise, le président du tribunal de grande instance a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance, statuant en la forme des référés, rendue le 15 mai 2017, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le président du tribunal de grande instance de Libourne, statuant en la forme des référés ;

Condamne la société Apave Sudeurope aux dépens ;

Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, la condamne à payer la somme de 3 500 euros TTC au CHSCT de la société Apave région Sud-Ouest ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Apave Sudeurope

Il est reproché à l'ordonnance attaquée d'avoir débouté la société Apave Sudeurope de ses demandes tendant à voir annuler la délibération du 13 décembre 2016 et voir dire n'y avoir lieu à prendre en charge les frais d'une telle expertise, en l'absence de risque grave avéré ;

Aux motifs que sur l'existence d'un risque réel, selon l'article L. 4614-12 du code du travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement ; qu'il n'est pas nécessaire pour le CHSCT de s'appuyer sur le constat d'un fait précis, constitutif d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ; que pour autant, il ne peut se fonder en matière de prévention des risques psychosociaux sur des faits imprécis, un sentiment diffus, ou une impression générale ; que le comité d'établissement de société Apave Sudeurope a, dans sa réunion des 25 et 26 février 2016 statué sur le « malaise du personnel administratif » ; que le CE demandait la réalisation rapide d'une étude détaillée de l'absentéisme de cette catégorie de personnel sur les 5 dernières années ; que la direction a reconnu une évolution du métier, mais indiquait n'avoir pas fait d'étude spécifique, mais garder une attention au taux d'absentéisme au fil de l'eau, sans avoir noté d'évolution significative ; qu'une situation particulière a été évoquée sur l'agence de Périgueux, et la direction en a écarté le lien avec d'éventuels RPS, bien qu'un délégué syndical ait fait observer qu'il avait découvert par hasard la situation de l'agence et que son passage avait « délié les langues » ; que le CE a souhaité proposer aux CHSCT de réaliser une enquête « en particulier sur le Sud-Ouest, pour que le CHSCT analyse la situation à Périgueux et à Toulouse » ; que cette proposition a été étendue à toutes les directions régionales et porte sur « le malaise ressenti par les personnels administratifs » (
) ; que la mission ne se limitait donc pas comme le soutient l'Apave à exécuter l'enquête demandée par le comité d'entreprise, et la résolution de recourir à l'expertise entre dans les compétences du CHSCT ; que le champ d'investigation a été suffisamment défini par la limitation au personnel administratif, dont la direction a été en mesure de donner une liste pour les besoins de l'enquête, réalisée au moyen d'une grille d'évaluation dite Québec dont la pertinence n'est pas en soi contestée ; qu'elle repose sur un entretien avec deux ou trois indicateurs clés de l'entreprise (directeur, syndicat, membres du CHSCT
) et un questionnaire, figurant en annexe D du guide produit ; que ce questionnaire est anonyme, ne précisant que l'âge et le sexe de l'intéressé ; qu'il est rédigé sous forme de questions fermées (des affirmations, par exemple « mon travail exige que j'apprenne des choses nouvelles ») auxquelles il est répondu par une appréciation qualitative et subjective (« fortement en désaccord, en désaccord, d'accord, fortement d'accord ») ; qu'il n'apparaît pas que le CHSCT se soit éloigné de cette méthodologie, son enquête n'ayant pas pour but d'établir un diagnostic sur le niveau des risques psychosociaux, mais d'évaluer leur existence ; que sur 84 questionnaires dépouillés (retour de 54,2%), caractérisant une référence correcte, le dépouillement a révélé que 14 salariés s'estimaient en risque psychosocial élevé ; que le dépouillement se fait sur la base d'une évaluation d'un score, dont le maximum, traduisant le risque le plus élevé, est de 99 ; que le risque est considéré comme élevé à partir d'un score de 66, ce qui est le cas pour 14 salariés, 4 ayant un score supérieur à 80 ; qu'aucun élément ne permet de penser que les réponses au questionnaire anonyme ne sont pas le reflet du ressenti réel des employés et que ceux-ci auraient exagéré leurs réponses ; que l'analyse globale outre le nombre de salariés dont les réponses font état d'un taux élevé, révèle que 10 agences méritent une analyse plus adaptée en raison des réponses obtenues ; qu'il résulte de ces éléments, qu'il n'appartient pas à la présente juridiction d'analyser davantage, que le CHSCT ne s'est pas fondé sur un ressenti indéterminé, mais bien sur une étude apparemment sérieuse, établie à l'aide d'outils adaptés, dans des conditions de neutralité et de rigueur permettant une analyse significative et sur un échantillon de réponses représentatif ; qu'une analyse réalisée par la médecine du travail de l'Isle d'Espagnac (Charente) en 2014 concluait à l'existence d'une tension « les évolutions internes de la société et les importantes exigences professionnelles contribuent dans un contexte général difficile, à un climat d'incertitude et de tension fragilisant pour une proportion significative de salariés malgré leur professionnalisme » ; que le médecin du travail de Limoges rappelait le 5 mars 2015 qu'il avait alerté le directeur du risque sur le risque psychosocial, qui devrait être « repéré afin de prévenir une évolution plus grave » ; que d'autres signalements plus anciens sont produits aux débats ; que ces derniers éléments ne permettent pas de caractériser la persistance de risques psychosociaux élevés, mais corroborent les résultats de l'étude menée par le CHSCT sur l'ancienneté de sa situation évoquée et sa profondeur ; que le CHSCT s'est appuyé sur l'existence d'un risque suffisamment établi par les éléments qu'il a recueillis et analysés ; que sur l'existence d'un risque actuel, l'ancienneté des rapports des médecines du travail de Charente et de Haute-Vienne ne permettrait pas de caractériser un risque actuel justifiant l'organisation d'une expertise, mais, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ces éléments ne viennent que corroborer une étude entreprise en février 2016, très récente ; que les efforts que la direction de l'Apave affirme avoir déployés pour prévenir les RPS ne suffisent pas à caractériser la caducité des résultats de l'enquête, alors qu'il appartient au CHSCT de s'inquiéter de l'efficacité de ces mesures par rapport aux risques mis en évidence ; qu'aucune disposition légale n'impose de caractériser une situation d'urgence, la notion de risque grave et imminent prévue par l'article L. 4131-1 du code du travail ne se rapportant qu'à l'exercice par les employés de leur droit d'alerte et de leur droit de retrait ; que sur l'existence d'un risque dans l'établissement lui-même, le risque que le CHSCT a diagnostiqué est donc réel et actuel et aucune disposition ne vient limiter le droit du CHSCT à recourir à une expertise à la démonstration de l'insuffisance des moyens internes de l'entreprise ; que les analyses nationales ou sur d'autres établissements du groupe Apave, ne fondent pas la décision du CHSCT de recourir à une expertise, mais étayent des résultats de l'analyse faite dans la région Sud-Ouest, particulièrement visée par le comité d'établissement ; qu'il en résulte que le risque a bien été caractérisé non par référence à des données coïncidant avec le champ de compétence du CHSCT de l'établissement Sud-Ouest ;

Alors 1°) que le CHSCT ne peut faire appel à un expert agréé que lorsqu'un risque grave, identifié et actuel est constaté dans l'établissement ; qu'en se fondant, pour juger l'appel du CHSCT à un expert agréé justifié, sur la circonstance inopérante que les réponses au questionnaire anonyme envoyé par le CHSCT aux salariés reflétaient le « ressenti réel des employés » (ordonnance p. 6, antépénultième §), dont 14 salariés sur les 84 ayant répondu « s'estimaient » en risque psychosocial élevé (ordonnance p. 6, 5ème §), sans mettre en évidence de risque grave, identifié et actuel dans l'établissement, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 1° du code du travail ;

Alors 2°) que le président du tribunal, saisi d'une contestation de la nécessité de l'expertise, doit analyser et vérifier si les pièces produites mettent de manière certaine en évidence un risque grave, identifié et actuel dans l'établissement ; qu'en énonçant qu'il résultait des éléments produits, « qu'il n'appartient pas à la présente juridiction d'analyser davantage », que le CHSCT ne s'était pas fondé sur un ressenti indéterminé, mais sur une étude apparemment sérieuse, établie à l'aide d'outils adaptés, dans des conditions de neutralité et de rigueur permettant une analyse significative et sur un échantillon de réponses représentatif (ordonnance p. 6, avant-dernier §), le président du tribunal de grande instance a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et a violé les articles L. 4614-12 1° et L. 4614-13 du code du travail ;

Alors 3°) que le CHSCT ne peut faire appel à un expert agréé que lorsqu'un risque grave, identifié et actuel est constaté dans l'établissement ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations sur le fait que les derniers éléments produits par le CHSCT « ne permettent pas de caractériser la persistance de risques psychosociaux élevés » (ordonnance p. 7, 2ème §) ni de « caractériser un risque actuel justifiant l'organisation d'une expertise » (ordonnance p. 7, 4ème §), mais corroboraient seulement les résultats de l'étude du CHSCT sur l'ancienneté de sa situation évoquée et sa profondeur, ce dont il résultait qu'aucun risque grave, identifié et actuel n'existait dans l'établissement, le président du tribunal de grande instance a violé l'article L. 4614-12 1° du code du travail ;

Alors 4°) qu'en retenant que les efforts que la direction de société Apave Sudeurope affirmait avoir déployés pour prévenir les risques psychosociaux ne suffisaient pas à caractériser la caducité des résultats de l'enquête, et qu'il appartenait au CHSCT de s'inquiéter de l'efficacité de ces mesures par rapport aux risques mis en évidence (ordonnance p. 7, 5ème §), ce qui était insusceptible de mettre en évidence un risque grave, identifié et actuel dans l'établissement, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 1° du code du travail ;

Alors 5°) que le CHSCT ne peut faire appel à un expert agréé que lorsqu'un risque grave, identifié et actuel est constaté dans l'établissement ; qu'en retenant que le CHSCT s'était appuyé sur un « risque suffisamment établi », « réel et actuel » (ordonnance p. 7, 3ème et antépénultième §), sans constater de risque « grave » identifié dans l'établissement, le président du tribunal de grande instance a violé l'article L. 4614-12 1° du code du travail ;

Alors 6°) et en tout état de cause que le juge a l'obligation d'indiquer les éléments de preuve sur lesquels il se fonde pour affirmer l'existence d'un fait ; qu'en retenant que le CHSCT avait diagnostiqué un risque « réel et actuel », sans indiquer quel élément de preuve aurait mis en évidence un tel risque, le président du tribunal de grande instance a statué par voie d'affirmation et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Alors 7°) qu'en n'ayant ni caractérisé ni constaté l'existence d'un risque pour l'établissement lui-même, le président du tribunal de grande instance a violé l'article L. 4614-12 1° du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17-18609
Date de la décision : 17/10/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Bordeaux, 15 mai 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 17 oct. 2018, pourvoi n°17-18609


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.18609
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