LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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La société Avoscoot,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBERY, chambre correctionnelle, en date du 11 octobre 2017, qui, pour homicide involontaire, l'a condamnée à une amende de 5 000 euros, a mis hors de cause la compagnie Allianz lARD et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 4 septembre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. X..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller X..., les observations de la société civile professionnelle FABIANI, LUC-THALER ET PINATEL, la société civile professionnelle ORTSCHEIDT et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE ET HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Y... ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-2 et 221-6 du code pénal, 2, 3, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société Avoscoot coupable d'homicide involontaire et manquement à une obligation de prudence ou de sécurité ;
"aux motifs que l'appel du parquet ne porte que sur la relaxe prononcée à l'encontre de la personne morale, la société Avoscoot et que le jugement de première instance est définitif en ce qui concerne M. Gaetan Z..., Mme Annie A... et la commune de Morzine ; qu'aux termes de la prévention, il est reproché à la société Avoscoot d'avoir « par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce en organisant contre rémunération une sortie en motoneige nocturne sur le domaine public en dehors de tout aménagement spécifique, balisage et clôture en violation caractérisée des articles L. 362-1 à L. 362-7 du code de l'environnement interdisant l'usage des motoneiges à des fins de loisirs et de l'article L. 442-1 du code de l'urbanisme (circulaire du 30 novembre 2000) qui n'autorise cette pratique que sur des terrains privés spécialement aménagés, alors même que le parcours n'était ni adapté, ni balisé et n'était pas clos, s'agissant du domaine public réservé notamment à la pratique du ski de fond, involontairement causé la mort de B... Jean-Paul » ; que l'article L. 362-3 du code de l'environnement dispose que l'ouverture de terrains pour la pratique de sports motorisés est soumise à l'autorisation prévue à l'article L. 421-2 du code de l'urbanisme et que l'utilisation, à des fins de loisirs, d'engins motorisés conçus pour la progression sur neige est interdite, sauf sur les terrains ouverts dans les conditions prévues au premier alinéa ; que la loi du 3 janvier 1991 qui réglemente la circulation des véhicules terrestres dans les espaces naturels pose le principe de la protection des espaces naturels dans son article 1 en interdisant la circulation des véhicules à moteur et dans son article 2 impose l'ouverture de terrains soumise aux dispositions de l'article L. 442-1 du code de l'urbanisme pour la pratique des sports motorisés ; que le législateur a entendu encadrer strictement les conditions dans lesquelles se réalise l'aménagement en zone de montagne de « terrains » pour la pratique de loisirs motorisés et empêcher des itinéraires mêmes balisés ; qu'au cas d'espèce, la société Avoscoot a formulé une demande d'aménagement et que les documents permettent de lire : « 2. Descriptif et superficie du terrain d'évolution : le circuit prend place principalement sur la parcelle n° [...]. Le départ du circuit traverse la parcelle n° [...] sur environ 50 m. Puis le circuit passe en bordure de la parcelle n° B 293 sur environ 300 m. Les terrains utilisés sont principalement d'anciennes pistes de ski. Le circuit traverse une piste de ski sur environ 300 m (parcelle [...] ) en accord avec la SERMMA. L'activité motoneige prend place à partir de 18 h 00, les pistes de ski sont alors fermées. La surface totale de 4ha (7 % des 3 parcelles réunies) comprend l'implantation du chalet d'accueil, la piste d'accès au terrain, le terrain d'évolution ; l'espace réservé aux motoneiges sera signalé par : des jalons et des panneaux signalétiques spécifiques à la motoneige (voir photos en annexe) ; le parcours emprunté sera balisé par : des jalons avec bandes rétro-réfléchissantes à espacement variable suivant la topologie, des panneaux de signalisation, l'aménagement de butte de neige, filets, cordes ; les motoneiges évoluent en file indienne derrière le guide à l'intérieur du circuit, cette procédure constitue de fait un balisage supplémentaire, avec la motoneige du guide en point de mire toute la durée du parcours. Aucune motoneige n'est délivrée hors de ces conditions » ; que les dirigeants de la société Avoscoot ont reconnu que le balisage n'était pas continu tout au long du parcours ; que dans son audition devant les enquêteurs, M. Gaetan Z... explique qu'il essaye de mettre le plus possible de balisage, à des endroits stratégiques et en veillant à ce que ce balisage ne gêne pas le damage et la circulation en journée ; qu'il ajoute que cloisonner complètement le circuit serait préjudiciable par rapport à l'environnement, aurait un impact visuel négatif et gênerait les utilisateurs en journée ; qu'il est certain que la société Avoscoot doit faire face à de nombreuses contraintes pour baliser utilement le terrain accordé dans lequel l'itinéraire suivi par les motoneiges s'inscrivait ; que pour autant, la société Avoscoot a opté pour le parcours qui empruntait partie d'une piste de ski de fond, « la croix des combes » et que c'est sur cette piste que l'accident a eu lieu ; que le passage incriminé comporte nombre d'obstacles naturels, et de nombreux virages en lacets ; qu'à partir du moment où l'itinéraire a été conçu à l'intérieur de cet espace, la société Avoscoot se devait de sécuriser tout passage susceptible d'être dangereux lorsqu'on conduit une motoneige en fin de journée et au printemps, au moment de la fonte des neiges ; que l'absence de signalisation de ces obstacles relève d'une faute qui a entraîné la mort de M. B... ; qu'il est en effet établi qu'en abordant un virage, il a mordu sur la droite, sur une partie en terre avant d'accélérer et de percuter le sapin qui était à proximité ; que C... B... qui était sur la motoneige, à l'arrière de son père qui conduisait, se souvient du sous-bois, de la route en lacets, du virage que son père a abordé en se déportant sur la droite, du patin qui sort de la piste et se souvient de lui avoir crié « tourne » ; qu'à l'évidence, la signalisation n'était pas suffisante pour que ce virage puisse se prendre sans risque alors que la neige se faisait rare, l'accident ayant eu lieu au mois d'avril ; qu'un comportement fautif est ainsi caractérisé à l'encontre de la société Avoscoot ainsi que l'a relevé les premiers juges ; que cette faute a contribué à l'accident qui s'est produit, dès lors, qu'une meilleure signalisation aurait permis au conducteur de visualiser ce virage sans mordre sur la partie terre et de maintenir la trajectoire de la moto ; qu'un lien de causalité existe et que le jugement sera infirmé de ce chef ; qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence mais d'une négligence et d'un manquement à l'obligation de sécurité qui pesait sur la société Avoscoot dans le balisage du terrain dans lequel les motoneiges évoluaient ; qu'elle n'a pas effectué les diligences normales de sécurisation du terrain ce qui caractérise une faute simple à l'encontre de la personne morale et que cette faute a concouru au décès de Jean-Paul B... ; que la cour réforme le jugement et déclare la société Avoscoot coupable d'homicide involontaire au sens des dispositions de l'article 221-6 du code pénal ; que la société Avoscoot existe depuis plusieurs années ; que compte tenu de la nature des faits et de la pérennité de cette société, la cour condamne la personne morale au paiement d'une amende de 5 000 euros en répression ; que la société Avoscoot a conclu un contrat de responsabilité civile le 27 décembre 2007 auprès de la compagnie Allianz ; que la lecture du contrat établit que la société était assurée pour « l'organisation de sorties en scooter des neiges sur circuit fermé et encadrée par deux guides » ; que l'activité de la société ne correspond pas à ce qui était garanti, les motoneiges n'évoluant pas en circuit fermé mais un terrain vaste, empruntant parfois partie des pistes de skis de fond et que le parcours des scooters ne se faisait pas en circuit fermé ; que la compagnie Allianz sera donc mise hors de cause ; que Jean-Paul B... était âgé de 76 ans, père de deux enfants et grand-père ; qu'il maintenait une relation étroite avec sa famille qui louait son énergie et son érudition ; que le lien affectif était réel et qu'il est justifié par les parties civiles ; que le préjudice moral subi par M. C... et Mme Sophie B... sera indemnisé à hauteur de la somme de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que le préjudice subi par chaque petit-enfant sera indemnisé à hauteur de 4 000 euros chacun ; que la société Avoscoot sera condamnée au paiement de ces sommes ; que la personne morale sera également condamnée à payer la somme de 3 925 euros à M. C... et Mme Sophie B... au titre des frais d'obsèques ; que faisant application des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale, la société Avoscoot sera condamnée à payer aux parties civiles la somme de 500 euros ;
"1°) alors que les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'en l'espèce, pour infirmer le jugement et déclarer la demanderesse coupable d'homicide involontaire, la cour d'appel a relevé qu'à partir du moment où l'itinéraire a été conçu à l'intérieur d'un espace non fermé, la société Avoscoot se devait de sécuriser tout passage susceptible d'être dangereux lorsqu'on conduit une motoneige en fin de journée et au printemps, au moment de la fonte des neiges, que l'absence de signalisation de ces obstacles relève d'une faute qui a entraîné la mort de M. B..., que la signalisation n'était pas suffisante pour que le virage litigieux puisse se prendre sans risque alors que la neige se faisait rare, l'accident ayant eu lieu au mois d'avril, qu'un comportement fautif est ainsi caractérisé à l'encontre de la société Avoscoot et que cette faute a contribué à l'accident qui s'est produit dès lors qu'une meilleure signalisation aurait permis au conducteur de visualiser ce virage sans mordre sur la partie terre et de maintenir la trajectoire de la moto ; qu'en l'état de ces seules énonciations, dont il ne ressort pas que les manquements relevés résultaient de l'action de l'un des organes ou représentants de la société prévenue, ni qu'ils avaient été commis pour le compte de celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 121-2 du code pénal et de l'article 221-6 du même code ;
"2°) alors qu'il ne résulte d'aucune pièce de la procédure que l'accident litigieux ait été provoqué par le fait que, faute d'une signalisation suffisante, la victime ait, aux commandes de la motoneige, mordu sur une partie en terre ; qu'ainsi, outre que la planche photographique établie par les gendarmes (PV n° 722/2015 – pièce n° 3) ne met en évidence, sur le lieu de l'accident, aucune partie de piste non couverte de neige, M. C... B..., qui avait pris place derrière la victime, s'est borné à déclarer que « le patin droit est sorti de la piste, j'ai dit à mon père tourne et après il y a eu une forte accélération [
] Je pense que mon père a été déséquilibré par rapport au terrain » (PV n° 722/2015 – pièce n° 16 – audition du 18 avril 2015), tandis que M. D..., qui participait à la sortie en motoneige, s'est borné à déclarer, sans être catégorique à cet égard, « Je pense qu'ils ont peut-être mordu dans une partie en terre », tout en précisant qu'il n'avait pas eu « de vision très claire » de l'accident (PV n° 722/2015 – pièce n° 15D), et alors que le procès-verbal de synthèse (PV n° 722/2015 – pièce n° 1) énonce que la victime a perdu le contrôle de son engin puis a fini sa course contre un sapin, et que le fils de celle-ci « pense que l'accident est dû plus à une erreur de pilotage » ; que, dès lors, en se déterminant par la circonstance qu'il est établi qu'en abordant un virage, la victime a mordu sur la droite, sur une partie en terre avant d'accélérer et de percuter le sapin qui était à proximité, que la signalisation n'était pas suffisante pour que ce virage puisse se prendre sans risque alors que la neige se faisait rare, l'accident ayant eu lieu au mois d'avril, et qu'une meilleure signalisation aurait permis au conducteur de visualiser ce virage sans mordre sur la partie terre et de la maintenir la trajectoire de la moto, pour en déduire que la société demanderesse doit être déclarée coupable d'homicide involontaire, sans préciser l'origine des constatations de fait d'où elle a pu déduire que l'existence d'une partie de piste en terre et le fait que la victime aurait mordu sur cette partie en terre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 221-6 du code pénal" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Jean-Paul B... est décédé des suites d'un accident de motoneige survenu le [...] en début de soirée alors qu'il participait à une sortie de loisirs organisée par la société Avoscoot (la société), encadrée par deux accompagnateurs, dont M. Z..., gérant de fait de ladite société ; que l'enquête a établi que, malgré l'expérience possédée par la victime dans la conduite de ces engins, l'exposé dont il avait bénéficié sur la sécurité et les modalités de fonctionnement de ces derniers, ainsi que la réalisation de deux tours d'essai ayant précédé la sortie, de même que la remise d'un casque, Jean-Paul B... a été victime d'une collision mortelle au cours de cette sortie ; que la société, sa gérante de droit et M. Z..., de même que la commune sur le territoire de laquelle les faits ont été commis, ont fait l'objet de poursuites devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence ; que cette juridiction ayant relaxé les prévenus, les parties civiles ont relevé appel de ce jugement, de même que le procureur de la République, ce dernier le limitant en ce que les premiers juges avaient prononcé la relaxe de la société ;
Attendu que, pour infirmer le jugement sur la relaxe de la société, fondée sur l'absence de lien de causalité suffisant entre la négligence résultant de l'absence de balisage continu du parcours emprunté et la perte de contrôle de sa machine par Jean-Paul B..., l'arrêt énonce que, d'une part, la société a opté pour un parcours empruntant, pour partie, celui d'une piste de ski de fond, caractérisé par de nombreux obstacles naturels et virages en lacets et que le choix de cet itinéraire exigeait de sécuriser tout passage dangereux pour la conduite d'une motoneige, en particulier en fin de journée et à la période de la fonte des neiges; que les juges relèvent que l'absence de signalisation suffisante de ces obstacles caractérise une faute qui a contribué à la réalisation de l'accident ayant entraîné le décès de la victime, dès lors qu'en abordant un virage, Jean-Paul B..., ayant déporté son engin sur la droite, l'a fait progresser sur une partie en terre avant d'accélérer et de percuter un arbre situé à proximité ; qu'ils ajoutent que le manquement à l'obligation de sécurité résultant d'un balisage insuffisant de la piste ayant concouru au décès de la victime est imputable à la société dont ils ont relevé qu'elle était gérée, de fait, par M. Z..., lequel avait, de surcroît, élaboré ledit balisage et dirigé la promenade en motoneige au cours de laquelle l'accident s'est produit ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, déduits de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, dont il résulte que M. Z..., gérant de fait de la société Avoscoot, et à l'origine directe du défaut de balisage suffisant, a agi en qualité de représentant de la société et pour son compte, la cour d'appel, qui a caractérisé à la charge de la société poursuivie une faute d'imprudence et de négligence, constituée notamment par une absence de signalisation suffisante des obstacles pour la conduite de motoneige au regard de l'horaire retenu et des conditions d'enneigement à cette période de l'année, en lien causal avec le dommage subi par la victime, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société Avoscoot devra payer à Mmes Sophie B..., Frédérique E..., Laetitia F..., MM. Alexandre F... et C... B... tant en son nom personnel qu'en sa qualité de réprésentant légal de Charlotte B..., au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale au profit de la compagnie Allianz IARD ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize octobre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.