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04/10/2018 | FRANCE | N°17-23719

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 04 octobre 2018, 17-23719


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 20 juin 2017), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 24 mars 2016, pourvoi n° 15-14.473), qu'un jugement du 16 mai 2012 a fixé l'indemnité due à la société Tôlerie et émaillerie nantaise (TEN), par suite de l'expropriation, au profit de la société Loire océan développement (LOD), d'une parcelle lui appartenant ; qu'un arrêt du 4 octobre 2013 a réévalué cette indemnité ;

qu'une ordonnance du 28 mars 2013, rendue comme en matière de référé, a enjoint à la...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 20 juin 2017), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 24 mars 2016, pourvoi n° 15-14.473), qu'un jugement du 16 mai 2012 a fixé l'indemnité due à la société Tôlerie et émaillerie nantaise (TEN), par suite de l'expropriation, au profit de la société Loire océan développement (LOD), d'une parcelle lui appartenant ; qu'un arrêt du 4 octobre 2013 a réévalué cette indemnité ; qu'une ordonnance du 28 mars 2013, rendue comme en matière de référé, a enjoint à la société TEN d'abandonner cette parcelle et l'a condamnée à payer à la société LOD une indemnité d'occupation ;

Attendu que la société TEN fait grief à l'arrêt de constater que les conditions de la prise de possession par la société LOD de la parcelle expropriée sont réunies, de lui enjoindre d'abandonner cette parcelle et, à défaut, d'ordonner son expulsion sous astreinte et de la condamner au versement d'une indemnité d'occupation du 21 août 2012 à la signification de l'ordonnance du 28 mars 2013 ;

Mais attendu, d'une part, que la possibilité pour l'expropriant de prendre possession du bien exproprié un mois après le paiement ou la consignation de l'indemnité fixée en première instance, y compris en cas d'appel, est justifiée par l'impératif d'intérêt général de mener à terme dans un délai raisonnable les procédures d'expropriation pour cause d'utilité publique ; que, d'autre part, lorsque l'indemnité définitivement fixée excède celle allouée par le juge de première instance, qui a été versée à l'exproprié lors de la prise de possession du bien, celui-ci peut obtenir la réparation du préjudice résultant de l'absence de perception de l'intégralité de l'indemnité d'expropriation lors de la prise de possession ; qu'enfin, ayant relevé que la société TEN avait intégralement reçu les 11 décembre et 10 janvier suivants l'indemnité fixée par la cour d'appel le 4 octobre 2013, dont elle ne critiquait pas le montant, la cour d'appel a retenu à bon droit que les articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans leur rédaction applicable à la cause, et l'application qui en avait été faite à l'espèce ne méconnaissaient pas le droit de l'expropriée au respect de ses biens, protégé par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres branches du moyen, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société d'exploitation de la Tôlerie et émaillerie nantaise aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société d'exploitation de la Tôlerie et émaillerie nantaise ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre octobre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société d'Exploitation de la tôlerie et émaillerie Nantaise

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir constaté la réunion des conditions de la prise de possession par la SEM LOIRE OCEAN DEVELOPPEMENT (LOD) de la parcelle cadastrée n° [...] au [...] , d'avoir enjoint à la société TOLERIE ET EMAILLERIE NANTAISE (TEN) d'abandonner cette parcelle dans un délai de quinze jours à compter de la signification de cette décision, d'avoir ordonné l'expulsion de la société TEN à défaut d'abandon des lieux dans le même délai – sauf à constater que la demande tendant à cette expulsion de la société TEN était devenue sans objet –, d'avoir fixé une astreinte à 250,00 € par jour de retard une fois passé ledit délai de quinze jours et d'avoir condamné la société TEN à verser à la société LOD une indemnité d'occupation de 300,00 € par jour depuis le 21 août 2012 jusqu'à la signification de cette même ordonnance ;

Aux motifs propres que : « Sur l'inconstitutionnalité des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation dans leur rédaction antérieure à la loi du 28 mai 2013

[
] la question de l'inconstitutionnalité des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation dans leur rédaction antérieure à la loi du 28 mai 2013 a été tranchée [
] dans la décision [
] du 6 avril 2012 par le Conseil constitutionnel qui a retenu que leurs dispositions méconnaissaient les exigences de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 1789 ;

Que, cependant, le Conseil constitutionnel, en application de l'article 62 de la Constitution qui lui permet de déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 a produits sont susceptibles d'être remis en cause, a tenu compte des « conséquences manifestement excessives » d'une abrogation immédiate des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation et reporté les effets de l'inconstitutionnalité qu'il reconnaissait de ces articles en différant l'abrogation de ceux-ci au 1er juillet 2013 ;

Qu'en application du même article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposant à toutes les autorités juridictionnelles, il n'y a lieu pour la cour ni de se substituer au Conseil constitutionnel en constatant par elle-même, ainsi que le demande la société TEN, que les articles L. 15-1 et L. 15-2 susvisés sont contraires à la Constitution et plus particulièrement à l'article 17 de la Déclaration de 1789, ni de juger que le report d'abrogation de ces textes prononcé par le Conseil constitutionnel doit être écarté pour la solution du présent litige ;

Que, tout au contraire, le premier juge a à bon droit, tenu compte de ce report pour apprécier la demande dont il était saisi en examinant si les conditions d'application des deux articles litigieux demeurés en vigueur à la date à laquelle il statuait étaient remplies ;

Que la société TEN sera déboutée de ses prétentions tendant à conférer un effet immédiat à l'inconstitutionnalité reconnue par le Conseil constitutionnel le 6 avril 2012 ;

Sur la contrariété prétendue des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation à l'article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

[
] que la société TEN soutient que les articles L. 15-1 et L. 15-2 litigieux sont contraires à l'article 1er du protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

[
] qu'en vertu de cet article 1er, nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ;

Que cet article précise que ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ;

[
] ainsi que le souligne la société LOD, que l'article 1er du protocole additionnel, contrairement à l'article 17 de la Déclaration de 1789, ne comporte pas de disposition expresse quant au caractère nécessairement préalable de l'indemnité due en cas d'expropriation pour utilité publique ;

Qu'il renvoie à la loi de l'Etat membre concerné pour fixer le cadre et les conditions de l'ingérence de l'autorité publique dans la jouissance du droit de propriété, dans le respect des principes généraux du droit international ;

Que la Cour européenne des droits de l'homme contrôle l'existence d'un cadre légal délimitant l'ingérence de l'autorité publique impliquant, notamment, une faculté de recours ouverte à l'individu et le respect par l'autorité publique des décisions de justice, et veille à « un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu » ;

[
] que la privation de l'individu de la propriété de son bien fait l'objet, en droit français, d'un cadre légal qui définit très précisément les conditions de mise en oeuvre d'une opération d'expropriation et de son indemnisation et prévoit tant pour l'appréciation de l'utilité publique justifiant l'opération qu'à chaque stade de la procédure une possibilité de recours au juge ;

Que la circonstance que les dispositions législatives des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation permettant à l'expropriant de demander l'expulsion de l'occupant exproprié en ayant consigné la part de l'indemnité fixée par le juge excédant sa propre offre sans en avoir proposé préalablement le paiement, et ce sans autorisation judiciaire et quelles que soient les circonstances, aient été jugées contraires à la Constitution française ne suffit pas, en soi, à en déduire une non-conformité à l'article 1er du protocole additionnel susvisé, et ce d'autant moins que le législateur français, tirant les conséquences de décision du Conseil constitutionnel, a en l'occurrence modifié la loi pour s'y conformer dans le délai imparti par ce dernier ;

Qu'il apparaît au travers de sa jurisprudence que la Cour européenne laisse en réalité une large liberté législative aux Etats membres dès lors que la loi interne met en place une procédure protégeant l'individu contre des atteintes arbitraires de la puissance publique et des solutions garantissant, en particulier, à ce dernier, lorsqu'il est exproprié pour une cause d'utilité publique, le versement d'une indemnité correspondant à la valeur du bien dont il est privé et ce dans un délai raisonnable ;

Qu'en l'espèce, la société TEN, qui a libéré spontanément et non à la suite d'une expulsion les lieux expropriés le 11 juillet 2013, ne conteste pas avoir reçu l'indemnité fixée par la cour d'appel de Rennes dans son arrêt du 4 octobre 2013 les 11 décembre et 10 janvier suivants ;

Qu'elle ne critique pas le montant de la somme ainsi allouée et ne peut raisonnablement prétendre que celle-ci aurait dû lui être versée avant son départ, soit à une date antérieure à la décision qui l'a évaluée ;

Que revendiquant expressément le droit d'occuper les lieux dans l'attente de la décision de la cour statuant sur son appel, il n'apparaît pas non plus qu'elle aurait volontiers consenti à libérer les lieux plus tôt si la société LOD lui avait réglé le montant, qu'elle estimait très insuffisant, de l'indemnité tel que l'avait fixé le juge de l'expropriation ;

Qu'il sera ici rappelé qu'elle a décliné en son temps l'offre de la société LOD de lui payer la somme de 804 000 euros alors que celle-ci représentait près de 63 % de l'indemnité globale fixée par le premier juge et qu'elle excédait de beaucoup l'indemnité de remploi et l'indemnité de déménagement ;

Qu'il sera aussi rappelé que, la somme fixée par le juge de l'expropriation ayant été consignée, la société TEN était à l'abri d'un éventuel défaut de paiement si celle-ci était confirmée en appel ;

Qu'aucune atteinte à l'article 1er du protocole additionnel n'apparaît en définitive résulter du texte-même des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation quelle qu'en soit la rédaction ni de l'application qui en a été faite en l'espèce ;

[
] Sur le bien-fondé des demandes d'expulsion et d'indemnité d'occupation

[
] que la société TEN ayant quitté les lieux expropriés d'elle-même le 11 juillet 2013, la demande d'expulsion formée par la société LOD est désormais sans objet ;

Que toutefois, lorsque le premier juge a accueilli, le 28 mars 2013, cette demande, celle-ci, au regard des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l'expropriation dans leur rédaction alors applicable, était fondée ;

Qu'en effet, il n'est pas contesté que la société LOD avait présenté, le 22 juin 2012, à la société TEN une proposition d'indemnité de 804 000 euros que celle-ci a refusée le 5 juillet suivant et qu'elle a donc consignée, en avisant la société TEN par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 20 juillet 2012, et qu'elle avait déjà consigné, le 2 juillet 2012, la différence entre son offre et l'indemnité accordée par le premier juge, soit la somme de 476 500 euros, satisfaisant ainsi aux conditions des articles L. 15-1 et L. 15-2 susvisés lui permettant de prétendre à l'abandon des lieux par la société TEN et, à défaut, à son expulsion un mois plus tard, soit le 20 août 2012 ;

[
] s'agissant de la demande d'indemnité d'occupation, que la société TEN, s'étant maintenue indûment dans les lieux au-delà du 20 août 2012, était redevable d'une indemnité d'occupation ;

Qu'elle fait inutilement valoir qu'elle ne pouvait être privée de sa propriété aussi longtemps qu'elle n'avait pas reçu l'intégralité de l'indemnité en rapport avec la valeur du bien dont elle était privée, dès lors que le transfert de propriété n'était pas lié à ce paiement mais au prononcé, le 21 décembre 2011, de l'ordonnance d'expropriation qui lui a été notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 23 janvier 2012 et contre laquelle elle n'a pas formé de pourvoi, et que la société LOD remplissait, comme il a été dit, les conditions légales alors applicables pour une prise de possession régulière ;

Que demeurée en possession d'un bien sur lequel elle n'avait plus de titre ni de droit et dont elle vante elle-même l'intérêt stratégique pour son activité et, concomitamment, retardant le programme de rénovation dont la société LOD était chargée, elle ne pouvait qu'être condamnée au paiement d'une indemnité, peu important l'utilisation que la société LOD a faite du bien immédiatement après son départ ;
Que l'indemnité d'occupation fixée par le premier juge à la somme de 300 euros par jour en référence à un entrepôt avec bureaux de taille comparable sur le site de Saint-Herblain, à compter du 21 août 2012 jusqu'au jour de la signification de son ordonnance, soit jusqu'au 23 avril 2013, sera confirmée, étant observé que la société LOD ne demande pas aujourd'hui paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'au départ effectif de la société TEN intervenu près de trois mois plus tard, soit, notamment, afférente à une période en partie postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 mai 2013 dont elle se réclame ici sans renoncer au bénéfice acquis des dispositions antérieures » ;

Et aux motifs éventuellement adoptés que : « Sur la prise de possession

En vertu de l'article L 15-1 du code de l'expropriation, dans le délai d'un mois, soit du paiement ou de la consignation de l'indemnité (...) les détenteurs sont tenus d'abandonner les lieux. Passé ce délai, qui ne peut, en aucun cas, être modifié, même par autorité de justice, il peut être procédé à l'expulsion des occupants.

Conformément à l'article L 15-2 du même code l'expropriant peut prendre possession, moyennant versement d'une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de l'indemnité fixée par le juge.

Sur l'examen de la constitutionnalité des articles L 15-1 et L 15-2 du code de l'expropriation

Il n'est pas contesté par les parties que par une décision n° 2012-726 rendue sur Question Prioritaire de Constitutionnalité par le Conseil Constitutionnel le 06 avril 2012, ces deux textes ont été déclarés contraires à la Constitution.

Les parties s'opposent sur l'applicabilité immédiate ou différée de cette déclaration d'inconstitutionnalité.

L'article 62 de la Constitution dispose qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61 ne peut être promulguée ni mise en application.

Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Précisément, en s'appuyant sur l'alinéa 2 de cet article 62 de la Constitution, le Conseil Constitutionnel a estimé, dans le considérant n° 6 de sa décision du 06 avril 2012, que « si la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la Question Prioritaire de Constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration » .

Ainsi, « considérant que l'abrogation immédiate des articles L 15-1 et L 15-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique aurait des conséquences manifestement excessives » et pour permettre au législateur de mettre fin à cette inconstitutionnalité, le Conseil Constitutionnel a décidé de « reporter au 1er juillet 2013 la date de cette abrogation ».

Il se déduit tant du texte constitutionnel susvisé que de la décision du Conseil Constitutionnel du 06 avril 2012 que les effets d'une déclaration d'inconstitutionnalité peuvent être différés. Le Conseil Constitutionnel a précisément entendu reporter au 1er juillet 2013 la déclaration d'inconstitutionnalité des articles L 15-1 et L 15-2 du code de l'expropriation. Cette décision s'impose. En conséquence les articles L 15-1 et L 15-2 du code de l'expropriation demeurent applicables au présent litige.

Sur l'examen de conventionnalité des articles L 15-1 et L 15-2 du code de l'expropriation

Aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel à la CEDH toute personne physique a droit au respect de ses biens, nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Il n'est pas contestable que cette disposition a une autorité supérieure à celle des lois, en application de l'article 55 de la Constitution. Néanmoins elle a une valeur infra-constitutionnelle.

Il se déduit de ce texte que l'expropriation pour cause d'utilité publique est possible, et partant l'argumentaire de la société TEN tenant au bien-fondé de l'expropriation de son bien face à l'utilité de son entrepôt pour la poursuite de son activité est hors de propos dans la présente instance. En effet la contestation de l'utilité publique du projet de rénovation urbaine en cause et de la délimitation des parcelles impactées relève des juridictions administratives.

Dans la phase judiciaire de l'expropriation pour cause d'utilité publique il convient de distinguer le transfert de propriété (objet de l'ordonnance d'expropriation du 21 décembre 2011, qui n'a pas été frappé d'un pourvoi en cassation), la fixation des indemnités (déterminées par jugement du 16 mai 2012 dont la société TEN a relevé appel) et la prise de possession, objet de la présente instance.

Là encore la société TEN ne saurait se prévaloir de l'insuffisance de l'indemnité versée par la société LOD, cette dernière ayant versé et consigné la totalité de l'indemnité fixée par la juridiction de l'expropriation. Un recours étant pendant devant la Cour d'appel, la société TEN ne peut par conséquent invoquer une charge exceptionnelle et exorbitante qui serait mise à sa charge.

S'agissant de la prise de possession la cour européenne des droits de l'homme n'a jamais eu à statuer sur les conditions de celle-ci telles qu'organisées par le législateur français. De manière générale si des violations de la CEDH ont pu être relevées dans des contentieux relatifs à une expropriation pour cause d'utilité publique, jamais l'équilibre général de la législation française en la matière n'a pour autant été remis en cause.

La société LOD reconnaît que le champ d'application et le degré de protection des articles 17 de la DDHC et 1er du Protocole additionnel de la CEDH sont équivalents, de telle sorte qu'il peut être considéré que le dispositif actuel de la prise de possession est contraire à la CEDH.

Néanmoins il doit être tenu compte de la hiérarchie des normes en droit interne. La Constitution se situe au sommet de cette hiérarchie. Ainsi d'un point de vue procédural le contrôle de constitutionnalité doit s'exercer en priorité sur le contrôle de conventionnalité, en application de l'article 23-2 alinéa 5 de l'ordonnance du 07 novembre 1958 modifiée.

En l'espèce ce contrôle de constitutionnalité a donné lieu à la décision de Conseil constitutionnel du 06 avril 2012.

Or comme il a été développé précédemment cette décision a prévu de reporter l'abrogation des articles L 15-1 et L 15-2 du code de l'expropriation au 1er juillet 2013. Cet effet différé s'impose aux pouvoirs publics, aux autorités administratives et juridictionnelles, en vertu de l'article 62 de la Constitution. Cet article a une valeur supérieure à la CEDH en droit interne.

Par conséquent les effets du contrôle de conventionnalité ne sauraient remettre en cause ceux découlant du contrôle de constitutionnalité. Il s'en déduit que les articles L 15-1 et L 15-2 du code de l'expropriation demeurent applicables au litige.

Sur les conditions de la prise de possession

Conformément à l'article L 15-2 du code de l'expropriation l'expropriant peut prendre possession moyennant versement d'une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de l'indemnité fixée par le juge.

En l'espèce la société LOD produit au débat tout d'abord la publication et l'enregistrement à la conservation des hypothèques de l'ordonnance d'expropriation rendue le 21 décembre 2011 ; ensuite la notification de cette ordonnance à la société TEN ; enfin le jugement du 16 mai 2012 fixant les indemnités devant revenir à la société TEN, qui en a relevé appel par déclaration au greffe en date du 1er juin 2012. Par suite la société LOD justifie du versement par chèque de la somme de 805 500 € correspondant pour 804 000 € à son offre initiale, et pour 1 500 € aux frais irrépétibles déterminés par jugement du 16 mai 2012. Elle verse également la déclaration de consignation du surplus de l'indemnité fixée par le jugement à hauteur de 476 500 €. Il n'est pas contesté que la société TEN a refusé de recevoir le chèque, entraînant une nouvelle consignation.

Par conséquent la SEM LOD, autorité expropriante, est en mesure de prendre possession de la parcelle [...] sise à SAINT HERBLAIN » ;

1. Alors que, d'une part, les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont tenus d'en respecter les dispositions, sans attendre d'être attaqués devant la Cour européenne des droits de l'homme ni d'avoir modifié leur législation ; que, si une disposition législative a été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel avec un report dans le temps des effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité, le juge judiciaire a néanmoins qualité pour sanctionner immédiatement la contrariété à la Convention de sauvegarde que l'application au litige de ladite disposition engendre et, partant, pour l'écarter ; qu'en l'espèce, en retenant que l'effet différé dans le temps de la déclaration d'inconstitutionnalité des articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dans leur version antérieure à la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013 ne lui permettrait pas de sanctionner immédiatement leur inconventionnalité, la cour d'appel a violé les articles 55, 61-1 et 62 de la Constitution, combinés ;

2. Alors que, d'autre part, nul ne pouvant être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international, la somme perçue par l'exproprié doit être raisonnablement en rapport avec la valeur du bien ; qu'en l'espèce, en ordonnant l'expulsion de la société TEN nonobstant la consignation par la société LOD d'une somme trop faible, au regard des termes de l'arrêt d'appel du 4 octobre 2013, et d'une indemnisation manifestement insuffisante eu égard à la valeur du bien, et en faisant courir le délai d'un mois à partir duquel la société expropriée devrait être regardée comme occupant sans droit ni titre, et redevable, par conséquent, d'une indemnité d'occupation, à une date ainsi antérieure à tout paiement ou consignation de l'intégralité de la somme qui lui a, finalement, été octroyée par ledit arrêt du 4 octobre 2013, la cour d'appel a porté une atteinte excessive et déraisonnable au droit de propriété de la société TEN et a violé l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3. Alors qu'enfin, le juge doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ; qu'en l'espèce, en considérant que la société TEN n'avait pas subi une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si, dès lors qu'aux 14 octobre 2013 et 23 janvier 2014, les travaux n'avaient pas été menés et qu'au 31 mars 2016, la construction n'avait même pas encore débuté, l'intérêt général de nature à justifier l'expulsion de cette même société TEN était suffisamment établi au 28 mars 2013, date de l'expulsion, et sans ainsi rechercher si un juste équilibre avait été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté expropriante et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'entité expropriée et expulsée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 17-23719
Date de la décision : 04/10/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers, 20 juin 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 04 oct. 2018, pourvoi n°17-23719


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.23719
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