La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/09/2018 | FRANCE | N°17-17167

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 26 septembre 2018, 17-17167


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 6 avril 2017), que la société Nitrochimie, devenue EPC France (la société EPC), qui fabrique des explosifs et des unités mobiles de fabrication d'explosifs (UMFE) a conclu le 27 avril 2006 avec la société Label Explo, spécialisée en explosifs dans le domaine du forage-minage, un contrat de concession de droit d'utilisation de technologies d'une durée de cinq ans, étendu, pour la même durée, à une autre technologie par un contrat du

1er juillet 2008 qui a été tacitement reconduit ; qu'en mai 2014, la société ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 6 avril 2017), que la société Nitrochimie, devenue EPC France (la société EPC), qui fabrique des explosifs et des unités mobiles de fabrication d'explosifs (UMFE) a conclu le 27 avril 2006 avec la société Label Explo, spécialisée en explosifs dans le domaine du forage-minage, un contrat de concession de droit d'utilisation de technologies d'une durée de cinq ans, étendu, pour la même durée, à une autre technologie par un contrat du 1er juillet 2008 qui a été tacitement reconduit ; qu'en mai 2014, la société Vale NC, qui était le principal client de la société Label Explo, pour lequel celle-ci exécutait des prestations de forage et dynamitage, a émis un appel d'offre pour la réalisation de ces prestations, auquel ont répondu les sociétés Label explo et EPC et que cette dernière a remporté ; que lui reprochant des actes de concurrence déloyale, la société Label explo a assigné la société EPC en réparation de son préjudice ; que devant la cour d'appel, elle a soutenu que la société EPC avait violé son obligation d'exclusivité ;

Attendu que la société EPC fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable d'une rupture fautive du contrat d'exclusivité et d'une violation de ses obligations contractuelles à l'égard de la société Label explo alors, selon le moyen :

1°/ que les contrats des 27 avril 2006 et 1er juillet 2008 stipulent dans leurs articles 1er (« objet du contrat ») et 6 (« droit d'utilisation de la technologie ») que Nitrochimie concède à Label Explo le système de mise en oeuvre et le droit d'utilisation de la technologie Morse de re-pompage des émulsions en galerie ou à ciel ouvert pour le territoire défini à l'article 2 (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis etamp; Futuna) exclusivement ; qu'en considérant qu'il résultait des termes de ce contrat, et notamment de son article 8.1 consacré aux « responsabilités et litiges », qui se borne à mentionner le terme de « contrat d'exclusivité » à propos d'une obligation d'information de la clientèle de Nitrochimie, un engagement d'exclusivité de cette dernière au profit de Label Explo, cependant que la seule exclusivité mentionnée est le droit pour la concessionnaire d'exploiter la technologie concédée sur un territoire donné, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces contrats et méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

2°/ qu'en présence d'un contrat ambigu, les juges du fond doivent rechercher l'intention des parties ; qu'à supposer que l'allusion à l'existence d'une exclusivité, sans autre précision, dans la clause relative aux « Responsabilités et litiges », aurait rendu les conventions ambigües quant à l'étendue des obligations du concédant, la cour d'appel ne pouvait se borner à en déduire que la société Label Explo bénéficiait d'un droit exclusif d'utilisation des UMFE de la société EPC sans rechercher, au regard des autres clauses des conventions et du contexte dans lequel les contrats avaient été conclus, si les parties avaient eu l'intention de convenir d'une exclusivité du concédant en faveur du concessionnaire ; que, faute d'avoir effectué cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1104 nouveau du code civil ;

3°/ que le commerce et l'industrie sont par principe libres ; qu'en retenant encore que les parties auraient été liées par un contrat d'intérêt commun excluant toute opération visant à se placer en concurrent direct sur le même marché, au prétexte des discussions qui avaient eu lieu en 2013 pour le rachat de la société Label Explo par la société EPC, quand ces négociations étaient postérieures de plus de cinq ans à la dernière convention de concession et n'avaient pas abouti, la cour d'appel a statué par un motif inopérant car impuissant à justifier l'existence d'un contrat d'intérêt commun et d'une interdiction pour la société EPC de se placer en concurrent de la société Label Explo sur le marché néo-calédonien ; qu'en statuant comme elle l'a fait, elle a alors violé le principe susvisé ;

4°/ qu'en imputant à faute à la société EPC les retards de livraison de produits invoqués par la société Label Explo à compter de 2013, dont elle relevait qu'ils n'étaient pas imputables à une intention de nuire du concédant, au prétexte inopérant qu'elle aurait refusé de vendre un nouvel UMFE en raison d'un changement de stratégie et de sa volonté de développer une activité concurrente, sans constater la violation d'obligations contractuelles et rechercher, comme il lui était demandé, la cause de ces retards, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une interprétation, exclusive de dénaturation, des clauses des articles 4.2 et 8.1 des contrats de 2006 et 2008, que l'ambiguïté de leurs termes résultant de leur rapprochement rendait nécessaire, que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée à la deuxième branche, a retenu que la société EPC s'engageait à ne fournir ses produits et sa technologie en Nouvelle-Calédonie qu'à sa partenaire la société Label Explo et que celle-ci devait s'approvisionner en émulsions et véhicules de fabrication exclusivement auprès de la société EPC ;

Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel n'a pas déduit l'existence d'un contrat d'intérêt commun entre les parties excluant toute opération visant à se placer en concurrent direct sur le même marché, du constat que des discussions avaient été menées en 2013 pour le rachat de la société Label Explo ;

Et attendu, en dernier lieu, qu'après avoir relevé que la société EPC avait mis de la mauvaise volonté à partir de juillet 2013 pour satisfaire les demandes de la société Label Explo, que les délais de livraison avaient augmenté de manière significative à partir de cette date et que l'établissement d'un devis de matériel et le renouvellement des certifications de matériels étaient devenus problématiques à partir du deuxième semestre 2013, nécessitant de multiples échanges de messages, l'arrêt retient que le comportement des dirigeants de la société EPC à compter de cette période révèle que cette société se trouvait en position délicate, voire intenable, vis-à-vis de sa partenaire dont elle allait devenir un concurrent, puisque la satisfaction des besoins de la société Label Explo revenait à affaiblir sa propre position de futur prestataire de services en quête de marchés ; que par ces seuls motifs, caractérisant un manquement de la société EPC à son obligation d'exécuter de bonne foi les contrats de concession exclusive, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société EPC France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Label Explo la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six septembre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour la société EPC France

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la société EPC France était responsable d'une rupture fautive du contrat d'exclusivité et d'une violation de ses obligations contractuelles à l'égard de la société Label Explo ;

AUX MOTIFS, EN PREMIER LIEU, QUE le contrat de concession de droit d'utilisation de technologie Morse, signé le 27 avril 2006 entre les sociétés Nitrochimie (EPC) et Label Explo, d'une durée de 5 ans, étendu à la technologie UMFE Anfo par un nouveau contrat signé le 1er juillet 2008, également pour une durée de 5 ans, stipule en son article 4.2 « les produits nécessaires à la fabrication devront être achetés à Nitrochimie au prix de
» et il est spécifié à l'article 8.1 qu'il s'agit d'un « contrat d'exclusivité » ; qu'aux termes de ce contrat, la société EPC s'engage donc, en Nouvelle-Calédonie, à ne fournir ses produits et sa technologie qu'à sa partenaire Label Explo, tandis que de son côté cette dernière doit s'approvisionner en émulsion et véhicules de fabrication exclusivement chez EPC ; que le contrat conclu en 2008 pour une durée de cinq ans a expiré le 20 juin 2013 et c'est précisément à cette période que la société EPC a entamé des discussions sur le rachat de la société Label Explo ; qu'il n'a pas été question pour EPC, à ce moment-là, de se faire restituer l'ensemble des documents et formules qu'elle avait communiqués a sa partenaire, formalité prévue en fin de contrat, que la société EPC a même interrogé la société Label Explo pour savoir si elle était intéressée par un renforcement de la coopération entre elles (pièce 15 A) et qu'elle a continué d'approvisionner Label Explo jusqu'en 2016 (pièce 48), que le contrat a donc été reconduit tacitement pour une période indéterminée ; que le principe de la liberté de la concurrence invoqué par la société EPC trouve sa limite dans l'engagement qu'elle a librement contracté en 2006 et 2008 de collaborer avec sa partenaire Label Explo sur le marché du nickel calédonien ; qu'il s'agissait d'un contrat d'intérêt commun, excluant toute opération visant à se placer en concurrent direct sur le même marché ; qu'en contractant comme prestataire de service avec la société Vale NC, la société EPC allait être amenée à utiliser du matériel et des techniques sur le territoire calédonien dont elle avait pourtant concédé l'exclusivité à la société Label Explo ; qu'en effet, en signant le contrat d'exclusivité, la société EPC s'était interdite tacitement d'intervenir comme prestataire de service sur le territoire de la Nouvelle Calédonie ; que l'explication selon laquelle Label Explo aurait perdu le marché de Vale NC en raison de ses défaillances en matière de sécurité est contestée par l'appelante qui observe avec pertinence que depuis cet épisode elle a continué d'effectuer d'autres prestations pour le compte de Vale NC, ce qui tend à relativiser les reproches formulés dans la lettre de juillet 2015, qu'en tout état de cause, eussent-ils été fondés, ces reproches ne pouvaient justifier le comportement déloyal de la société EPC ; qu'eu égard aux engagements réciproques liant les deux sociétés, il n'y avait en effet que deux possibilités pour EPC de devenir prestataire de services en matière de forage-minage sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, la première étant de racheter la société Label Explo - opération envisagée en juillet 2013 et abandonnée - la seconde étant de rompre le contrat d'approvisionnement exclusif, ce qu'elle n'a pas fait ;

1°) ALORS QUE les contrats des 27 avril 2006 et 1er juillet 2008 stipulent dans leurs articles 1er (« objet du contrat ») et 6 (« droit d'utilisation de la technologie ») que Nitrochimie concède à Label Explo le système de mise en oeuvre et le droit d'utilisation de la technologie Morse de re-pompage des émulsions en galerie ou à ciel ouvert pour le territoire défini à l'article 2 (Nouvelle-Calédonie, Polynésie Française et Wallis etamp; Futuna) exclusivement ; qu'en considérant qu'il résultait des termes de ce contrat, et notamment de son article 8.1 consacré aux « responsabilités et litiges », qui se borne à mentionner le terme de « contrat d'exclusivité » à propos d'une obligation d'information de la clientèle de Nitrochimie, un engagement d'exclusivité de cette dernière au profit de Label expo, cependant que la seule exclusivité mentionnée est le droit pour la concessionnaire d'exploiter la technologie concédée sur un territoire donné, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ces contrats et méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

2°) ALORS, à titre subsidiaire, QU'en présence d'un contrat ambigu, les juges du fond doivent rechercher l'intention des parties ; qu'à supposer que l'allusion à l'existence d'une exclusivité, sans autre précision, dans la clause relative aux « Responsabilités et litiges », aurait rendu les conventions ambigües quant à l'étendue des obligations du concédant, la cour d'appel ne pouvait se borner à en déduire que la société Label Explo bénéficiait d'un droit exclusif d'utilisation des UMFE de la société EPC sans rechercher, au regard des autres clauses des conventions et du contexte dans lequel les contrats avaient été conclus, si les parties avaient eu l'intention de convenir d'une exclusivité du concédant en faveur du concessionnaire ; que, faute d'avoir effectué cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1104 nouveau du code civil ;

3°) ALORS QUE le commerce et l'industrie sont par principe libres ; qu'en retenant encore que les parties auraient été liées par un contrat d'intérêt commun excluant toute opération visant à se placer en concurrent direct sur le même marché, au prétexte des discussions qui avaient eu lieu en 2013 pour le rachat de la société Label Explo par la société EPC, quand ces négociations étaient postérieures de plus de cinq ans à la dernière convention de concession et n'avaient pas abouti, la cour d'appel a statué par un motif inopérant car impuissant à justifier l'existence d'un contrat d'intérêt commun et d'une interdiction pour la société EPC de se placer en concurrent de la société Label Explo sur le marché néo-calédonien ; qu'en statuant comme elle l'a fait, elle a alors violé le principe susvisé ;

ET AUX MOTIFS, EN SECOND LIEU, QU'il résulte des pièces du dossier que la société EPC a mis de la mauvaise volonté, à partir de juillet 2013, pour satisfaire les demandes de la société Label Explo ; que l'examen d'un tableau produit par EPC (pièce 23 A) montre que les délais de livraison ont augmenté de manière significative à partir du mois de juillet 2013 ; que pareillement, l'établissement d'un devis de matériel et le renouvellement des certifications de matériels sont devenus problématiques à partir du deuxième semestre de 2013 et ont nécessité des échanges multiples de messages ; que les explications données par la société EPC paraissent vaines lorsque l'on prend connaissance d'un mail de décembre 2013 dans lequel l'un des dirigeants de EPC ne conteste pas que le refus de vendre un camion pouvait être le résultat de la nouvelle stratégie de sa société ; que s'il ne paraît pas clairement établi que la société EPC s'est rendue coupable de manoeuvres caractérisées en vue de nuire à la société Label Explo, le comportement de ses dirigeants à partir de juillet 2013 montre à tout le moins que cette société se trouvait en position délicate, voire intenable vis-à-vis de sa partenaire dont elle allait devenir un concurrent, puisque la satisfaction des besoins de la société Label Explo revenait à affaiblir sa propre position de futur prestataire de services, en quête de marchés ; que la responsabilité, contractuelle de la société EPC à l'égard de la société Label Explo est donc bien engagée ;

4°) ALORS QU'en imputant à faute à la société EPC les retards de livraison de produits invoqués par la société Label Explo à compter de 2013, dont elle relevait qu'ils n'étaient pas imputables à une intention de nuire du concédant, au prétexte inopérant qu'elle aurait refusé de vendre un nouvel UMFE en raison d'un changement de stratégie et de sa volonté de développer une activité concurrente, sans constater la violation d'obligations contractuelles et rechercher, comme il lui était demandé, la cause de ces retards, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 17-17167
Date de la décision : 26/09/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nouméa, 06 avril 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 26 sep. 2018, pourvoi n°17-17167


Composition du Tribunal
Président : Mme Riffault-Silk (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.17167
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award