LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 18-81.040 FS-D
N° 2268
12 SEPTEMBRE 2018
CG10
NON LIEU À RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à Paris, le douze septembre deux mille dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire X..., les observations de la société civile professionnelle GASCHIGNARD et de la société civile professionnelle FOUSSARD et FROGER et les conclusions de M. l'avocat général Y... ;
Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité formulée par mémoire spécial reçu le 15 juin 2018 et présentée par :
- M. Pierre Z...,
à l'occasion du pourvoi formé par lui contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 5-12, en date du 23 janvier 2018, qui, pour fraude fiscale et blanchiment, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement et 1000 000 euros d'amende et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile ;
Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
"Les alinéas 3 à 6 de l'article L. 228 du Livre des procédures fiscales, dans leur rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, portent-ils atteinte :
- au principe de nécessité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'ils imposent à la commission des infractions fiscales de se prononcer sur l'engagement de poursuites pénales sur la base de présomptions caractérisées de fraude fiscale, ce qui ne lui permet pas de s'assurer qu'elle n'émettra un avis favorable aux poursuites pénales que dans les cas de fraude les plus graves ?
- et au principe d'égalité devant la loi découlant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'ils instituent une différence de traitement qui n'est pas en rapport direct avec l'objet de la loi dès lors qu'elle repose sur des critères subjectifs et non rationnels ?" ;
Attendu que la disposition législative contestée est applicable à la procédure et n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;
Mais attendu que la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle ;
Et attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux ;
Que les dispositions contestées autorisent le ministre du budget à faire valoir l'existence de simples présomptions caractérisées de fraude pour saisir la commission des infractions fiscales, qui statue alors sans que le contribuable soit avisé de sa saisine, ni informé de son avis, uniquement dans certains cas d'infractions fiscales résultant soit de l'utilisation, aux fins de se soustraire à l'impôt, de comptes ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un Etat ou territoire qui n'a pas conclu avec la France de convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale entrée en vigueur au moment des faits et dont la mise en œuvre permet l'accès effectif à tout renseignement, y compris bancaire, nécessaire à l'application de la législation fiscale française, soit de l'interposition, dans un Etat ou territoire mentionné ci-dessus, de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable, soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de l'article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification et lorsqu'il existe un risque de dépérissement des preuves ;
Que d'une part, ces dispositions, qui n'instituent aucune sanction, ne sauraient méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines ;
Que d'autre part, l'avis favorable de la commission des infractions fiscales ne prive pas le ministère public de sa faculté d'apprécier l'opportunité des poursuites ;
Que par ailleurs, selon le Conseil constitutionnel, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
Qu'en instituant une procédure judiciaire d'enquête fiscale, le législateur a entendu assurer la mise en œuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ;
Qu'au regard de la difficulté à déceler les fraudes visées, compte tenu de l'utilisation de moyens de dissimulation en France ou à l'étranger, et des instruments d'enquête classiques dont dispose l'administration fiscale, les situations ainsi définies diffèrent de celles soumises à la procédure de droit commun de saisine de la commission des infractions fiscales ; que le législateur, en autorisant le ministre du budget à saisir la CIF sur la base de présomptions caractérisées de fraude et sans que le contribuable en ait été avisé, a donc institué une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi ; qu'il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels tenant au mode opératoire de la fraude et au risque de dépérissement des preuves ;
Qu'ainsi, à la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il apparaît que les dispositions des alinéas 3 à 6 de l'article L. 228 du livre des procédures fiscales ne sont pas susceptibles de porter atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
Par ces motifs :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Soulard, président, Mme X..., conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Steinmann, M. Germain, M. Larmanjat, Mme Zerbib, MM. d'Huy, Wyon, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Pichon, M. Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Y... ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;