LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Bruno X...,
- M. Timothy Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 17 novembre 2016, qui, pour importation sans déclaration de marchandises soumises à des taxes de consommation intérieure et non-acquittement des droits et taxes, les a condamnés solidairement à des amendes douanières et au paiement des droits et taxes éludés ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 juin 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. d'Huy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller D'HUY, les observations de la société civile professionnelle MONOD, COLIN et STOCLET, la société civile professionnelle DE CHAISEMARTIN,DOUMIC-SEILLER et de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général VALAT;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation présenté pour M. X..., pris de la violation des articles 217 du code des douanes de Polynésie française, 509, 515, 591 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable l'action de l'administration des douanes, a déclaré M. X... coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a condamné solidairement avec M. Y... à payer à la Polynésie française les droits et taxes éludés pour les montants de 322 796 480 francs CFP et 3 334 427 francs CFP ainsi qu'une amende de 239 233 640 francs CFP au titre du délit et à une amende de 3 334 427 francs CFP au titre de la contravention ;
"aux motifs propres que comme l'a rappelé le premier juge, il résulte de l'alinéa 2 de l'article 217 du code des douanes de la Polynésie française que l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'administration des douanes ; que le ministère public peut l'exercer accessoirement à l'action publique; que l'administration des douanes est dès lors fondée à exercer son action devant le juge pénal; qu'il sera ajouté que le fait que l'administration des douanes ne poursuit que les cogérants de la société Tahiti Food Beverage n'est pas en soi irrecevable, en vertu de l'article 121-2 alinéa 3 du code pénal, qui dispose que « la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complice des même faits » et de l'article 271 du code des douanes de la Polynésie française dont il résulte que « ceux qui ont participé comme intéressé d'une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d'importation ou d'exportation sans déclaration sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l'infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l'article 300 ci-après ; que sont réputés intéressés a) les entrepreneurs, membres d'entreprise, assureurs, assurés, bailleurs de fonds, propriétaires de marchandises et, en général, ceux qui ont un intérêt direct à la fraude, b) ceux qui ont coopéré d'une manière quelconque à un ensemble d'actes accomplis par un certain nombre d'individus agissant de concert, d'après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun et c) ceux qui ont, sciemment, soit couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur procurer l'impunité, soit acheté, ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandises provenant d'un délit de contrebande ou d'importation sans déclaration » ; que le jugement déféré sera dès lors confirmé de ce chef et l'action de la direction régionale des douanes et droits indirects de Polynésie française déclarée recevable ;
"et aux motifs adoptés que l'article 217 du code des douanes de la Polynésie française dispose que l'action pour l'application des peines est exercée par le ministère public ; que l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'administration des douanes ; que le ministère public peut l'exercer accessoirement à l'action publique ; que dans les procédures dont les agents des douanes ont été saisies en application des I et Il de l'article 28-1 du code de procédure pénale, le ministère public exerce l'action pour l'application des sanctions fiscales ; que sur autorisation du ministère public, cette action peut être exercée par l'administration des douanes et, dans ce cas, que l'article 224 du présent code est applicable ; qu'en vertu de l'alinéa 2 de cet article précité, l'administration des douanes peut exercer son action devant le juge pénal ;
"alors que les juges du second degré, saisis du seul appel de la partie civile, ne peuvent prononcer aucune peine et, en particulier, aucune sanction fiscale ou douanière contre le prévenu définitivement relaxé ; qu'en l'espèce, seule la Polynésie française, en sa qualité de partie civile, avait relevé appel du jugement de relaxe du 3 février 2015 ; qu'en déclarant néanmoins M. X... coupable des infractions qui lui étaient reprochées et en le condamnant au paiement de diverses sommes à titre d'amende, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;
Sur le premier moyen de cassation présenté pour M. Y..., pris de la violation des articles 217 du code des douanes de Polynésie française, 509, 515, 591 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable l'action de l'administration des douanes, déclaré M. Y... coupable des faits qui lui étaient reprochés et l'a condamné solidairement avec M. X... à payer à la Polynésie française les droits et taxes éludés pour les montants de 322 796 480 francs CFP et 3 334 427 francs CPF ainsi qu'une une amende de 239 233 640 francs CFP au titre du délit et à une amende de 3 334 427 francs CFP au titre de la contravention ;
"aux motifs propres que comme l'a rappelé le premier juge, il résulte de l'alinéa 2 de l'article 217 du code des douanes de la Polynésie française que l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'administration des douanes ; que le ministère public peut l'exercer accessoirement à l'action publique ; que l'administration des douanes est dès lors fondée à exercer son action devant le juge pénal ; qu'il sera ajouté que le fait que l'administration des douanes ne poursuit que les cogérants de la société Tahiti Food Beverage n'est pas en soi irrecevable, en vertu de l'article 121-2 alinéa 3 du code pénal, qui dispose que « la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complice des même faits » et de l'article 271 du code des douanes de la Polynésie française dont il résulte que « ceux qui ont participé comme intéressé d'une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d'importation ou d'exportation sans déclaration sont passibles des mêmes peines que les auteurs de l'infraction et, en outre, des peines privatives de droits édictées par l'article 300 ci-après ; que sont réputés intéressés a) les entrepreneurs, membres d'entreprise, assureurs, assurés, bailleurs de fonds, propriétaires de marchandises et, en général, ceux qui ont un intérêt direct à la fraude, b) ceux qui ont coopéré d'une manière quelconque à un ensemble d'actes accomplis par un certain nombre d'individus agissant de concert, d'après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun et c) ceux qui ont, sciemment, soit couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur procurer l'impunité, soit acheté, ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandises provenant d'un délit de contrebande ou d'importation sans déclaration » ; que le jugement déféré sera dès lors confirmé de ce chef et l'action de la direction régionale des douanes et droits indirects de Polynésie française déclarée recevable ;
"et aux motifs adoptés que l'article 217 du code des douanes de la Polynésie française dispose que l'action pour l'application des peines est exercée par le ministère public ; que l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'administration des douanes ; que le ministère public peut l'exercer accessoirement à l'action publique ; que dans les procédures dont les agents des douanes ont été saisies en application des I et Il de l'article 28-1 du code de procédure pénale, le ministère public exerce l'action pour l'application des sanctions fiscales ; que sur autorisation du ministère public, cette action peut être exercée par l'administration des douanes et, dans ce cas, que l'article 224 du présent code est applicable ; qu'en vertu de l'alinéa 2 de cet article précité, l'administration des douanes peut exercer son action devant le juge pénal ;
"alors que les juges du second degré, saisis du seul appel de la partie civile, ne peuvent prononcer aucune peine et, en particulier, aucune sanction fiscale ou douanière contre le prévenu définitivement relaxé ; qu'en l'espèce, seule la Polynésie française, en sa qualité de partie civile, avait relevé appel du jugement de relaxe du 3 février 2015 ; qu'en déclarant néanmoins M. Y... coupable des infractions qui lui étaient reprochées et en le condamnant au paiement de diverses sommes à titre d'amende, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 14, 2°, de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, 217 du code des douanes de Polynésie française, 509 et 515 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes qu'en Polynésie française, les autorités de l'Etat sont compétentes en matière de justice s'agissant notamment du droit pénal et de la procédure pénale ; que selon le deuxième, l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par l'administration des douanes ou, accessoirement à l'action publique, par le procureur de la République ; qu'en application du troisième, l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et la qualité de l'appelant ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, par acte d'huissier en date du 24 septembre 2013, la direction régionale des douanes et droits indirects de Polynésie française représentée par son directeur régional, en tant qu'administration poursuivante, et la Polynésie française représentée par son président, en qualité de bénéficiaire des droits et taxes éludés, ont fait citer M. X... et M. Y..., devant le tribunal correctionnel de Papeete pour importation sans déclaration de marchandises et non-acquittement des droits et taxes ; que le tribunal correctionnel a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite et a déclaré irrecevables les demandes des parties civiles par jugement du 3 février 2015 dont la Polynésie française a interjeté appel en toutes ses dispositions ; que la cour d'appel, après avoir réformé le jugement déféré, a déclaré les prévenus coupables des faits reprochés et les a condamnés solidairement à payer à la Polynésie française, outre les droits et taxes éludés, des amendes au titre du délit et de la contravention ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle n'était saisie que de l'appel de la Polynésie française, partie civile, et donc des seules dispositions civiles du jugement déféré, la cour d'appel, qui pouvait seulement rechercher si des fautes avaient été commises par les prévenus à partir et dans la limite des faits, objet de la poursuite, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;
Qu'en effet, l'action pour l'application des sanctions fiscales, exercée par l'administration des douanes sur le fondement de l'article 217 du code des douanes de Polynésie française, a le caractère d'une action publique qui est indépendante du droit d'obtenir le paiement des sommes fraudées ou indûment obtenues et qui, par nature, ressortit à la justice pénale, matière relevant de la seule compétence des autorités de l'Etat en vertu de l'article 14, 2°, de la loi organique précitée ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Papetee, en date du 17 novembre 2016, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Papeete, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de PAPEETE, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze septembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.