LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 octobre 2016), que la société civile immobilière CC Saint Brice (la SCI) a confié à la société d'architecture X... (la société X...) une mission de maîtrise d'oeuvre complète portant sur l'extension d'une galerie marchande ; qu'un permis de construire a été délivré le 31 août 2012 et divers paiement ont été effectués ; que, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 mars 2013, la SCI a notifié à la société X... l'interruption de sa mission et son souhait de mettre fin au contrat les liant en lui indiquant qu'elle lui paierait le solde restant dû ; que la SCI a assigné en fixation des honoraires et paiement de dommages-intérêts la société X..., qui a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts au titre de la rupture abusive du contrat ;
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société X... la somme de 550 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat de maîtrise d'oeuvre ;
Mais attendu qu'ayant relevé, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des termes de l'article 6 du contrat rendait nécessaire, qu'aucun article du contrat ne permettait de mettre un terme définitif à celui-ci sans motif, à la seule initiative du maître de l'ouvrage, que le terme « interruption » visait un arrêt provisoire des relations contractuelles et impliquait la notion de reprise, que la seule insertion du paragraphe 6.2, visant la résiliation pour faute dans un paragraphe 6 plus large intitulé « Interruption du contrat », ne permettait pas de considérer que l'interruption était équivalente à une résiliation, la cour d'appel a pu en déduire qu'en se fondant sur un cas de résiliation sans faute du contrat de maîtrise d'oeuvre non prévu au contrat, la SCI avait commis une faute et devait réparation du préjudice subi par le maître d'oeuvre ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile immobilière CC Saint Brice aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société civile immobilière CC Saint Brice et la condamne à payer à la société X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer, avocat aux Conseils, pour la société CC Saint Brice.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la SCI CC Saint-Brice à payer à la société d'Architecture X... la somme de 550.000 € à titre de dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat de maîtrise d'oeuvre et d'avoir également condamner la SCI CC Saint-Brice au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur la rupture du contrat et l'indemnité réclamée: Par courrier du 12 mars 2013, portant en objet "interruption de votre mission d'architecture conformément à l'article 6.1 du contrat", la SCI CC Saint Brice représentée par monsieur Z... a informé le cabinet d'architecture GX...Monsieur Youhen X... qu'elle mettait fin au contrat les liant en application de l'article 6.1 du contrat, en exposant qu'il n'était plus acceptable de perdre encore du temps sur cette opération en discutant d'une évaluation provisoire de travaux à 53 millions d'euros et non à 70 millions d'euros engendrant dès lors des écarts d'honoraires substantiels, en se perdant pendant deux mois dans des palabres incessants et en n'étant pas capables de monter des réunions efficaces et régulières, en lui reprochant un retard dans le calendrier de la réalisation des études et en soulignant que son auteur ne retrouvait pas avec monsieur X... l'excellente relation intuitu personae qu'il avait avec son père ; La rupture du contrat vise l'article 6.1 du contrat qui est inséré dans un paragraphe 6 dénommé INTERRUPTION DE LA MISSION, et cet article 6.1 intitulé lui-même "interruption de la mission" énonce : "Si la mission du maître d'oeuvre est interrompue à la demande du Maître de l'Ouvrage , et sans que cette interruption soit imputable au Maître d'OEuvre, le Maitre de l'Ouvrage notifiera sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. La rémunération pour les prestations exécutées ou commencées est réglée intégralement par le Maître d'ouvrage au Maître d'OEuvre dans les trente jours qui suivent le début de cette interruption. Le paiement sera toutefois subordonné à la remise au Maître d'oeuvre des documents établis par lui jusqu'au moment de l'interruption de la mission" ; Cette notion d'interruption de la mission doit être interprétée en regard du paragraphe suivant 6.2 intitulé "Résiliation" qui prévoit que : "Le présent contrat peul être résilié de plein droit par le Maître de l'Ouvrage dans le cas où le Maitre d'OEuvre commettrait des fautes et dans le cas où les missions ne seraient pas remplies en conformité avec les règles de l'art" ; Même si la SCI CC Saint Brice fait des reproches à son maître d'oeuvre dans le courrier du 12 mars 2012, il ne peut être contesté que la fin du contrat annoncée n'est pas une résiliation motivée par ses fautes. Le courrier du 12 mai 2013 est parfaitement clair et met fin définitivement au contrat sans invoquer de faute car il se réfère à l'article 6.1 et non à l'article 6.2. Aucun article du contrat ne permet de mettre un terme définitif au contrat sans motif, à la seule initiative du maitre de l'ouvrage. Comme le note la société d'architecture, il est inutile de prévoir une résiliation du contrat pour faute du maître d'oeuvre si le maître de l'ouvrage peut y mettre fin à sa guise et selon ses intérêts, sans avoir à invoquer ni prouver de faute, en visant un autre article du contrat ; Le terme "interruption" du contrat vise un arrêt provisoire des relations contractuelles et implique la notion de reprise, qui est exclue en l' espèce puisque la SCI a chargé un autre maître d'oeuvre de la mission initialement dévolue à la société X... ; La seule insertion du paragraphe 6.2 visant la résiliation pour faute dans un paragraphe 6 plus large intitulé "Interruption du contrat", ne permet pas de considérer que l'interruption est équivalente à une résiliation. Au surplus, l'article 6.1 susdit fait état du "début de l'interruption", ce qui permet de déduire qu'elle présente un caractère provisoire et aura une fin. En se fondant sur un cas de résiliation sans faute du contrat de maîtrise d'oeuvre non prévu au contrat, la SCI CC Saint Brice a commis une faute et doit réparation du préjudice subi à son maître d'oeuvre ; Il sera ajouté que le contrat d'architecte est un contrat comportant une relation de confiance et que la perte de cette relation de confiance peut éventuellement justifier une résiliation du contrat, sauf à indemniser le préjudice subséquent subi, spécialement en cas d'abus. En l'espèce, la perte d'intuitu est, selon les termes du courrier de la SCI CC Saint Brice, liée au fait que les parties ne se sont pas parvenues à un accord sur le nouveau chiffrage du montant total des travaux après modification et subséquemment sur le montant des honoraires du maître d'oeuvre. Un tel désaccord ne peut justifier une perte d'intuitu personae car il revient à autoriser une partie à mettre fin au contrat suite à un changement d'avis de sa part sur l'ampleur de l'opération envisagée, sans nécessité particulière justifiée, alors surtout qu'en l'espèce les parties travaillaient ensemble sur ce projet depuis de nombreuses années et le permis de construire avait été obtenu. Au vu de l'ancienneté des relations des parties et de la part non négligeable du contrat exécutée, la rupture sans motif autre qu'un désaccord sur une modification du chiffrage de travaux antérieurement accepté et par voie subséquente sur les honoraires dûs, est abusive, alors surtout qu'en l'espèce, le maître d'oeuvre pourrait invoquer la responsabilité de la SCI dans la perte de confiance intervenue, eu égard aux difficultés antérieures pour obtenir le paiement de tranches précédentes de ses factures d'honoraires ; La SCI CC Saint Brice sera tenue d'indemniser la société d'Architecture du préjudice subi du fait de cette résiliation unilatérale fautive du contrat les liant » (cf. arrêt p. 11 et 12).
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur la résiliation du contrat : L'article 1156 du code civil dispose qu'on doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes ; L'article 6 du contrat du 30 mai 2008 relatif à l'interruption de la mission stipule : 6.1 - Interruption de Ia mission : Si la mission du Maître d'oeuvre est interrompue à la demande du Maitre de l'Ouvrage, et sans que cette Interruption soit imputable au Maître d'oeuvre, le Maître de l'Ouvrage notifiera sa décision par lettre recommandée avec accusé de réception. La rémunération pour les prestations exécutées ou commencées est réglée intégralement par le Maître de l'Ouvrage au Maître d'oeuvre dans les trente jours qui suivent le début de cette interruption ; Le paiement sera toutefois subordonné à la remise par le Maître d'oeuvre des documents établis par lui jusqu'au moment de l'interruption de la mission ;
6.2 – Résiliation : Le présent contrat peut être résilié de plein droit par le Maître de l'Ouvrage dans le cas où le Maître d'oeuvre commettrait des fautes graves et dans le cas où les missions ne seraient pas remplies en conformité avec les règles de l'Art ; L'article 6 de ce contrat prévoit donc deux événements distincts : l'interruption de la mission d'une part et la résiliation d'autre part. L'interruption de la mission peut intervenir unilatéralement à l'Initiative du maître d'ouvrage sans faute du maître d'oeuvre, tandis que la résiliation suppose une faute grave de ce dernier ; Les parties ont spécifiquement dénommé le premier événement " interruption de la mission" sans référence à la résiliation du contrat. Les termes de l'article 6.1 précisent même que cette interruption a un début, ce qui suppose qu'elle a aussi une fin ; Ainsi, l'interruption de la mission définie par les parties ne correspond pas à une faculté de résiliation du contrat mais à une interruption du cours de celui-ci en attendant sa reprise postérieure sans frais ; Par conséquent, il résulte du contrat que la résiliation sans motif n'est pas prévue par celui-ci et que l'article 6.1 ne peut pas être invoqué à l'appui de Ia résiliation » (cf. jugement p. 10 et 11).
1°/ ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce l'article du contrat intitulé « INTERRUPTION DE LA MISSION » prévoyait que la mission du maître d'oeuvre pouvait être interrompue à la demande du maître de l'ouvrage par lettre recommandée avec accusé réception à charge alors pour celuici de régler intégralement au maître d'oeuvre ses prestations exécutées ou commencées (article 6-1) ; que le même article prévoyait également que le contrat pouvait être par ailleurs résilié de plein droit par le maître de l'ouvrage en cas de faute grave du maître d'oeuvre ou de manquement aux règles de l'art dans l'exécution de la mission (article 6-2) ; qu'en retenant qu'« aucun article du contrat ne permet de mettre un terme définitif au contrat sans motif à la seule initiative du maître de l'ouvrage » dès lors qu'il serait sinon inutile de prévoir une résiliation du contrat pour faute du maître d'oeuvre, quand une résiliation pour faute ne pouvait garantir au maître d'oeuvre le paiement de ses prestations exécutées ou commencées et l'exposait, en outre, au paiement de dommages et intérêts, la cour d'appel a, pour un motif inopérant, dénaturé les termes clairs et précis de l'article 6-1 du contrat en violation de l'article 1134 du code civil
2°/ ALORS QUE l'article 6-1 du contrat prévoyait que la mission du maître d'oeuvre pouvait être interrompue à la demande du maître de l'ouvrage par lettre recommandée avec accusé de réception à charge alors pour celui-ci de régler intégralement au maître d'oeuvre les prestations exécutées ou commencées « dans les trente jours qui suivent le début de cette interruption » et indiquait que « le paiement sera toutefois subordonné à la remise par le maître d'oeuvre des documents établis par lui jusqu'au moment de l'interruption de la mission » ; qu'en retenant que le terme « interruption » du contrat et la référence au début de l'interruption visait un arrêt provisoire des relations contractuelles et impliquait la notion de reprise et n'était donc pas équivalente à une résiliation quand la subordination du paiement des sommes dues au maître d'oeuvre à la remise par celui-ci des documents établis jusqu'au moment de l'interruption de la mission impliquait, de façon claire et précise, que la mission ne serait plus reprise par le maître d'oeuvre, la cour d'appel a, sur ce point encore, dénaturé les termes clairs et précis de l'article 6-1 du contrat en violation de l'article 1134 du code civil.