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26/06/2018 | FRANCE | N°18-80596

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 juin 2018, 18-80596


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

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M. G... Y... ,
M. X... Y...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de COLMAR, en date du 11 janvier 2018, qui, dans l'information suivie contre eux, des chefs notamment d'infractions à la législation sur les stupéfiants, contrebande de marchandises prohibées, association de malfaiteurs et non justification de ressources, a prononcé sur la demande d'annulation de pièces de la procédure présentée par M. G... Y... ;>
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 19 juin 2018 où étaient présen...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

-
-
M. G... Y... ,
M. X... Y...,

contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de COLMAR, en date du 11 janvier 2018, qui, dans l'information suivie contre eux, des chefs notamment d'infractions à la législation sur les stupéfiants, contrebande de marchandises prohibées, association de malfaiteurs et non justification de ressources, a prononcé sur la demande d'annulation de pièces de la procédure présentée par M. G... Y... ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 19 juin 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. BONNAL, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Bray ;

Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;

Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle en date du 9 mars 2018, joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat ;

Vu les mémoires produits ;

I- Sur la recevabilité du pourvoi formé par M. X... Y... :

Attendu que, M. X... Y... n'ayant pas qualité pour se pourvoir contre l'arrêt statuant sur la requête en annulation de pièces présentée par M. G... Y... , son pourvoi est irrecevable ;

II- Sur le pourvoi formé par M. G... Y... :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, sur la base d'un renseignement mettant notamment en cause M. X... Y... pour des faits de trafic de stupéfiants, des investigations ont été entreprises dans le cadre d'une enquête préliminaire, qui ont conduit à soupçonner également M. G... Y... , frère du premier nommé, lequel a fait l'objet, le 2 mars 2017, d'un contrôle douanier alors qu'il était le passager d'un véhicule loué par M. F...B... ; que si les occupants du véhicule ont déclaré se rendre à Paris, une consultation, le même jour, du système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation de véhicules (LAPI) a permis de constater que le véhicule s'était ensuite dirigé, en réalité, vers le Luxembourg ; que, le 29 mars 2017, le juge des libertés et de la détention a autorisé plusieurs perquisitions sans l'assentiment des personnes concernées, dont une au domicile de M. G... Y... , perquisitions qui ont notamment permis la découverte d'importantes sommes d'argent ; que les différents protagonistes, y compris ce dernier, ont été interpellés le lendemain et placés en garde à vue, la fouille d'un autre véhicule utilisé par eux permettant la découverte de plus de 9 kg d'une poudre répondant positivement au test de l'héroïne ; que M. G... Y... , son frère et deux autres personnes ont été mis en examen le 3 avril 2017 ; que le lendemain, le juge d'instruction a désigné un expert aux fins d'analyser le produit saisi dans le véhicule ; que, le 2 octobre 2017, M. G... Y... a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de plusieurs actes de la procédure ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 76, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que la chambre de l'instruction a rejeté le moyen tiré la nullité de la perquisition réalisée au domicile du demandeur ;

"aux motifs que l'article 76 alinéa 4 du code de procédure pénale dispose, si les nécessités de l'enquête relative à un crime ou à un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'une durée égale ou supérieure à cinq ans l'exigent ou si la recherche de biens dont la confiscation est prévue à l'article 131-21 du code pénal le justifie, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance peut, à la requête du procureur de la République, décider, par une décision écrite et motivée, que les opérations prévues au présent article seront effectuées sans l'assentiment de la personne chez qui elles ont lieu ; qu'à peine de nullité, la décision du juge des libertés et de la détention précise la qualification de l'infraction dont la preuve est recherchée ainsi que l'adresse des lieux dans lesquels ces opérations peuvent être effectuées ; que cette décision est motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires ; que les opérations sont effectuées sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées, et qui peut se déplacer sur les lieux pour veiller au respect des dispositions légales ; que l'ordonnance d'autorisation de perquisition au domicile de M. G... Y... rendue par le juge des libertés et de la détention de Strasbourg le 29 mars 2017 est ainsi motivée :
«Vu la procédure d'enquête diligentée par la brigade des stupéfiants de la DIPJ Strasbourg l'encontre de: M. X... Y... et tous autres relative à des faits de : trafic de stupéfiants Vu la requête de M. le procureur de la République en date du 29 mars 2017 ; qu'il résulte de l'enquête préliminaire diligentée par la Brigade des stupéfiants de la DEPJ de Strasbourg depuis le 3 janvier 2017, l'existence d'un trafic de produits stupéfiants et plus particulièrement d'héroïne dans le quartier de [...] , dans lequel serait impliqué M. G... Y... né le [...] à Kigi en Turquie ; que les éléments de fait laissant présumer de l'existence de l'infraction dont la preuve est recherchée et qui est punie d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans, justifient qu'il soit procédé, sans l'assentiment de la personne chez qui ces opérations auront lieu, à des perquisitions à l'adresse mentionnée par la requête sus-visée, en ce qu'il convient en effet d'éviter la disparition éventuelle des produits stupéfiants ainsi que de tous les éléments de preuve permettant de constater les infractions ci-dessus visées et d'identifier les auteurs des faits ». (D387) ladite ordonnance se réfère expressément à la procédure d'enquête diligentée par la brigade des stupéfiants dont la synthèse qui figure dans la demande d'autorisation de perquisition expose les éléments de fait permettant de soupçonner l'existence d'un trafic de stupéfiants dans le quartier de [...] et dans lequel serait impliqué le requérant (D 371 à D376) ; que l'ordonnance mentionne que l'enquête est relative à des faits de trafic de stupéfiants et que l'infraction dont la preuve est recherchée est punie d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans ; qu'elle précise l'adresse du lieu dans lequel les opérations de perquisition peuvent être effectuées et précise le motif pour lequel la perquisition sans assentiment doit avoir lieu: éviter la disparition éventuelle des produits stupéfiants ainsi que de tous les éléments de preuve permettant de constater les infractions ci-dessus visées et d'identifier les auteurs des faits ; qu'il s'ensuit que l'ordonnance qui répond aux exigences de l'article 76 alinéa 4 précité est régulière » ;

"alors qu'il découle des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 76 du code de procédure pénale une exigence de motivation adaptée de l'ordonnance prescrivant une perquisition ; qu'il s'agit d'une garantie essentielle contre le risque d'une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de la personne concernée, permettant au justiciable de connaître les raisons précises pour lesquelles ces opérations ont été autorisées ; qu'en l'espèce, l'ordonnance ayant autorisé la perquisition du domicile de M. Y... ne comporte pas d'énoncé précis des raisons qui justifiaient la réalisation d'une perquisition sans son assentiment, la requête du parquet se bornant elle-même à une référence à un « rapport joint » des fonctionnaires de police ; que c'est au mépris des textes précités que la chambre de l'instruction a refusé d'en prononcer la nullité" ;

Attendu que, pour écarter le moyen de nullité tiré de l'insuffisante motivation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé une perquisition sans son assentiment au domicile de M. G... Y... , l'arrêt relève que cette décision se réfère expressément à la procédure d'enquête dont la synthèse, jointe à la requête du parquet, expose les éléments de fait permettant de suspecter l'existence d'un trafic de stupéfiants, infraction punie d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans, qu'elle précise l'adresse du lieu dans lequel les opérations peuvent être effectuées et qu'elle expose le motif pour lequel il convient de recourir à cette procédure, à savoir éviter la disparition éventuelle des produits stupéfiants ainsi que de tous les éléments de preuve permettant de constater les infractions visées et d'identifier leurs auteurs ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 63, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que la chambre de l'instruction a rejeté le moyen tiré la nullité de la garde à vue du demandeur ;

"aux motifs que le 29 mars 2017 soit la veille de l'interpellation et du placement en garde à vue de M. G... Y... , le procureur de la république de Strasbourg a ordonné la comparution de l'intéressé devant l'officier de police judiciaire requérant, ou à défaut devant tout officier de police judiciaire de la même unité, et au besoin, par la force publique afin d'éviter la disparition des preuves ou indices matériels du trafic et la concertation avec les coauteurs dans le cadre de l'enquête préliminaire diligentée du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants.( D 379 ), le 30 mars 2017, à 6 heures 15, le magistrat du parquet avisé de la découverte d'une forte somme d'argent au domicile de M. G... Y... a prescrit aux enquêteurs de poursuivre les investigations en flagrance et de le tenir informé du déroulement des opérations d'interpellation et de perquisition en cours. ( D 392 ), M. G... Y... a été placé en garde à vue le 30 mars 2017 à 6 heures 05 ; que l'article 63 du code de procédure pénale dispose que dès le début de la mesure de garde à vue, l'officier de police judiciaire informe le procureur de la République, par tout moyen, du placement de la personne en garde à vue ; qu'il lui donne connaissance des motifs justifiant ce placement et l'avise de la qualification des faits qu'il a notifiée à la personne en application ; que l'article du code de procédure pénale ne soumet l'information du procureur de la République à aucune forme particulière ; que le procès-verbal d'avis à magistrat du 30 mars 2017 est rédigé comme suit :(D 393)
«Prenons attache avec Mme Emmanuelle Z..., Procureur Adjoint près le TGI de Strasbourg et l'informons du placement en garde à vue ce jour de : -------------------------Y... X..., né le [...] à Strasbourg, demeurant [...] , à 06H05-- Y... G..., né le [...] à KIGI (Turquie), demeurant [...] , à 06H05-- C...

A..., né le [...] à Strasbourg (67), demeurant [...] , à 06H40-- B... F..., né le [...] à Strasbourg (67), demeurant [...] , à 06H15-------------------------H... D... Rudy, né le [...] à Strasbourg (67), demeurant [...] , à 06H50-------------------------L'informons également de la découverte au domicile de Y... G... à 06H15 de deux liasses de billets contenant chacune cinq mille euros sur la table de la salle à manger. Dès lors changeons de cadre juridique à compter de 06h15 et poursuivons les investigations en flagrant délit. » ; qu'il est par ailleurs mentionné dans le procès-verbal de notification de début de garde à vue de M. G... Y... du 30 mars 2017 dans le paragraphe : AVIS Magistrat : « De même suite Relatons que Mme Sarah I..., Commissaire de Police, Chef des divisions opérationnelles de la DIPJ Strasbourg, présente lors de l'interpellation du nommé Y... G... à son domicile, a avisé de suite, la permanence du parquet de Strasbourg de la mesure coercitive prise à l'encontre de M. Y... G... . » (D 692-D693) ; que l'avis téléphonique a été suivi, conformément à la pratique du parquet de Strasbourg, de l'envoi d'un avis écrit transmis par fax ou par voie électronique, sous forme d'un billet de garde à vue indiquant le début de la garde à vue de M. G... Y... : 30 mars 2017 à 6 heures 05 et le motif de sa rétention : Infraction de trafic de stupéfiants entre le 1er janvier à ce jour à Strasbourg et ses environs entre le 3 janvier 2017 et le 31 mars 2017 et les motifs du placement en garde à vue. (cf billet de garde à vue du 30 mars 2017 versé aux débats par le parquet général) ; qu'il est dès lors suffisamment établi que le procureur de la république de Strasbourg a été mis en mesure d'exercer son contrôle sans retard sur la mesure de garde à vue prise à l'encontre de M. G... Y... , conformément aux dispositions légales susvisées » ;

"alors qu'en violation de l'article 63 du code de procédure pénale, l'avis à magistrat réalisé durant sa garde à vue ne fait pas état de ce que le parquet a été informé des motifs et de la qualification juridique des faits qui ont motivé le placement en garde à vue, mais se borne à indiquer que M. Y... a été placé en garde à vue, qu'ont été découvertes à son domicile deux liasses de billets et que les investigations se poursuivent en flagrant délit ; que le billet de garde à vue versé aux débats par le procureur général, sur lequel la chambre de l'instruction se fonde, ne fait nullement la preuve de la transmission des informations y figurant au procureur de la République en temps utile ; que dans ces conditions, la chambre de l'instruction ne pouvait refuser de faire droit au moyen tiré de la nullité de la garde à vue" ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la nullité de l'avis au procureur de la République du placement en garde à vue du requérant, l'arrêt, après avoir cité les deux mentions figurant dans la procédure qui font seulement état d'un avis donné par un commissaire de police à ce magistrat, sans en préciser autrement le contenu, retient que le procureur général a versé à l'audience un billet de garde à vue mentionnant la qualification des faits et les motifs de la mesure et a exposé que, selon une pratique du parquet, l'avis téléphonique a été suivi de l'envoi dudit document, par télécopie ou courrier électronique, et en déduit qu'il est ainsi suffisamment établi que le procureur de la République a été mis en mesure d'exercer son contrôle sans retard ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite du motif erroné relatif à l'envoi, dans des conditions indéterminées, d'un billet de garde à vue qui ne figurait pas au dossier de l'information, et dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que le procureur de la République, qui dirigeait l'enquête ouverte pour trafic de stupéfiants, avait ordonné, la veille, la comparution de l'intéressé, au besoin par la force publique, pour éviter la disparition des indices matériels, et avait sollicité du juge des libertés et de la détention une autorisation de perquisition sans assentiment en vue de rechercher des produits stupéfiants et tous éléments de preuve et d'identifier les auteurs, d'où il résulte que ce magistrat était nécessairement informé de la qualification des faits et de la nécessité d'une mesure de garde à vue pour éviter la disparition des indices matériels, M. G... Y... ne saurait se faire grief de ce que le procès-verbal rendant compte de l'information du procureur de la République en application de l'article 63 du code de procédure pénale ne comporte pas toutes les mentions exigées par ce texte ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 161-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que la chambre de l'instruction a rejeté le moyen tiré la nullité de l'ordonnance de commission d'expertise ;

"aux motifs que les dispositions de l'article 161-1 du code de procédure pénale prévoyant un dispositif garantissant le principe du contradictoire entourant la décision du juge d'instruction ordonnant une expertise ne sont pas applicables lorsque les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions par l'expert doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différés pendant le délai de dix jours prévu au 1er alinéa ou lorsque la communication prévue au premier alinéa risque d'entraver l'accomplissement des investigations ; qu'il convient de rappeler que 9 kg 310 g d'héroïne ont été saisis dans le véhicule Renault Scénic immatriculé [...]30 mars 2017 dans le cadre de la flagrance et qu'une information a été ouverte le 3 avril 2017 ; que le 4 avril 2017, le magistrat-instructeur a rendu une ordonnance de commission d'experts aux fins d'expertise en matière de stupéfiants ; que la mission de l'expert consistait :
- à procéder à l'analyse du contenu des scellés du PV 6/2017 (scenic / quatre et scenic/un) soit les échantillons d'héroïne prélevés sur les 9 kg 310 g saisis,
- à déterminer la nature et la composition des substances saisies, à dire s'il s'agit de produits stupéfiants, toxiques ou de manière plus générale de substances vénéneuses au sens de l'article L. 626 et suivants du code de la santé publique,
- à préciser la concentration en produits actifs et à faire tout rapprochement utile avec les produits saisis et analysés par son laboratoire ; que l'ordonnance contestée est ainsi motivée :( D1172 à 1179) « Vu l'urgence et l'impossibilité de différer les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions pendant un délai de dix jours, la présente ordonnance n'a pas été communiquée aux avocats des parties; en conséquence, les opérations d'expertise peuvent commencer sans délai qu'en effet, il convient de pouvoir dans les meilleurs délais faire tout rapprochement utile avec les saisies opérées et cerner au mieux le fonctionnement de ce réseau alors que des interpellations seront à envisager ; qu'alors que MM. F... B... , X... Y..., G... Y... , Rudy H... D... et A... Y... venaient d'être placés en détention provisoire à l'issue de leur mise en examen le 3 avril 2017, un retard de dix jours dans la poursuite des investigations pouvait se révélait préjudiciable à la manifestation de la vérité ; que dès lors la motivation de l'ordonnance caractérise suffisamment l'urgence permettant de déroger au 1er alinéa de l'article 161-1 précité » ;

"alors qu'en vertu de l'article 161-1 du code de procédure pénale, l'expertise doit être réalisée de manière contradictoire, la décision l'ordonnant devant être communiquée aux parties et ces dernières devant pouvoir formuler diverses observations ; que l'alinéa 3 de ce texte prévoit qu'il ne peut être dérogé à ce principe qu'en cas d'urgence ou lorsque la communication aux parties risque d'entraver l'accomplissement des investigations ; qu'il ressort de la jurisprudence de la Chambre criminelle que la décision du juge d'instruction de se soustraire au contradictoire doit être motivée au regard des circonstances de l'espèce ; qu'en l'espèce, pour déroger au contradictoire s'agissant d'une expertise visant à analyser des stupéfiants préalablement saisis et placés sous scellés, le juge d'instruction s'est contenté d'une référence abstraite à la nécessité de procéder « dans les meilleurs délais » à « tout rapprochement utile avec les saisies opérées» et de « cerner au mieux le fonctionnement de ce réseau » ; que la chambre de l'instruction, qui s'est quant à elle contentée de faire état de ce qu'un « un retard de 10 jours dans la poursuite des investigations pouvait se révéler préjudiciable à la manifestation de la vérité », ne pouvait refuser d'annuler l'expertise litigieuse sans méconnaître le texte précité" ;

Vu les articles 593 et 161-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, selon le second, le juge d'instruction adresse sans délai copie de la décision ordonnant une expertise au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour lui demander de modifier ou compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix ; qu'en application de l'alinéa 3 de ce texte, il ne peut être dérogé à cette obligation que lorsque les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions par l'expert doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différés pendant le délai de dix jours susvisé ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de ce que l'urgence exigée par les dispositions précitées n'était pas caractérisée, l'arrêt, après avoir cité l'ordonnance de commission d'expertise critiquée, qui faisait état de la nécessité de pouvoir dans les meilleurs délais faire tout rapprochement utile avec les saisies opérées et cerner au mieux le fonctionnement du réseau dans la perspective d'interpellations à envisager, retient qu'à la suite des cinq mises en examen et placements en détention provisoire intervenus la veille, un retard de dix jours dans la poursuite des investigations pouvait se révéler préjudiciable à la manifestation de la vérité ;

Mais attendu qu'en statuant par ces seuls motifs, sans s'expliquer sur le fait que le juge d'instruction n'avait demandé la transmission à l'expert des scellés à examiner que vingt jours après le prononcé de l'ordonnance, laquelle fixait, pour l'accomplissement de la mission, un délai de quarante jours, de sorte que l'urgence invoquée dans la décision comme rendant impossible de différer les opérations pendant le délai légal de dix jours apparaissait contredite par les mesures prises par ce même magistrat pour l'exécution de l'ordonnance, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 233-1 du code de la sécurité intérieure, préliminaire, 5 de l'arrêté du 18 mai 2009 portant création d'un traitement automatisé de contrôle des données signalétiques des véhicules, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que la chambre de l'instruction a rejeté le moyen tiré de la nullité de la mesure de consultation du fichier LAPI ;

"aux motifs que le procès-verbal de renseignement concernant le contrôle douanier de MM. G... Y... et F... B... du 3 mars 2017 est ainsi rédigé: (D 291 )
«Nous, I... E... commandant de police En fonction à la DIPJ de Strasbourg -Brigade des Stupéfiants officier de police judiciaire en résidence à Strasbourg Nous trouvant au service, Poursuivant l'enquête en la forme préliminaire, Vu les articles 75 et suivants du code de procédure pénale, Sommes avisés des faits suivants :
Les services des douanes ont procédé au contrôle le 02/03/17 à 09h30 des nommés MM. B... F..., Y... G... au péage autoroutier de Saint-Avold (57) dans le sens Strasbourg-Metz, à bord d'un véhicule de location Audi A 4Avant immatriculé en Allemagne [...] ; que lors de ce contrôle, M. B... était porteur de la somme de 9 000 euros et Y... de 8 000 euros et ont déclaré se rendre à PARIS.
Dont acte. »
«De même suite, La consultation du système LAPI permet d'établir que le véhicule AUDI A4 Avant immatriculé [...]a été signalé le 02/03/2017 10h47 à l'entrée de Luxembourg dans le sens Sud Nord.
Dont mention » ; que l'article 5 de l'arrêté du 18 mai 2009 portant création d'un traitement automatisé de contrôle des données signalétiques des véhicules prévoit que les agents des services de police doivent être habilités par leur chef de service ; que l'avocat de M. Y... G... fait valoir que «ni l'identité ni la qualité de l'agent qui a consulté le fichier «LAPl »ne ressort de la procédure de sorte que sa compétence pour ce faire n'est pas certaine» ; qu'il est vraisemblable ainsi qu'il résulte du procès-verbal ci-dessus reproduit que suite au recueil du renseignement concernant le contrôle douanier du 2 mars 2017, le commandant de police, officier de police judiciaire, signataire dudit procès-verbal, ait personnellement consulté le système LAPI dans le cadre de l'enquête en cours ; qu'en tout état de cause, M. G... Y... ne justifie d'aucun grief, ne pouvant se prévaloir d'aucun droit sur le véhicule concerné par la consultation du système LAPI, dans la mesure où le véhicule ne lui appartenait pas et qu'il n'en avait pas la disposition, qu'il avait été loué, en Allemagne, par M. F... B... , qui en était le conducteur et dont il n'en était que le passager lors du contrôle douanier » ;

"alors que seuls des agents des services de police individuellement désignés et dûment habilités par leur chef de service peuvent accéder au fichier de lecture automatisé des plaques d'immatriculation de véhicules (LAPI) ; que le moyen de nullité dont la chambre de l'instruction était saisie faisait état de l'incertitude liée à l'identité de la personne ayant consulté le fichier LAPI en l'espèce ; que la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision et s'est prononcée par des motifs hypothétiques en considérant qu'il est « vraisemblable » que le commandant de police ait procédé à cette consultation" ;

Vu les articles L. 233-1 du code de la sécurité intérieure, ensemble L. 233-2 du même code, 5 de l'arrêté du 18 mai 2009 portant création d'un traitement automatisé de contrôle des données signalétiques des véhicules et 593 du code de procédure pénale, ensemble 171 et 802 du même code ;

Attendu, d'une part, qu'il résulte des articles précités du code de la sécurité intérieure et de l'arrêté du 18 mai 2009 pris pour leur application que seuls les agents des services de police et de gendarmerie nationales ainsi que des douanes, individuellement désignés et dûment habilités par leur chef de service, peuvent accéder au traitement automatisé de contrôle des données signalétiques des véhicules collectées par les dispositifs fixes ou mobiles mis en oeuvre en application de ces textes ;

Attendu, d'autre part, qu'il résulte des articles 171 et 802 précités que toute partie à la procédure, à qui sont opposées les données signalétiques d'un véhicule collectées en application des dispositions susvisées du code de la sécurité intérieure et de l'arrêté du 18 mai 2009 pris pour leur application, est en droit de contester la régularité des conditions dans lesquelles ces données ont été consultées, non seulement lorsqu'elle détient un droit propre sur le véhicule en cause mais également quand elle peut se prévaloir d'une atteinte à un autre intérêt qui lui serait propre ;

Attendu, enfin, que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de l'absence de précision sur l'identité et l'habilitation de l'agent ayant consulté le système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation de véhicules, l'arrêt retient qu'il est vraisemblable qu'il s'agisse du commandant de police qui a rédigé
le procès-verbal de recueil de renseignement concernant un contrôle douanier, au pied duquel figure le résultat de cette consultation ; que les juges ajoutent que le requérant ne justifie pas d'un grief, ne pouvant se prévaloir d'aucun droit sur le véhicule concerné par la consultation du système LAPI, qui ne lui appartenait pas, qui avait été loué par un tiers qui le conduisait, et dont il n'était lui-même que le passager ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'intéressé se prévalait d'une atteinte à sa vie privée, et par des motifs pour partie hypothétiques, insuffisants à établir que la consultation du système LAPI avait été effectuée soit par un agent régulièrement habilité, soit par un enquêteur autorisé par le procureur de la République, pour les besoins d'une procédure pénale, à délivrer une réquisition à cette fin en application de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est également encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

I - Sur le pourvoi formé par M. X... Y... :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

II - Sur le pourvoi formé par M. G... Y... :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar, en date du 11 janvier 2018, mais en ses seules dispositions relatives à la régularité, d'une part, de l'ordonnance de commission d'expertise du juge d'instruction en date du 4 avril 2017, d'autre part, de la consultation, le 3 mars 2017, du système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation de véhicules, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six juin deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-80596
Date de la décision : 26/06/2018
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar, 11 janvier 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 jui. 2018, pourvoi n°18-80596


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:18.80596
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