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19/06/2018 | FRANCE | N°17-82526

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 juin 2018, 17-82526


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- -
M Vincent X...,
M. Yoann Y...,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 6 mars 2017, qui a condamné, le premier, pour diffamation publique envers un particulier, à 8 000 euros d'amende, le second, pour complicité de ce délit, à 600 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 mai 2018 où étaient présents dans la formation prév

ue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Z..., conseille...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- -
M Vincent X...,
M. Yoann Y...,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 6 mars 2017, qui a condamné, le premier, pour diffamation publique envers un particulier, à 8 000 euros d'amende, le second, pour complicité de ce délit, à 600 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 23 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Z..., conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de M. le conseiller Z..., les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, la société civile professionnelle RICHARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général A...;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 29 alinéa 1 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 111-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Vincent X... coupable de diffamation publique envers un particulier, en l'espèce, la société SARL Marbrerie Pompes Funèbres B... et M. Yoann Y... coupable de complicité de ce délit, a condamné M. X... à une amende de 8 000 euros et M. Y... à une amende de 600 euros et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que, s'agissant de l'article paru le 9 octobre 2013, dans l'édition du [...] de l'[...], il ressort de la lecture de la plainte avec constitution de partie civile, qui a mis en mouvement l'action publique, que les extraits de l'article retenus comme diffamatoires sont les suivants :
« A/ Les propos poursuivis :
A la une du numéro 1023 de [...], en date du 9 octobre 2013 :
« [...]. Les pompes funèbres B... ne rendaient pas toutes les cendres aux familles »
« une brouette, de cendres

« une enquête de gendarmerie est en cours »
« une enquête est en cours après des accusations de négligence ; que les pompes funèbres B... suspectées de ne pas rendre toutes les cendres aux familles » « La société de pompes funèbres B... est plongée en pleine tempête ; que c'est un courrier adressé au procureur de la République qui a mis le feu aux poudres ; que dans ce dernier, il est indiqué que les crémations ne sont pas totalement achevées et que les familles ne récupèrent donc qu'une partie des cendres du défunt, contrairement à la loi ; que des accusations fondées sur plusieurs éléments, dont une brouette chargée de cendres et qui aurait été acheminée le 18 décembre 2012, jusqu'au cimetière de [...] dans le but d'être déversées dans le jardin des souvenirs ; que « des employés de la société B... sont venus me voir pour déposer les cendres, mais je m'y suis opposé car c'est totalement illégal » explique le conservateur du cimetière. ; que la brouette reprend alors le chemin du crématorium dans lequel se trouvaient alors des employés municipaux ; qu'« un corps d'un département voisin venait d'arriver et dans ces cas-là, la police est présente ; que les deux policiers ont vu la brouette, l'ont photographiée, puis sont repartis ; que ce n'était pas le premier incident, mais après avoir alerté la direction à plusieurs reprises (sic), nous n'avons jamais eu de retour » affirme un ancien salarié de la société (
) LES CENDRES DE 2 DEFUNTS PARFOIS MELANGEES M. Jean-Luc B..., patron de la société, ne nie pas la présence de cette brouette mais minimise les faits « Il s'agissait de cendres de nettoyage et non humaines, assure-t-il. Tout ça, c'est une cabale menée par mon ex employé qui est parti chez un concurrent » peste le patron. Pourtant, d'autres voix font état de négligences au sein du crématorium. « pour gagner du temps certains opérateurs ne finissent pas la crémation. Il m'est arrivé d'ouvrir le four et (sic) de voir que les poumons avaient été placés sur le côté, car c'est ce qui met le plus de temps à brûler. Du coup, le cercueil suivant arrive et est incinéré avec les restes du précédent défunt. Et sous la porte d'introduction, il y a parfois des cendres » confie un employé qui souhaite conserver l'anonymat ; qu'un autre incident a également été relevé par l'ancien salarié, avec un aspirateur rempli de cendre ; que là encore, la police municipale se rend sur place et constate les faits sans pour autant inquiéter davantage la société ; que consciente des retombées d'un tel scandale, la direction de l'établissement aurait même menacé ses salariés poursuit cette même source, « vendredi matin, pendant le nettoyage des véhicules, un de nos patrons nous a convoqués et nous a dit « ceux qui foutent la m
vont le payer. Normalement, ce sont eux qui devraient partir les premiers, mais on va faire le contraire, ils resteront et regarderont leurs anciens collègues se faire licencier. » Des années de silence avant le grand déballage « pour les familles », insiste l'ancien salarié de la société, « certains nous disent que ce ne sont que des cendres, mais ce sont des cendres humaines, par celles de la cheminée », peste-t-il ; que M. Jean-Claude D..., conservateur du cimetière, ne dit pas autre chose, « je suis surtout en colère vis-à-vis des familles, je me demande si nous avons vraiment eu nos cendres. Je me demande comment vont réagir les familles ». Une enquête de gendarmerie est actuellement en cours pour faire toute la vérité sur cette affaire et, pendant ce temps-là, ce sont des centaines de familles qui s'interrogent ». » ; que ces extraits contiennent des allégations ou des imputations de faits précis :
- le fait que les crémations ne sont pas totalement achevées ;
- l'existence d'une brouette chargée de cendres qui aurait été acheminée, le 18 décembre 2012, jusqu'au cimetière de [...] afin d'être déversée dans le jardin des souvenirs ce à quoi se serait opposé le conservateur du cimetière ;
- des photographies de la brouette prises par des policiers municipaux ;
- des négligences au sein du crématorium de la part de certains opérateurs lesquels, pour gagner du temps, ne finissent pas la crémation ou placent sur le côté les poumons, qui mettent plus de temps à brûler afin de permettre la mise en route de la crémation suivante induisant ainsi l'incinération du cercueil avec les restes du précédent défunt ;
- un incident avec un aspirateur rempli de cendres qui aurait été constaté par la police municipale ;
- des menaces sur le personnel exercées par la direction, consciente des retombées d'un tel scandale ; que ces allégations et imputations visent expressément la société des pompes funèbres B... ; qu'à l'inverse de ce que soutiennent, dans leurs conclusions, MM. X... et Y..., ces allégations et imputations, contenues dans l'article publié le 9 octobre 2013, ne constituent pas un simple dénigrement de produits ou services mais portent sur des faits précis ; que si aucun des gérants de la société des pompes funèbres B... n'est nommément désigné, ils sont clairement identifiables dès lors qu'il est porté atteinte à l'image de l'entreprise ; qu'en effet, ces allégations et imputations portent manifestement atteinte à l'honneur et à la considération de la société des pompes funèbres B... qui se voit mis en cause pour un traitement indigne et contraire à la loi des corps puis des cendres des défunts dont la crémation lui a été confiée ; qu'il est, notamment, allégué que, pour gagner du temps, le processus de crémation n'est pas mené à son terme et que les restes d'un défunt se trouvent incinérées en même temps que le cercueil suivant ; qu'il ne saurait donc être soutenu, ainsi que le prétendent, dans leurs conclusions, MM. X... et Y..., qu'il ne s'agit que de « l'affirmation de l'existence de cendres résiduelles issues de crémations des corps que la société B... avait pris l'habitude de disperser dans le jardin des souvenirs du cimetière de [...], par respect dû aux morts ou à leur famille », termes ne figurant d'ailleurs pas dans l'article incriminé ; que les conditions cumulatives prévues par l'article 29 alinéa 1 étant réunies, le délit de diffamation publique envers un particulier est caractérisé ;

"1°) alors que la mise en cause des produits ou des services d'une entreprise ne relèvent pas de la loi sur la presse ; qu'en affirmant que l'appréciation portée par l'article en cause sur les prestations de service de la société B... caractérise une diffamation, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

2°) alors que si la société Marbrerie Pompes Funèbres B... est nommément citée dans cet article, ce n'est qu'en raison des négligences relevées par les journalistes relativement à la qualité de ses prestations et que l'écrit incriminé ne comporte aucune attaque personnelle à l'encontre de la société" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l'hebdomadaire [...] a fait paraître dans son édition [...] du 9 octobre 2013 un article signé par M. Yoann Y..., journaliste, sous le titre "Une enquête est en cours après des accusations de négligence. Les pompes funèbres B... suspectées de ne pas rendre toutes les cendres aux famille" ; qu'à la suite de cette parution, la société MarbreriePOMPES FUNEBRES B... (la société) a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef susvisé, retenant comme diffamatoires les passage suivants :
A la une :
"[...]. Les pompes funèbres B... ne rendaient pas toutes les cendres aux familles" "une brouette, de cendres .•. "une enquête de gendarmerie est en cours";
En page 6 :
"Une enquête est en cours après des accusations de négligence.
La société de pompes funèbres B... est plongée en pleine tempête.
C'est un courrier adressé au procureur de la République qui a mis le feu aux poudres. Dans ce dernier, il est indiqué que les crémations ne sont pas totalement achevées et que les familles ne récupèrent donc qu'une partie des cendres du défunt contrairement à ce qu'exige la loi.
Des accusations fondées sur plusieurs éléments dont une brouette chargée de cendre et qui aurait été acheminée, le 18 décembre 2012, jusqu'au cimetière de [...] dans le but d'être déversée dans le jardin des souvenirs.
« Des employés de la société B... sont venus me voir pour déposer les cendres mais je m'y suis opposé car c'est totalement illégal », explique le conservateur du cimetière.La brouette reprend alors le chemin du crématorium dans lequel se trouvaient alors des policiers municipaux ;
« Un corps d'un département voisin venait d'arriver et dans ces cas-là, la police est présente. Les deux policiers ont vu la brouette, l'ont photographiée puis sont repartis. Ce n'était pas le premier incident mais après avoir alerté la direction à plusieurs reprises nous n'avons jamais eu de retours », affirme un ancien salarié de la société ; que LES CENDRES DE 2 DEFUNTS PARFOIS MÉLANGÉES
Jean-Luc B..., patron de la société ne nie pas la présence de cette brouette mais minimise les faits. « Il s'agissait de cendres de nettoyage et non humaines, assure-t-il. Tout ça, c'est une cabale menée par mon ex-employé qui est parti chez un concurrent », peste le patron.
Pourtant d'autres voix font état de négligences au sein du crématorium.
« Pour gagner du temps certains opérateurs ne finissent pas la crémation. Il m'est arrivé d'ouvrir le four et de voir que les poumons avaient été placés sur le côté car c'est ce qui met le plus de temps à brûler. Du coup, le cercueil suivant arrive et est incinéré avec les restes du précédent défunt. Et sous la porte d'introduction, il y a parfois des cendres », confie un employé qui souhaite conserver l'anonymat.
Un autre incident a également été relevé par l'ancien salarié avec un aspirateur rempli de cendre. Là encore, la police municipale se rend sur place et constate les faits sans pour autant inquiéter davantage la société.
Consciente des retombées d'un tel scandale, la direction de l'établissement aurait même menacé ses salariés, poursuit cette même source. « Vendredi matin, pendant le nettoyage des véhicules, un de nos patrons nous a convoqués et nous a dit « ceux qui foutent la m
vont le payer. Normalement ce sont eux qui devraient partir les premiers mais on va faire le contraire, ils resteront et regarderont leurs anciens collègues se faire licencier ».
Des années de silence avant le grand déballage « pour les familles », insiste l'ancien salarié de la société, « certains nous disent que ce ne sont que des cendres mais ce sont des cendres humaines, pas celles de la cheminée », peste-t-il.
Jean-Claude D..., conservateur du cimetière ne dit pas autre chose, « je suis surtout en colère vis-à-vis des familles, je me demande si nous avons vraiment eu nos cendres. Je me demande vraiment comment vont réagir les familles ».
Une enquête de gendarmerie est actuellement en cours pour faire toute la vérité sur cette affaire et pendant ce temps-là, ce sont des centaines de familles qui s'interrogent" ;

Attendu qu' à l'issue de l'information, MM.Vincent X..., directeur de la publication, et Yoann Y... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour diffamation et complicité de ce délit ; que les prévenus, ayant été déclarés coupables du chef susvisé par les premiers juges, ont relevé appel de cette décision, de même que le procureur de la République ainsi que la partie civile quant aux dispositions civiles ;

Attendu que, pour retenir le passage incriminé comme diffamatoire, l'arrêt énonce que l'écrit en cause contient des allégations ou des imputations de faits précis, constitués notamment par l'existence de crémations non totalement achevées, par le constat d'une brouette chargée de cendres, d'abord acheminée le 18 décembre 2012 jusqu'au cimetière de [...] afin d'être déversée dans le jardin des souvenirs, puis photographiée par des policiers municipaux après l'opposition du conservateur du cimetière à cette opération, par le relevé de négligences au sein du crématorium de nature à provoquer l'incinération d'un cercueil avec les restes d'un précédent défunt, par la présence, constatée par la police municipale, d'un aspirateur rempli de cendres, ainsi que par des menaces exercées par la direction de la société envers son personnel au regard des risques de retombées de ces événements ; que les juges retiennent que ces allégations et imputations, qui visent expressément la société partie civile, ne constituent pas un simple dénigrement de produits ou services, mais portent sur des faits précis ; qu'ils ajoutent que, si aucun des gérants de la société n'est nommément désigné, ces derniers sont clairement identifiables ; qu'ils déduisent de ces éléments que les propos incriminés portent manifestement atteinte à l'honneur et à la considération de la société dès lors que cette dernière a été mise en cause pour un traitement indigne et contraire à la loi des corps des défunts, puis des cendres de ces derniers dont la crémation lui avait été confiée ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait
l'exacte application des textes visés au moyen, dès lors que le caractère diffamatoire des imputations se détermine exclusivement par la nature des faits allégués, que, tant la crémation des défunts, que la dispersion des cendres de ces derniers, en contradiction avec des dispositions spécifiques constitue une violation de la loi et que l'imputation d'un comportement illicite à une personne morale porte nécessairement atteinte à sa considération ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 35 et 55 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'offre de preuve régulièrement notifiée par MM. X... et Y... ;

"aux motifs qu'aux termes de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la poursuite ; que cette preuve ne peut être valablement rapportée que dans les conditions prévues par l'article 55 qui dispose, notamment, que le prévenu devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile élu par lui, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ; que les formalités et délais prescrits par l'article 55 sont d'ordre public et leur inobservation doit être relevée d'office par la juridiction saisie ; qu'en l'espèce, c'est à bon droit que les premiers juges ont relevé que l'offre de preuve, signifiée le 25 août 2015 au ministère public, à la requête de MM. X... et Y..., ne spécifiait pas précisément les faits articulés et qualifiés dans la citation dont ils entendaient administrer la preuve de la vérité mais se contentait d'indiquer « les requérants, sous les plus expresses réserves, notamment quant à la validité de la citation, à sa recevabilité, à la qualification des faits reprochés et se réservant d'établir leur bonne foi, entendent ici prouver la vérité des faits contenus dans les passages incriminés » ; que cette question a été débattue contradictoirement ainsi qu'il résulte du jugement entrepris ; qu'il ne peut être soutenu, à l'instar de MM. X... et Y... dans leurs conclusions, qu'il a été satisfait, sur ce point, aux exigences de l'article 55 au motif que l'offre de preuve porte sur les propos poursuivis qui sont ceux de l'article publié dans sa totalité sans qu'il y ait lieu de distinguer ; que l'article 55 exige, en effet, que soient articulés les faits dont le prévenu entend prouver la vérité ce à quoi une référence générale aux faits contenus dans les passages incriminés ne saurait suffire ;

"1°) alors que l'offre de preuve soumise à son examen, que cette offre de preuve ne se borne pas, contrairement à ce qu'a, à tort, affirmé l'arrêt attaqué, à faire une référence générale aux faits contenus dans les passages incriminés, mais comporte les énonciations suivantes :
« Les prévenus notifient en photocopie les documents suivants :
- Document n° 1 : procès-verbal de constat de l'Etude d'huissiers de justice K... et associés en date du 7 juillet 2014 concernant le contenu d'une interview de Monsieur Jean-Luc B... mis en ligne sur le site accessible à l'adresse suivante http:/www.funeraire-info.fr intitulé « Crématorium de [...] : boulette ou cabale ? », et notamment les propos suivants :
« Oui, on nettoie les fours le matin, parce qu'on ne va pas le faire le soir, quand ils sont brûlants, ça paraît logique. Et il y a des résidus, cendres résiduelles, mais aussi un peu de poudre de ciment, suie
Tout cela est mélangé. C'est cela que l'on va déposer au jardin du souvenir. Comme tous les crématoriums, les urnes que l'on remet contiennent principalement les os, les restes se subliment. Vous savez, il n'y a aucune loi qui dise quoi faire de ces résidus-là. On pourrait très bien les jeter à la poubelle, mais moi, j'ai décidé de les envoyer au jardin du souvenir, par respect. »
- Document n° 2 : note de service du 20 décembre 2011 signée de Monsieur Jean-Luc B... indiquant notamment que « le matin à température basse l'intérieur de la cellule crémation du four doit impérativement être brossé et nettoyé de toutes ces cendres » et que « les cendres de nettoyage doivent être dispersés au jardin du souvenir de [...] » ([...] n° 1059 – 18 juin 2014) ;
- Document n° 3 : interview de M. Jean-Luc B... selon lequel notamment « ces fours-là, c'est logique tout à fait logique, il reste des poussières de cendres » (
) « c'est des restes de
de
de
parce qu'il ventile le four à l'intérieur et il fait un dépôt, donc c'est infime, il doit en rester un quart de verre » puis « Maintenant je ne dis pas qu'il y a pas des poussières qui s'échappent pas et ce qui s'ensuit » ([...] n° 1060 – 25 juin 2014) », en sorte que MM. X... et Y... ont bien détaillé, dans leur offre de preuve, les faits dont ils entendaient faire la preuve contrairement à ce qu'a énoncé à tort la cour d'appel, 2)

"2°) alors qu'en privant, par les motifs susvisés, MM. X... et Y... du droit de faire la preuve du fait diffamatoire, la cour d'appel a méconnu le principe de la présomption d'innocence" ;

Attendu que, pour écarter la preuve de la vérité du fait diffamatoire, l'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que l'offre de preuve, signifiée à la requête des prévenus n'a pas spécifié précisément les faits articulés et qualifiés dans la citation dont ils entendaient administrer la preuve de la vérité, dès lors que les intéressés se sont limités à indiquer leur intention de prouver la vérité des faits contenus dans les passages incriminés par une référence générale auxdits faits tout en produisant trois documents ; que les juges en déduisent que ladite offre de preuve n'a pas respecté les exigences édictées à l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;

D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 alinéa 1er et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 11, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de bonne foi invoquée par MM. X... et Y... ;

"aux motifs que, sur l'exception de bonne foi, les allégations ou imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire ; que la jurisprudence a, cependant, admis qu'à défaut de preuve de la vérité des faits, la personne poursuivie pouvait s'exonérer en établissant sa bonne foi, par documents ou témoignages ; que la bonne foi doit résulter de la conjonction de plusieurs circonstances : la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure de l'expression et le caractère sérieux de l'enquête ; qu'il appartient à celui qui invoque le bénéfice de la bonne foi d'en rapporter la preuve ; que dans leurs dernières conclusions, MM. X... et Y... invoquent :
- Le caractère sérieux de l'enquête puisque plusieurs témoins ont été entendus (M. Jean-Claude D..., conservateur du cimetière de [...], M. Christian E..., ancien responsable dudit cimetière, un ancien salarié de la société B... qui a requis l'anonymat, un employé en délicatesse avec cette société qui avait également requis l'anonymat mais a été identifié par l'information judiciaire,M. Jean-Paul F...) ;
- L'objectivité de l'enquête et l'absence d'animosité personnelle puisque le journaliste a pris contact avec M. B... pour connaître sa position et que ses propos ont été retranscrits dans l'article ;
- La publication dans l'édition du 16 octobre 2013 de l'[...], d'une lettre de la société B... contestant sa mise en cause ;
- La prudence des termes employés ;
- La poursuite d'un but légitime, à savoir l'information du public sur une pratique de dispersion de cendres résiduelles humaines dans le cimetière par les pompes funèbres B... qui exploitent le crématorium de [...] dans le cadre d'une délégation de service public ; qu'ils soulignent que les termes de l'article incriminé ne sont pas moins prudents que ceux employés par la journaliste du Courrier Picard à laquelle le bénéfice de la bonne foi a été reconnu par les premiers juges ; qu'ainsi que l'a relevé le tribunal, il ne ressort aucune animosité personnelle à la lecture de l'article incriminé et il apparaît que le journaliste rédacteur M. Y..., a pu poursuivre un but légitime en informant le public sur un sujet sensible et d'intérêt public, s'agissant du traitement des corps des défunts, en l'occurrence par la crémation, de plus en plus pratiquée en France ; mais que c'est aussi, à bon escient, que le tribunal a estimé que la preuve du sérieux de l'enquête et de la prudence dans l'expression de l'article n'était pas démontrée ; que dans leurs conclusions, MM. X... et Y... allèguent que les propos rapportés dans l'article de M. Jean-Claude D..., M.Christian E... et des deux anciens salariés ayant requis l'anonymat sont ceux que ces personnes ont tenus dans le cadre de l'enquête préliminaire ; or, qu'il ressort de la copie des procès-verbaux de l'enquête préliminaire, versée aux débats en cause d'appel par les intéressés que cette enquête, commencée le 13 septembre 2013, a été clôturée le 9 novembre 2014 pour être transmise au procureur de la République ; que la copie des procès-verbaux d'enquête n'a donc pu être obtenue avant le 9 octobre 2013, date de parution de l'article incriminé, étant d'ailleurs observé que M. E... n'a été entendu par les enquêteurs que le 4 novembre 2013 ; qu'en outre, M. Y... a admis, lors de son interrogatoire par le magistrat instructeur, que M. F... avait refusé de répondre à ses questions ; que la cour ne prendra donc pas en considération les procès-verbaux de l'enquête préliminaire pour apprécier l'existence ou non de la bonne foi invoquée par les prévenus ; qu'l n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente des suites de l'enquête préliminaire, ainsi que le demande, dans ses conclusions, la SARL Marbrerie Pompes Funèbres B... ; que l'article reprend, certes entre guillemets, les déclarations qui seraient celles d'anciens salariés et de M. D... mais ne les contrebalancent pas de façon objective ; qu'en effet, si la parole a été donnée à M. B..., ses propos sont accompagnés d'une appréciation subjective et dévalorisante : « Jean-Luc B..., patron de la société, ne nie pas la présence de cette brouette mais minimise les faits », « Il s'agissait de cendres de nettoyage et non humaines, assure-t-il. Tout ça, c'est une cabale menée par mon exemployé qui est parti chez un concurrent peste le patron », ce qui n'est pas le cas dans l'article publié dans le Courrier Picard ; que l'article se termine par « Pendant ce temps-là, ce sont des centaines de familles qui s'interrogent » alors que celui du Courrier Picard mentionne « qu'aucune famille ne s'est en tout cas plainte du service funéraire dispensé par l'entreprise » ;

"1°) alors qu'en fondant, fût-ce partiellement, sa décision quant au sérieux de l'enquête sur des éléments tirés de l'interrogatoire de M. Y... par le juge d'instruction, la cour d'appel a méconnu un principe général essentiel du droit de la presse selon lequel cette question relève, exclusivement du débat contradictoire devant le juge du fond, sauf à méconnaître le droit du prévenu à un procès équitable et à violer, ce faisant, les droits de la défense,

"2°) alors que la nécessité d'informer les lecteurs sur un sujet d'intérêt général autorise les journalistes, dont le secret des sources est protégé par la loi, à faire état des éléments d'une enquête en cours dont ils acquièrent la connaissance pourvu qu'ils n'en déforment pas la substance ; que tel est le cas du sujet traité par l'article qui concerne la question du respect par une entreprise de pompes funèbres des dispositions des articles 16-1-1 du code civil, 11 de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la protection juridique des cendres funéraires et de l'article 223-18 du code des collectivités territoriales, c'est-à-dire sur des droits fondamentaux de la personne humaine et de sa famille,

"3°) alors que, s'agissant d'un sujet d'intérêt général, l'écrit incriminé qui ne contient aucun commentaire malveillant susceptible de caractériser une atteinte à la présomption d'innocence exprime une information objective et sérieuse ; qu'il en va ainsi du passage de l'écrit incriminé ainsi rédigé : « Un autre incident a également été relevé par l'ancien salarié avec un aspirateur rempli de cendres. Là encore la police municipale se rend sur place et constate les faits sans pour autant inquiéter davantage la société », passage qui trouve sa source dans le procès-verbal d'audition de Jérôme G... du 15 janvier 2013, lequel a déclaré : « Je me suis aperçu de la présence d'une grande quantité de cendres dans l'aspirateur. Ce sont des cendres de crémation, je ne sais pas pourquoi elles sont en si grande quantité parce qu'après la crémation d'un corps, il ne reste qu'une petite quantité qui devrait être dispersée tous les jours par l'opérateur funéraire au jardin du souvenir du cimetière de [...] », déclaration suivie des constatations suivantes des enquêteurs :
« Constatons dans la cuve de l'aspirateur la présence de cendres de crémation ainsi que des déchets végétaux. Déterminons en plongeant une tige métallique dans la cuve que les cendres occupent 15 cm de hauteur, ce qui correspond à un volume de cendres de crémation d'environ 20 000 cm3 (le diamètre de la cuve étant d'environ 40 cm). Il est à noter que le mardi 18 décembre 2012 avons avisé notre hiérarchie de la présence d'une brouette contenant des cendres et des ossements dans le local technique du four de la crémation », déclaration elle-même suivie du commentaire suivant : « La présence d'une telle quantité de cendres dans la cuve de l'aspirateur implique que ces cendres constituent des cendres de plusieurs défunts dans un même réceptacle qui n'est pas une urne funéraire ; le recueil de cendres de crémation en telle quantité dans la cuve d'un aspirateur constitue une atteinte grave au respect, à la dignité et à la décence des restes des personnes décédées » ;

"4°) alors qu'il en est également ainsi du passage de l'écrit incriminé ainsi rédigé : « Des accusations fondées sur plusieurs éléments dont une brouette chargée de cendres et qui aurait été acheminée le 18 décembre 2012 jusqu'au cimetière de [...] dans le but d'être déversée dans le jardin des souvenirs "les employés de la société B... sont venus me voir pour déposer les cendres mais je m'y suis opposé car c'est totalement illégal explique le conservateur du cimetière", passage qui trouve sa source dans le procès-verbal d'audition de M. D..., conservateur du cimetière de [...], en date du 28 septembre 2013, (ainsi que repris dans les conclusions des journalistes devant la cour d'appel), lequel a notamment déclaré : "Je tiens à préciser que le 18 décembre 2012, M. H..., alors que je me trouvais en présence de mon collègue de travail, m'a appelé dans les locaux de chez B... pour me montrer une brouette remplie de cendres et de petits ossements. Il m'a demandé s'il était possible de les répandre dans le jardin du souvenir ou quelque part dans le cimetière. Je lui ai dit la même chose que la première fois et que c'était impossible et illégal et qu'il prenne contact avec son patron » ;

"5°) alors qu'il en est encore ainsi du passage de l'écrit incriminé ainsi rédigé : « Pourtant d'autres voies font état de négligence au sein du crématorium "Pour gagner du temps certains opérateurs ne finissent pas la crémation. Il m'est arrivé d'ouvrir le four et de voir que les poumons avaient été placés sur le côté car c'est ce qui met le plus de temps à brûler. Du coup le cercueil suivant arrive et est incinéré avec les restes du précédent défunt. Et, sous la porte d'introduction, il y a parfois des cendres" confie un employé qui souhaite conserver l'anonymat, passage qui trouve sa source dans le procès-verbal d'audition de M. Eric I... du 28 septembre 2013 ayant occupé des fonctions d'opérateur de crématorium au sein de la société B..., lequel a déclaré sur question des enquêteurs "Que pouvez-vous nous dire au sujet des crémations ? " – Réponse : "J'ai été retiré de mon poste car j'ai dénoncé à la direction qu'un opérateur était irrespectueux. Cet opérateur était Jean-Christophe B..." – Question : "Pouvez-vous détailler en quoi il était irrespectueux ? " – Réponse : "Quand je passais derrière lui, le four n'était pas vide, il restait des morceaux sur le côté" – Question : "Pouvez-vous détailler ? " – Réponse : "On voyait encore des bouts de colonne sur le côté. C'était des crémations qui n'ont pas été finies. Quand j'ai été retiré cela a continué car je continuais à amener des gens au crématorium et quand on ouvrait la porte du four, on voyait encore des morceaux, cela veut dire que la crémation n'était pas faite antérieurement" » ;

"6°) alors qu'en donnant la parole à M. Jean-Luc B..., les journalistes ont respecté leur obligation d'impartialité sans qu'il puisse leur être reproché d'avoir relaté que celui-ci minimise les faits, expression qui est objectivement dépourvue de volonté de dénigrement ;

"7°) alors que la Cour de cassation constatera que, si l'écrit incriminé relève une série de négligences qui auraient été commises par la société B... dans son activité de crémation des corps, le ton de l'écrit incriminé est modéré au regard de la gravité des négligences relevées portant sur la méconnaissance d'obligations légales protectrices des droits fondamentaux de la personne humaine et de sa famille reposant sur plusieurs sources et se termine par un paragraphe qui témoigne du souci de respecter le principe de la présomption d'innocence puisqu'il est ainsi rédigé : « Une enquête de gendarmerie est actuellement en cours pour faire toute la vérité sur cette affaire et, pendant ce temps-là, ce sont des centaines de familles qui s'interrogent » et que, c'est en contradiction avec le contenu de l'écrit incriminé, que la cour d'appel a énoncé que la preuve de la prudence dans l'expression de la pensée n'était pas démontrée" ;

Et sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 16-1-1 du code civil, 11 de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, L. 223-18 du code général des collectivités locales, 29 alinéa 1 et 42 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Vincent X... coupable de diffamation publique envers un particulier, en l'espèce, la société B... et M. Yoann Y... coupable de complicité de ce délit, a condamné M. Vincent X... à une amende de 8 000 euros et M. Yoann Y... à une amende de 600 euros et a prononcé sur les intérêts civils ;

"aux motifs que, s'agissant de l'article paru le 9 octobre 2013, dans l'édition du [...] de l'[...], il ressort de la lecture de la plainte avec constitution de partie civile, qui a mis en mouvement l'action publique, que les extraits de l'article retenus comme diffamatoires sont les suivants :
« A/ Les propos poursuivis :
A la une du numéro 1023 de [...], en date du 9 octobre 2013 :
« [...]. Les pompes funèbres B... ne rendaient pas toutes les cendres aux familles »
« une brouette, de cendres

« une enquête de gendarmerie est en cours »
« page 6 »
« une enquête est en cours après des accusations de négligence.
Les pompes funèbres B... suspectées de ne pas rendre toutes les cendres aux familles »
« La société de pompes funèbres B... est plongée en pleine tempête. C'est un courrier adressé au procureur de la République qui a mis le feu aux poudres. Dans ce dernier, il est indiqué que les crémations ne sont pas totalement achevées et que les familles ne récupèrent donc qu'une partie des cendres du défunt, contrairement à la loi. Des accusations fondées sur plusieurs éléments, dont une brouette chargée de cendres et qui aurait été acheminée le 18 décembre 2012, jusqu'au cimetière de [...] dans le but d'être déversées dans le jardin des souvenirs ; que « des employés de la société B... sont venus me voir pour déposer les cendres, mais je m'y suis opposé car c'est totalement illégal » explique le conservateur du cimetière. La brouette reprend alors le chemin du crématorium dans lequel se trouvaient alors des employés municipaux. « Un corps d'un département voisin venait d'arriver et dans ces cas-là, la police est présente. Les deux policiers ont vu la brouette, l'ont photographiée, puis sont repartis. Ce n'était pas le premier incident,

mais après avoir alerté la direction à plusieurs reprises (sic), nous n'avons jamais eu de retour » affirme un ancien salarié de la société (
)
LES CENDRES DE 2 DEFUNTS PARFOIS MELANGEES Jean-Luc B..., patron de la société, ne nie pas la présence de cette brouette mais minimise les faits « Il s'agissait de cendres de nettoyage et non humaines, assure-t-il. Tout ça, c'est une cabale menée par mon exemployé qui est parti chez un concurrent » peste le patron. Pourtant, d'autres voix font état de négligences au sein du crématorium.
« Pour gagner du temps certains opérateurs ne finissent pas la crémation. Il m'est arrivé d'ouvrir le four et (sic) de voir que les poumons avaient été placés sur le côté, car c'est ce qui met le plus de temps à brûler. Du coup, le cercueil suivant arrive et est incinéré avec les restes du précédent défunt. Et sous la porte d'introduction, il y a parfois des cendres » confie un employé qui souhaite conserver l'anonymat. Un autre incident a également été relevé par l'ancien salarié, avec un aspirateur rempli de cendre. Là encore, la police municipale se rend sur place et constate les faits sans pour autant inquiéter davantage la société. Consciente des retombées d'un tel scandale, la direction de l'établissement aurait même menacé ses salariés poursuit cette même source, « vendredi matin, pendant le nettoyage des véhicules, un de nos patrons nous a convoqués et nous a dit « ceux qui foutent la m
vont le payer. Normalement, ce sont eux qui devraient partir les premiers, mais on va faire le contraire, ils resteront et regarderont leurs anciens collègues se faire licencier. »
Des années de silence avant le grand déballage « pour les familles », insiste l'ancien salarié de la société, « certains nous disent que ce ne sont que des cendres, mais ce sont des cendres humaines, par celles de la cheminée », peste-t-il ; que M. Jean-Claude D..., conservateur du cimetière, ne dit pas autre chose, « je suis surtout en colère vis-à-vis des familles, je me demande si nous avons vraiment eu nos cendres. Je me demande comment vont réagir les familles ». Une enquête de gendarmerie est actuellement en cours pour faire toute la vérité sur cette affaire et, pendant ce temps-là, ce sont des centaines de familles qui s'interrogent ». » ; que ces extraits contiennent des allégations ou des imputations de faits précis :
- le fait que les crémations ne sont pas totalement achevées ;
- l'existence d'une brouette chargée de cendres qui aurait été acheminée, le 18 décembre 2012, jusqu'au cimetière de [...] afin d'être déversée dans le jardin des souvenirs ce à quoi se serait opposé le conservateur du cimetière ;
- des photographies de la brouette prises par des policiers municipaux ;
- des négligences au sein du crématorium de la part de certains opérateurs lesquels, pour gagner du temps, ne finissent pas la crémation ou placent sur le côté les poumons, qui mettent plus de temps à brûler afin de permettre la mise en route de la crémation suivante induisant ainsi l'incinération du cercueil avec les restes du précédent défunt ;
- un incident avec un aspirateur rempli de cendres qui aurait été constaté par la police municipale ;
- des menaces sur le personnel exercées par la direction, consciente des retombées d'un tel scandale ; que ces allégations et imputations visent expressément la société des pompes funèbres B... ; qu'à l'inverse de ce que soutiennent, dans leurs conclusions, MM. X... et Y..., ces allégations et imputations, contenues dans l'article publié le 9 octobre 2013, ne constituent pas un simple dénigrement de produits ou services mais portent sur des faits précis ; que si aucun des gérants de la société des pompes funèbres B... n'est nommément désigné, ils sont clairement identifiables dès lors qu'il est porté atteinte à l'image de l'entreprise ; qu'en effet, ces allégations et imputations portent manifestement atteinte à l'honneur et à la considération de la société des pompes funèbres B... qui se voit mis en cause pour un traitement indigne et contraire à la loi des corps puis des cendres des défunts dont la crémation lui a été confiée ; qu'il est, notamment, allégué que, pour gagner du temps, le processus de crémation n'est pas mené à son terme et que les restes d'un défunt se trouvent incinérées en même temps que le cercueil suivant ; qu'il ne saurait donc être soutenu, ainsi que le prétendent, dans leurs conclusions, MM. X... et Y..., qu'il ne s'agit que de « l'affirmation de l'existence de cendres résiduelles issues de crémations des corps que la société B... avait pris l'habitude de disperser dans le jardin des souvenirs du cimetière de [...], par respect dû aux morts ou à leur famille », termes ne figurant d'ailleurs pas dans l'article incriminé ; que les conditions cumulatives prévues par l'article 29 alinéa 1 étant réunies, le délit de diffamation publique envers un particulier est caractérisé ;

"aux motifs que, sur l'exception de bonne foi, les allégations ou imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire ; que la jurisprudence a, cependant, admis qu'à défaut de preuve de la vérité des faits, la personne poursuivie pouvait s'exonérer en établissant sa bonne foi, par documents ou témoignages ; que la bonne foi doit résulter de la conjonction de plusieurs circonstances : la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence et la mesure de l'expression et le caractère sérieux de l'enquête ; qu'il appartient à celui qui invoque le bénéfice de la bonne foi d'en rapporter la preuve ; que dans leurs dernières conclusions, MM. X... et Y... invoquent :
- Le caractère sérieux de l'enquête puisque plusieurs témoins ont été entendus (M. D..., conservateur du cimetière de [...], M. Christian E..., ancien responsable dudit cimetière, un ancien salarié de la société B... qui a requis l'anonymat, un employé en délicatesse avec cette société qui avait également requis l'anonymat mais a été identifié par l'information judiciaire, M.Jean-Paul F...) ;
- L'objectivité de l'enquête et l'absence d'animosité personnelle puisque le journaliste a pris contact avec M. B... pour connaître sa position et que ses propos ont été retranscrits dans l'article ;
- La publication dans l'édition du 16 octobre 2013 de l'[...], d'une lettre de la société B... contestant sa mise en cause ;
- La prudence des termes employés ;
- La poursuite d'un but légitime, à savoir l'information du public sur une pratique de dispersion de cendres résiduelles humaines dans le cimetière par les pompes funèbres B... qui exploitent le crématorium de [...] dans le cadre d'une délégation de service public ; qu'ils soulignent que les termes de l'article incriminé ne sont pas moins prudents que ceux employés par la journaliste du Courrier Picard à laquelle le bénéfice de la bonne foi a été reconnu par les premiers juges ; qu'ainsi que l'a relevé le tribunal, il ne ressort aucune animosité personnelle à la lecture de l'article incriminé et il apparaît que le journaliste rédacteur M. Y..., a pu poursuivre un but légitime en informant le public sur un sujet sensible et d'intérêt public, s'agissant du traitement des corps des défunts, en l'occurrence par la crémation, de plus en plus pratiquée en France ; que mais que c'est aussi, à bon escient, que le tribunal a estimé que la preuve du sérieux de l'enquête et de la prudence dans l'expression de l'article n'était pas démontrée ; que dans leurs conclusions, MM. X... et Y... allèguent que les propos rapportés dans l'article de M. D..., E... et des deux anciens salariés ayant requis l'anonymat sont ceux que ces personnes ont tenus dans le cadre de l'enquête préliminaire ; qu'il ressort de la copie des procès-verbaux de l'enquête préliminaire, versée aux débats en cause d'appel par les intéressés que cette enquête, commencée le 13 septembre 2013, a été clôturée le 9 novembre 2014 pour être transmise au procureur de la République ; que la copie des procès-verbaux d'enquête n'a donc pu être obtenue avant le 9 octobre 2013, date de parution de l'article incriminé, étant d'ailleurs observé que M. E... n'a été entendu par les enquêteurs que le 4 novembre 2013 ; qu'en outre, M. Y... a admis, lors de son interrogatoire par le magistrat instructeur, que M. F... avait refusé de répondre à ses questions ; que la cour ne prendra donc pas en considération les procès-verbaux de l'enquête préliminaire pour apprécier l'existence ou non de la bonne foi invoquée par les prévenus ; qu'il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente des suites de l'enquête préliminaire, ainsi que le demande, dans ses conclusions, la société MarbreriePompes Funèbres B... ; que l'article reprend, certes entre guillemets, les déclarations qui seraient celles d'anciens salariés et de M. D... mais ne les contrebalancent pas de façon objective ; qu'en effet, si la parole a été donnée à M. B..., ses propos sont accompagnés d'une appréciation subjective et dévalorisante : « Jean-Luc B..., patron de la société, ne nie pas la présence de cette brouette mais minimise les faits », « Il s'agissait de cendres de nettoyage et non humaines, assure-t-il. Tout ça, c'est une cabale menée par mon exemployé qui est parti chez un concurrent peste le patron », ce qui n'est pas le cas dans l'article publié dans le Courrier Picard ; que l'article se termine par « Pendant ce temps-là, ce sont des centaines de familles qui s'interrogent » alors que celui du Courrier Picard mentionne « qu'aucune famille ne s'est en tout cas plainte du service funéraire dispensé par l'entreprise » ;

"alors que la Cour de cassation constatera que la gravité du sujet d'intérêt général traité par l'écrit incriminé qui est relatif à la conformité du traitement des cendres funéraires aux dispositions légales et par conséquent à la protection d'un droit fondamental de la personne humaine et de sa famille et qui ne comporte aucune dose de provocation, repose sur une base factuelle suffisante et relève par conséquent de la liberté d'expression" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 dudit texte ;

Attendu que pour rejeter l'exception de bonne foi, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, retient que, si aucune animosité personnelle ne résulte de l'article incriminé dont le rédacteur a pu poursuivre un but légitime en souhaitant informer le public sur un sujet sensible et d'intérêt public, il n'en est pas de même du sérieux de l'enquête, ni de la prudence dans l'expression, dès lors que, d'une part, les prévenus ont présenté les propos rapportés par plusieurs témoins dans l'article comme ayant été tenus dans le cadre de l'enquête préliminaire, alors que la copie des procès-verbaux d'enquête n'a pu être obtenue avant la date de parution de l'article incriminé, la procédure n'ayant pas, à cette date, été transmise au procureur de la République, d'autant que l'audition d'un des témoins est postérieure à cette parution, d'autre part, les déclarations reprises à l'article d'anciens salariés et du conservateur du cimetière n'ont pas été contrebalancées de façon objective dès lors que les propos du gérant de la société en cause ont été accompagnés d'une appréciation subjective et dévalorisante ; que les juges ajoutent que l'article se termine sur les interrogations que cette affaire a suscitées chez "des centaines de familles", alors qu'une autre publication a relevé "qu'aucune famille ne s'est en tout cas plainte du service funéraire dispensé par l'entreprise" ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que les écrits poursuivis s'inscrivaient dans un sujet d'intérêt général relatif à la crémation du corps des défunts et à la destination des cendres en résultant et rendaient compte de dysfonctionnements susceptibles d'être intervenus au sein d'une entreprise de pompes funèbres en charge de ces activités, lesquels faisaient l'objet d'une enquête judiciaire, et qu'ils reposaient sur une base factuelle suffisante en ce qu'ils reprenaient des propos rapportés entre guillemets de certains témoins, par ailleurs entendus dans cette enquête et au sujet desquels il n'a pas été soutenu l'existence d'une contradiction entre les propos ainsi rapportés et ceux enregistrés en procédure de telle sorte qu'il ne pouvait être fait grief aux prévenus d'avoir manqué à la prudence en commentant sans les dénaturer les explications fournies par le gérant de la société visée, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;

D'où il suit que la cassation est encourue ; que n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le cinquième moyen de cassation :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d' Amiens, en date du 6 mars 2017 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Amiens et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf juin deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 17-82526
Date de la décision : 19/06/2018
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, 06 mars 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 19 jui. 2018, pourvoi n°17-82526


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié, SCP Richard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.82526
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