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14/06/2018 | FRANCE | N°16-22539

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 14 juin 2018, 16-22539


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Papeete, 17 mars 2016), que les consorts X... Y..., se prévalant de leur qualité d'indivisaires dans la succession de leur ancêtre commun, D..., et soutenant que l'acte du 4 septembre 1862, par lequel celui-ci avait vendu ses terres, était un faux, ont assigné en revendication des parcelles [...] et [...] la société du Matavai et M. A... ;

Attendu que les consorts X... Y... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande, alors, selon l

e moyen :

1°/ que les jugements doivent être motivés de sorte qu'en répondant...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Papeete, 17 mars 2016), que les consorts X... Y..., se prévalant de leur qualité d'indivisaires dans la succession de leur ancêtre commun, D..., et soutenant que l'acte du 4 septembre 1862, par lequel celui-ci avait vendu ses terres, était un faux, ont assigné en revendication des parcelles [...] et [...] la société du Matavai et M. A... ;

Attendu que les consorts X... Y... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande, alors, selon le moyen :

1°/ que les jugements doivent être motivés de sorte qu'en répondant au moyen tiré de ce que le régime de la propriété applicable à Tahiti excluait la prescription acquisitive pour les biens ayant fait l'objet d'un enregistrement avant la promulgation de l'ordonnance du 14 décembre 1865, qui sont demeurés inaliénables que l'article 2265 ancien du code civil était applicable en Polynésie française, sans plus d'explication et sans se prononcer explicitement sur la dérogation invoquée par les exposants, la cour d'appel, qui a statué par simple affirmation, n'a pas satisfait aux exigences légales résultant de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que le régime de la propriété applicable à Tahiti exclut la prescription acquisitive pour les biens ayant fait l'objet d'un enregistrement avant la promulgation de l'ordonnance du 14 décembre 1865, qui sont demeurés inaliénables de sorte qu'en jugeant que l'article 2265 ancien du code civil était applicable en Polynésie sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si les conditions dans lesquelles le bien avait été enregistré en 1852 ne faisaient pas obstacle à l'usucapion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ordonnance du 14 décembre 1865 et de la loi tahitienne du 24 mars 1852 ;

3°/ que la prescription acquisitive, fût-elle abrégée, suppose la possession du bien qui doit être caractérisée par des actes matériels si bien qu'en relevant que les différents acquéreurs étaient entrés en possession en vertu d'un juste titre et que la prescription acquisitive abrégée avait « joué », sans relever aucun acte matériel de possession, et sans préciser à quel moment et au profit de qui l'usucapion était intervenue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 2229 et 2265 anciens du code civil ;

4°/ que la prescription acquisitive abrégée suppose que la propriété ait été acquise auprès d'une personne qui n'était pas propriétaire en vertu d'un juste titre relatif à l'ensemble des biens en cause si bien qu'en retenant en l'espèce une telle prescription abrégée sans s'interroger sur la qualité de non propriétaire du cédant, et sans s'assurer, alors que cela était contesté, que le juste titre invoqué concernait la totalité des parcelles litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 2265 ancien du code civil ;

5°/ que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement de sorte qu'en se fondant sur une décision antérieure, rendue dans le cadre d'une action en inscription de faux ayant un autre objet, pour rejeter l'action en revendication des exposants, qui avait un autre objet, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil ;

6°/ que seul l'acquéreur à titre onéreux d'un bien peut invoquer la théorie de l'apparence de sorte qu'en retenant cette théorie au bénéfice de M. A... et de la société du Matavai quand il ne résultait pas de ses constatations que ces derniers avaient acquis ces parcelles de façon onéreuse, et qu'il résultait au contraire des conclusions des parties que M. A... les avait acquis par succession et la société du Matavai par apport, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 544 du code civil, dont découle la théorie de l'apparence ;

7°/ que la théorie de l'apparence suppose une erreur commune et légitime, laquelle est exclue lorsque n'ont pas été réalisées les vérifications minimales permettant de s'assurer de la propriété du vendeur si bien qu'en retenant cette théorie au bénéfice de M. A... et de la société du Matavai sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'absence d'examen de l'origine initiale de propriété qui s'imposait eu égard aux transferts exclusivement entre ascendants et descendants depuis la vente de 1862, ne faisait pas obstacle à l'application de la théorie de l'apparence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 544 du code civil, dont découle la théorie de l'apparence ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu à bon droit que l'article 2265 ancien du code civil était applicable en Polynésie française et qui n'était pas tenue de suivre les consorts X... Y... dans le détail de leur argumentation relative aux déclarations de terre faites antérieurement à 1865, en a exactement déduit, abstraction faite de motifs surabondants relatifs à une décision juridictionnelle antérieure, que la société du Matavai et M. A..., dont les auteurs étaient entrés en possession, sans que le vice de celle-ci soit établi ni même allégué, en vertu d'un juste titre, étaient fondés à invoquer la prescription acquisitive abrégée pour être déclarés propriétaires des parcelles litigieuses ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les consorts X... Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts X... Y... et les condamne à payer à la société du Matavai la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme X... et M. Y....

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté les exposants de leur demande tendant à ce que l'indivision successorale regroupant les héritiers de M. D... soit déclarée propriétaire des parcelles cadastrées [...] et [...], [...]

AUX MOTIFS QU'

« Il convient d'observer, à titre liminaire que la cour d'appel de Papeete.., suivant arrêt en date du 11 octobre 2012, a, dans une instance opposant les mêmes parties, déclaré que l'action en inscription de faux de l'acte de vente du 4 septembre 1862, engagée par Mme Mareva X... et M. Gilles Y..., était irrecevable pour défaut de qualité, défaut d'intérêt, prescription de l'action fondée sur la succession et prescription de l'action pour faux, en relevant concernant cette dernière prescription de l'acte en nullité de la vente, que celle-ci était acquise par application de l'article 2262 du code civil avant même le décès du vendeur, M. D..., intervenu [...] en 1911.

La cour d'appel relevait en outre, à titre surabondant, qu'il n'était pas démontré que la signature du vendeur à l'acte de vente de 1862 était un faux, dès lors que le graphologue avait examiné, non contradictoirement, deux photocopies d'actes très éloignées dans le temps, attribués (à tort ou à raison, ce qui n'est pas vérifiable) à une personne qui manifestement ne maniait pas bien la plume, ne savait sans doute écrire que son nom, et dont la graphie a pu varier dans le temps.

Or, même à supposer que l'acte de vente du 4 septembre 1862 puisse être affecté d'un vice quelconque, la SA SOCIETE DU MATAVAL et M. Hiro Paul A... qui tiennent leurs droits des actes translatifs de propriété qui se sont succédés depuis la vente de 1862, sont fondés à opposer à Mme Mareva X... à M. Gilles Y... (lesquels se prévalent d'un tel vice pour considérer que les biens litigieux n'ont jamais quitté le patrimoine de leur ancêtre, M. D...) les dispositions de l'article 2265 ancien du code civil, effectivement applicables dans cette version en Polynésie française, aux termes desquelles : « Celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans, est le véritable propriétaire habite le ressort de la cour d'appel dans l'étendue de laquelle l'immeuble est situé, et par vingt ans, s'il est domicilié hors dudit ressort ».

Or, il résulte de l'attestation d'origine de propriété établie 30 janvier 2007 par Me E..., notaire à [...], que la vente des terres par acte du 4 septembre 1862 a été consentie par M. D... à M. Etienne F... ; que Mme Annette G..., sa veuve, lui ayant succédé, les cédait à M. Charles Etienne F..., suivant acte du 15 février 1888, transcrit le même jour au bureau des hypothèques de [...] ; que Mme Annette G... les ayant reçus en héritage de son fils, Charles Etienne F..., pré-décédé, les cédait à nouveau à M. Emile A... et à Mme Louise Virginie F..., épouse A..., suivant acte de vente du 2 juin 1896, transcrit au bureau des hypothèques de [...] le 1er juillet 1896.

Il s'ensuit que les différents acquéreurs sont entrés en possession des terres considérées en vertu d'un juste titre, lequel, du moins pour les actes de 1888 et de 1898, a fait l'objet d'une publicité (l'acte de 1862 ayant uniquement fait l'objet d'un enregistrement à [...]. le 4 septembre 1862, les formalités de transcription n'étant pas obligatoires à la date de sa signature). Alors que la bonne foi est présumée, il n'est nullement établi ni, du reste, prétendu, que les acquéreurs aient été troublés dans leur possession et qu'en particulier une contestation ait été alors élevé[e] de la part du vendeur originaire ou de ses ayants droit. Le vice éventuel n'a dès lors pu qu'être purgé par le jeu de la prescription acquisitive abrégée e 10 ans résultant de l'article 2265 ancien du code civil »

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Attendu que les défendeurs ne contestent pas que la signature apposée sur l'acte de vente le 4 septembre 1862 peut être de la main d'une autre personne que le propriétaire véritable qui a revendiqué la terre;

qu'un examen technique produit aux débats remet en cause que la signature apposée sur l'acte de vente soit de la main de Monsieur D... ;

que cependant il ne peut être contesté que les défendeurs, la SA SOCIETE DU MATAVAI et Monsieur Hiro Paul A... se sont portés acquéreurs de bonne foi des biens immobiliers objets du présent litige ;

qu'il en est de même des acquéreurs précédents qui ont tous passé des actes authentiques depuis la première vente intervenue le 4 septembre 1862 ;

qu'ainsi l'erreur commune et partagée par tous, s'agissant d'actes de vente authentiques ou de partages judiciaires, faisant l'objet de publications au rang de la conservation de hypothèques a permis à chacun des acquéreurs et des vendeurs depuis cette date de contracter valablement ;

que les transferts de propriété ainsi successivement opérés ne peuvent pas être remis en cause, quand bien même la première vente était entachée d'une nullité absolue et de ce fait inexistante ;

Attendu qu'en effet la vente de la chose d'autrui est nulle ;

que cependant l'apparence fait échec à l'action en revendication du véritable propriétaire ;

que la vente est tenue pour valable si les acquéreurs ont traité avec celui qu'une erreur commune et légitime leur a imposé de considérer comme habilité à vendre ;

qu'ainsi la terre vendue en 1862 et située sur les parcelles cadastrées sections [...] , de la commune de [...] ne peut être rapportée à la succession des demandeurs agissant en qualité d'ayants-droit dans la succession de D... »

1) - ALORS QUE les jugements doivent être motivés de sorte qu'en répondant au moyen tiré de ce que le régime de la propriété applicable à Tahiti excluait la prescription acquisitive pour les biens ayant fait l'objet d'un enregistrement avant la promulgation de l'ordonnance du 14 décembre 1865, qui sont demeurés inaliénables que l'article 2265 ancien du code civil était applicable en Polynésie française, sans plus d'explication et sans se prononcer explicitement sur la dérogation invoquée par les exposants, la cour d'appel, qui a statué par simple affirmation, n'a pas satisfait aux exigences légales résultant de l'article 455 du code de procédure civile,

2) - ALORS QUE le régime de la propriété applicable à Tahiti exclut la prescription acquisitive pour les biens ayant fait l'objet d'un enregistrement avant la promulgation de l'ordonnance du 14 décembre 1865, qui sont demeurés inaliénables de sorte qu'en jugeant que l'article 2265 ancien du code civil était applicable en Polynésie sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si les conditions dans lesquelles le bien avait été enregistré en 1852 ne faisaient pas obstacle à l'usucapion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ordonnance du 14 décembre 1865 et de la loi tahitienne du 24 mars 1852,

3) - ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la prescription acquisitive, fût-elle abrégée, suppose la possession du bien qui doit être caractérisée par des actes matériels si bien qu'en relevant que les différents acquéreurs étaient entrés en possession en vertu d'un juste titre et que la prescription acquisitive abrégée avait « joué », sans relever aucun acte matériel de possession, et sans préciser à quel moment et au profit de qui l'usucapion était intervenue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 2229 et 2265 anciens du code civil,

4) - ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la prescription acquisitive abrégée suppose que la propriété ait été acquise auprès d'une personne qui n'était pas propriétaire en vertu d'un juste titre relatif à l'ensemble des biens en cause si bien qu'en retenant en l'espèce une telle prescription abrégée sans s'interroger sur la qualité de non propriétaire du cédant, et sans s'assurer, alors que cela était contesté, que le juste titre invoqué concernait la totalité des parcelles litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 2265 ancien du code civil,

5) - ALORS QUE l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement de sorte qu'en se fondant sur une décision antérieure, rendue dans le cadre d'une action en inscription de faux ayant un autre objet, pour rejeter l'action en revendication des exposants, qui avait un autre objet, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 480 du code de procédure civile et 1351 du code civil,

6) - ALORS QUE seul l'acquéreur à titre onéreux d'un bien peut invoquer la théorie de l'apparence de sorte qu'en retenant cette théorie au bénéfice de M. A... et de la Société du MATAVAI quand il ne résultait pas de ses constatations que ces derniers avaient acquis ces parcelles de façon onéreuse, et qu'il résultait au contraire des conclusions des parties que M. A... les avait acquis par succession et la société du MATAVAI par apport (conclusions des intimés, p. 2 ; conclusions des exposants, p. 11), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 544 du code civil, dont découle la théorie de l'apparence,

7) - ET ALORS QUE la théorie de l'apparence suppose une erreur commune et légitime, laquelle est exclue lorsque n'ont pas été réalisées les vérifications minimales permettant de s'assurer de la propriété du vendeur si bien qu'en retenant cette théorie au bénéfice de M. A... et de la Société du MATAVAI sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'absence d'examen de l'origine initiale de propriété qui 160759/MPM/DG s'imposait eu égard aux transferts exclusivement entre ascendants et descendants depuis la vente de 1862, ne faisait pas obstacle à l'application de la théorie de l'apparence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 544 du code civil, dont découle la théorie de l'apparence.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 16-22539
Date de la décision : 14/06/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

OUTRE-MER - Polynésie française - Lois et règlements - Application - Cas - Article 2265 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008

PRESCRIPTION ACQUISITIVE - Prescription de dix à vingt ans - Domaine d'application - Action en revendication de propriété immobilière en Polynésie française

L'article 2265 ancien du code civil étant applicable en Polynésie française, la prescription acquisitive abrégée peut être invoquée à l'appui d'une revendication de propriété immobilière


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Papeete, 17 mars 2016


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 14 jui. 2018, pourvoi n°16-22539, Bull. civ.Bull. 2018, III, n° 68
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles Bull. 2018, III, n° 68

Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin
Avocat(s) : SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, Me Balat

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:16.22539
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